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Samizdat


Chapitre II

Proposition d'une définition décloisonnée de la religion





Table des matières

- cheminements

Afin de mieux situer la définition du phénomème religieux qui sera proposée dans les pages qui suivent, je voudrais rendre compte brièvement des recherches qui m'ont conduit jusqu'ici. D'abord, dans un premier essai sur le sujet (Gosselin 1981: 9) j'avais établi une définition de la religion se rapprochant de celles élaborées par Goodenough, Geertz et Augé et qui y voyaient un système cognitif ayant comme objectif la proposition, à l'intérieure d'un cadre conceptuel ou cosmologie, d'une solution au problème humain fondamental: l'aliénation. Au cours de discussions précédant la rédaction de ce texte, il s'est avéré que l'application de la notion d'aliénation était problématique en dehors de l'Occident. Qu'est-ce au juste que l'aliénation? La mort + la douleur + le conflit + ... ? Est-ce une 'catégorie' universelle? Comment découper le spectre des comportements humains de chaque société de manière à identifier ce 'quelque chose' que tous auraient en commun? Tournant autour du thème général de la souffrance, cette notion risquait, à long terme, de devenir une catégorie étic formelle imposant un contenu culturel occidental sur les discours religieux des autres. Il fallait donc reprendre cette question.

Dirigeant d'abord mes recherches sur ce point vers divers essais anthropologiques sur 'la nature humaine' et les universaux culturels, je n'ai pas trouvé, là non plus, de quoi cerner la question. Graduellement, abandonnant l'idée d'aborder 'l'aliénation'[1] comme une catégorie psychologique ou de comportement universel (identifiable a priori) j'ai cherché quelque chose qui ressemblerait plutôt à un .pn on processus ou encore à une praxis universel. Au cours de mes recherches, j'avais derrière la tête l'idée que les gens partout ont des problèmes, qu'ils doivent tenter de résoudre avec les croyances/moyens qu'ils ont sous la main, et qu'il n'y a, nulle part, de société parfaite[2]. Mais comment fonder une approche théorique sérieuse sur quelque chose d'aussi vague que le fait que les gens partout ont 'des problèmes'? C'est à la suite de ces réflexions que je me suis tourné vers la 2e loi de la thermodynamique, c'est-à-dire l'entropie, et ses implications sociales.



- l'entropie ?

Mais qu'est-ce au juste que la notion d'entropie et à quoi sert-elle dans les sciences exactes? Les lois de la thermodynamique sont parmi les lois scientifiques les mieux démontrées. Jeremy Rifkin, dans un volume à ce sujet, remarque: (1980: 42)

Les lois de la thermodynamique ont été développées initialement au 19e siècle en rapport avec diverses recherches entreprises à cette époque pour comprendre comment se faisait la transformation de l'énergie calorique (la chaleur) en travail dans une machine à vapeur. La première loi postule qu'avant ou après toute réaction ou accomplissement de travail à l'intérieur d'un système fermé la quantité d'énergie demeure toujours la même. La deuxième loi établit que la qualité de cette énergie se dégrade de manière irréversible, c'est-à-dire que dans tout processus il y a une partie de l'énergie dépensée ou produite qui se dissipe (par frottement, irradiation, etc... ) et qui devient irrécupérable. Ainsi, dans ce contexte, l'entropie exprime une mesure de l'énergie non-disponible. Voyons un exemple d'Isaac Asimov: (1979: 171-172)

Rifkin remarque (1980: 35) qu'un travail peut être accompli seulement lorsque de l'énergie passe d'un état de concentration élevé à un état de concentration moindre ou encore de haute à basse température. Plus important encore, à chaque fois que l'énergie passe d'un niveau à un autre, il en résulte que moins d'énergie sera disponible ou récupérable pour accomplir un travail à une autre occasion. Si l'on prend, par exemple, une certaine quantité d'eau passant au-dessus d'un barrage et tombant dans un lac, l'eau, en tombant peut être utilisée pour faire tourner une roue et ultérieurement, accomplir un quelconque travail mécanique, mais une fois dans le lac, l'eau n'est plus en état d'accomplir aucun travail utile, l'énergie qu'elle contenait s'étant dissipée. L'homme peut, bien sûr, intervenir et entreposer cette énergie sous une forme ou une autre (pile électriques, ressorts, etc.), mais il ne peut que ralentir le processus qui, à long terme, fera que l'entropie ou l'énergie non-disponible sera maximum.

