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Samizdat


Annexe A

Le débat Tissot-Guthrie et la distinction science/religion.





Eclaircissons le sujet du débat Tissot-Guthrie. Tissot affirme (voir la note no. 22) que la distinction religion/science que tente d'établir Guthrie n'est pas valable parce que la science fait usage, elle aussi, de projections anthropomorphiques en ce qu'elle projette un trait humain sur la réalité: la rationalité. On peut représenter son argument de la manière suivante.

Tissot: La science inclue la projection anthropomorphique .


Guthrie, pour sa part, indique qu'il n'est pas d'accord avec l'affirmation de Tissot qu'il y a, dans la science, une projection de rationalité de l'esprit humain sur la réalité. D'aprés Guthrie la projection (Guthrie utilise le terme "isomorphism") n'a lieu qu'entre modèles et phénomènes particuliers. Le modèle est bien identifié par Guthrie comme étant un produit de l'esprit humain. Etant des produits de l'esprit humain, les modèles doivent à mon sens être assimilés à celui-ci, ils ne peuvent qu'en faire partie. Les modèles sont construits dans l'esprit humain, ils n'ont aucune existence indépendante. Guthrie, dans le texte du moins, ne laisse pas entendre non plus qu'il faudrait les envisager autrement ou s'il faudrait les situer ailleurs. Les phénomènes particuliers, quant à eux, ne sont pas définis. On ne donne aucune indication quant à leur source ou à leur localisation (par rapport à l'esprit ou la réalité). Etant donné que l'argument de Guthrie repose sur l'insertion des termes "modèle" et "phénomène particulier" il est essentiel qu'il précise le sens de ces deux termes, ce qu'il n'a pas fait. On peut représenter ainsi l'argument de Guthrie.




Trois solutions s'offrent à nous ici tout de même quant à la localisation ou la source des phénomènes particuliers. Premièrement que les phénomènes particuliers sont aussi des produits de l'esprit humain. Deuxièmement, que les phénomènes particuliers font partie de la réalité et troisièmement qu'ils sont situés ailleurs. Tenant compte maintenant de l'indétermination du sens du terme phénomène particulier et de l'inclusion des modèles dans l'esprit humain voici comment on pourrait représenter l'argument de Guthrie.




A mon avis la première solution me paraît la seule valable. Ceci, en bonne partie sans doute à cause de mes préjugés constructivistes/relativistes (la réalité ne nous dit pas "Voici un phénomène particulier!" Ils sont construits tout autant que les modèles), mais aussi parce que c'est la seule solution qui soit cohérente avec la négation de la projection d'une rationalité de l'esprit humain sur la réalité postulée par Guthrie. La deuxième solution me paraît incompatible avec la position adoptée par Guthrie ci-dessus parce qu'elle réduirait son argument à un jeu de mots du genre suivant: "S'il est inacceptable que la réalité soit sujette à des projections anthropomorphiques il suffit de biffer l'énoncé Esprit (incluant modèles) --> Réalité et proposer plutôt Esprit (incluant modèles) --> phénomènes particuliers. " Une telle solution, au fond, ne fait que maintenir l'énoncé Science = projection de la rationalité de l'esprit humain sur la réalité parce qu'on ne fait qu'échanger le mot Réalité contre les mots phénomènes particuliers. L'anthropomorphisme demeurerait ainsi inhérent à la science, ce qui est irrémédiablement incompatible avec la distinction science/religion que tente d'établir Guthrie. La troisième solution ferait inévitablement appel à des divinités ou à des Idées éternelles comme celles postulées par Platon. Ceci renvoie au fait que si les phénomènes particuliers ne peuvent être localisés ni dans la réalité, ni dans l'esprit humain alors où? Quel serait leur support? Je serais plutôt surpris que Guthrie prenne partie pour les Idées éternelles.

Si effectivement le choix de Guthrie pour la définition des phénomènes particuliers se portait vers la première solution énoncée plus haut, alors il faudrait se rendre compte qu'une telle définition de la science laisse entendre que celle-ci peut très bien se passer de la réalité. Tout se passerait ainsi dans la tête des chercheurs, la rationalité des modèles scientifiques ne serait que celle de l'esprit humain. La science, ainsi conçue, n'aurait pas besoin d'un lieu de contact avec la réalité (l'importance de ce lieu de contact est examinée au chap. IV), ce qui nie le rôle capital joué par l'expérimentation dans les sciences naturelles depuis 300 ans.


