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BHL au pays des créationnistes...





Paul Gosselin (1/11/2020)

Si BHL est bien connu de mes lecteurs européens, pour mes lecteurs nord-américains cela peut exiger une explication. Non, BHL ce n'est pas une garniture pour hamburger, genre BLT... (Bacon, Lettuce, Tomatoes), mais il s’agit de Bernard-Henri Lévy, philosophe et personnage médiatique français. Comme bien des intellectuels français de sa génération, Bernard-Henri Lévy a bu la pensée des Lumières et le marxisme[1] avec le biberon… C’est bien sur un intello de gauche, mais anti-totalitaire. Mais aujourd’hui il y a lieu de penser que m. Lévy soit l’archétype du juif séculier, prenant ses distances face à l’héritage des Lumières et dérivant tranquillement vers une des nombreuses variantes du courant postmoderne.

American Vertigo - Bernard-Henri LévyDonnant faisant suite à l’invitation de la revue américaine Atlantic Monthly, en 2005 m. Lévy fit un voyage de 20,000 km aux États-Unis, d’est en ouest, du nord au sud, retraçant, en quelque sorte, les pas du voyage en Amérique d’un autre français il y a 173 ans, soit Alexis de Tocqueville[2]. Et le livre American Vertigo par m. Lévy (2006) qui rend compte de se voyage est l’objet de ce qui suit.

Au cours de ce voyage, BHL recontre toutes sortes de personnalités connus dont le mondialiste notoire George Soros, l'ancien conseiller du Pentagon Richard Perle, le romancier Norman Mailer, Barack Obama (avant sa présidence), Woody Allen et l'acteur Warren Beatty. Dès les premiers kilomètres, BHL ne peut s’empêcher de marquer son mépris pour le clinquant américain (le musée du baseball à Cooperstown, ou la cuisine américaine populaire, qui reste sur l’estomac, p. 149). C’est utile pour marquer des points, mais songez qu’un voyageur nord-américain pourrait faire de même en France, possiblement en passant des commentaires analogues sur l’intérêt culturel de Johnny Halliday… Ouais, à chaque nation ses dadas et obsessions… Ceci dit, comme on le verra BHL n’est pas un adepte l’anti-américanisme borné, si typique des élites francophones.

Peu de temps après son arrivée, BHL est confronté à un truc qui abasourdit à peu près tout visiteur étranger, c'est-à-dire la passion et le dévouement du patriotisme américain. À ce sujet, BHL observe (2006 : 38) :

Et puis, justement, les drapeaux, une débauche de drapeaux américains, aux carrefours, aux façades, sur les capots des voitures, les téléphones, les meubles dans les vitrines de Thames Street, les bateaux à quai et les anneaux sans bateau, les parapluies, les parasols, les porte-bagages des bicyclettes, bref, partout, sous toutes les formes, claquant au vent ou en autocollants, une épidémie de drapeaux qui s'est répandue sur la ville et lui donne un bizarre air de fête. (…) C'est le drapeau de la cavalerie américaine dans les westerns. C'est le drapeau des films de Capra. C'est l'objet fétiche qui est là, dans le cadre, chaque fois que paraît le Président américain. C'est ce drapeau chéri, presque un être vivant, dont je lis, dans la documentation fournie par l'Atlantic, que l'usage est soumis à des règles, que dis-je? une étiquette, d'une précision extrême — ne pas salir, ne pas singer, ne pas tatouer sur les corps, ne jamais laisser tomber à terre ni suspendre à l'envers, ne pas insulter, ne pas brûler ou, s' il est trop vieux, hors d'usage, et n'est plus en état de flotter, le brûler au contraire, ne pas le jeter, ne pas le chiffonner, mieux vaut encore le brûler, oui, que l'abandonner dans une décharge.

Je ne sais pas si BHL admettrait l’hypothèse que le patriotisme américain (avec tous ses symboles[3], reliques, sites de pèlerinage[4] et objets sacrés) puisse être considéré dans les faits comme la deuxième religion américaine, rivalisant avec le christianisme (si ce n’est le subjuguant par moments) ? Au cours de son périple, BHL relate un curieuse rencontre avec un activiste Amérindien antisémite. Si cet Amérindien justifie son antisémitisme par le refus d’organismes juifs de le soutenir sur un projet, il me semble probable que son antisémitisme devait être antérieur… Mais l’hypothèse que propose BHL dans la compétition entre juifs et Amérindiens pour le statut (politiquement rentable) de victime me semble une explication plausible.

Quelques pages pitoyables de ce livre racontent le tourisme de BHL dans les Disneyland du sexe aux États-Unis. Chose curieuse, de telles anecdotes exposent une question que l’intellectuel français ne se pose généralement pas. Et si tout le grand édifice intellectuel et philosophique érigé par un nouveau philosophe n’était en dernière instance qu’un paravent subtil pour cette pulsion sexuelle sans limites ? Si un intello français est toujours trop subtil pour faire des aveux publics et francs à ce sujet, chez les anglophones, c’est chose possible. Réfléchissant à son rejet de la contrainte (morale) il y a bien des années, l’écrivain britannique, Aldous Huxley, observa (1937/1965 : 270-273) :

J'avais des motifs pour ne pas vouloir que le monde ait un sens; de ce fait, j’ai présupposé qu’il n’en avait pas et, sans difficulté, j’ai trouvé des raisons pour justifier une telle perspective. (...) Le philosophe qui ne trouve pas de sens au monde n'est pas concerné exclusivement par un problème de métaphysique pure, il se préoccupe également de prouver qu’il n'y a pas de raison valable pour l’empêcher personnellement de faire ce qu'il veut faire ou pourquoi ses amis ne devraient pas saisir le pouvoir politique et gouverner de la façon qu’ils trouvent la plus avantageuse pour eux-mêmes. (...) La libération que nous avons désirée était à la fois la libération d'un certain système politique et économique ainsi que la libération d'un certain système de moralité. Nous nous sommes opposés à la moralité, car elle gênait notre liberté sexuelle.*

Un truc qui étonne c’est qu’ayant voyagé de nord au sud et d’est en ouest de ce grand pays, que m. Lévy ait si peu de choses à dire sur la géographie et l’environnement qu’il a pu voir. À le lire, on dirait qu’il n’a vu que la VILLE (c'est-à-dire que les rapports sociaux ou idéologiques que la ville exprime). Il est vrai que cela reste dans le cadre posé initialement par de Tocqueville… L’exception à cette règle est ce bref commentaire, qui me semble très juste, sur le rapport des Américains à cette nature qui les entoure (2006 : 292)

Mais sans doute y a-t-il aussi, ancrée dans la mentalité du pays, une relation magique, quasi superstitieuse, à ce que les Américains, même laïques, appellent volontiers la « Mère nature ». Comme si leur toute-puissance devait trouver là sa limite. Comme si la volonté prométhéenne d'avoir raison de toutes choses s'était imposée ici, dans ce rapport aux éléments, une borne de principe et de sagesse. Pas de pitié pour nos ennemis, semble dire l'Américain du XXIe siècle; pas de quartier ni pour les terroristes ni même pour les adversaires de la suprématie économique du pays; mais on laisse une chance... à la nature !


BHL et l’anti-américanisme français

Il faut le dire immédiatement, BHL prend ses distances par rapport à l’anti-américanisme viscéral des milieux francophones (bien implanté chez les élites postmodernes au Québec également…). Dès les premières pages, M. Lévy fait ce commentaire assez surprenant (2006 : 18-19) :

C’est une chose de montrer que l’anti-américanisme a toujours eu, en Europe, partie lié avec nos mauvais penchants et qu’il devient, en ce début de XXIe siècle, le plus formidable attracteur du pire dont disposent, depuis que les méga-récits totalitaires ont déclaré forfait, tous ces thèmes orphelins, tous ces petits astres chus des galaxies doctrinaires d’autrefois, tous des débris épars, cette limaille affolée et en quête de l’aimant qui va lui permettre de se remettre en ordre et en mouvement.

En somme, BHL nous dit, allez voir vous-mêmes l’Amérique. Son visage n’est pas toujours beau, mais ce n’est pas la caricature qu’ont érigé les anti-américanistes bornés. Ceci dit, l’anti-américanisme de l’intello français comporte plus d’un visage. Chez l’intello français, il peut avoir comme source un certain « Empire-envy », c'est-à-dire que ce type d’anti-américanisme francophone, confronté à la marginalisation de la France, est une réaction de frustration face au pouvoir politique, intellectuel et économique qu’ont acquis les États-Unis depuis la Deuxième Guerre mondiale, pouvoir que le français aurait cru lui revenir de droit[5]. Mais ce n’est qu’un aspect de la chose et il y a d’autres visages et d’autres sources de cet anti-américanisme.