Notons que depuis son développement à l'intérieur du cadre de la thermodynamique classique la notion d'entropie a été reprise et appliquée à deux autres champs de recherche distincts. D'abord, dans la thermodynamique statistique (qui fut développée principalement en rapport avec la théorie cinétique des gaz), l'entropie est une mesure du désordre ou de probabilité croissante dans la structure d'un système et, plus récemment, dans la théorie de l'information où l'entropie est utilisée comme une mesure de la perte d'information qui se produit dans toute transmission de message codé dans un canal quelconque. Dans chaque cas l'entropie est comprise comme un processus irréversible, à moins d'intervention extérieure au système.

Illustrons ce que signifie la notion d'entropie comme mesure de désordre. (Asimov 1979: 176-177)

Williams explique le rapport entre probabilité et désordre: (1981: 19)

Quant à la définition de l'entropie telle qu'elle est utilisée en théorie de l'information (comme une perte d'information) voyons un passage de Joël de Rosnay. (1975: 171)

En thermodynamique statistique et en théorie de l'information on parle aussi de néguentropie (entropie négative) qui est exprimée comme l'inverse de l'entropie et correspond généralement à une forme d'ordre (une structure) ou d'information. Remarquons que dans chacun des domaines de recherche mentionnées ci-dessus il y a toute une panoplie d'expressions mathématiques qui servent quotidiennement d'instruments de travail aux ingénieurs oeuvrant dans ces spécialités. On constate qu'en sciences le critère le plus important permettant de valider l'extension (par analogie[3], notons-le) de la notion d'entropie d'un domaine à un autre, c'est la démonstration de l'équivalence mathématique des deux définitions.

Remarquons que dans beaucoup de textes, scientifiques et non-scientifiques, on parle d'entropie de manière générale sans préciser laquelle des trois définitions est utilisée. Par exemple, souvent on voit affirmer "dans tous les cas X l'entropie augmente"... sans spécifier de quel type d'entropie il est question. Dans le cas d'une société humaine, les choses se compliquent considérablement, puisque les trois types d'entropie peuvent y être vus en action, et souvent tous au même moment. Il y a d'abord un effort continu qui doit être soutenu par toute société pour fournir de l'énergie de manière à faire fonctionner les divers mécanismes de production de la société[4] (entropie=énergie inutilisable). Ensuite, cette même société doit encore fournir de l'énergie (et de l'information/intelligence) supplémentaire de manière à maintenir les divers mécanismes de production en état de marche (entropie=désordre)[5]. Et, dernièrement, cette société doit fournir un contexte ou une institution où elle peut maintenir et reproduire son savoir, soit idéologique, soit technologique ou artistique (entropie=perte d'information); en Occident cette institution c'est l'école. A vrai dire, il est probable que pour tout processus de production ou de reproduction social se déroulant sur une période de temps qui dépasse l'instantané, les trois types d'entropie seront en action simultanément.

Si l'on reprend l'exemple de l'école, nous verrons que, d'abord l'école nécessite un apport continuel d'énergie servant au fonctionnement normal (ou minimal) de l'institution (entropie=énergie inutilisable) et qui se traduit en frais de chauffage et d'électricité, des dépenses pour les matériaux d'enseignement et les salaires du personnel[6]. A un deuxième niveau, l'école nécessite un autre apport d'énergie qui est employé pour maintenir les structures de l'institution école, c'est-à-dire réparations et entretien de l'édifice, remplacement ou réparation du matériel d'enseignement défectueux, etc... (entropie=désordre). Et dernièrement, l'école sert d'émetteur d'information, qui, en quelque sorte comme un système cybernétique (par des réactions de 'feedback') doit évaluer si l'information transmise a été reçue correctement ou non (entropie=perte d'information).



- une définition décloisonnée

Enonçons maintenant la définition du phénomène religieux et ensuite, procédons à expliciter les rapports entre le phénomène religieux et le processus entropique.