Annexe B

Quelques remarques sur l'usage de la notion d'entropie dans cet essai.




Ayant quelque peu précisé la forme de l'interaction entre systèmes idéologico-religieux et les processus entropiques dans le chapitre II de cet essai, je voudrais maintenant tenter de résoudre quelques questions résiduelles. Il se peut que certains, après la lecture des pages qui précèdent soient d'avis que j'y ai fait un usage illégitime de la notion d'entropie, que cette approche implique, au fond, une extension abusive de la notion d'entropie. En fait, l'approche exposée dans les pages précédentes n'implique pas le développement d'une nouvelle définition de l'entropie, elle implique plutôt l'application des trois définitions de l'entropie, telles qu'elles existent déjà dans les sciences naturelles, dans le contexte plus large des faits culturels en général, mais aussi, et plus particulièrement, dans le contexte des systèmes idéologico-religieux. L'individu et la société, en tant que consommateurs d'énergie, sont sujets au processus entropique (=perte d'énergie utilisable), l'individu et la société sont aussi structurés et producteurs de structures (architecturales, artistiques, sociales, biologiques, etc. ) qui sont toutes sujettes à l'entropie (=processus de désordre croissant). L'individu et la société sont aussi producteurs, transmetteurs et receveurs d'informations, processus qui sont tous sujets à l'entropie (=dégradation croissante de l'information). Quant à savoir si l'usage fait ici de la notion d'entropie constituerait une extension 'abusive', il faudrait noter simplement que la notion d'entropie, développée d'abord dans le contexte de la thermodynamique classique, a subi déjà deux extensions majeures à des champs de recherche distincts, c'est-à-dire dans le cadre de la thermodynamique statistique et de la théorie de l'information[1].

Jeremy Rifkin, qui regarde la question d'un point de vue énergétique, est d'avis que l'entropie constitue une contrainte de base pour toute activité humaine. (Rifkin 1981:241)

En sciences sociales, depuis quelques années certains chercheurs ont commencé à appliquer la notion d'entropie à l'étude de divers phénomènes culturels. Les sémioticiens russes en particulier ont utilisé la notion d'entropie, à partir de sa définition en théorie de l'information, dans l'étude de la transmission de textes (ou d'informations) culturels, ce qui leur donne une perspective assez originale sur ce qu'est la culture elle-même comme nous le verrons ici. (Lotman 1970:124)

Pierre Maranda, qui envisage la culture à peu près de la même manière que Lotman, est d'avis que l'étude des processus anti-entropiques impliqués dans la culture est, au fond, caractéristique du structuralisme. (Maranda 1972:331)

D'autres chercheurs se sont intéressés aux implications économiques de la loi de l'entropie, Léon Brillouin (1964:19), par exemple, indique qu'il y a sans doute un lien entre la valeur économique d'un bien et le fait que son utilité, qui existe en fonction de sa structure, est soumise aux processus entropiques. Nicolas Georgescu-Roegen, qui a écrit un livre fort intéressant sur les implications économiques de la loi de l'entropie, indique qu'un niveau peu élevé d'entropie[2] est en fait une condition minimale pour qu'un objet ait une quelconque valeur économique (Georgescu-Roegen 1971:277-278). Quant à la notion économique de rareté, Georgescu-Roegen développe le point de vue suivant: (Georgescu-Roegen 1975:132)

Dans le domaine de la linguistique, certaines données historiques laissent aussi entendre que les langages humains, en tant que formes d'ordre, sont aussi soumis aux processus entropiques. Micheal Harbin, dans un article discutant des hypothèses évolutionnistes sur les origines et le développement des langages humains, note au sujet du présupposé évolutionniste voulant que les langages primitives aient été plus simples que celles qui existent aujourd'hui que les données linguistiques dont nous disposons infirment ce postulat à deux niveaux, soit au niveau des caractéristiques morphologiques[3] et syntaxiques d'une langue. (Harbin 1982:54)

Bien que de telles données peuvent poser un problème quant à l'origine des systèmes linguistiques (si l'on postule un passage du simple au complexe), elles sont néanmoins aisément compréhensibles comme des évidences attestant que les processus entropiques affectent aussi les systèmes linguistiques. Notons que les données de recherche des sémioticiens russes sur les textes culturels slaves anciens semblent aussi confirmer cette perspective. (Ivanov, et al. 1974:146)

