Vie chretienne Cosmos Arts Engin de recherches Plan du site

Samizdat

Les protestants francophones au Québec:
une présence qui ne date pas d’hier.





Alain Gendron

Nombreux sont les Québécois qui ont cru, et qui croient encore, appartenir à une nation aux origines purement française et catholique. L’histoire officielle, contenue dans les livres et enseignée dans les écoles jusqu’avant la Révolution tranquille, était construite autour de ce genre de discours: «Notre race, de par la miséricordieuse Providence de Dieu, qui nous a fait ce don inestimable, est de celles dont l’organisme et la vie sont tout compénétrés du principe éminemment vital qu’est le Catholicisme. Le Catholicisme a été pendant trois siècles l’âme de notre race. Nous sommes nés et nous avons grandi sous la poussée de la sève catholique, que nous infusa sans arrêt et sans impuretés hérétiques, par le vigoureux rameau de l’Église de France, l’arbre immortel de l’Église Catholique, sorti lui-même de la semence divine.»1

En fonction de cette croyance, nos ancêtres ont appris que tout ce qui n’«était pas catholique» étais suspect. Il fallait se méfier de l’élément protestant qui équivalait à l’Anglais tant détesté. Encore aujourd’hui les églises protestantes francophones (baptistes, évangéliques, pentecôtistes) présentes un peu partout au Québec sont ignorées et généralement mal connues du public, qui les associent naturellement aux sectes. Pourtant l’histoire récente est en voie de réhabiliter ce mouvement, à mesure que l’on découvre l’influence positive du protestantisme dans le développement social du Québec.

Une histoire méconnue
Depuis les 25 dernières années, plusieurs ouvrages ont été publiés au Québec sur les protestants francophones. Selon Robert Larin, auteur d’une Brève histoire des protestants en Nouvelle-France et au Québec, «la présence de protestants en Nouvelle-France constitue un fait historique bel et bien attesté»2. Les huguenots, comme on les appelait alors, formant une importante majorité dans les provinces maritimes de France, étaient très actifs dans le commerce des pêcheries et des pelleteries. «C'était ainsi des marins huguenots qui fréquentaient les bancs de pêche et les côtes du golfe Saint-Laurent, dans l'intérêt d'armateurs et de marchands huguenots.» 3

L'amiral Gaspard de ColignyLeur intérêt envers le nouveau-monde n’était toutefois pas simplement commercial. Accusés d’hérésie parce qu’ils placent l’autorité de la Parole de Dieu au-dessus de tout, les huguenots font face à une persécution de plus en plus sévère. On confisque leurs biens, on les envoie aux galères et on les massacre par villages entiers. Représentés à la cour du Roi de France par l'amiral de Coligny, les huguenots vont obtenir la permission de fonder divers établissements au Brésil, en Floride et en Caroline qui ne rencontreront guère de succès.

Il furent plus heureux en Nouvelle-France, où ils purent librement établir des comptoirs commerciaux (entre autres à Tadoussac, Port-Royal et Québec) et contribuer à la prospérité du pays. Parmi ces huguenots, les plus notables sont le Sieur de Monts, qui reçut en 1604 une commission l'autorisant à posséder tout le territoire compris dans l'Amérique du nord entre le 40e et le 46e degré de latitude nord, Pierre Chauvin, fondateur de Tadoussac, le baron de Poutrincourt, Guillaume de Caen, sieur de la Mothe, négociant et navigateur expérimenté, et même l'épouse de Samuel de Champlain, Hélène Boullé, qu'il épousa en 1610.

Combien de colons protestants s'établirent alors en Nouvelle-France? Impossible de le dire avec certitude! Dans sa thèse publiée en 1973 sur les protestants en Nouvelle-France, Marc-André Bédard affirme avoir retrouver la trace de 859 d'entre eux, chiffre s'étendant sur toute la période du régime français.