Eu égard aux contraintes de la thermodynamique, la religion serait donc un mécanisme culturel anti-entropique (plus ou moins adéquat selon les cas), fournissant d'abord une cosmologie, c'est-à-dire un cadre conceptuel, un "ordre" à l'intérieur duquel le monde qui nous entoure peut être interprété et compris et, ensuite une stratégie ou une logique propre, cohérente avec les présupposés impliqués dans la cosmologie, permettant de traiter les processus d'anti-ordre, l'entropie, sous ses divers aspects. La religion sera donc comprise ici comme tout système fournissant potentielement à la fois de l'ordre/du sens à tout ce qui existe et aussi une stratégie de traitement de l'entropie qui pourra mener soit à une 'lutte contre', soit encore à une 'acceptation de' ce processus.

Ainsi, afin de rendre compte de ces divers aspects du processus entropique et de leur interaction avec un système religieux prenons comme point de départ pour notre analyse une liste de phénomènes qui nous permettront de préciser quels types de liens peuvent être observés entre les processus entropiques dans une société et une religion. Notons immédiatement que les quatre niveaux du tableau qui suit (et les sous-niveaux qu'ils comprennent) ne sont que des catégorisations arbitraires; ils ne sont donc pas les seuls possibles. Le lecteur critique remarquera sans doute entre ceux-ci un certain chevauchement, à peu près inévitable puisque l'objectif ici n'est pas l'herméticité des catégories mais l'illustration.


Phénomènes aliénants pouvant affecter une collectivité et/ou un individu

Avant de procéder à l'explication de ce tableau je voudrais noter qu'il sera postulé ici qu'une religion, en tant que système de croyances, est une forme d'ordre, et par ce fait 'elle' se doit de lutter contre le processus entropique puisque celui-ci produit inévitablement dés-ordre et dé-signification[7]; nous expliciterons ce point de manière plus détaillée dans les pages qui suivront.



1-a Physique (nature): infirmités corporelles, famines, épidémies, catastrophes et la mort

Dans ce premier sous-niveau nous énumérerons plusieurs phénomènes qui contribuent tous de diverses manières à dégrader l'ordre[8] et l'information qui sont présentes dans une société et dans la physiologie[9] des individus qui la composent. Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de souligner le fait que la disparition physique des adeptes d'un système religieux ou d'une société constitue effectivement une des plus graves menaces que peut rencontrer une religion et que cela force ce système à développer des mécanismes lui permettant de traverser le passage des générations (méthodes de recrutement, cérémonies d'initiation, funérailles, etc.). Il est généralement admis aujourd'hui par exemple que la mort représente un accroissement important de l'entropie (désordre) d'un organisme vivant[10]. Voici quelques commentaires de Léon Brillouin à ce sujet. (1959: 48)



1-b Physique(culturel): guerres et tout conflit armé de manière générale.

La guerre et les conflits armés en général correspondent habituellement à de sérieux accroissements de désordres physiques affectant de manière assez évidente l'infrastructure d'une société et, dans le cas d'une invasion ou d'annexion de territoire, la superstructure y passe aussi.

Je crois qu'il serait utile de préciser la raison qui m'a poussé à distinguer entre les sous-niveaux du point 1, même si les processus en question conduisent tous à un accroissement physique de l'entropie (désordre). Elle est la suivante: dans le premier cas l'entropie est simplement le résultat de processus naturels, tandis que dans le deuxième, l'entropie résulte de la rencontre de deux (ou plusieurs) ordres ou systèmes sociaux ayant des objectifs antagonistes.



2-a Social (structurel): affaissement ou élimination de diverses institutions culturelles; soit langues, soit systèmes de croyances, soit systèmes économiques, administratifs, politiques, etc.

Comme dans le cas qui précède, l'affaissement ou l'élimination d'institutions constitue une accroissement de l'entropie (c'est-à-dire comme perte d'information surtout) mais il y a une différence. Dans le cas précédent, une destruction totale d'une société peut entraîner un accroissement permanent, c'est-à-dire irréversible, de l'entropie, mais dans le cas de la disparition d'une langue, par exemple, cela est généralement le résultat de l'imposition d'une autre langue et à première vue cela ne semble pas une accroissement de l'entropie mais tout simplement un échange, un ordre qui en remplace un autre... rien ne change, n'est-ce pas ? Pas tout à fait.

