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Samizdat

Le saint justifie les moyens[1].

Enfin traduit en français, le récit étonnant d'un fripon devenu saint.




Tristan Malavoy-Racine

Frederick Buechner - Godric de FinchaleAprès les biographies de la grande Céline, changeons un peu de registre. Que diriez-vous de celle de Godric, un moine anglais du XIIe siècle ?

Je ne vous parle pas d'une biographie conventionnelle, mais plutôt du mode littéraire employé par l'Américain Frederick Buechner pour nous rapprocher de son personnage. Il s'agit en fait d'un livre publié en 1980, alors nominé pour un Pulitzer, mais que personne n'avait eu la bonne idée de traduire.C'est ce qu'a fait Anne-Marie Décrevel, relevant du coup le beau défi de respecter le style singulier du Buechner.

À vue de nez, Godric de Finchale sent fort la catéchèse et pourrait rebuter son lecteur : à l'ère des cathédrales gothiques, un homme ordinaire chemine, souvent malgré lui, sur les voies de la sainteté. "Ouin...", diriez-vous pour la plupart. Mais le roman a l'intérêt de nous présenter le côté méconnu, occulté, parfois tordu de la quête spirituelle.Godric, qui fut un gredin de la pire espèce, un pirate sans vergogne, avance néanmoins vers le Créateur, courbé qu'il est sous le poids de son péché.Qui l'aurait prédit, à l'époque où il zigouillait de pauvres minous pour vendre leur sang comme étant celui de Peregrine Small, un grand martyr ? Personne, et sûrement pas lui-même.Qui aurait imaginé une fin semblable, alors qu'il embarquait des groupes de fidèles pèlerins sur son bateau, Le Saint-Esprit (!), pour bientôt les plumer jusqu'au dernier écu ?

Au terme de sa vie terrestre, Godric se raconte. Sa route est parsemée de crimes et de cruautés, d'infidélités — peut-être même d'inceste...—, mais là n'est pas l'essentiel de son parcours. Maintes fois touché par le doigt de Dieu, comme cette fois où il s'est noyé, mais que la mort l'a oublié sur le rivage, notre moine en devenir va comprendre un jour l'étendue de ses fautes, comme il va comprendre la misère des hommes.

Terminant sa vie en ascète, hors du monde, Godric médite sur le vice humain. Sur la concupiscence, entre autres : "La concupiscence est, de nos bas instincts, le singe baragouineur. Que nous le domptions aisément pendant le jour, le voilà durant la nuit qui se déchaîne d'autant plus sauvagement dans nos rêves. "

Son existence désormais exemplaire, toute faite de privations, va bientôt l'élever au rang de saint dans la chrétienté de l'époque. Réputation qui le dépasse, car il n'y a jamais aspiré.

En découvrant Godric et ses amis, les serpents Chant et Jolitemps, l'ermite Cuthbert ou le flibustier Souris, on pense parfois au Siddharta d'Hermann Hesse, ou encore à L'Alchimiste de Paulo Cuelho, la morale mielleuse de ce dernier en moins.Voilà un parcours initiatique, oui, mais où rien n'est tout à fait noir ou tout à fait blanc puisque, comme le dit lui-même Godric, "tout ce qui est humain n'est que potage où mijotent ensemble le vrai et le faux."

Godric, c'est toute la densité de la question humaine. Un cheminement spirituel crédible, parce qu'il fait de longs détours du côté des ténèbres.



Frederick Buechner - écrivain
Frederick Beuchner est un auteur de renom. Il a écrit plus d'une dizaine d'ouvrages généaux et une dizaine de romans, dont Godric de Finchale, qui a été nominé pour le prestigieux prix Pulitzer aux États-Unis.

Peu de temps après la parution de son premier roman (A Long Day's Dying), à l'âge de 24 ans, il s'inscrit au Union Theological Seminary, inspiré par un sermon qu'il avait ententu dans une Église où il allait à l'invitation d'un ami.

Il est ministre de l'Église Presbytérienne, et a rempli la fonction d'aumônier au Exeter Academy pendant plusieurs années. Il est aussi membre de l'American Academy and Institute of Arts & Letters, dont il a reçu des titres honorifiques à deux reprises, et a été professeur invité à différentes universités très presitgieuses dont Harvard, Yale, Columbia et Princeton.

Frederick Buechner est né à New York en 1926 et habite maintenant le Vermont, avec son épouse, Judith.


Un mot de Frederick Buechner (le 5 août 1997)

Vive saint Godric en français! Et vive Anne-Marie Décrevel, qui l'a traduit si fidèlement, sans parler de mes amis de la Clairière qui le présentent aux lecteurs québécois avec un tel éclat.Ma grand-mère maternelle était à moitié française et je sais que cela l'aurait fait sourire de voir ce livre de son petit-fils dans la langue qu'elle a toujours adorée.