Certains lecteurs, plus habitués aux textes techniques sur l'entropie, auront peut-être remarqué dans cet essai l'absence des équations mathématiques qui accompagnent généralement les discussions scientifiques sur ce sujet et hésiteront, pour cette raison, d'accepter l'extension de la notion d'entropie à des phénomènes culturels. Il y a deux raisons pour cette absence. D'abord, je n'ai tout simplement pas la formation requise pour manipuler les expressions mathématiques déjà développées par les divers ingénieurs pour traduire la notion d'entropie, encore moins pour tenter de démontrer en termes mathématiques comment, par exemple, l'entropie peut affecter un système idéologico-religieux. Le problème fondamental ici, qui apparaît lorsqu'on tente d'appliquer la notion d'entropie dans le cas des processus culturels, c'est que ces processus sont (en contexte) énormément plus complexes que ceux étudiés dans le cadre de la thermodynamique classique, statistique ou encore dans la théorie de l'information. Comme nous l'avons noté plus haut, il arrive souvent que les phénomènes culturels impliquent les trois types de processus entropiques en même temps[5]. On n'a qu'à consulter l'essai Thick Description: Toward an Interpretative Theory of Culture de Clifford Geertz où l'on donne, comme exemple de la complexité de la culture, le récit du Juif Cohen[6] qui en 1912, au Maroc central, se fit voler des marchandises et qui, en récupérant son indemnisation, se fit emprisonner par les militaires français pour cause d'espionnage, pour se rendre compte des multiples niveaux de sens qui doivent être pris en considération si l'on veut comprendre ce qui se passe dans un contexte culturel donné[7]. Cette complexité ne peut que rendre la mathématisation de ces phénomènes très difficile, peut-être pas impossible, mais certainement plus complexe que les formulations développées jusqu'ici pour l'étude de l'énergie, des structures ou de l'information.

Il y a quelques années on croyait que les organismes vivants, par leur capacité de croître et de se reproduire, étaient l'incarnation d'un principe allant à l'encontre de l'entropie. Plus tard, lorsqu'on a commencé à avoir plus de connaissances sur les phénomènes en cause, on a vu que ceci n'était pas le cas et qu'en fait l'édification et le maintien de structures dans les organismes vivants se fait toujours aux dépens d'une consommation/destruction d'autres structures et par la conversion d'énergie disponible en énergie non-disponible[8]. Pour ce qui est des faits culturels, la situation me semble à peu près identique, un jour peut-être on sera en mesure de rendre compte de la complexité de ces faits en termes énergiques, structuraux, et informatiques (et le tout sans réductionnisme?.... ), mais en attendant nous pouvons, sans présomption je crois, explorer les implications générales des contraintes entropiques sur les faits culturels tels que les systèmes idéologico-religieux.

Un problème qui n'a pas été abordé jusqu'ici se rapporte au fait que si l'on considère que les faits culturels sont tous sujets à l'entropie, comment rendre compte de l'apparition de structures nouvelles (originales)[9]: innovations technologiques, nouvelles idéologies, nouvelles langues, oeuvres littéraires, artistiques, etc....? Sommes-nous en présence d'un processus qui va du simple au complexe ? Pas tout à fait, si on prend la question d'un point de vue informatique, nous pouvons dire que cette capacité de créativité humaine existe et se réalise 'sur le dos' de l'information qui se trouve dans la structure du cerveau humain[10]. D'ailleurs, d'après nos connaissances actuelles cette 'capacité de programmation' serait, dans l'ensemble, encore très mal exploitée, apparamment en générale on n'utilise pas plus de 10% de notre potentiel cérébral. Il semblerait donc que nous pouvons postuler l'existence de vastes ressources 'd'information'[11] (liées à la structure du cerveau) qui, lorsque mises dans un contexte culturel normal (?)[12], permettent la réalisation de structures nouvelles. Wilder-Smith est d'avis que l'apparition de nouveautés culturelles ne contredit en rien la 2e loi de la thermodynamique, mais que ces 'apparitions' se font sur le dos de la capacité du cerveau humain à convertir des calories en idées. (Wilder-Smith 1970:153)