Prenons un cas hypothétique, le groupe A parlant la langue x se fait envahir par le groupe B parlant la langue y. Il se produit, après une période de temps, une élimination de la langue x. Si l'on prend le point de vue de la langue x (personnifions), la perte en information, que représente l'évanouissement de la langue x, est irrémédiable et le résultat est le même (pour la langue x) que si tous les sujets parlant le x avaient péri dans une déflagration nucléaire. Notons qu'en théorie de l'information, la notion d'entropie a souvent été utilisée pour décrire le bruit de fond (ou d'autres facteurs) d'un canal qui tend à détériorer l'information qui est transmise dans ce canal. On stipule, par ailleurs, en théorie de l'information (Weaver 1966: 17) que la transmission de n'importe quel message nécessite un code, et on peut considérer que si le code lui-même est éliminé par un événement quelconque, c'est assez évident que 'l'événement quelconque' aura contribué à augmenter l'entropie du système de manière très significative. Ainsi, de la même manière, si dans une épicerie X pourrit un sac de pommes cela représente un accroissement de l'entropie (mesurable probablement) et une perte économique pour le propriétaire, mais s'il survient un 'événement quelconque' qui détruit le système des marchés d'approvisionnement sur lequel dépend l'épicerie X cela constitue un accroissement de l'entropie beaucoup plus important (et probablement impossible à mesurer), et la même chose pourrait être dite pour les autres institutions mentionnées plus haut.



2-b Social (inter-individuel): animosités, mensonges, adultères, blasphèmes, meurtres, viols, trahisons, etc.

Ici nous nous éloignons des processus entropiques comme tels et nous nous approchons des processus de création d'ordre qui opèrent dans un système religieux. Dans ces processus de création d'ordre, toute religion se doit d'interdire certains comportements et d'en prescrire d'autres. Cela revient à dire que chaque religion a ses prescriptions et ses 'tabous'[11]. L'importance de ce processus s'explique par le fait que la religion est une forme d'ordre originale et comme telle elle doit, pour se maintenir, établir des catégories de comportement compatibles (admis) et incompatibles (non-admis) avec le système qui lui est particulier, sinon à long terme le 'bruit' des comportements risquerait de l'anéantir. Discutant de ce problème, Mary Douglas expose ce que cela implique pour les religions des sociétés primitives. (1966: 4)

Comme Douglas l'indique au début de cette citation, chaque système religieux 'fixe' et découpe le spectre des comportements humains selon les principes qui lui sont propres; ainsi ce qui apparaîtra comme répréhensible ou même dépravé dans une religion sera, dans une autre... insignifiant. De la citation de Douglas je crois qu'il faut retenir en particulier l'idée que la réalité est en soi, non-ordonné, in-sensée (sans sens) et que ce n'est que grâce à l'élaboration d'une cosmologie qu'on peut tenter d'y imposer un ordre, un sens. David Moyer (1978: 181), lors d'un essai sur le code légal du Sumatra du 19e siècle, examine le mot anglais 'law' et met en lumière le fait que les systèmes juridiques sont aiséments analysables en termes de mécanismes élaborés pour lutter contre l'entropie (désordre).

Précisons qu'il y a sans doute une relation de rétroaction (feedback) entre la "definition of the nature of society" et le "system for maintaining social order..." où la définition de la société (qui fera inévitablement référence à un mythe ou discours idéologique quelconque) servira, à l'intérieur du système de conservation d'ordre, de standard permettant d'évaluer l'acceptation ou le rejet de certains comportements[13]. Pour mieux cerner le processus de création d'ordre dans les comportements et attitudes sociaux, soulignons qu'une société doit d'abord élaborer une cosmologie contenant une définition de la nature humaine, individuelle et/ou collective, ensuite elle peut commencer à distinguer entre comportements et attitudes compatibles ou contribuant positivement au système d'ordre qu'implique la cosmologie et ceux qui seraient incompatibles ou contribuant à la désintégration du système d'ordre. A partir de ce constat, il n'y a qu'un pas à faire pour aborder une opposition idéologique très ancienne et qui, dans de nombreux cas, peut être fort utile pour nous aider à comprendre le processus de création d'ordre social et idéologique... l'opposition bien - mal.



