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Samizdat

Introduction




Dans cet essai, il est question de didactique des langues secondes (L2), c'est-à-dire des méthodes d'enseignement qui facilitent l'acquisition d'une langue seconde. Nous nous intéressons particulièrement à la didactique des L2 chez les adultes et le thème principal est le rôle de la pratique dans la salle de classe. La question de recherche est la suivante : Quel type de pratique de classe favorise le plus l'apprentissage d'une langue seconde ?

La pratique de classe

La pratique de classe est un concept que l'on relie généralement avec la méthodologie traditionnelle de l'enseignement des L2. Cette méthodologie traditionnelle comprend deux grandes divisions : la présentation des structures morpho-syntaxiques et la pratique de ces structures (Ellis, 1992). Dans une classe de L2 utilisant une méthodologie traditionnelle, le professeur accomplit principalement deux choses : il enseigne d'abord la grammaire et ensuite il fait pratiquer les structures enseignées. Dans ce cadre de référence, la pratique de classe est définie comme une activité organisée par l'enseignant ayant comme finalité l'intégration de structures linguistiques pré-déterminées dans le système en développement de l'apprenant.

Toutefois, ce n'est pas de cette façon que nous définirons la pratique de classe dans cet essai; nous lui donnerons une signification plus large. La pratique de classe sera considérée comme un synonyme de l'utilisation de la langue cible. Dès qu'un apprenant utilise la langue cible, il effectue donc automatiquement une pratique. À l'intérieur d'une salle de classe, il existe plusieurs types de pratique : la pratique peut être une activité contrôlée, semi-contrôlée ou libre; elle peut consister en n'importe quelle habileté langagière : c'est-à-dire, en compréhension orale ou écrite, ou en expression orale ou écrite. Même une activité centrée sur le code linguistique, comme les explications du professeur, peut être considérée comme une pratique de classe, si celles-ci sont données dans la langue cible. En fait, toutes sortes d'utilisation de la langue dans une classe de L2 peuvent être considérées comme de la pratique. En élargissant la définition de la pratique de classe de cette façon, nous faisons en sorte que la finalité de la pratique de classe n'est plus uniquement l'acquisition d'une structure linguistique pré-déterminée par le professeur; elle peut consister également en une activité sans aucun objectif linguistique pré-déterminé. En plus de prendre la forme d'une performance dans laquelle l'apprenant doit comprendre ou produire une structure cible quelconque, elle peut maintenant consister, selon la nouvelle définition, en une performance orientée uniquement vers la communication. DeKeyser (1998) traduit bien ce qu'est la pratique de classe dans un sens plus large en la considérant comme une performance langagière dans laquelle un apprenant s'engage pour s'améliorer dans l'utilisation de la langue cible.

Une classification des approches pédagogiques

Puisque nous abordons le thème de la pratique en classe de L2, il est nécessaire d'aborder les approches pédagogiques dans lesquelles s'intègre cette pratique. L'une des principales distinctions qui se fait entre les différentes approches pédagogiques en didactique des L2 est si celles-ci sont centrées sur la forme ou centrées sur le sens (Doughty et Williams, 1998a; Ellis, 2001; Long, 1991). Dans les approches centrées sur la forme (les approches traditionnelles), la langue est traitée comme un objet d'étude et décortiquée en éléments isolés afin d'être enseignés un à la fois. On y sous-entend que l'apprentissage est un processus d'accumulation d'éléments grammaticaux déterminés à l'avance par le professeur dans un plan de cours appelé syllabus structural. D'autre part, dans les approches centrées sur le sens, la langue cesse d'être considérée comme un objet d'étude et devient un outil de communication, et l'attention des apprenants est surtout dirigée sur le contenu de ce qui est communiqué. Dans cette dernière catégorie, on trouve par exemple l'approche naturelle (ou non-interventionniste) de Krashen et Terrell (1983) et le syllabus basé sur la tâche (Long et Crookes, 1992; Prabhu, 1987; Robinson, 2001; Skehan, 1996, 1998b). Les approches centrées sur le sens ont été conceptualisées par Long (1991) sous l'expression “ attention sur la forme ” (focus on form). Cette nomenclature de Long peut porter à confusion, car elle semble contredire l'orientation première vers le sens, mais elle est très répandue en didactique des langues et dans ce travail, lorsqu'il sera question d'approches centrées sur le sens, nous parlerons d'attention sur la forme, et lorsqu'il sera question d'approches centrées sur la forme, nous parlerons d'attention sur les formes (au pluriel).