Jusqu'en 1627, les protestants seront libres de s'établir en Nouvelle-France. «Dans la première commission retracée pour l'établissement du Canada, François Ier ordonne à Jacques Cartier de faire instruire les Indiens «en l'amour et crainte de Dieu et de sa sainte loi et doctrine chrétienne». Le souverain ne fait pas encore de différence, comme cela se fera plus tard dans d'autres documents, entre foi catholique et foi protestante. La lettre de fondation de la Nouvelle-France garantissait la liberté de conscience et de culte de tous les colons, catholiques et réformés. C'est seulement à partir de 1588 qu'apparaissent dans les différentes concessions de monopole des précisions quant à la nature de la religion qui doit être implantée en Nouvelle-France.

Malgré les disputes qui ne manquaient pas de survenir au sujet de la religion, les huguenots recevaient un bon témoignage de la part des colons catholiques :

Des fauteurs de troubles?
En France, on voit évidemment d'un mauvais œil l'établissement des protestants dans la colonie. En 1625 débarque à Québec les premiers Jésuites, qui vont aussitôt travailler à chasser ceux-ci de la Nouvelle-France. Accusés de ne rien faire pour aider l'accroissement de la foi catholique, tel que le mentionnait leur commission, les marchands huguenots furent bientôt rendus responsables des maux qui accablaient la colonie. Celle-ci sera rendue effective par la révocation du monopole des de Caen pour des raisons aussi bien religieuses que politiques au profit d'une autre association de marchands: la fameuse Compagnie des Cent-associés (1627) qui ne devra accepter au pays que des colons catholiques.

Ce document empêchait désormais la venue d'immigrants «indésirables» en Nouvelle-France. Quant à ceux qui se trouvait dans la colonie, on prit des mesures pour leur faire joindre les rangs de l'Église catholique. Le clergé, surtout les Jésuites, cherchait alors à déceler les protestants et à les amener à poser le geste d'abjuration. Parmi les moyens imaginés pour forcer la conversion des protestants, on note: l’obligation de poser des actes de culte catholiques, de faire baptiser leur enfant à la naissance, de se marier à l'église et de recevoir les derniers sacrements sous peine de voir leurs biens confisqués s'ils recouvraient la santé. On trouve dans les archives du Séminaire de Québec un manuscrit résumant les professions interdites aux protestants... Les métiers de médecin, apothicaire et sage-femme sont nommément défendus aux protestants. Il en va de même pour les fonctions de contrôleur, commis, brigadier, archer et huissier...»5

Les protestants n’ont d’autre choix que d’abjurer ou de rejoindre leurs coreligionnaires dans les colonies anglaises. Devant une telle opposition, le protestantisme français était condamné à disparaître. Mais c’était sans compter sur la vigueur de ce mouvement qui s’était développé en France au milieu de difficultés encore plus grandes. Après la Conquête, le protestantisme français sera protégé et encouragé par les autorités politiques, mais il renaîtra surtout sous la poussée de missionnaires venus de Suisse et de France à partir de 1830. En dépit de la forte opposition du clergé, le nombre de Québécois convertis au protestantisme atteignit plus de 30,000 à la fin du 19e siècle.

Aujourd’hui encore, alors que la désaffection religieuse a transformé radicalement le visage du Québec, les églises protestantes continuent de croître, témoins que la Parole de Dieu demeure efficace et vivante au travers des siècles.


Notes

1. R. P. O.-M. JOUVE. Préface du premier volume, «Les Franciscains et le Canada», 1915.

2. R. LARIN, «Brève histoire des protestants en Nouvelle-France et au Québec», Éditions la Paix 1998, p. 29

3. C.W. BAIRD, «Histoire des réfugiés huguenots en Amérique», 1880, p. 51

4. Mémoire de l'évêque de Québec sur les protestants, 1670 (Massachusetts Archives French collections, vol. II, p. 233) cité dans Hist. des réfugiés huguenots en Amérique, p. 87

5. M.-A. BÉDARD, «Les protestants en Nouvelle-France», Société historique de Québec, Cahiers d'hist. no. 31,p. 76

Voir aussi: Société d'histoire du protestantisme franco-québécois