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Samizdat

Le Déluge de Noé:
une introduction au dossier.







Napoléon Lafontaine

table des matières du dossier

Qu'est-ce que le Déluge tel qu'on le retrouve dans le livre de la Genèse ? Est-ce possible qu'il puisse s'agir d'autre chose qu'un récit coloré, un mythe tiré du folklore du Moyen-Orient antique ou un récit nécessairement emprunté par Moïse aux babyloniens (comme nous le propose le site LibresansDieu.org) ? Ce serait donc nécessairement une adaptation monothéiste d'un récit préexistant. Effectivement les anthropologues nous avertissent que toutes les sociétés ont leurs mythes, sous une forme ou une autre... Est-ce autre chose qu'un sujet pour enfants, un conte rigolo où figurent les lions, les zèbres, les éléphants et les girafes, arborant tous un large sourire ? Ou encore un truc divertissant qui enrichi la culture mondiale ? Au mieux, une leçon morale ? Même dans les collèges bibliques évangéliques, peu de profs de théologie onsent le considérer événement historique.

Si on se soumet à l'esprit du siècle, il s'agit “ sans doute ” d'un récit emprunté aux Babyloniens touchant une inondation locale en Turquie. C'est sans doute la seule solution... À moins que ce soit autre chose, un point de repère indispensable pour déconstruire des mythes modernes ? Impensable... enfin, examinons...

Examinant l'histoire de la pensée occidental sur la question du Déluge, John Woodmorappe observe (1996: xi-xii)

Effectivement le mathématicien français Johannes Buteo ou Jean Borrel publia, dans une collection de ses essais intitulé «Opera Geometrica» (1554), un article sur les dimensions de l'arche de Noé (ou De Arca Noë: Cuius, Formæ, Capacitatisque). À son sujet Woodmorappe note (1996: xiii):

Au 17e siècle, une autre étude sur l'arche de Noé fut celle proposé par l'évêque John Wilkins (1614-1672) qui fut le premier secrétaire et un cofondateur de la fameuse Royal Society. L'essai de Wilkins fut publié par la Royal Society sour le titre «Towards a Real Character, and a Philosophical Language» où Wilkins examine surtout la question d'élaborer un langage universel, mais reprends aussi des questions sur l'Arche de Noé examinées par Butéo. Woodmorappe examine l'évolution de la pensée sur l'arche de Noé et souligne l'importance dela question de l'espèce dans ce débat (1996: xii):

The Genesis FloodEn 1961 fut publié un livre qui marqua le débat sur les origines soit The Genesis Flood[1] [ou Le Déluge de la Genèse] par John C. Whitcomb et Henri M. Morris. Morris qui était hydrologiste a proposé l'hypothèse suivante : Que se passe-t-il si l'on interprétait la majorité des dépôts sédimentaires en fonction du Déluge de Noé, c'est-à-dire l'idée d'un Déluge d'envergure mondiale véritable, tel que décrit dans le livre de la Genèse?

Sur le plan théologique, Whitcomb s'attaque aux incohérences qu'implique l'idée qu'on puisse faire du Déluge une inondation locale. Bien que souvent de telles thèses soient avancées avec les meilleures intentions, soit de sauver la Bible des effets corrosifs de la science, Whitcomb expose tous les problèmes qu'implique un tel procédé. Le livre de Morris et Whitcomb fut donc une étincelle qui contribua grandement à redémarrer le créationnisme en Amérique du Nord et cette œuvre a eu des effets partout dans le monde.

Dans le monde francophone, de telles réflexions attirent immédiatement des commentaires ironiques ainsi que le mépris. “ Que c'est con! Faut-il donc éviter les données de la science pour se réfugier dans le mythe? ” Ce type de réaction est assez typique chez le francophone moyen, imprégné qu'il est de l'héritage du Siècle des Lumières. Mais lorsqu'on laisse tomber les conceptions positivistes du 19e siècle et que l'on prend conscience des limites explicatives de la science empirique, on constate que lorsque l’on tente d’ériger une civilisation la référence au mythe et à la question des origines est non pas ridicule, mais inévitable. Dans le contexte moderne (dominé par l'influence des Lumières), il faut désormais se demander quel est le mythe servant de référent dans ce nouveau contexte?