- le bien et le mal

D'après Wilson (1957: 3), la notion du mal est, bien que formulée de diverses manières, une réalité qui se rencontre dans toutes les cosmologies. Nous verrons dans les quelques exemples qui suivront, traitant de l'opposition bien - mal, comment fonctionne ce rapport de rétroaction entre des conceptions cosmologiques spécifiques (touchant l'humain et la nature) et le processus de création d'ordre social[14]. Voici la forme que prend ce rapport chez les Tangu de la Nouvelle Guinée. (Burridge 1969: 467)

En Afrique, d'autres formulations de cette opposition peuvent être rencontrées. (Kiernan 1982: 283)

Chez les Lele nous retrouvons une formulation qui, sur plusieurs points, se rapproche de celle des Zulu décrite plus haut. Douglas, dans la citation qui suit, met en évidence l'importance des conceptions mythiques et/ou cosmologiques vis-à-vis la formulation de la dichotomie bien-mal et la "mise en ordre" subséquente que cela permet. (Douglas 1966: 171)

Remarquons que dans la citation de Kiernan il y a un cas, celui des Tallensi, qui ne semble pas, au premier coup d'oeil du moins, s'analyser en termes de comportements/attitudes compatibles avec un ordre idéologico-social particulier. Les concepts de "Good and Bad Destiny" ne peuvent, en effet, être reliés à des comportements ou à des attitudes, mais semblent référer à un mystérieux 'quelque chose' qui dépasse les pouvoirs de l'individu (et, implicitement... du groupe?) et qui peut empêcher la pleine participation et la contribution d'une personne, même contre sa volonté, à l'ordre social. Nous nous retrouvons donc ici avec le postulat d'une source extra-sociale (surnaturelle sans doute) d'entropie, et comme telle, ce postulat peut être compris dans le cadre des processus qui sont caractéristiques du phénomène religieux (en tant que mécanisme créateur d'ordre) luttant contre l'entropie sous toutes ses formes; mais il paraît quelque peu invraisemblable qu'une telle conception puisse exister seule sans être accompagnée d'interdits et de prescriptions permettant de distinguer, dans la réalité de la vie, entre comportements et attitudes spécifiques (acceptables ou non) de groupes ou d'individus. Nous pourrions donc supposer qu'il existe un deuxième niveau du bien et du mal chez les Tallensi qui gérerait les comportements/attitudes spécifiques, ceux-la étant définis comme soit compatibles (bien), soit incompatibles (mal) avec l'idée qu'ont les Tallensi d'un ordre social idéal[15].

Nous pouvons donc conclure sur ce sous-niveau en indiquant qu'il y a vraisemblablement un lien fort étroit entre les conceptions de la nature humaine qu'on retrouve dans les cosmologies des sociétés particulières et la façon que ces mêmes sociétés découpent le spectre des comportements humaines[16].


3-a Intellectuel: le manque de connaissances en rapport avec les divers problèmes humains, le constat par l'individu ou par une collectivité du manque de sens de son existence.

Ici encore nous nous éloignons des processus entropiques physiques et nous touchons à un aspect structurel des systèmes religieux eux-mêmes. En accord avec le postulat avancé lors de l'explicitation de la définition de la religion contenue dans ce chapitre que les religions sont, en général, des tentatives d'imposer une cohérence sur la réalité, nous allons maintenant nous tourner vers les implications de telles observations dans une situation où des événements quelconques mettent en évidence des lacunes structurelles de l'ordre religieux, c'est-à-dire des manques d'information ou de sens. Pierre Maranda, au cours d'un essai sur la métaphore, précise ce que la lutte contre l'entropie peut signifier pour un discours mythique tout en notant que le processus affecte en fait tout texte culturel. (Maranda 1980: 192)