Un autre trait qui choque et irrite profondément les dévots des Lumières en France touchant les États-Unis c’est que ce pays a fait mentir la vieille prophétie des Lumières voulant que le progrès de la science allait INÉVITABLEMENT éliminer la religion (lire le christianisme). Aux États-Unis il est manifeste que la science, le progrès technologique et la religion cohabitent d’une manière qu’un dévot des Lumières jugerait indécente. Aux États-Unis il est clair que la religion n’exclut pas la science (et aussi que le développement de la science ne signifie pas la destruction de la religion…). Il faut constater qu’en général un dévot des Lumières ne peut même pas commencer à réfléchir sur ces paradoxes…

Et si on fouille plus en profondeur, il faut noter les travaux d’historiens de la science ont remis en question la thèse si chère aux propagandistes des Lumières du conflit inévitable entre la science et la religion, entre autres les historiens de la science Reijer Hooykaas et Stanley Jaki qui ont été les premiers à fouiller à fond les archives de la science et ont exposé l’influence favorable de la cosmologie judéo-chrétienne sur développement de la science. Évidemment en France, où la vie intellectuelle reste massivement prisonnière de la camisole de force des Lumières, ces études ne peuvent avoir d’échos. Ils doivent rester à l’Index des cours de science. Dans son livre Science and Creation Jaki démontre clairement que non seulement le christianisme n’est pas anti-scientifique, mais que les dogmes cosmologiques judéo-chrétiens fondamentaux exposés aux premiers chapitres de la Genèse affirmant que Dieu est au-dessus de la Création, qu’Il est un être rationnel et qu’il a établi la Création selon des lois qu’il a imposées sur cette Création et qu’il a crée l’homme à son image, tous ces présupposés ont, dans les faits, posé la fondation de la science et plus particulièrement la méthode scientifique et que la science n’aurait pu prendre son essor sans elles!

Un autre chercheur apportant un support, assez inattendu il faut l'avouer, à l'idée du lien entre la cosmologie judéo-chrétienne et le réalisme scientifique est l’historien marxiste britannique Joseph Needham. Needham s'est particulièrement intéressé au développement de la science et de la technologie en Chine (ancienne et contemporaine). Bien qu'il soit d'avis que les facteurs environnementaux et socio-économiques eurent un rôle prédominant (voir Needham 1969: 150) dans le non-développement d'une science théorique en Chine (l'inévitable détermination en dernière instance de...), les faits semblent le forcer hors du cadre théorique marxiste orthodoxe pour envisager les effets de certains présupposés métaphysiques sur les origines de la science. Needham note (1969/73 : 32):

Mes collègues et moi-même, nous nous sommes engagés dans une recherche assez complète concernant le concept de loi de la nature dans la civilisation de l'Asie orientale et dans celle de l'Europe occidentale. Dans la civilisation occidentale, on peut facilement montrer que les idées de loi naturelle (au sens juridique) et de lois de la nature (au sens des sciences de la nature) ont en fait une racine commune. L'une des plus vieilles notions de civilisation occidentale est, sans doute, celle qui dit que de même que les législateurs impériaux terrestres ont constitué des codes de loi positives pour que les hommes les obéissent, de même une Divinité créatrice céleste, suprême et rationnelle suprême a donné une série de lois auxquelles doivent se soumettre les minéraux, les cristaux, les plantes, les animaux et les astres dans leurs cours. Il y a peu de doute que cette idée s'est trouvée intimement liée au développement de la science moderne tel qu'il s'est opéré à la Renaissance en Occident. Si cette idée est absente autre part, ne serait-ce pas une des raisons pour lesquels la science moderne n'est apparue qu'en Europe ? En d'autres termes, faut-il penser que la conception des lois de la nature, qui avait prévalu au Moyen Âge sous une forme naïve, était nécessaire à la naissance de science moderne ?

Si la Chine est l’héritière d’une civilisation profonde et n’a jamais manqué de gens intelligents, Needham, dans la discussion qui suit sur la notion de Dieu dans la cosmologie chinoise, expose un obstacle au développement du réalisme scientifique (prémisse essentielle pour la méthode expérimentale) chez les Chinois  (1969/73 : 251):

En tout cas trois choses sont claires: (a) que l'être spirituel le plus haut que la Chine ancienne ait connu et adoré, n'était pas un Créateur au sens des Hébreux et des Grecs; (b) dans l'ancienne pensée chinoise, l'idée d'un dieu suprême comme personne, aussi forte qu'elle fut, n'impliquait pas la conception d'un législateur divin et céleste imposant ses ordres à la nature non-humaine; et (c) le concept du suprême en vint très tôt à désigner quelque chose de tout à fait impersonnel. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y avait pas, pour le Chinois, d'ordre dans la nature, mais plutôt qu'il ne s'agissait pas d'un ordre fixé par un être personnel rationnel, et donc, qu'il n'y avait aucune garantie que d'autres êtres personnels doués de raison soient capables de déchiffrer dans leur propre langage (terrestre), le code de lois préexistant qu'un Dieu aurait formulé préalablement. On ne pensait pas que le code des lois de la nature puisse être dévoilé et lu, parce qu'on avait aucune assurance qu'un être divin, même plus rationnel que l'homme, en ait jamais formulé un. On a même le sentiment que les Taoistes, par exemple, auraient méprisé une telle idée, trop naïve à être conforme à la subtilité et à la complexité de l'univers dont ils avaient l'intuition.

Évidemment si les œuvres de Jaki ou de Hooykaas ne sont pas connues dans le monde francophone c’est qu’elles commettent l’hérésie manifeste de contredire et d’abattre le mantra tant répété des dévots des Lumières que « la religion est l’ennemi de la science »… Sachez cacher ces faits que je ne saurai voir… D'autre part, il faut comprendre que les anabaptistes[6] ont payé de leur sang la liberté de religion et c’est leur victoire pour la liberté religieuse qui a, par la suite, ouvert la porte à la liberté d'opinion sur le plan politique (création des partis politiques)… Michel Sommer décrit ainsi leur influence et leur héritage politique (2017) :

Michael Sattler était le prieur du monastère de Sankt Peter dans la Forêt-Noire. Il était un homme d’une culture théologique et humaniste très élevée. En 1525, il faisait partie du soulèvement des paysans et s’est marié la même année que Luther. Il a rejoint les anabaptistes à Zürich et a évangélisé en Haute-Souabe. À Horb, il a rassemblé beaucoup de fidèles qu’il a baptisés dans le Neckar. Comme le prouvent ses articles de Schleitheim, il était l’égal des réformateurs connus tels Zwingli à Zürich et Bucer à Strasbourg et du même niveau. Sa devise missionnaire était : « Les chrétiens sont sereins et font confiance à leur Père céleste sans toute cette défense extérieure répandue dans le monde, à savoir l’armement. »
Martin Luther a libéré l’Église de la captivité babylonienne du pape, c’est ainsi qu’il l’a écrit.
Michael Sattler l’a libérée de la captivité babylonienne de l’Etat, ce que seule l’Église « confessante » a réalisé durant la dictature nazie de 1934. Nous le commémorons avec respect.

Et ces mêmes anabaptistes ont joué un rôle déterminant dans la configuration du rapport État-Église lors de la fondation des États-Unis et assuré non seulement la liberté religieuse, mais la liberté d’opinion et liberté d’expression. Ce sont eux d'abord qui se sont préoccupés de la chose. Voyons par ailleurs une confirmation inattendue de la contribution du christianisme à la démocratie. Bien qu'il était probablement inconscient de la contribution des anabaptistes, dans son Par-delà bien et mal Friedrich Nietzsche fit tout de même cette observation (1886/2000:160):

§ 202 - Mais cette morale se défend de toutes ses forces contre cette possibilité, contre ce "doivent" : elle répète obstinément et inexorablement : "je suis la morale même, et rien d'autre n'est la morale !" – et avec l'aide d'une religion qui s'est montrée servile envers les désirs d'animal de troupeau les plus sublimes, et qui les a flattés, on est arrivé à trouver une expression toujours plus visible de cette morale jusque dans les institutions politiques et sociales : le mouvement démocratique constitue l'héritage du mouvement chrétien.