Un dernier point reste à préciser sur cette question. Si l'on suppose que le cerveau humain, en tant que structure, serait aussi sujet aux processus entropiques, ce qui est difficilement évitable (à moins de postuler que le cerveau humain ne dépend pas de principes physiques ou chimiques connus... ce qui ne laisse que le surnaturel), ceci nous amène à deux constats sur cette structure dans le temps. Si l'on projette dans le futur ceci nous amènera à la conclusion quelque peu pessimiste qu'à très long terme le cerveau (comme le reste en fait, la génétique et tout...) finira par se dégrader et se désintégrer, à moins bien sûr, qu'un jour nous arrivions à le comprendre et parvenir à le rafistoler (avant que la pollution et les radiations de nos 'pétards' nucléaires nous achèvent... bien sûr). De l'autre côté, si l'on projette dans le passé, et si l'on ne tient compte que des lois physiques connues, nous devons supposer (à moins d'interventions surnaturelles encore) que le cerveau soit, minimalement une structure qui était aussi complexe qu'aujourd'hui, ou, et c'est plus probable d'un point de vue de la thermodynamique statistique, que le cerveau avait une structure plus complexe qu'aujourd'hui[13]. Ceci n'impliquerait pas nécessairement que nos lointains ancêtres auraient été plus intelligents que nous, mais que le potentiel de leurs structures cérébrales aurait été plus élevé.

L'idée qu'il y aurait eu une plus grande 'perfection' des structures dans le passé n'est pas tout à fait nouvelle, le physicien Eddington y avait pensé il y a déjà assez longtemps. Paul Chambdal, discutant des recherches de ce dernier, indique: (Chambdal 1963:205)

La situation que nous venons de décrire ici pour l'existence du cerveau, en tant que structure, dans le temps serait quelque peu analogue à celle d'un groupe de bébés-éprouvettes qui émergeraient d'une forteresse souterraine et qui se retrouveraient les seuls survivants d'un holocauste nucléaire qui aurait détruit toute autre vie humaine. En explorant leur forteresse, ils finissent par trouver un énorme ordinateur qui leur a été légué afin de reconstruire la culture humaine dans l'éventualité de la destruction de la race humaine. Malheureusement ils découvrent que toutes les mémoires ont été effacées, sans doute à cause de certaines radiations qui ont pu s'infiltrer jusque là. L'ordinateur conserva malgré tout sa capacité de programmation et d'emmagasinage d'informations et celles-ci serviront, par essai et erreur, à la reconstruction de la culture humaine, mais de manière passive seulement. Ces capacités resteront néanmoins toujours sujettes à la 2e loi et il y aura donc une graduelle détérioration de ces capacités à long terme. Si nous considérons la créativité humaine du point de vue développé ci-dessus nous ne voyons finalement aucun problème d'ordre thermodynamique; le problème est ailleurs. Ce qui 'cloche' ici c'est que les implications des lois de la thermodynamique semblent en contradiction avec certains présupposés évolutionnistes (développement de la vie à partir du simple au complexe), mais tous les récits/théories mythiques ont leurs lacunes, il ne faut pas trop s'en faire pour ça[14].



Annexe C

La notion de l'ordre-dans-le-monde





En Europe la notion de l'ordre-dans-le-monde prit forme pour la première fois dans l'analogie de l'horloge et l'horloger (populaire surtout chez les Anglais). Selon les conceptions judéo-chrétiennes, le monde est distinct de Dieu et, étant créé, il lui est inférieur. D'après cette analogie, le monde peut être considéré comme une grande horloge, avec ses lois et mécanismes, qui aurait été créée par un grand Horloger et ensuite laissée à elle-même, à fonctionner d'après les lois dictées par l'Horloger. Etant donné l'intelligence supérieure du Créateur l'on s'attendait à ce que les lois dictées par l'Horloger dans la nature soient partout les mêmes (ce qui n'était pas le cas pour Aristote) et, étant donné que le Créateur avait créé l'homme à son image, on avait l'attente que ces lois soient compréhensibles à l'homme. Barbour remarque ici que certains aspects de la doctrine judéo-chrétienne de la création eurent un impact profond sur l'empirisme à venir. (Barbour 1966:46-47)