Emmanuel KantEn 1784 Emmanuel Kant publia un essai intitulé : Qu'est-ce que les Lumières ?[2] Dans cet essai, Kant affiche son mépris du peuple ordinaire lorsqu'il discute de “ la grande masse, privée de pensée ”. Kant y affirme que c'est le devoir de chaque homme de rejeter les préjugés dominants et de “ penser par lui-même ”. Évidemment, cela flatte comme il se doit l'ego du bourgeois éduqué, mais qu'est-ce que cela veut dire au juste? Est-ce que chaque homme doit tout réinventer soi-même? Est-ce possible de réinventer toute la science, la cosmologie, la morale? C'est simplement absurde. Il y a là, une hypocrisie typique des Lumières, car lorsque tout est dit, fait-on autre chose que de remplacer certains préjugés dominants par d'autres préjugés (dominants à leur tour)? Pour ce qui est du mythe, les anthropologues nous apprennent que le mythe peut se métamorphoser et se renouveller dans sa forme, mais dans sa fonction il est inévitable. On peut tout à fait concevoir rejeter la Genèse, mais éviter le mythe de manière absolue, c'est beaucoup prétendre. Il y a tout lieu de penser qu'en Occident on n'a fait rien d'autre que de remplacer les mythes judéo-chrétiens par d'autres mythes. Une lecture plus cynique du texte de Kant, en fera donc un véhicule préparant le terrain pour de nouveaux mythes. Des mythes auréolés (bien sûr) du prestige rationnel et matérialiste de la science, mais des mythes tout de même.

Évidemment, de telles affirmations provoqueront la furie des élites dont le prestige est lié à l'illusion que leurs mythes cosmologiques sont au-dessus de toute critique, puisqu'auréolés du prestige de la science. La nouvelle élite religieuse issue des Lumières doit pourtant faire face à cette remise en question et, s'il veut toujours réclamer le titre de la science pour appuyer son discours, il doit cesser de s'appuyer sur des conceptions positivistes dépassées et faire la démonstration que le progrès de la philosophie de la science au 20e siècle appuie de manière convaincante ses dires. Si effectivement on exige de la science qu'il s'occupe de processus observables, alors le fait de proposer une structure interprétative puissante, bardée d'allusions à la science et trouvant l'appui des élites scientifiques actuelles ne suffit plus. On ne peut plus se contenter de s'appuyer sur les préjugés diffusés par le clergé médiatique. La démonstration du caractère scientifique de la cosmologie dominante reste à faire.

Et si on prend conscience de ce fait douloureux pour la conscience francophone, c'est-à-dire le statut vacillant sur le plan épistémologique des cosmologies régnantes, on peut alors justement faire appel à notre raison pour explorer sans préjugé toutes les hypothèses touchant l'origine et la formation de la terre qui est notre lieu d'habitation. Pour ce qui est de Kant, il faut constater tout le ridicule de l'affirmation que chacun doit “ penser par lui-même ”. Kant n'était sans doute pas assez imbécile pour ignorer que peu de cosmologies ont tenu le coup des siècles. On peut bien sûr choisir entre les mythes offerts sur le marché de la pensée, mais penser par soi-même de manière absolue, est-ce que cela mérite de plus amples commentaires?


Bibliographie


Notes

[1] - Ce classique n'a toujours pas été traduit en français, mais un autre livre de Morris a été traduit en français, soit Le monde qui a péri : Science et foi planchent sur le Déluge biblique. Par Whitcomb, John C. jr. et Morris, Henry M. (Centre Biblique International Lausanne 1981 184 p.) Un compte rendu.
Voir aussi, un article par Ian Taylor Le déluge de la Genèse, qui explore le contexte des 18e et 19e siècles où la géologie catastrophiste a été supplanté par la géologie actualliste (conditions d'érosion uniformes).

[2] - Le titre complet est Réponse à la question : qu'est ce que les Lumières ? (Beantwortung der Frage : Was ist Aufklärung?).