Selon Long et Robinson (1998), les approches de l'attention sur la forme sont centrées d'abord sur le sens et la communication, mais elles permettent de diriger occasionnellement l'attention des apprenants vers les structures du code linguistique de façon réactive, c'est-à-dire au fur et à mesure que se présentent les difficultés d'apprentissage. Selon Doughty et Williams (1998b), “ la conceptualisation de l'attention sur la forme de Long est une tentative d'établir une frontière entre l'enseignement traditionnel de la grammaire et l'attention sur la forme, laquelle est intégrée dans une approche orientée vers la communication ” (p.229). Ces dernières ne conceptualisent pas l'attention sur la forme de manière aussi restrictive que Long car elles laissent place à un enseignement plus proactif, dans lequel le professeur sélectionne d'avance les éléments linguistiques sur lesquels les apprenants porteront leur attention. Mais, tout comme Long, ces auteures ont des réticences envers l'utilisation du métalangage (enseignement explicite) pour attirer l'attention des apprenants sur la forme. Quoique que l'utilisation du métalangage soit acceptée par plusieurs tenants de l'attention sur la forme, il est généralement considéré comme une activité envahissante et il constitue un danger potentiel, puisqu'il peut faire passer le balancier d'une approche centrée sur le sens vers une approche centrée sur la forme. Les critères de Doughty et Williams (1998a) délimitant l'attention sur la forme sont les suivants : 1) L'engagement des apprenants envers le sens précède l'attention envers le code linguistique, 2) L'analyse des besoins de l'apprenant oriente le traitement pédagogique, 3) L'attention portée sur la forme n'est pas envahissante.

Dans une tentative de développer une taxonomie des approches pédagogiques en enseignement des langues, Ellis (2001) rajoute une troisième catégorie aux deux principales mentionnées jusqu'ici. En fait, il divise la catégorie attention sur la forme en deux catégories selon si l'enseignement est réactif ou proactif. Il croit qu'en plus de définir les approches d'enseignement en termes d'attention sur la forme et d'attention sur les formes, il faut considérer comment l'attention sur une forme est distribuée dans l'enseignement, c'est-à-dire quelle est l'intensité de l'attention portée sur la forme en question. Les deux catégories qu'il propose sont : l'attention sur la forme planifiée et l'attention sur la forme accidentelle. Comme leur nom l'indique, dans un cas l'attention portée sur la forme linguistique est planifiée tandis que dans l'autre elle ne l'est pas. Selon cet auteur, cette distinction est importante car “ dans le cas de l'attention sur la forme planifiée, l'enseignement sera intensif, ce qui signifie que les apprenants auront l'occasion de s'occuper plusieurs fois d'un seul élément choisi d'avance; tandis que dans le cas de l'attention sur la forme accidentelle, l'enseignement sera extensif parce qu'un grand nombre d'éléments (grammaticaux, lexicaux, phonologiques, pragmatiques) peuvent surgir comme candidats à l'attention des apprenants ” (p.16).

L'enseignement explicite et l'enseignement implicite

L'enseignement explicite de la grammaire peut être conceptualisé de différentes façons : Doughty et Williams (1998) le définissent comme un enseignement qui vise à porter l'attention des apprenants sur les formes grammaticales par le moyen d'une réflexion sur les règles et sur les éléments qui les constituent. DeKeyser (1995, 2003) va dans le même sens lorsqu'il dit que dans un enseignement explicite de la grammaire, le professeur enseigne des règles durant le processus d'apprentissage. La définition de DeKeyser ajoute toutefois un élément concernant la conscience de l'étudiant, selon lui, c'est un apprentissage qui se produit avec la conscience simultanée de ce qui est en train d'être appris. Dans un enseignement explicite de la grammaire, les règles peuvent être adressées déductivement ou inductivement. La méthode déductive consiste à donner aux apprenants les règles de fonctionnement des structures cibles (méthode traditionnelle), et la méthode inductive consiste à faire découvrir les règles par les apprenants.