Remarquons que l'analogie du monde comme horloge s'opposait franchement aux conceptions gréco-romaines classiques (et à beaucoup de croyances paîennes courantes chez les peuples européens non-éduqués et semi-christianisés du moyen âge) chez qui les forces de la nature étaient personnifiées et soumises aux caprices des dieux ou à ceux d'un destin inexorable et insondable. L'apparition de la physique de Newton, s'inspirant de l'intuition de l'analogie du monde comme horloge, fit une telle impression sur les esprits à l'époque qu'on en vint rapidement à l'exploiter pour remettre en cause jusqu'à la nécessité des interventions divines dans le présent. Dieu était-il actif encore ? Etait-il même nécessaire ? Les miracles étaient-ils possibles ou Dieu lui-même était-il soumis à cet ordre-dans-le-monde ? Avec la montée du Déisme, le rôle joué par/accordé à Dieu devint de plus en plus réduit à celui de Cause Première (d'Architecte divin à la retraite). Par ailleurs, Barbour relate (1966:42-43) que le rôle diminué de Dieu dans la cosmologie scientifique avait beaucoup à voir avec l'insuffisance du 'Dieu bouche-trou' ("God of the gaps") invoqué par Newton pour rendre compte (et s'assurer de l'activité présente de Dieu) de problèmes concernant la configuration des orbites des planètes et d'autres phénomènes célestes inexplicables à l'époque. Plus tard on se rendit compte qu'il n'était nullement nécessaire d'invoquer l'activité divine pour boucher les 'trous' dans la connaissance et que les données d'observations plus précises fournissaient des explications suffisantes. A mon avis l'élimination graduelle de l'idée de Dieu dans la cosmologie scientifique peut être expliquée assez aisément par la montée, au siècle des 'Lumières' (et subséquemment), dans la communauté scientifique, de systèmes idéologico-religieux matérialistes, montée concomitante avec l'apparition de la notion d'une 'Vérité' scientifique (déjà présente à l'état larvaire chez Newton apparemment), sans faire appel aux récits de 'découvertes scientifiques' démontrant l'inexistance de Dieu, c'est-à-dire à la mythologie rationaliste.

Comme je l'ai indiqué au début de l'annexe, l'analogie de l'horloge n'était que la première forme prise par le concept de l'ordre-dans-le-monde, dans une citation au chapitre I de Mary Hesse (voir section sur Vallée) deux autres expressions de ce concept sont données. Comme l'atteste la citation suivante, l'intérêt pour l'ordre-dans-le-monde n'est pas qu'une bizarrerie médiévale. (Régis 1960:150-151)


Annexe D

Le rôle de la notion de vérité dans les sciences contemporaines.





Bien que la plupart des épistémologues contemporains soient d'avis que la recherche de théories démontrées ou prouvées est dépassée, il reste que l'objectif de la vérité en science ne semble pas l'être. Popper explique ici son importance. (1973:29-30)

Dans la citation qui suit, Putnam nous expose les liens reliant la notion de vérité, l'aspect cumulatif de la science et le réalisme. (in Hesse 1977:270-271)

" In a paper entitled "What is Realism ? " Putnam has argued that without the assumption that that there is some accumulation, progress, or convergence of scientific theories towards the truth, the success of science in correctly predicting observable phenomena would be a miracle. He therefore regard a realism that safeguards such a convergence as an explanation of success of science. 'Explanation' seems to be used here in a 'metaphysical' rather than scientific sense, for Putnam does not claim that it would not be falsified by any empirical facts (for example it would not be falsified if science ceased to give successful predictions, for that might only mean that our scientific theories were not good enough). Neither is realism entailed by scientific success, because science might after all be a miracle. But realism is part of a set of sufficient conditions for success, without which predictions and scientist's belief in science seems to be irrational. "


Annexe F

Quelque réflexions sur l'universalité du phénomène religieux





Une question qui n'a pas été abordée jusqu'ici dans cet thèse mais qui devrait être traitée dans tout essai général sur la religion est la suivante: Si la religion est un phénomène universel, à quoi cela est il dû ? Ou, encore, existe-il un besoin/capacité universelle expliquant l'existence des systèmes idéologico-religieux ? Sur ce point, je dois l'avouer, je ne peux rien affirmer, je dois me contenter de suggérer des possibilités d'explications.