Si, en effet, on convient que la religion est une tentative d'imposer une cohérence sur la réalité et s'il survient un événement (ou série d'événements) qui met en question l'efficacité de cette cohérence, alors on peut supposer qu'un tel événement constituera, entre autres, une source d'angoisse et de stress très profonds, surtout s'il fait naître des doutes quand à la validité de l'ensemble de la structure de signification d'un système idéologico-religieux. Clifford Geertz, qui a traité ce genre de problème, signale dans son essai Religion as a Cultural System, qu'il y a trois types de situations qui peuvent mettre en question le sens du monde tel que postulé par une religion, trois types de situations où le chaos risque d'anéantir la structure de signification d'une religion. Ce sont les suivantes (Geertz 1973: 100): là où l'homme arrive aux limites de ses capacités analytiques, là où l'homme arrive à la limite de ses capacités d'endurance physique et, là où l'homme arrive à la limite de sa sagesse morale. Geertz précise que si l'une de ces situations se produit de manière particulièrement intense ou si elle dure assez longtemps, cette situation peut finir par mettre en doute l'idée que la vie est compréhensible et que la pensée est suffisante pour nous orienter dans celle-ci. Un peu plus loin, Geertz expose ce que peut impliquer la découverte d'une lacune ou manque de sens important dans un système idéologico-religieux et il remarque que d'après lui un tel événement peut affecter tout autant l'homme 'moderne' que le 'primitif'. (Geertz 1973: 100-101)

Un autre chercheur, T. O'Dea, qui définit une situation de manque de sens comme un "breaking point", énumère un certain nombre de questions qui peuvent conduire à la découverte d'un manque de sens dans un système idéologico-religieux et précise quel peut être d'effet d'une telle découverte. (O'Dea 1966: 5-6)

"Why should I die? Why should a loved one die, and in unfulfilled youth? Why did that venture, in which our heart's desire reposed, go awry? Why illness? Such questions demand meaningful answers. If they are found to be without meaning, the value of institutionalized goals and norms is undermined. How can morals be maintained when disappointment lurks at every step, and death, the ultimate disappointment, strikes at our defenselessness in the end?"

O'Dea note aussi le caractère fragile de la structure de sens qu'implique tout système idéologico-religieux. (1966: 27)

Lauriston Sharp, dans un article bien connu sur les Yir Yoront (un groupe aborigène d'Australie), explique quel a été l'effet d'une rencontre avec la culture blanche sur un groupe voisin et, ce faisant, met en évidence ce que peut impliquer dans certains cas l'affaissement total d'un système idéologico-religieux. (Sharp 1952: 22)

En fait, la situation décrite ici par Sharp est un exemple assez extrême d'un manque de sens; de nombreuses autres réactions sont possibles à la suite d'un tel événement, telle celle mentionnée par O'Dea dans la citation précédente (élaboration d'un nouveau système idéologico-religieux). Comme tel, l'effet potentiel de remise en question qu'aura un événement variera en fonction de plusieurs facteurs, dont la pertinence de l'événement (c'est-à-dire sa capacité de mettre en évidence une lacune ou manque de sens important dans un système idéologico-religieux), sa nouveauté, sa persistence, etc. S'il n'existe aucune explication adéquate dans un système idéologico-religieux pour un événement provocateur particulier et s'il n'en existe pas dans un autre système accessible, alors on tâchera d'en inventer une. Dans le cas où un système idéologico-religieux se montrerait incapable d'expliquer adéquatement un phénomène incongru, on tentera, lorsque possible, de l'ignorer[19]. Encore, dans l'article de Sharp, on nous décrit une situation qui coîncide parfaitement avec les observations que nous venons de faire. (Sharp 1952: 22)

Maranda illustre la fragilité des systèmes de croyances de la manière suivante. (1979b: 225)