Cette attitude de Nietzsche s'explique par le fait que Nietzsche fut élitiste jusqu'au bout de ses ongles et à son avis, la démocratie donne trop de pouvoir au peuple. C'est la souce de son mépris pour ce type de régime politique. À son avis, le seul rôle du peuple est d'être soumis aux surhommes. Les dévots des Lumières, qui sont les premiers à répandre le mythe que la "religion" (c'est-à-dire le christianisme) est depuis toujours la source des guerres, notent que c'est l'apparition de l'État séculier qui finira par ralentir ces guerres de religion. Le hic, c'est que ce sont justement les anabaptistes qui on payé de leur sang pour avoir avoir obtenir liberté religieuse, c'est-à-dire que l'État ne se mêle pas d'IMPOSER sa religion sur les individus. Ce sont donc justement ces anabaptistes (persécutés autant par les anglicans, luthériens et catholiques) et non pas les dévots des Lumières (chez tout ce qu'il y a de bon a été piqué au christianisme), qui ont ouvert la voie vers la liberté de conscience et ce qui ouvrira la porte à la liberté d'expression et des partis politiques. Et un des premiers textes (que je connais) pour défendre la liberté d'expression a été rédigé par le Puritain John Milton: Areopagitica, A speech of Mr. John Milton for the Liberty of Unlicenc’d Printing, to the Parlament of England. (1644)

Et lorsque les anabaptistes ont rompu le concordat État-Religion (avec ses profondes racines historiques), ils ont cassé un modèle social qui avait été la norme en Europe pendant tout le Moyen-Âge et qui d'ailleurs avait été la formule archétypique dans le monde antique préchrétien. Au Moyen Âge, la situation religieuse était très simple. Suivant l’exemple de l’empereur Constantin, dans son royaume le Roi devait protéger la religion par ses lois et en faire la promotion par sa bourse. Et le peuple, pour sa part, devait suivre la religion du Roi, point à la ligne (ou, du moins, faire semblant de manière convaincante...). S’écarter de cette règle entraînait des conséquences graves. Lorsque Luther rompa avec Rome, les réformés en Allemagne et en France ont fait immédiatement face à ce problème. Pour pratiquer librement leur religion, ils devaient trouver assez vite un leader politique qui leur soit favorable, sinon... Ainsi ce leader politique favorable leur servait de refuge pour pratiquer librement leur religion. Dès lors les luthériens et calvinistes ont rapidement reproduit le modèle catholique des concordats, avec la mise en place d’une religion d’État (réformée), ce qui aboutira naturellement à établir un lien entre guerres entre nations et religion… En Angleterre on ira jusqu’à voir Henri VIII se déclarer chef de l’église d’Angleterre (et donc fonder l'église Anglicane). En Allemagne, les protestants ont trouvé des princes pour les protéger et en France, lorsque les protestants commençaient de gagner de l’influence à la cour et se rapprocher trop du pouvoir royal, le parti catholique des de Guise a trouvé une “solution” à ce “problème”, soit le déclenchement du massacre de la St-Barthélémy[7] (le 24 août 1572)... Et l'intolérance catholique en France est allé jusqu'à interdire l'émigration aux Huguenots. l'abjuration était la seule option qui leur fut offert... sinon les galères...

Ce sont donc non pas les dévots des Lumières, mais les anabaptistes qui ont ouvert le chemin vers la liberté des convictions religieuses, rejetant le concept d’une religion imposée par l’État. Ils ont payé TRÈS cher cette conviction, car ils furent persécutés autant par les catholiques que les protestants (luthériens et calvinistes)... Ainsi, Henri VIII n’a fait que reproduire une stratégie employée par les catholiques depuis plus d’un millénaire, mais en prenant soin d’évincer le Pape (et les redevances qu’il devait payer)... On pourrait dire qu’il n’était pas assez protestant...Et les fondateurs des États-Unis, TRÈS conscients des conséquences du carcan Religion-État en Europe, ont décidé dès le départ de briser ce moule en éliminant l’option d’une religion d’État. De ce fait, ils déclarent immédiatement la liberté de pratique religieuse (et la liberté d’opinion qui en découle). Et de ce fait également, les églises devaient être autosuffisants sur le plan financier et ne PAS dépendre de l’État, donc pas de taxe religieuse. AInsi les dévots des Lumières n'ont fait que recycler à leur avantage le concept de liberté d'opinion que les anabaptistes ont payé de leur sang.


BHL et les protestants américains

À côté de chaque religion se trouve une opinion politique qui, par affinité, lui est jointe. Laissez l'esprit humain suivre sa tendance, et il réglera d'une manière uniforme la société politique et la cité divine; il cherchera, si j'ose le dire, à harmoniser la terre avec le Ciel.
(de Tocqueville 1835, vol. I, ch.IX, sect iv)

Un livre comme American Vertigo recèle d’anecdotes de rencontres plus ou moins fortuites. Au cours des kilomètres, BHL a fait la rencontre de ces protestants américains qui s’appellent les Evangelicals (évangéliques). Je me souviens d’un voyage dans l’Ouest américain où en ouvrant la radio de l’auto, j’ai constaté qu’un poste de radio FM sur deux était chrétien. Inimaginable au Québec… Mais à la page 125, BHL régurgite un lieu commun méprisant qui serait digne d’un journaliste de bas étage, mais pas d’un intellectuel comme lui. Il désigne les Evangelicals de l’étiquette Evangélistes, (p. 125) plutôt que le terme juste « évangéliques ». On excuse parfois cette expression en alléguant que c’est simplement dû à un malentendu, mais il faut constater que c’est un malentendu TRÈS persistant dans le monde francophone. Depuis fort longtemps les évangéliques protestent et le malentendu reste… Il faut noter d'abord que ce n'est PAS une chose restreinte à la France, mais il est courant et utilisé par des journalistes au Québec depuis bien longtemps.

Il faut noter d’abord que dans cette expression il y a une confusion perverse entre l’adhérent à un système de croyances et une fonction à l’intérieure de ce système. Précisément l’évangéliste est celui dont la principale occupation est de faire de l’évangélisation (recruter de nouveaux chrétiens). Pourtant c’est simple à démêler… Que dirait-on d’ailleurs au sujet d’un journaliste qui aurait l’habitude de désigner tous les catholiques du terme curés, tous les juifs du terme rabbins ou tous les musulmans d’imams?? On est dans la même logique. À la fin, il faut voir dans cette expression autant l’aveu d’incompétence que de mépris.

Il faut noter que la réaction de BHL au christianisme (avant tout protestante) en Amérique est tout de même paradoxale. Aux pages 73-77, il relate une visite dans une méga-church. Manifestement il n’a pas aimé. Par contre, plus loin il raconte avec respect une visite chez d’autres protestants, les Amish (p. 92-95) vivant de la terre, loin de la technologie moderne. Assez curieuse cette réaction… Un christianisme trop proche de la vie moderne, urbaine (la vie de quotidienne de BHL), ne lui plaît pas, mais un christianisme en tant qu’artefact culturel de la vie rurale du 18e siècle ça lui plaît…

Chose curieuse encore, cette hypothèse explique également la réaction de BHL à ce pilote d’hélicoptère créationniste qu’il rencontre lors d’un vol au-dessus du Grand Canyon (pp. 191-192)… Il va sans dire que pour un dévot des Lumières (ou un postmoderne) le créationnisme ne peut être que sans fondement scientifique, folklorique, de la pure superstitution. Toute autre explication est impensable (pour un dévot des Lumières)... Mais rien n’indique que BHL ait levé le petit doigt (comme il l’a fait pourtant pour voir de près le visage de l’Amérique) pour examiner directement les meilleurs arguments des créationnistes. Est-ce vraiment un comportement rationnel ? En visitant New York par exemple, il aurait pu discuter avec le médecin Raymond Damadian, créationniste et inventeur des scanneurs à résonnance magnétique (IRM) utilisés dans tous les grands hôpitaux du monde. Dans l’ordre naturel des choses Damadian aurait eu droit à un prix Nobel pour son invention, mais filer un prix Nobel à un créationniste notoire ?, impensable[8]… Mais bon, sans doute que pour l’intellectuel français, ruminer perpétuellement ses préjugés doit offrir un thérapie réconfortante, tout comme le catholique qui égraine son chapelet. Ça calme les nerfs…

Mais plus loin, BHL lâche des commentaires assez perspicaces sur ces évangéliques américains qui finalement, ne sont pas dénués de fondement. Voyez (2006 :  448)

Ce que je reproche à ces églises c’est, je l’ai dit, leur prosaïsme. C’est leur propension à faire de Dieu une sorte de « good guy », amical et rassurant, sans histoires, veillant sur un univers aseptisé, sans discorde ni négativité. C’est cette idée d’un Dieu fade, sans mystère, dont les desseins, jadis impénétrables, deviendraient aussi familiers que ceux d’un proche voisin ou d’un ami.