Comme bon nombre d'anthropologues et d'autres chercheurs intéressés par ces questions, je suis d'avis qu'il est fondé de postuler que les systèmes idéologico-religieux sont le résultat d'un comportememt rationnel fondamental chez l'homme. Maranda note simplement sur ce point: (1979:254)

Une hypothèse qui est en train de prendre forme en sciences sociales, et qui me paraît vraisemblable, postule que les divers phénomènes culturels, dont la religion, existent grâce à un mécanisme très flexible, permettant l'acquisition de la culture qui serait similaire à celui postulé par Chomsky pour l'acquisition du langage. Gregerson explique: (1977:93)

De même qu'il y aurait une capacité innée d'acquérir une langue, nous pourrions supposer qu'il existe une capacité/besoin de formuler ou d'apprendre un système idéologico-religieux et qui serait aussi fixée dans le 'schéma' de base du cerveau humain[16]. Les divers systèmes idéologico-religieux constituent ainsi, en quelque sorte, des 'programmes[17]' qui peuvent être 'entrés' dans le mécanisme d'acquisition de la culture et chaque 'programme' complet proposerait sa (ou ses) propre(s) stratégie(s) expliquant et tentant de résoudre ou prévoir la tendance universelle au désordre. En l'absence d'un tel 'programme' un individu (ou groupe), avec l'aide du mécanisme (et d'un peu de chance), pourra 'bricoler' un système idéologico-religieux original à partir d'éléments cosmologiques épars disponibles dans son environnement culturel, les cultes du cargo seraient vraisemblablement un exemple typique d'un tel processus.

Ce que j'ai appelé plus haut le besoin de systèmes idéologico-religieux correspond au besoin fondamental de sens qu'ont les humains. Ce besoin est souvent manifeste chez les jeunes enfants qui demandent incessamment pourquoi... pourquoi... pourquoi... les choses sont comme ça . Van der Leeuw illustre de manière quasi-poétique, ce que ce besoin implique. (1955:663)

Notons aussi que cette structure cognitive fondamentale (hypothétique) permet de résoudre un problème que rencontera vraisemblablement toute approche affirmant l'importance des systèmes idéologico-religieux dans la praxis sociale. Le problème c'est que cette affirmation peut parfois aboutir à une détermination presque hermétique du réel par le sens, détermination analogue à celle postulée vis-à-vis les paradigmes linguistiques par l'hypothèse Sapir-Whorf. Augé, par exemple, en discutant de l'écart entre règles idéologico-religieuses et pratiques réelles, semble aboutir à une telle position. (1975:399)

En soi, une telle position ne peut expliquer cette capacité qu'ont les humains d'apporter des modifications importantes à un système idéologico-religieux, voire celui qui leur permet de subir avec succès le processus de déracinement et de restructuration épistémologique radical qu'implique généralement le passage d'un système idéologico-religieux à un autre, processus communément appelé conversion. En tant que 'capacité de programmation', la structure cognitive fondamentale du cerveau peut expliquer ces phénomènes en ce qu'elle fournit une structure neutre et très complexe capable de traiter l'information impliquée dans ces processus. Bien sûr, cela n'explique pas les causes d'un changement idéologico-religieux particulier, mais ça explique, en général, pourquoi ces changements peuvent se produire du tout.


Taxonomie des concepts utilisés dans cette thèse.





(A)

Religion

Système idéologico-religieux réussi

Idéologie

Culture


(B) formes magie religion science idéologies philosophie

* incomplète * * *



réalisme

scientifique


(C) modes de analogie homologie vrai-faux bien-mal naturel-surnaturel

pensée exclusivisme syncrétisme pouvant dans certains cas former des systèmes id.-rel. indépendents.

3



Notes

[1]- ... pour ne parler que des extensions majeures de la notion d'entropie. Il faut noter aussi d'autres extensions qui ont eu lieu à l'intérieur des sciences naturelles, puisque la notion d'entropie (la 2e loi) a été énoncée d'abord en rapport avec l'utilisation d'énergie dans des machines à vapeur. Léon Brillouin explicite ce point. (Brillouin 1964: 9)

[2]- La chose peut être envisagée à partir de n'importe laquelle des trois définitions de l'entropie: énergique, structurelle, ou informatique.

[3]- Ce terme est traduit dans la citation qui suit par le mot "accidence".

