Intervieweurs: Jan Katzschke et Beat Rink
Dans le cadre d'un projet de livre, nous avons interviewé le Prof. Herbert Blomstedt dans son appartement à Lucerne. Il est le Directeur artistique du Leipzig Gewandhaus Orchestre. Le texte suivant est un passage d'une discussion plus longue, enregistré le 20 octobre 1997 à Hambourg.
Herbert Blomstedt:
"À mon avis, le christianisme nous aide à éviter de tomber dans le piège de l'orgueil. En tant qu'artistes, nous sommes constamment préoccupés de notre personne, ce qui est dans la nature de notre travail. Nous sommes notre propre matière première, nous devons travailler avec nous-mêmes, comme les chanteurs doivent étudier en détail le comportement de leur gorge, nous devons développer notre art avec l'aide de notre fantaisie, nous sommes constamment concernés par nous-mêmes et oublions facilement ce qui pourrait être d'intérêt autour de nous et le fait que nous ne sommes pas seul."
Crescendo: Prof. Blomstedt, quelle attitude adoptez vous devant la pression constante sur un directeur d'orchestre afin d'obtenir un contrôle total sur son orchestre?*
Herbert Blomstedt:
Je crois que je suis une personne amicale et ouverte. J'ai, par exemple, absolument aucune intention de dénigrer ou d'abaisser un musicien. Le problème vous avez soulevé dépendant, en parti, de notre attitude à l'égard de notre propre propension aux erreurs. Lorsque vous étudiez la direction d'orchestre, vous apprenez à couvrir vos propres erreurs, car commettre une erreur est certainement dramatique, n'est-ce pas ? Mais tout le monde fait des erreurs. Si vous entendez une erreur au cours d'une performance, il ne s'agit seulement que d'une parmi tant d'autres. Si un musicien a comme objectif d'exécuter, dans la mesure du possible sans erreurs, il va éprouver beaucoup de stress. Jouer sans erreurs ne peut être un objectif. Au mieux, il peut être une direction vers laquelle nous nous déplaçons. Il y a bonnes performances qui sont presque sans faute, mais qui n'expriment rien. Le perfectionnisme limite l'artiste. Ce problème, pour l'artiste, correspond à la tension entre Jésus et les Pharisiens, qui efforcent à la perfection...
Crescendo: Et l'exigent des autres...
Herbert Blomstedt:
C'est exact. Ou vous pouvez regarder l'homme jeune au grand talent qui veut être le meilleur et qui en même temps se limite lui-même. Un musicien devrait pouvoir se donner aux autres. Ce n'est pas essentiel qu'il soit le meilleur, mais vouloir donner son meilleur. Chaque personne qui se respect veut certainement s'améliorer. Mais dès qu'il fait aux dépens des autres, il transmet son talent de la mauvaise manière. Ainsi: malgré nos erreurs nous pouvons être des personnes joyeuses. Quiconque réussit sur ce plan est dans une position enviable. Je prends des notes, par exemple, après une performance, de choses qui pourraient être améliorées, mais je ne permets pas que cela me pèse trop. Par contre, l'on peut prendre nos erreurs trop à la légère ou trop s'en préoccuper. Mais c'est tout aussi erroné que le perfectionnisme. C'est ici où le message biblique doit nous toucher: Jésus pardonne nos attitudes fausses.
Crescendo: En tant que directeur d'orchestre, comment garder l'équilibre avec le pouvoir que vous avez ?
Herbert Blomstedt:
Auparavant vous disiez un conducteur veut, ou devrait, "tenir le haut du pavé" c'est-à-dire aspirer à avoir un contrôle total sur son orchestre. C'est une affaire dangereuse. Il y a bien sûr l'autre extrême, c'est-à-dire l'attitude, observable parmi certains chrétiens, qui se considèrent avec une humilité malsaine, comme s'il étaient les rebus du monde. Dans un poème, un poète suédois décrit un chrétien voyageant dans un autobus. Quelqu'un lui marche sur ses orteils et le chrétien dit aussitôt: "Pardonnez-moi de vous avoir coupé le chemin!" Ce serait le contraire de l'égoïsme. Les deux attitudes sont mauvaises. L'égocentrisme est parfois comique, parfois tragique. Une fois, j'étais dans un restaurant avec un directeur d'orchestre Américain célèbre. Il ne parlait que de lui-même tout le temps. J'étais heureux de l'avoir rencontré, mais graduellement j'ai perdu l'intérêt de la conversation. Plus tard j'ai entendu dire, qu'après ses concerts, il ne parle que de lui-même. Il demande à ses admirateurs: " Avez-vous remarqué comment j'ai dirigé tel passage? N'était-ce pas magnifique? Et ici, dans cette mesure, tous mes collègues font ainsi. Mais c'est tout à fait incorrect, car il faut le faire ainsi, de la manière que je le fais." Alors il hésite un moment et dit: " Mais je parle beaucoup trop Maintenant je veux vous demander. Que pensez-vous de ma performance?" C'est d'un égoïsme risible. Mais il y a parfois des conséquences tragiques. J'ai un collègue célèbre à Paris. Au cours d'une performance un joueur de corne a fait une erreur. Le directeur s'en offensé personnellement et a affirmé que le joueur avait une telle fausse note de manière intentionnelle, afin de saboter son concert. Ce directeur a quitté alors cet orchestre. Le prochain jour, l'orchestre devait se produire à Amsterdam. Ils cherchèrent désespérément un directeur d'orchestre et, un autre collègue, Kondraschin, vint à la rescousse. Mais avec ses dernières forces, car après la performance il s'est effondré et mourut. L'égoïsme du directeur de Paris en était la cause.
En réponse à votre la question: si vous regardez vers Dieu, vous retrouverez une perspective équilibrée à l'égard de vous-même et des autres et vous apprendrez une attitude différente.
Herbert Blomstedt est né à Springfield, MA. De 1945 à 1950, il étudia la direction d'orchestres avec Tor Mann (à l'Académie Royale de musique de Suède). De 1948 à 1952: la musicologie à Uppsala. 1950-55: L'étude de la musique contemporaine avec John Cage à Darmstadt; la musique ancienne au Schola Cantorum à Bâle; étudia la direction d'orchestres avec Markevitch, Jean Morille et Leonhard Bernstein; Prix Koussevitzky. 1954-61: Directeur d'orchestre du Norrköping Symphonie Orchestra. 1962-67: Oslo Philharmonic Orchestra. 1967-77: L'orchestre de la radio danoise. 1975-85: Dresden Staatskapelle. 1985-95: San Francisco Symphony Orchestra. 1992: Columbia University Prix Ditson pour les accomplissements particuliers au service de la musique Américaine. 1995-98: NDR Symphony Orchestra. Depuis 1999: Gewandhaus Orchestra Leipzig. Il a fait des enregistrements intégrales de symphonies par Sibelius et Nielsen; nombreux enregistrements de Beethoven et Schubert; enregistrements nombreux de travaux Américains. Il est l'éditeur de la "Sinfonie singulière" par Fr. Berwald (Bärenreiter 1965).
Traduction Paul Gosselin - avec permission Crescendo.