l est, d’un côté, un peu étrange qu’un athée fasse des reproches au sujet du Dieu que lui présente des chrétiens, mais ce commentaire n’est pas bête, car au 20e siècle les protestants américains, ont justement fait des compromis manifestes avec l’Évangile laissé par Christ et ses Apôtres afin de le rendre leur message plus conforme aux concepts du marketing nord-américain où le « client a toujours raison ». Dès qu’on s’est plié à de telles exigences, il ne faut plus dire des choses qui déplairont ou remettront en question l’auditeur. Dans ce but, un dieu « good guy » fait bien l’affaire. Ayant accepté les exigences du marketing, l’appel à la repentance, qui est la case départ de l’Évangile dans le Nouveau Testament, est alors éliminé du message, sinon réduit à l’état de bibelot nostalgique sans intérêt. Et ayant éliminé toute discussion sérieuse du péché dans le cœur humain (problème qui motiva la venue de Christ) un tel évangile estropié repousse inévitablement la doctrine de la Chute. Mais voici le truc. C’est que la doctrine de la Chute est justement la doctrine plus empirique de TOUTE la Bible, car confirmée TOUS les jours par les gros titres des quotidiens. Vous n’avez qu’à lire: guerres, meurtres, mensonges, catastrophes, divorces, tremblements de terre, etc., etc., etc... Et les gros livres d’histoire humaine regorgent de démonstrations de la méchanceté humaine et des trucs inimaginables que les humains peuvent se faire les uns aux autres. Un enfant de dix ans a vite compris que nous ne sommes plus au Paradis…

Mais ayant mis de côté la doctrine de la Chute, les tenants nord-américains de l’évangile estropié se retrouvent aussi sans aucune explication pour la douleur de vivre dans un monde déchu. Le problème du mal doit alors être balayé sous le tapis. Pourtant le chrétien devrait reconnaître que l'existence de l'aliénation et de la souffrance humaine sous ses diverses formes sur cette terre est un obstacle majeur pour un grand nombre d'individus, les empêchant de croire qu'il puisse exister un Dieu bon et tout-puissant[9]. Bon nombre d’athées justifient leur rejet de l'existence de Dieu pour cette raison. Le biochimiste britannique A. E. Wilder-Smith remarqua à ce sujet (1968: 210):

L'importance d'une explication, sur le plan intellectuel, vraiment satisfaisante de la douleur et de la souffrance et de leur coexistence avec un Dieu de compassion est bien évidente. Ce que l'on promeut, sur le plan populaire, comme Évangile aujourd'hui, en particulier aux États-Unis, effleure à peine ces problèmes réels avec le résultat net que les chrétiens du Nouveau Monde sont souvent totalement incapables d'aborder les problèmes véritables des personnes du Vieux Continent ou encore les matérialistes darwiniens des deux hémisphères, qui sont habituellement bien renseignés sur ces questions.*

Chose curieuse, quelques lignes après s’être plaint du « Dieu good guy » des évangéliques Américains, BHL trouve intolérable leur remise en question de la propagande LBGT. Ah, on le savait, voilà le retour des bûchers et l’Inquisition... Mais il y a lieu de penser que ce qui déplaît avant tout à BHL c’est qu’on évoque un Dieu à qui TOUS auraient des comptes à rendre[10]… Où est passé le « Dieu good guy » ? Il est possible que cela explique également pourquoi il avoue avoir voulu éviter la visite chez les juifs orthodoxes de New York (121-122)… Malgré tout, m Lévy arrive parfois à défaire un bouton ou deux de la camisole de force idéologique des Lumières a sujet de l’influence politique du christianisme en Amérique. Voyez (2006 : 449)

Et jamais je n'accepterais de dire que dans un pays où plus de neuf habitants sur dix déclarent croire en Dieu et, pour nombre d’entre eux, au diable, dans une Amérique où Kerry semblait aussi bon chrétien que Bush et où antiségrégationnistes et nostalgiques de l’ordre sudiste, pacifistes et faucons bellicistes, partagent la même foi et fréquentent les mêmes églises — jamais je ne dirai que, dans ce pays, un chrétien fervent, un néo-évangéliste, un baptiste, un anabaptiste, un Rabbi Yaakov Perlow, Rebbe de Novominsk, un Mormon, est, par définition, un danger pour la démocratie et les libertés.


Dérapages potentiels de la scène politique américaine
Ça ne saurait étonner personne que, puisque BHL soit à gauche sur le plan politique, qu’il ait fréquenté davantage la haute gomme de la gauche américaine, soit les Démocrates. À l’époque de ce voyage, George W. Bush (Républicain) était encore président des États-Unis et Barack Obama ne s’était pas encore déclaré candidat à la présidence. Mais ce qui étonne tout de même est ce commentaire de BHL au sujet du vide idéologique du parti Démocrate… Voici un bref paragraphe qui cogne assez fort (2006 : 336)

Aujourd’hui, retournement ou, mieux, ruse de l’histoire — et les deux camps qui, tout à coup, luttent à fronts renversés : une droite d’argent, mais aussi d’idées qui a renouvellé en vingt ans[11], ses stocks idéologiques ; une gauche qui, à force de vouloir rivaliser sur le terrain miné de l’argent, est en train de perdre pied sur celle des idées et, ce faisant, de perdre tout court.

Mais si la gauche américaine fait face à un déficit idéologique majeur, sa soif de pouvoir est malgré tout décuplée… Et cette soif de pouvoir dépasse les ambitions politiques habituelles, pour prendre une forme nouvelle et s’exprimer comme les Américains peuvent l’exprimer sous le vocable political entitlement. C'est-à-dire le concept que le pouvoir politique appartient de droit aux élites postmodernes (aux États-Unis, les Démocrates) peu importe les aléas du processus démocratique. Ainsi un vote qui prive du pouvoir les postmodernes américains sera considéré, a priori, illégitime. Il ne peut donc être question pour ces élites postmodernes d’accepter une défaite lors d’un vote ou un revers du processus démocratique. Il y a là donc, un rejet fondamental du processus démocratique.

Une manifestation de cette attitude à l’égard du pouvoir c’est le fameux Cancel Culture, qui implique le rejet de la liberté d’expression, en particulier dans les milieux universitaires… Il faut noter d’ailleurs que la Cancel Culture, a pris naissance dans les milieux universitaires. C’est là qu’on s’est mis à interdire certains conférenciers ou politiciens pas assez postmodernes et qu’on a fait des campagnes pour faire perdre leurs postes à des profs pas assez postmodernes. En somme, il s’agit nouvelle Inquisition, version postmoderne.

Sur le plan politique, ce comportement postmoderne expose non seulement une intolérance extraordinaire, mais va plus loin encore, car il revient à dire "Nous n'accepterons les résultats du processus démocratique SEULEMENT s'ils nous donnent le pouvoir aux États-Unis ! Le pouvoir nous appartient et nous n’accepterons JAMAIS de le voir nous être retiré sous aucun prétexte (même après une défaite électorale manifeste et évidente).” C'est l’affirmation du concept d’un privilège du pouvoir politique de droit divin des postmodernes. Et cette attitude se retrouve non seulement dans le parti Démocrate, mais dans une large part des élites technologiques américaines. Voilà que l’élitisme laisse tomber son masque… Et il faut voir clairement que ce rejet de la démocratie n’est pas uniquement un phénomène américain, mais montre son visage dans le mépris des élites françaises à l’égard des demandes des gilets jaunes ou encore dans le mépris des élites anglaises à l’égard de la majorité de la population qui a voté en faveur du Brexit en 2016. La voix du peuple n’intéresse d’aucune manière les élites postmodernes. Les empereurs ne se soucient pas de l’avis des masses… N’est-ce pas l'accomplissement de la "prophétie" d'Aldous Huxley dans son Retour au meilleur des mondes (1958/2007: 144)...

Sous l'impitoyable poussée d'une surpopulation qui s'accélère, d'une organisation dont les excès vont s'aggravant et par le moyen de méthodes toujours plus efficaces de manipulation mentale, les démocraties changeront de nature. Les vieilles formes pittoresques — élections, parlements, hautes cours de justice — demeureront, mais la substance sous-jacente sera une nouvelle forme de totalitarisme non violent. Toutes les appellations traditionnelles, tous les slogans consacrés resteront exactement ce qu'ils étaient au bon vieux temps, la démocratie et la liberté seront les thèmes de toutes les émissions radiodiffusés et de tous les éditoriaux — mais une démocratie, une liberté au sens strictement pickwickien du terme.

Et il y a même lieu de se demander si en Occident on n’a pas largement dépassé le stade décrit par Huxley ici... Ouais, je sais, je suis cynique, c’est comme ça... Mais il est clair que ces choses ne sont pas des trucs aléatoires, sans lien, mais un comportement cohérent. Et ce rejet fondamental de la democratie par les élites est un phénomène (bien encadré par un discours Huxleien) qu'a remarqué le linguiste Noam Chomsky chez les élites américains dans le cadre d'une discussion sur les retombés de la guerre du Viet-Nam (1987/2015: 58-59)

The charge is made, for example, in an important study called The Crisis of Democracy published by the Trilateral Commission, an elite group of generally liberal persuasion (the group that supported Jimmy Carter and filled virtually every top executive position during his Administration), organized by David Rockefeller in 1973 with representatives from the three centers of industrial capitalist democracy: the US, Europe and Japan. The "crisis of democracy" that they deplore arose during the 1960s, when normally passive and apathetic elements of the population began to enter the political arena, threatening what is called "democracy" in the West: the unchallenged rule by privileged elites.