Pour ce qui est de l'enseignement implicite, selon Doughty et Williams, il consiste en une attention sur la forme mais sans le recours au métalangage visant à désigner les aspects linguistiques sur lesquelles l'attention est dirigée, et cela afin de minimiser les interruptions à la communication du sens. De son coté, DeKeyser définit l'enseignement implicite comme un enseignement qui vise un apprentissage se produisant sans la conscience simultanée de ce qui est en train d'être appris, par la mémorisation d'exemples ou l'inférence de règles sans en être conscient, ou les deux à la fois. La définition de DeKeyser diffère de celle de Dougthy et Williams en ce sens que pour ces dernières la différence entre un enseignement explicite et implicite se situe au niveau de l'usage du métalangage tandis que pour DeKeyser cette différence se situe au niveau de la prise de conscience de ce qui est appris. Pour ce dernier, dans les deux types d'enseignement, l'attention de l'apprenant sera portée sur la forme, mais dans le cas de l'enseignement implicite, l'apprenant ne sera pas conscient de la structure spécifique qui a été ciblée par le professeur.

Sujet de recherche

Maintenant, nous préciserons d'avantage notre sujet de recherche. Dans cette étude, nous traiterons de quatre approches pédagogiques proposées en didactique des langues : la théorie de l'acquisition des habiletés complexes, la conscience accrue, l'enseignement par le traitement de l'input et la pédagogie basée sur la tâche. Nous élaborerons brièvement sur chacune d'elles et nous présenterons les implications pédagogiques qui en découlent en relation avec la pratique de classe. Nous tenterons ainsi de résoudre certaines questions en relation avec la méthodologie de l'enseignement des L2.

En premier lieu, nous aborderons le thème de l'objectif de la pratique de classe. Nous nous demandons jusqu'à quel point un enseignant peut exercer un contrôle sur les objectifs pédagogiques qu'il veut atteindre avec ses élèves. C'est-à-dire, lorsqu'un enseignant initie une session de pratique de classe, est-ce qu'il doit s'attendre à ce que ses élèves atteignent les objectifs prévus? Ou doit-il, au contraire, ne pas se soucier des résultats ? Ces deux attentes face à la pratique de classe s'inscrivent dans un débat plus large en didactique des langues mettant en cause deux théories: le modèle de l'apprentissage des habiletés complexes et le modèle de la conscience accrue (Ellis, 2001). Nous chercherons des évidences empiriques en faveur de l'un ou l'autre de ces modèles afin de proposer une solution à ce débat. Nous aborderons d'abord, dans le chapitre I, le modèle de l'apprentissage des habilités complexes soutenu par DeKeyser (1997, 1998), modèle inspiré directement de la psychologie cognitive et qui soutient un enseignement traditionnel des L2. Puis, dans le chapitre 2, nous verrons le modèle de la conscience accrue soutenu par Rod Ellis (1993a, 1993b, 1994, 1998; Fotos & Ellis, 1991; Fotos, 1993) qui se veut une position intermédiaire entre l'approche naturelle (ou non-interventionniste) et l'enseignement grammatical explicite traditionnel. Dans ces mêmes chapitres, nous traiterons de deux autres sujets-clés dans ce débat, c'est-à-dire les patrons de développement d'une L2 et l'hypothèse de la saisie.

Dans le chapitre 3, nous aborderons la proposition de VanPatten (1992, 1996, 2002, 2004) sur l'enseignement par le traitement de l'input avec deux objectifs en tête : l'analyse de cette intéressante option dans la pratique de classe en enseignement des L2 et la réponse à la question suivante : est-ce que la pratique de classe devrait être plus axée sur la compréhension ou sur la production ?

Au chapitre 4, il sera question de la pédagogie basée sur la tâche (Long & Crookes, 1992; Prabhu, 1987; Robinson, 2001; Skehan, 1996, 1998b). Dans cette approche, qui fait partie de la catégorie de l'attention sur la forme, la pratique de classe prend une importance primordiale en ce sens qu'il s'agit d'un enseignement qui n'est constitué que de pratique, et où la présentation grammaticale est minime, voire inexistante. Dans ce chapitre, nous verrons comment un syllabus basé sur la tâche peut être élaboré.

Il ressort de la présente revue des écrits un débat de fond entre les différentes orientations prises par les chercheurs en didactique des langues. Dans le chapitre 5, nous tenterons de prendre position sur les sujets controversés tels que le degré d'importance qu'il faut accorder au sens et à la forme, le rôle de l'enseignement explicite et finalement, s'il est préférable que la pratique de classe soit réalisée de façon proactive ou réactive, c'est-à-dire avec ou sans objectif linguistique pré-déterminé ?

En conclusion, nous formulerons les recommandations pédagogiques qui surgissent de l'ensemble des propositions abordées, et il sera question des directions vers lesquelles la recherche en didactique des langues devrait orienter ses investigations.