- syncrétisme et exclusivisme

Lorsque nous sommes en présence d'une situation où il y a possibilité d'avoir accès à un autre système idéologico-religieux fournissant une meilleure explication d'un événement 'problème', cela permet un dénouement autre que celui décrit par Sharp ci-dessus. Deux possibilités apparaissent: d'abord quand il s'agit de deux systèmes à caractère syncrétique, de manière générale la transposition d'une explication/résolution d'un événement problème d'un système à un autre peut être relativement aisée. Dans le cas de religions à caractère exclusiviste (c'est-à-dire où chaque système se propose comme savoir absolu ou vérité[21]) on pourra transposer certaines explications, mais lorsqu'un élément étranger entrera en contradiction avec l'ensemble du système, la transposition s'avérera impossible généralement. De plus, en de telles circonstances une explication jugée supérieure d'un événement problème par le système X sera considérée (ou du moins vantée) comme une preuve de supériorité vis-à-vis le système Y (qui aurait été incapable de l'expliquer). La persistante incapacité d'explication d'un système idéologico-religieux pourra, dans le cas d'événements problèmes considérés importants, produire divers effets chez un individu ou un groupe: le cynisme, une relativisation du savoir religieux, la folie (voir Lévi-Strauss 1958: 195-196), le suicide ou encore la conversion à un autre système offrant des explications alternatives, lorsqu'il en existe.

Quant à la distinction faite plus haut entre systèmes à caractère exclusiviste ou syncrétique, il y a sans doute des cas intermédiaires qui se situent quelque part entre ces deux pôles. Certains groupes développent des systèmes idéologico-religieux qui sont exclusifs surtout au niveau technologique; les données de Sharp sur les Yir Yoront semblent indiquer que c'est le cas chez eux[22]. Certaines dénominations chrétiennes comme les Hutterites et les Amish, semblent aussi avoir développé cette même caractéristique[23] jusqu'à un certain point. D'autres groupes sont exclusifs au niveau idéologique, mais pas au niveau technologique, c'est-à-dire qu'ils acceptent des apports technologiques étrangers. Cela correspond, de manière générale, à l'Occident (majoritairement chrétien) pendant la révolution industrielle au 19e siècle ou encore à la situation présente de nombreux pays derrière le rideau de fer ou ayant des régimes d'extrème droite. Dans d'autres cas, nous serons confrontés à des groupes à tendence exclusiviste au niveau technologique, mais plutôt syncrétiques au niveau idéologique, c'est-à-dire que des apports technologiques étrangers seront regardés comme suspects, mais que l'addition d'un dieu (ou déesse), d'un saint ou d'un ancêtre de plus au panthéon ne posera pas de problème en autant qu'un groupe se charge du culte du personnage en question[24]. J.P. Dozon, qui a étudié ces questions, note (1974: 84) que le syncrétisme, en plus d'opérer aux niveaux mentionnés ci-dessus, technologiques et dogmatiques, peut opérer aussi au niveau de l'organisation sociale (systèmes hierarchisés ou non) et au niveau de l'utilisation de symboles.

Nous avons noté plus haut qu'entre systèmes de croyances à caractère syncrétique, on peut échanger sans difficulté divers éléments de doctrine ou des formes rituelles. Ces systèmes se voient en fait comme complémentaires et non pas compétitifs. Au moment d'une rencontre entre un système à caractère syncrétique et un autre à caractère exclusiviste (au niveau doctrinal dans les deux cas), un fait un peu insolite apparaît, c'est que tout système est exclusiviste ou intolérant 'en dernière instance'. En fait, le seul élément qui ne puisse être absorbé aisément par un système à caractère syncrétique, c'est un discours qui se propose comme savoir absolu ou vérité qui, justement, implique l'élimination du principe syncrétique[25]. Si l'on prend le point de vue syncrétique l'imposition d'un critère de vérité apparaît fondamentalement comme une aberration puisqu'a priori, d'après ce point de vue, tous les systèmes idéologico-religieux se valent. C'est d'ailleurs ce que nous atteste un fragment de discours d'un Malaitain réfléchissant sur la religion des Blancs (chrétienne) et celle des Malaitains. (Maranda 1979a: 19-20)

Ainsi, il y aura toujours une certaine tension, en situation de contact, entre systèmes à caractère syncrétique et d'autres à caractère exclusiviste. Les systèmes à caractère syncrétique auront tendance à incorporer les systèmes à caractère exclusivistes comme 'des discours parmi tant d'autres', surtout si ceux-ci semblent populaires ou prestigieux. Les systèmes à caractère exclusiviste, comme nous l'avons vu plus haut, opèrent par élimination et non par addition ou absorption[26].