Évidemment on peut deviner que Chomsky n'irait pas jusqu'à admettre que ce qu'on appel l'élite dite gauchiste est tout aussi anti-démocratique que celle de l'extrême droite. Mais ce REJET de la démocratie (et des droits du peuple) par les postmodernes expose un totalitarisme larvaire, qui n'attend qu'une occasion utile pour abattre une fois pour toutes les résidus d’institutions démocrates en Occident et établir un empereur ou dictateur à vie. On peut se demander si le Covid19 ne fournit pas ce prétexte…

Aux États-Unis il devient de plus en plus manifeste que la politique dégrade vers la l’intolérance et la violence. Et les maires de villes ou gouverneurs d’états d’allégeance Démocrate ont bien démontré leur acceptation de la violence (via des tiers) en laissant courir sur leur territoire sans intervention les Black Lives Matter et  les AntiFa. L’annexe sur l’intimidation, menaces et violence des postmodernes en donne quelque mesure du phénomène.

Voici un autre exemple du début de cette année au moment où Bernie Sanders était encore un candidat democrate à la Présidence.

Millennials will take to streets in 'fury' if Bernie doesn't win: Devine. (Feb. 2020)
https://video.foxnews.com/v/6129207392001/

Un peu plus tard, après le décès de la juge Ruth Bader Ginsberg, on a de nouveau fait des menaces de violence si Trump osait la remplacer par un juge de son choix (donc par un juge non-postmoderne).

Blue Checks Vow Violence If McConnell Tries to Replace Ruth Bader Ginsburg: ‘Burn the Entire F**king Thing Down’
https://www.breitbart.com/2020-election/2020/09/18/blue-checks-vow-violence-if-mcconnell-tries-to-replace-ruth-bader-ginsburg-burn-the-entire-fking-thing-down/

Et presque tous les jours, il y a des exemples supplémentaires qui s’accumulent de ce genre d’attitude, exprimé dans des circonstances variables... La chose est devenue tellement commune que les postmodernes ne songent jamais à se reprendre ou admettre avoir été trop loin et de s’en excuser. Non, manifestement c'est une attitude qu'ils prenent pour acquis, qui ne peut être remise en question. Il faut constater que cela abouti à une situation comparable aux années 30 et tout comme les chemises brunes nazies, les démocrates et les BLM/AntiFa sont prêts et disposés à recourir à l'intimidation, aux menaces et à la violence contre quiconque s'oppose à leur programme et à leur idéologie... C'est exactement ce que firent les nazis à l'époque où ils tentaient de prendre le pouvoir en Allemagne. J’ai lu récemment The Origins of Totalitarianism[12] par Hannah Arendt. Voici quelques citations pertinentes qui expliquent la logique cette violence, combinée à l’exploitation massive de propagande (1951/1976 : 268)...

Hatred, certainly not lacking in the pre-war world, began to play a central role in public affairs everywhere, so that the political scene in the deceptively quiet years of the twenties assumed the sordid and weird atmosphere of a Strindbergian family quarrel. Nothing perhaps illustrates the general disintegration of political life better than this vague, pervasive hatred of everybody and everything, without a focus for its passionate attention, with nobody to make responsible for the state of affairs—neither the government nor the bourgeoisie nor an outside power. It consequently turned in all directions, haphazardly and unpredictably, incapable of assuming an air of healthy indifference toward anything under the sun.

(1951/1976 : 341) Only the mob and the elite can be attracted by the momentum of totalitarianism itself; the masses have to be won by propaganda. Under conditions of constitutional government and freedom of opinion, totalitarian movements struggling for power can use terror to a limited extent only and share with other parties the necessity of winning adherents and of appearing plausible to a public which is not yet rigorously isolated from all other sources of information. It was recognized early and has frequently been asserted that in totalitarian countries propaganda and terror present two sides of the same coin. This, however, is only partly true. Wherever totalitarianism possesses absolute control, it replaces propaganda with indoctrination and uses violence not so much to frighten people (this is done only in the initial stages when political opposition still exists) as to realize constantly its ideological doctrines and its practical lies.

Et si on réfléchit sérieusement au sujet de l’élitisme antidémocratique des postmodernes, il y a lieu de se poser des questions sur la source de cette attitude. Une source possible, les francs-maçons. C’est un secret de polichinelle que les francs-maçons constituent une secte à initiations où le franc-maçon de bas étage doit obéissance aveugle aux francs-maçons initiés aux plus haut niveau. Chez les francs-maçons seuls les illuminés de haut rang sont dignes du pouvoir. Les francs-maçons de bas étage et les non-initiés n’ont qu’à obéir… Leur avis ne compte pas. Tout ça offre un modèle politique aux antipodes de la démocratie… Mais il va sans dire que poser de telles questions entraîne une réaction très prévisible, soit un sourire condescendant et le mot « complotiste »… Évidemment ce réflexe laisse entendre que poser ces questions revient à succomber à une pulsion irrationnelle[13]. Mais retournons la monnaie de la pièce, même si les francs-maçons aiment bien s’entourer d’une aura de mystère bidon, n’est-ce pas irrationnel le réflexe que de refuser de poser des questions sérieuses sur l’influence des francs-maçons ?

Vers la fin de son livre sur le totalitarisme, Arendt fit un lien entre les mouvements totalitaires du 20e siècle et les sociétés secrètes[14], un lien qui peut éclairer certains aspects de la vie politique de l’Occident du 21e siècle. Voici un exemple: (1948/1976: 376-77):

The totalitarian movements have been called "secret societies established in broad daylight." Indeed, little as we know of the sociological structure and the more recent history of secret societies, the structure of the movements, unprecedented if compared with parties and factions, reminds one of nothing so much as of certain outstanding traits of secret societies." Secret societies also form hierarchies according to degrees of "initiation," regulate the life of their members according to a secret and fictitious assumption which makes everything look as though it were something else, adopt a strategy of consistent lying to deceive the noninitiated external masses, demand unquestioning obedience from their members who are held together by allegiance to a frequently unknown and always mysterious leader, who himself is surrounded, or supposed to be surrounded, by a small group of initiated who in turn are surrounded by the half-initiated who form a "buffer area" against the hostile profane world. With secret societies, the totalitarian movements also share the dichotomous division of the world between "sworn blood brothers" and an indistinct inarticulate mass of sworn enemies." This distinction, based on absolute hostility to the surrounding world, is very different from the ordinary parties' tendency to divide people into those who belong and those who don't. Parties and open societies in general will consider only those who expressly oppose them to be their enemies, while it has always been the principle of secret societies that "whosoever is not expressly included is excluded." This esoteric principle seems to be entirely inappropriate for mass organizations; yet the Nazis gave their members at least the psychological equivalent for the initiation ritual of secret societies when, instead of simply excluding Jews, from membership, they demanded proof of non-Jewish descent from their members and set up a complicated machine to shed light on the dark ancestry of some 80 million Germans.

Touchant le rejet du concept même de la démocratie par une part très large des postmodernes, c'est-à-dire chez les élites ainsi que chez leurs pions dans la rue, quelques journalistes alternatifs prennent lentement conscience du phénomène. Par exemple, le journaliste alternatif Frank Furedi pose quelques questions fort pertinentes (2020) :

When was the last time you came across a book whole-heartedly celebrating democracy? Or an op-ed saying we can trust people to make wise decisions about the future of society? Or an essay demanding we expand democracy, and provide greater opportunities for citizens to voice their views on the key issues of our time? Not recently, if at all, I expect. That is because virtually every take on democracy today expresses reservations about it. Environmental campaigners claim that democracy works far too slowly to be able to deal with the ‘climate emergency’. Opponents of Brexit openly argue that ‘yes, there is such a thing as too much democracy’. And others unashamedly declare, as the Financial Times’ Janan Ganesh does, that ‘democracy works better when there is less of it’.

Cela expose un élitisme de plus en plus dur. Le peuple n’a qu’à prendre son trou, son avis, ses désirs, on s’en fout…


Un angle mort chez les Américains
Le hasard veut que je lise en ce moment un autre livre par un Européen qui discute aussi de l’état actuel des USA, soit A Free People's Suicide: Sustainable Freedom and the American Future (2012) par Os Guiness, un Britannique qui vit aux États-Unis depuis au moins 30 ans. Voici un commentaire de Guiness qui expose ce qui me semble un aveuglement sérieux de la perspective américaine sur leur position dans le monde et sur la polarisation des positions sur la scène politique américaine (2012 : 15-16) :

Another time of testing has come. Another day of reckoning is here. This is a testing and a reckoning — let me say it carefully that could prove even more decisive than earlier trials such as the Civil War, the Depression and the cultural cataclysm that was the 1960s. As citizens of the world's lead society and leaders of Western civilization, you Americans owe yourselves and the world a clear answer at this momentous juncture of your history and international leadership — a moment at which an unclear answer or no answer at all are both a clear answer and a telling symptom of the judgment of history.
There are many reasons Americans must answer the question "Who do you think you are?" The widely watched drama of the recent political crisis over the debt ceiling and the deeply felt consequences of the economic crisis, the continuing unemployment and the mounting social inequities have made them the most discussed issues at the moment — with concerns trumpeted by the Tea Party movement on one side and the Occupy Wall Street protest on the other.
These issues pale, however, when compared with the challenge facing America at the prospect of the ending of the five-hundred year dominance of the West and the emergence of an Asia-led world. And all these issues together are just the beginning of a mounting sea of problems engulfing America from many sides. But this book addresses a neglected issue that may prove the deepest and most urgent of all, if only because it is intertwined with so many of the others: the gathering crisis of sustainable freedom in America.