Dans mes propres mots, j'aimerais exprimer combien je souhaites que ce saint et vieux fripon apporte autant de plaisir à ses futurs lecteurs francophones qu'il m'en a apporté à moi en écrivant son histoire. Quoiqu'il soit d'une manière et en partie le produit de mon imagination, d'une autre manière il devint aussi au cours de ce processus mon ami et mon guide spirituel :

Ces paroles, et bien d'autres encore sont toutes sorties de moi, amis c'est également comme si elles étaient venues en moi, de cette source mystérieuse d'où proviennent aussi nos rêves les plus merveilleux.Durant une période sombre de ma vie, elles m'ont apporté un grand réconfort et donné du courage. Je souhaite que la rencontre de Godric produise le même effet sur vous et je vous transmet, en terminant, mes meilleurs sentiments.


Ce qu'en disent les critiques

"Dans un décor restreint, Frederick Buechner construit un univers entièrement de son cru, qu'il révèle à travers un langage inventé pour la circonstance.... Dès la première phrase, tout lecteur sera empoigné dans l'étreinte de Godric. En racontant sa longue histoire dans si peu d'espace, où début et fin se chevauchent, F. Buechner passe adroitement de la fantaisie à des scènes quasi réalistes. Godric luit avec éclat."
Peter Prescott, Newsweek


"Frederick Buechner, le romancier prolifique, demeure imprévisible.... il produit l'inattendu : un roman historique. F. Buechner a mis au point un langage à la fois poétique et austère.Les images et les détails datent du 12e siècle, pourtant on y retrouve fraîcheur, ravissement et même paillardise. Un tour de force !"
Los Angeles Times


"Frederick Buechner l'artiste, le romancier versatile et accompli, écrit un de ses meilleurs livres. Avec de riches détails, la sensibilité du poète et une fantaisie toute respectueuse, F. Buechner peint un tableau mémorable."
Wall Street Journal

"Dans le personnage extraordinaire de Godric, à la fois éloigné de Dieu et véritable enfant de Dieu, attaché aux biens de ce monde et pourtant détaché de tout bien, Frederick Buechner a trouvé la façon idéale d'explorer la nature de la spiritualité. Godric est le champ de bataille où Dieu règle la question du monde, de la chair et du diable."
London Time Literary Supplement

Comment j'ai découvert Godric....
Un jour, entièrement par hasard —ou était-ce par grâce—je tombai sur un personnage historique, un saint nommé Godric, dont je n'avais jamais entendu parler, et qui était né en Angleterre en l'an 1065. Si, comme moi, nous n'avez rien d'un saint, il vous est alors impossible de raconter l'histoire d'un tel personnage sans que quelque chose vous soit donné de quelque part. Il faut rajouter à cela que Godric est né il y a près de mille ans et a vécu dans un monde différent du nôtre, il parlait une autre langue et voyait les choses d'un point de vue totalement autre.

J'ai entrepris des recherches sur la vie quotidienne en Europe au Moyen-Âge, surtout en Angleterre. J'ai accumulé des donnés sur des personnages historiques tels qu'Ailred de Rievaulx, Raloulf Flambard, et Guillaume II, qui ont joué un rôle dans la vie de Godric. J'essayai, mais avec peu de succès, de savoir comment étaient Rome et Jérusalem lorsque Godric y fit ses voyages.

Ma source principale sur Godric lui-même est une biographie rédigée par un moine nommé Réginald de Durham, dont j'ai fait un personnage de mon roman. Son livre en latin médiéval est resté intraduit à ce jour.

Or, chose remarquable, ma connaissance du latin étant assez sommaire, j'ai pu bénéficier de l'aide providentielle d'un ami de ma fille venue me visiter au moment où j'entreprenais cette étude, lequel ami était lui-même doyen d'un département d'études classiques, et qui m'en a fait en lecture à vue la traduction des passages qui m'intéressaient.

Mais il y a encore plus extraordinaire.Ce que je veux dire c'est qu'il vous arrive de temps en temps de devenir meilleur que vous ne l'êtes, et d'écrire plus que ce que vous ne savez...Ce personnage de Godric est devenu vivant pour moi, non parce que j'ai fait des recherches sur lui, mais en dépit de ces recherches. Voilà ce qui m'a été donné : sa façon de penser, de parler, son humanité, sa singulière sainteté... Je ne pense pas qu'un écrivain puisse faire cela simplement en utilisant les trucs habituels du métier. Quelque chose de plus doit arriver, quelque chose de plus mystérieux. Godric est non seulement devenu vivant pour moi, mais il a dit des mots et vécu des choses qui ont une vie et une tournure dont je ne suis pas entièrement le créateur. C'est moi qui ai écrit Godric, mais les mots que j'ai trouvés pour décrire son histoire ressemblent beaucoup plus à lui qu'à moi, et sans lui—quelque soit le sens de cela—j'ai la certitude que je ne les aurais jamais trouvés, ni encore moins écrits.


Frederick Buechner






Notes

[1] - Article tiré du Journal Voir- Québec du 11 au 17 décembre 1997. Utilisé avec permission.

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