[4]- La désintégration des langues dans le temps, est explorée de manière détaillée dans un article par Stanley Rice: The Origin of Language leaves Evolutionists Speechless (1976).

[5]- En fin de compte ceci s'applique à l'accomplissement de tout travail utile puisque celui-ci implique nécessairement une dépense d'énergie, une structure quelconque (le corps humain et/ou une machine, et un outil) et un apport d'information/intelligence... puisque par définition un travail utile peut se faire au hasard. Tous les processus décrits ici impliquent des dégradations entropiques.

[6]- Voir les pp. 5-10 de l'essai en particulier.

[7]- Lotman donne un exemple de la complexité de la culture en rapport avec la sémiologie. (1977:214)

[8]- Certains croient qu'il suffit de dire que les organismes vivants sont des systèmes ouverts (c'est-à-dire un système où il est possible d'introduire de l'énergie) pour rendre compte de leur capacité d'édifier et de maintenir des structures, mais ce n'est pas tout à fait suffisant. Il faut aussi tenir compte du fait que pour qu'un apport d'énergie soit utilisable, il faut qu'il y ait un méchanisme approprié pour capter et transformer (ex. le chlorophylle dans une feuille) l'énergie qui est introduit dans le système. L'énergie introduit au hasard dans un système risque beaucoup plus de contribuer à la dégradation du système qu'à son maintien. Quant à la croissance en complexité d'un organisme vis-à-vis les procesus entropiques Wilder-Smith indique ceci: (1970: 147)

à ce sujet voir aussi E. Schrödinger (1967: 82).

[9]- Ce problème a d'ailleurs été posé par Roy Wagner vis-à-vis l'utilité de la notion de système dans les études faites sur divers aspects de la culture humaine en anthropologie. Il note: (1978: 207-208)

[10]- En termes grossiers, équivalent au ROM d'un ordinateur électronique.

[11]- A. Rapoport est d'avis que tout organisme vivant (non seulement un cerveau) renferme, dans ses structures et organes, de l'information. (1966: 55)

Iouri Lotman développe une idée similaire quant à l'étude des objets matériels des cultures humaines, voir (Lotman 1977: 213).

[12]- Je ne suis pas tout à fait sûr si c'est le terme approprié.

[13]- Ceci tient à ce que toute structure dans le temps est affectée par la tendance vers le désordre, ce qui implique que, minimalement, nous devons supposer que les structures du cerveau étaient au moins aussi complexes qu'aujourd'hui, mais, étant donné qu'il est très peu probable qu'une structure existant sur une très longue période de temps évite une certaine désintégration, il est plus probable (surtout si l'on parle en termes de millions d'années) que cette structure était plus complexe que celles que nous connaissons aujourd'hui.

[14]- Burridge remarque à ce sujet: (1973: 25)

Le lecteur irrité ou intrigué par ces affirmations aura sans doute profit à lire le volume édité par Moorehead et Kaplan (1967): Mathematical Challenges to the Neo-Darwinian Interpretation of Evolution ou encore celui par Wilder-Smith où il développe une critique des diverses théories évolutionnistes à partir de nos connaisances actuelles en thermodynamique et des systèmes cybernétiques. Le recueil de Williams (1981) pourra s'avérer fort utile sur cette question aussi; on y discute, entre autres, des rôles des mutations, des systèmes ouverts et aussi de la théorie d'I. Prigogine (voir les pp.34-110 en particulier).

[15]- Voir aussi les commentaires de Mary Black à ce sujet à la note no. 81. D'autres chercheurs ayant des points de vue à peu près identiques (bien qu'exprimés de manière différentes dans certains cas) sont Geertz (1973: 99), Lévi-Strauss (1962: 17), Augé (1975: 414), Maquet (1964: 14) et Firth (1964: 257).

[16]- Comme nous le fait constater Schwimmer, cette structure n'est pas nécessairement binaire. (1977: 164)

[17]- Une telle conception des systèmes idéologico-religieux n'est pas tout à fait nouvelle, les sémioticiens russes l'ont déjà suggérée pour les productions culturelles en général (voir Ivanov et autres 1973: 143-144) et Geertz aussi l'a avancée plus spécifiquement pour les idéologies et religions (Geertz 1973: 216).

[18]- Cette notion me paraît plutôt ethnocentrique.