Il faut noter que Guinness est bien placé pour parler de la puissance montante de la Chine, car il y est né, de parents missionnaires et il a été témoin de la prise de pouvoir des communistes sous Mao en 1949 et fut expulsé de la Chine avec d’autres occidentaux en 1951. Pour ce qui est des Américains, à mon avis le souvenir de leur dominance mondiale au 20e siècle les aveugle encore à la réalité changeante du 21e siècle et la montée au pouvoir (d’abord sur le plan économique, mais de plus en plus sur le plan technologique et militaire) de la Chine. Pour beaucoup d’Américains il est impensable que leur situation de dominance mondiale puisse être remise en question. Et ironiquement cette montée au pouvoir chinoise s’est faite en large part aux dépens des Américains, grâce aux ententes économiques établies par les Américains avec la Chine dans les années 80-90. À l’époque, les Américains ne pensaient qu’au main d’œuvre à rabais en Chine (donc au PROFIT à court terme) et n’ont pas du tout réfléchi à ce que pouvait impliquer à long terme ce transfert de technologie et de savoir-faire. L'appât juteux de l’accès au vaste marché chinois (et sa main d’oeuvre) les a aveuglés… Il va sans dire que les Chinois ont exploité à fond tous les avantages que présentait cette situation. Et dès lors la question se pose: si dans un an, la Chine communiste devenait LA super-puissance mondiale quelles en seraient les répercussions ? Déjà, la Chine engrange des surplus commerciaux vertigineux... Ainsi équipés, un peu partout sur la planète ils font des investissements stratégiques, achetant des propriétés et entreprises dans le domaine des ressources premières, ici au Canada et BEAUCOUP en Afrique. Et tout ce fric leur ouvre des portes dans des cercles d’influence (Hollywood par exemple). Les conditions sont presque toutes réunies pour que la Chine devienne la prochaine puissance coloniale mondiale...


BHL fait la morale aux Américains
Si c’est la fierté de l’intellectuel français que de prétendre proposer une perspective critique, tant sur des questions morales que politiques, il faut d’abord noter qu’avant de pouvoir se targuer d’avoir une perspective critique, sur le plan logique il faut auparavant établir un étalon (moral, intellectuel, éthique, etc) qui serve de référence à cette critique, c'est-à-dire qui la fonde et sert de mesure pour établir la légitimité (ou l’illégitimité) de tel comportement, conviction ou attitude. Et si on se permet d’éviter cette étape, alors il faut concevoir que toutes ces prises de position résultantes [de tonnerre] ne sont, en dernière analyse que de l’ergotage émotif et de subjectivité irrationnelle…

S’il est de bonne guerre, qu’un Français jette un œil critique sur la culture et le système politique des États-Unis, on peut supposer que cela le serait également si un Américain jetait un œil critique sur la culture et le système politique de la France… Mais bon, dépassons un moment les allusions anecdotiques et examinons un moment une question plus fondamentale. Dans ce livre monsieur Lévy propose un certain nombre de critiques du comportement américain, soit du peuple ou de l’État (entre autres le traitement des prisonniers à la prison de Guantanamo Bay, Cuba). Et il faut admettre d’emblée que certaines de ces critiques sont justes et utiles.

Mais examinons la perspective idéologico-religieuse fondamentale de monsieur Lévy. En plus succinct, cela revient à réfléchir sur quoi s’appuie la critique de monsieur Lévy. Il s’affirme athée, un matérialiste donc. Ce n’est pas ambigu. Mais face aux critiques de monsieur Lévy à l’égard des États-Unis un chrétien américain pourrait lui répliquer : «  Sur quelle base pouvez-vous faire vos critiques des Américains ?Si vous, qui êtes un athée conséquent, cohérent avec vos présupposés et votre vision du monde, rejetant tout étalon de règle morale absolu vous n'avez aucun droit de me faire des reproches touchant mes attitudes ou comportements. Tout au plus, sur le plan subjectif et émotif, vous pourrez me faire part du fait que vous n'aimez pas ma perspective ou mon comportement, mais à ça on peut répondre facilement que c'est comme aimer (ou pas) la pizza, le fromage de chèvre ou le boudin... Question de goût. Il va sans dire que ce que l’on déteste aujourd’hui on peut y prendre goût demain… Si vous êtes athée moralisateur, vaut mieux être un athée cohérent et conséquent.

Il est donc illogique que vous vous me fassiez des reproches moraux tandis que si moi, si je crois en un Législateur divin qui établit SA loi, à laquelle tous les hommes doivent rendre des comptes (ainsi que le rédacteur de ces lignes), une loi au-dessus de la subjectivité des hommes, je suis alors tout à fait dans la logique des choses, et cohérent avec mes présupposés, que de faire des reproches aux autres, car je fais appel à une loi que j’admets bien sûr, mais que je n'ai pas inventée, que je tiens pour universelle et que ce soit un fait naturel et matériel qu’un jour tous auront des comptes à rendre devant ce Législateur divin. Et ce n'est pas une petite chose, car si on rejette cette loi morale absolue, il en suit qu’Amnistie Internationale et tous les autres organismes semblables doivent fermer boutique et plier bagage, car un intello postmoderne (cohérent) devrait alors les accuser, en toute légitimité, de faire de l’impérialisme éthique et moral, imposant une moralité occidentale sur des peuples qui n’en ont que faire. Sans aucun doute que vos critiques des Américains ne seraient admises de Nietzsche qui se moquait des moralistes Anglais de sa génération (1899/1970: 78-79) :

Ils se sont débarrassés du Dieu chrétien et ils croient maintenant, avec plus de raison encore devoir retenir la morale chrétienne. C'est là une déduction anglaise, nous ne voulons pas en blâmer les femelles morales à la Eliot. An Angleterre, pour la moindre petite émancipation de la théologie, il faut se remettre en honneur, jusqu'à inspirer l'épouvante, comme fanatique de la morale. C'est là-bas une façon de faire pénitence. — Pour nous autres, il en est autrement. Si l'on renonce à la foi chrétienne, on s'enlève du même coup le droit à la morale chrétienne. (…) Si les Anglais croient en effet savoir par eux-mêmes, "intuitivement" ce qui est bien et mal, s'ils se figurent, par conséquent, ne pas avoir besoin du christianisme comme garantie de la morale, cela n'est pas en soi-même que la conséquence de la souveraineté de l'évolution chrétienne et une expression de la force et de la profondeur de cette souveraineté: en sorte que l'origine de la morale anglaise a été oubliée, en sorte que l'extrême dépendance de son droit à exister n'est plus ressentie. Pour l'Anglais, la Morale n'est pas encore un problème.

Partant d'une position matérialiste, voyez à quelles conclusions aboutit le grand logicien autrichien Ludwig Wittgenstein, dans son Tractatus (1921/86: 163)

6.4 - Toutes les propositions sont d'égale valeur.
6.41 - Le sens du monde doit se trouver en dehors du monde. Dans le monde toutes choses sont comme elles sont et se produisent comme elles se produisent: il n'y a pas en lui de valeur — et s'il y en avait une, elle n'aurait pas de valeur.
S'il existe une valeur qui ait de la valeur, il faut qu'elle soit hors de tout événement et de tout être-tel. (So-sein.) Car tout événement et être-tel ne sont qu'accidentels.
Ce qui les rend non-accidentels ne peut se trouver dans le monde, car autrement cela aussi serait accidentel.
Il faut que cela réside hors du monde.
6.42 - C'est pourquoi il ne peut pas non plus y avoir de propositions éthiques. Des propositions ne sauraient exprimer quelque chose de plus élevé.
Il est clair que l'éthique ne se peut exprimer.

