L'anthropologie ne se pratique pas sans outils ou sans présupposés; elle implique (entre autres) la rencontre d'un porteur de culture avec des porteurs d'une culture 'autre'. L'anthropologue ('l'intrus qui veut savoir') n'arrive pas chez les 'autres' par hasard, comme un bébé qui y naît. Son arrivée est motivée et vise un objectif particulier[1]. Bien que son immersion dans la culture 'autre' puisse le désorienter, voire l'obliger à remettre en question certaines de ses conceptions, il restera néanmoins porteur d'une culture spécifique non pas cet être immatériel et abstrait rencontré dans les récits mythiques de sa tribu: l'Observateur neutre. Parmi les bagages apportés sur le terrain par l'anthropologue on retrouve toujours[2] une panoplie, plus ou moins consciente, de catégories empruntées à sa propre culture. Ce sont ces catégories qui ('en dernière instance') permettent à l'anthropologue de rapporter chez lui les données qu'il recueillera lors de ses enquêtes. Certaines catégories sont très vastes et générales, d'autres plus restreintes, plus spécifiques. Très souvent, lorsqu'une donnée culturelle ne correspond à aucune catégorie, elle restera sur le terrain, à moins qu'elle ait, pour une raison quelconque, attiré l'attention du chercheur qui la casera dans une catégorie fourre-tout. Ainsi, dans les valises du bon anthropologue, nous retrouvons traditionnellement les catégories de l'économique, de la parenté, l'histoire, la langue, l'environnement, et... la religion.
Dans les chapitres qui suivront nous tenterons de préciser cette dernière catégorie, la religion. Le premier chapitre de cette thèse comportera une présentation et critique de la pensée contemporaine en anthropologie sur le sujet de la définition du phénomène religieux. Parmi les auteurs dont il sera question ici nous retrouverons Durkheim, M. Spiro, J. Van Baal, M. Godelier, J. Rousseau, L. Vallée, R. Firth, C. Geertz, M. Augé, J. M. Yinger, W. Goodenough, M. Black et d'autres. Le deuxième chapitre est une présentation d'une approche personnelle à la question: Qu'est-ce que la religion? Au cours du troisième chapitre, on verra une tentative d'appliquer l'approche proposée dans le chapitre précédent à deux sociétés non-occidentales. Ceci se fera au moyen des travaux de Raymond Firth (sur les Tikopia) et de Victor Turner (sur les Ndembu). Le quatrième et dernier chapitre comportera une application de mon approche à des systèmes cognitifs occidentaux, en particulier la science. Une partie substantielle de ce chapitre est consacrée à la présentation des développements récents en philosophie de la science (surtout à travers des travaux de Popper, Kuhn, Lakatos et Feyerabend) afin d'établir une compréhension approfondie de la science en tant que savoir culturel, pour ensuite tenter d'explorer les implications d'un tel constat pour l'individu pratiquant une science occidentale. Les sciences sociales seront abordées brièvement en fin de chapitre.
Note : On trouvera les notes à la fin de ce texte. A moins d'indication contraire tous les membres de phrase en gras dans les citations de ce texte le sont dans l'original.
[1]- Et il est financé par des institutions ayant des intérêts spécifiques aussi.
[2]- Seul le chercheur utilisant l'approche ethnoscientifique fait, peut-être, exception à cela, mais je n'entreprendrai pas ici une discussion sur la possibilité de faire une recherche émic 'pure'.
Je voudrais par les présentes remercier tous ceux qui ont contribué de proche ou de loin à l'élaboration de cette thèse. Mon comité de thèse d'abord soient: Pierre Maranda (directeur) et Jean Jacques Chalifoux (conseiller) pour leur esprit d'ouverture qui m'a permis de m'aventurer au pays marécageux des abstractions théoriques et pour leur patience aux premières étapes de la recherche où je leur ai infligé une bouillie d'idées parfois quelques peu obscures. Pour sa lecture et correction de mon premier brouillon je voudrais remercier M. Julien Boisclair et merci aussi aux amies qui m'ont donné un coup de main avec la dactylo. Enfin merci aussi au gouvernement de la province de Québec pour son programme de prêts et bourses sans lequel cette thèse n'aurait pas été possible.