Si la Science empirique est l'autorité épistémologique suprême et qu'elle n'a pas d'emprise sur la morale[15], il est alors logique d'affirmer, comme le fait Wittgenstein, Bertrand Russell, et bien d'autres à leur suite, que la morale n'existe donc pas. Le silence de l'univers devient alors assourdissant… Mais ces auteurs n'ont pas le courage féroce et la suite dans les idées du Marquis de Sade qui, poussant jusqu'au bout la logique matérialiste dans ses implications sur le plan moral, remarqua sur le meurtre, par exemple (1795/1972: 138-139)

Qu'est-ce que l'homme, et quelle différence y a-t-il entre lui et les autres plantes, entre lui et tous les autres animaux de la nature ? Aucune assurément. Fortuitement placé comme eux sur ce globe, il est né comme eux; il se propage, croît et décroît comme eux; il arrive comme eux à la vieillesse et tombe comme eux dans le néant après le terme que la nature assigne à chaque espèce d'animaux, en raison de la construction de ses organes. Si les rapprochements sont tellement exacts qu'il devienne absolument impossible à l'œil examinateur du philosophe d'apercevoir aucune dissemblance, il y aura donc alors tout autant de mal à tuer un animal qu'un homme, ou tout aussi peu à l'un qu'à l'autre , (…)

La position de De Sade est tout à fait cohérente. Ce qui est naturel est nécessairement légitime. C’est le seul fondement de l’éthique. Il ne faut pas en chercher ailleurs. Et on peut appliquer ce principe dans bien d'autres contextes, celui des rapports hommes-femmes par exemple où Sade offre cette sagesse (1795/1972: 112)

S'il devient donc incontestable que nous avons reçu de la nature le droit d'exprimer nos vœux indifféremment à toutes les femmes, il le devient de même que nous avons celui de l'obliger de se soumettre à nos vœux, non pas exclusivement, je me contrarierais, mais momentanément. Il est incontestable que nous avons le droit d'établir des lois qui la contraignent de céder aux feux de celui qui la désire; la violence même étant un des effets de ce droit, nous pouvons l'employer légalement. Eh ! la nature n'a-t-elle pas prouvé que nous avions ce droit, en nous départissant la force nécessaire à les soumettre à nos désirs ?

Ainsi monsieur Lévy, admettez-vous la position de Sade sur les rapports hommes-femmes ? Mais si cette position ne vous plaît pas, si vous la rejetez, alors svp éclairez-nous et dites bien (et c’est une question critique) sur quelle base vous le rejetez. Justifiez donc votre rejet. Si vous vous défilez sur cette question alors on pourrait conclure que vous vous réfugiez dans une subjectivité éthique aussi sentimentale que dérisoire. Dans L’homme révolté, Albert Camus explore certaines conséquences du relativisme moral, lié à la position matérialiste (1951: 17, 18) :

Mais cette réflexion, pour le moment, ne nous fournit qu'une seule notion, celle de l'absurde. À son tour, celle-ci ne nous apporte rien qu'une contradiction en ce a qui concerne le meurtre. Le sentiment de l'absurde, quand on prétend d'abord en tirer une règle d'action, rend le meurtre au moins indifférent et, par conséquent, possible. Si l'on ne croit à rien, si rien n'a de sens et si nous ne pouvons affirmer aucune valeur, tout est possible et rien n'a d'importance. Point de pour ni de contre, I'assassin n'a ni tort ni raison. On peut tisonner les crématoires comme on peut aussi se dévouer à soigner les lépreux. Malice et vertu sont hasard ou caprice. (…) Dans ce dernier cas, faute de valeur supérieure qui oriente l'action, on se dirigera dans le sens de l'efficacité immédiate. Rien n'étant vrai ni faux, bon ou mauvais, la règle sera de se montrer le plus efficace, c'est-à-dire le plus fort. Le monde alors ne sera plus partagé en justes et en injustes, mais en maîtres et en esclaves. Ainsi, de quelque côté qu'on se tourne, au coeur de la négation et du nihilisme, le meurtre a sa place privilégiée.

Si la position de Sade ou de Camus ne vous plaît pas à monsieur Lévy, il faut alors en adopter une autre, mais de manière cohérente, conséquente. Si, par contre, on examine la vision du monde judéo-chrétienne pour le comparer au matérialisme touchant la manière de voir l'homme le contraste est frappant. C.S. Lewis, auteur chrétien, prof de littérature anglaise du Moyen Âge (et copain de JRR Tolkien), affirmait (in Green & Hooper 1979: 204)

There are no ordinary people. You have never talked to a mere mortal. Nations, cultures, arts, civilisations — these are mortal… But it is immortals whom we joke with, work with, marry, snub, and exploit… Next to the Blessed Sacrament itself, your neighbour is the holiest object present to your senses.

Mais chez l’humain la tentation de se donner des airs moraux est à peu près irrésistible, et plutôt qu’assumer franchement un nihilisme éthique cohérent, plusieurs trouvent refuge dans les illusions et les incohérences. Que des matérialistes évoquent alors des concepts judéo-chrétiens n'est pas chose exceptionnelle. Même les plus grands n'y échappent pas. Jean-Paul Sartre, par exemple, aboutit sur ce plan à une impasse à la fois risible et tragique (S. de Beauvoir 1981 : 551-552)

S. de B. - Ou alors ce mot de Dostoïevski: " Si Dieu n'existe pas, tout est permis. Vous ne pensez pas cela, vous ?
J.-P. S. - En un sens je vois bien ce qu'il veut dire, et c'est abstraitement vrai, mais en un autre je vois bien que tuer un homme est mauvais. Est mauvais directement, absolument, est mauvais pour un autre homme, n'est sans doute pas mauvais pour un aigle ou un lion, mais mauvais pour un homme. Je considère si vous voulez que la morale et l'activité morale de l'homme, c'est comme un absolu dans le relatif.

Ou en d'autres termes, une incohérence au milieu de la cohérence...


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NIETZSCHE, Friedrich (1899/1970) Crépuscule des idoles; suivi de Le cas Wagner . (trad. d'Henri et, al. Médiations; 68) Denoël Gonthier Paris 190 p.

SADE, Marquis de; Blanchot, Maurice  (1795/1972) Français, encore un effort si vous voulez être républicains. (extrait de "La Philosophie dans le boudoir") précédé de L'inconvenace majeure. Jean-Jacques Pauvert Paris (coll. Libertés nouvelles; 23) 163 p.

SOMMER, Michel (2017) « Les anabaptistes incarnaient l’unique Réforme issue de la foi seule », selon le théologien Jürgen Moltmann. Éditions Mennonites - 10 mars

TOCQUEVILLE, Alexis de (1835) De la démocratie en Amérique. vol. I

WILDER-SMITH, A. E. (1968) Man's Origin, Man's Destiny: A Critical Survey of the Principles of Evolution and Christianity. Bethany Fellowship Minneapolis Minn. 320 p.

WITTGENSTEIN, Ludwig (1921/1986) Tractatus logico-philosophicus. Gallimard [Paris] (coll. Tel: 109) 364 p. Etexte anglais et alllemand.


Annexe :

Intimidation, menaces et violence des postmodernes

Menaces suite au décès récent d’un juge de la Cour Suprème américaine.

After RBG’s Death, Left-Wing Activists Promise Violence If Trump Appoints Her Replacement
https://thefederalist.com/2020/09/18/after-rbgs-death-left-wing-activists-promise-violence-if-trump-appoints-her-replacement/

Blue Checks Vow Violence If McConnell Tries to Replace Ruth Bader Ginsburg: ‘Burn the Entire F**king Thing Down’
https://www.breitbart.com/2020-election/2020/09/18/blue-checks-vow-violence-if-mcconnell-tries-to-replace-ruth-bader-ginsburg-burn-the-entire-fking-thing-down/

Democrats threaten violence if GOP fills SCOTUS vacancy: 'Burn the entire f***ing thing down'.
https://www.theblaze.com/news/democrats-threaten-violence-supreme-court-vacancy

Colorado Democrat Party Member Suggests Using Violence: ‘Morally Acceptable’ To ‘Lie,’ ‘Cheat,’ ‘Steal’. (Ryan Saavedra – DailyWire – 13/10/2020)


Menaces divers et violence (faits dans la rue par les pions des postmodernes ou offerts par des notables) -> tactiques des chemises brunes nazies

Left-wing celebs throw debate tantrums at President Trump; some even call for violence against him: 'Literally the only way to deal with him is to sucker punch the f***'. ( Dave Urbanski - The Blaze – 1/10/2020)

Former Twitter CEO Fantasizes About Violent Revolution, Assassinations. (Jordan Davidson - The Federalist - 1/10/2020)

Keith Olbermann: Trump Supporters Are ‘Maggots,’ Must Be ‘Prosecuted’. (Thomas D. Williams, Ph.D. - Breitbart - 10/10/2020)

The tech oligarchs are a menace to democracy : The censorship of the New York Post’s Hunter Biden exposé is a frightening intervention in the election. (Fraser Myers – Spiked – 15/10/2020)

Robert Reich proposes post-election commission to censor and blacklist Trump supporters — and leftists on Twitter salivate over the idea : 'Truth and Reconciliation Commission'. (Phil Shiver - The Blaze – 19/10/2020)

Far-left agitators call for death of 'Nazi' cops, scream at NYPD: 'Hope all of your children get raped and killed' : Far-left protesters scream: 'The only good cop is a dead cop'. (Paul Sacca - The Blaze – 1/11/2020)

While Fearmongering About Voter Intimidation, The Left Promises to Revolt if Trump Wins: While spinning false and exaggerated stories of right-wing threats, the left is ignoring perhaps the biggest threat of voter intimidation. Why? Because it's coming from their own ranks. (Elle Reynolds - The Federalist - 1/11/2020)

BLM rioters vandalize Portland commissioner's house after he voted against defunding police; city hall hit with arson attack: They threw burning flares and paint filled balloons at the home. (Carlos Garcia - The Blaze – 6/11/2020)

The Left Threatens GOP: 'We Have a List' and You'll Never Work Again if You Helped Trump. (Victoria Taft - PJMedia - 6/11/2020)

Leftist militants bully, physically attack Portland TV news reporter, videographer who dared to enter their 'autonomous zone': 'Call the cops!' one leftist taunted the journalists as they were forced out. 'Go file a police report and see how useful they are!' (Dave Urbanski - The Blaze - 9/12/2020)


Élitisme, rejet de la liberté d'expression, de la démocratie/totalitarisme larvaire chez les élites postmodernes

Ferme ta gueule et obéis!: Depuis le Brexit, on nous sermonne sur les périls du populisme et de la xénophobie. (Joseph Facal - Journal de Québec - 30-6/2016)

Mark Levin: Undercover sting reveals leftist's alleged plan to 'win' at ANY cost : 'I am going to do everything morally acceptable to win. I will lie. I will cheat. I will steal.' The Blaze - 20/10/2020)

By Their Own Criteria, Democrats Are The Ones Undermining American Democracy: The Democratic Party’s policies and tactics since Trump’s 2016 nomination are, almost to a letter, right out of leftist Harvard professors' litmus test for detecting assaults on democracy. (Carina Benton - The Federalist - 2/11/2020)

Biden Campaign Manager: ‘Under No Scenario will Donald Trump Be Declared a Victor on Election Night’. (Haris Alic - Breitbart - 2/11/2020)



Et un cas en France...
Le ministre OlivierVéran (Solidarités et de la Santé) hystérique - levée de boucliers a l'assemblée.
Quand les députés LREM ne sont pas assez nombreux, le vote n'est pas au goût du ministre Véran.
Ce dernier se précipite à l'Assemblée pour engueuler les députés, ces mauvais élèves ! Mais ils ne vont pas laisser faire !
(YouTube - 12 minutes - 4/11/200)

Democrats Have Been Denying Trump The Presidency Ever Since His First Victory: If there is anyone who has a right to call an election leaning towards Joe Biden illegitimate, it is Donald Trump. (Margot Cleveland - The Federalist - 5/11/2020)

Centrists are the biggest threat to democracy: The anti-democratic spirit of the age is an expression of colossal self-regard. (Peter Franklin - UnHerd - 2/11/2020) -> [Are young people a threat to our very way of life? Old fogeys throughout history have thought so and usually they’ve been wrong. But right now there is something we should be worried about, which is the mounting evidence that young people are turning against democracy.]

Germany: a model nation for anti-democrats: John Kampfner’s "Why the Germans Do It Better" extols the worst aspect of modern Germany. (Daniel Ben-Ami – Spiked – 30/10/2020)

Brexit is bigger than Boris or any Downing Street bunfight: The real issue is not ‘Carrie v Dom’, but elite domination or democracy? (Mick Hume – Spiked – 16/11/2020)

Just Like U.S. Democrats, Chinese Communists Are Compiling Dissident Lists: I never thought that my adopted home, the land of the free, would so soon start sounding like the one-party dictatorial state I left behind. (Helen Raleigh - The Federalist - 24/11/2020)

We must never forget the Remainer elite’s atrocious assault on democracy: ‘Respectable’ Remainers are trying to distance themselves from the bigoted crusade against Brexit voters. (Brendan O'Neill – Spiked – 8/12/2020)

The war for democracy is only beginning: Brexit was the first great battle in a far broader struggle for real people power. (Brendan O'Neill - Spiked - 1/1/2021)

The question everyone should be asking about the Big Tech fascist purge of conservatives: And the answer to the question is as troubling as it is obvious. (Daniel Horowitz - The Blaze - 11/1/2021)

Now they want to cancel the First Amendment: The claim that President Trump is guilty of "incitement to violence" is a threat to free speech for all. (Mick Hume - Spiked - 12/1/2021)

Virtue Hoarders: our scolding elites: How the professional-managerial class presents its power over the working class as moral superiority. (Philip Hammond - Spiked - 21/1/2021)

The erasure of William Gladstone by renaming Gladstone Hall, Liverpool University is trashing the legacy of a democratic pioneer. (David McGrogan - Spiked - 17/3/2021)

When The Powerful Say Truth Is A Lie And Lies Are The Truth, No One Will Stand Up For America But You In an age when Americans have grown used to casually shrugging away their freedoms at the whim of TV pundits, this kind of propaganda is seriously dangerous. (Christopher Bedford - The Federalist - 26/3/2021) -> Sur la loi électorale HR1.



Appui à l’intimidation et à la violence par des notables Democrats

Letter Threatens to Burn Homes of New Hampshire Trump Supporters: ‘You Have Been Given Fair Warning’ : "Your address has been added to our database as a target when we attack should Trump not concede the election." (Hank Berrien - DailyWire - 21/10/2020)

Hillary Clinton Shares Video of Woman Saying She Wants to “Shoot That A**hole Trump”. (Caldron Pool - 27/10/2020)

Bernie Sanders Backs Mayoral Candidate Who Declared ‘I Am Antifa’. (Eric Quintanar – DailyWire - 30/10/2020)

Joe Biden Has Said Nothing About The Violent Attacks on Trump Supporters. (Jordan Davidson - The Federalist - 17/11/2020)



La police sur une laisse (BLM/AntiFa)

100+ Antifa Rioters Vandalized Portland Buildings — No Arrests. (Bob Price - Breitbart - 21/11/2020)



Dossier de presse: Intolérance et censure postmoderne




Notes

[1] - À cette époque, le rejet de Staline était encore une nouveauté audacieuse

[2] - Qui produira à son retour, son livre De la démocratie en Amérique. Le premier volume de cet essai sera publié en 1835.

[3] - Et même George Washington, qui figure comme Moïse pour les Américains…

[4] - En particulier, le Mount Rushmore…

[5] - Rappelons un moment l’expression du 19e siècle : « Paris, cerveau du monde »…

[6] - Refusant le baptême d’enfants. Sont d'avis que ne peut être chrétien que celui qui le choisit librement (après l'âge de raison). Et les anabaptistes refusent la gestion (et le financement) de la religion par l’État.

[7] - On estime que dans l’ensemble de la France il y eut entre 10 000 et 30 000 assassinats dans cette période.

[8] - Michael Ruse, un philosophe de la science très évolutionniste a fait un aveu plutôt surprenant au sujet du prix Nobel en médecine accordé en 2004 pour l'invention de la machine à résonnance magnétique dans l'article : Controversy over the Nobel Prize in Medicine. [lien]

[9] - Une légende urbaine veut qu’on ait posé la question suivante à un grand rabbin. “Où était Dieu lors de l’Holocauste??” (Sous-entendu dans cette question est évidemment le présupposé que si Dieu n'as pas fait cesser ce massacre, alors il faut conclure 1) qu’Il se fout complètement de tout ce qui nous arrive ou 2) que Dieu n'existe tout simplement pas...)

Le vieux rabbin répliqua,: "Non, non, la question véritable est: “Où était l’homme lors de ces événements??”

[10] - C.S. Lewis a bien résumé cette attitude avec la boutade suivante : "What we want in fact is not so much a father in Heaven as a grandfather in heaven — a senile benevolence who as they say 'liked to see young people enjoying themselves.'" (The Problem of Pain).

[11] - Renouvellement déclenché justement dans les années 80 par le mouvement avant tout protestant (et universellement méprisé par la gauche) du Moral Majority

[12] - Désolé, je n’ai que l’édition anglaise sous la main, même si cette oeuvre existe aussi en traduction française.

[13] - Et laisse aussi entendre que, soit les francs-maçons n’existent pas, sinon que s’ils existent, il n’ont AUCUNE influence en Occident… D’où poser des questions sur leur influence serait nécessairement sans intérêt…

[14] - Mais SANS nommer les francs-maçons…

[15] - Par ailleurs, affirmer, comme le fait le matérialiste pur et dur (ou un néo-positiviste), que seule l'observation empirique est valide est une hallucination métaphysique, car cette affirmation elle-même n'est pas une observation empirique.