3-b Intellectuel: le perte de savoir avec le passage des générations

Le sous-niveau que nous allons examiner ici se rapporte encore à un aspect particulier de l'entropie, c'est-à-dire l'entropie comme processus de dégradation de l'information, affectant dans ce cas-ci non seulement la religion, mais la culture de manière générale. Plusieurs scientifiques sont d'avis qu'il faut sérieusement envisager la possibilité d'étendre l'application de la notion d'entropie telle que développée par la théorie de la communication (dégradation d'une information transmise dans un canal, causée par le 'bruit de fond' du canal en question) aux activités de production de savoir et de communication humaine de façon générale. Sur ce point Léon Brillouin note: (1959: 56)

A.E. Wilder-Smith remarque sur cette question. (1970: 176)

N. Georgescu-Roegen, pour sa part, précise deux points techniques importants qui donnent un fondement solide à l'idée d'étendre la notion d'entropie à toutes les formes de communication humaine. (1971: 405)

Il est assez évident qu'un système idéologico-religieux comme toute forme d'information culturelle et en tant que forme d'ordre ne peut qu'être affecté par les faits énumérés ci-dessus. Le problème, au fond, c'est d'assurer la retransmission d'informations religieuses et culturelles avec le passage des générations[27]. Comme on le sait bien, "la mémoire c'est une faculté qui oublie", mais le problème se complique par le fait que l'organisme qui supporte cette faculté finira inévitablement par vieillir et mourir. Généralement le problème est résolu de manière assez simple en ce que chaque société fournit, si elle veut survivre, des contextes, formels ou non, ou des moyens par lesquels l'information en question peut être dupliquée et retransmise. En Occident c'est l'institution-école qui assure une grande partie de cette tâche de retransmission d'information (la cellule familiale y contribue beaucoup aussi tout de même). Dans de nombreuses sociétés à l'extérieur de l'Occident (avant le contacte avec les Blancs) cette tâche de retransmission d'information a été fréquemment assurée par des rites ou cérémonies qui, habituellement, assumèrent d'abord des fonctions autres que pédagogiques: cures, célébrations dramatiques, exorcisations, rites de passage, etc...



4- Psycho-émotif: sentiments d'insatisfaction, de haine, d'amour, d'inquiétude et aussi la dépression, la joie et la psychose.

Comme des comportements humains que nous avons examinés au niveau 2-b, les sentiments et émotions humains constituent en quelque sorte une 'matière brute' à partir de laquelle peut être érigée une partie de la structure de signification d'un système idéologico-religieux. Geertz, sur ce point, écrit: (1973: 215-216)

Lévi-Strauss précise comment, dans le cas d'une cure chamanique, ce processus de mise en ordre des sensations et émotions peut opérer. (1958: 217-218)

Approfondissant ces questions, Thomas Luckmann explique comment, de manière générale, ces processus de mise en ordre peuvent opérer et faire apparaître 'le sens des choses'. (1970: 45)

Idéalement, un système idéologico-religieux adéquat répondra aux besoins cognitifs, psychologiques, moraux, esthétiques ou autres des ces adhérents, du moins à leur satisfaction. Mais dans la réalité tous les systèmes idéologico-religieux ne sont pas adéquats, comme nous l'avons indiqué plus haut; ils recèlent parfois des manques de sens ou contradictions et lorsqu'il s'agit d'un manque ou d'une contradiction perçus comme important par l'adhérent, ce fait peut susciter des réactions telles que l'angoisse, l'inquiétude, l'insatisfaction, etc... Ainsi, ce que nous venons de dire semblerait permettre la conjecture que les divers états psychiques humains peuvent se situer de trois manières par rapport à un système idéologico-religieux. D'abord, ils peuvent être intégrés au système, c'est alors qu'ils lui servent de 'matière brute', mise en oeuvre lors d'initiations, cérémonies, etc. La deuxième possibilité c'est que les divers états psychiques soient non-intégrés au système et comme tels, ils risquent, à long terme, de mettre en doute la validité du système et, au bout du compte, de contribuer à sa désintégration finale[29]. La troisième possibilité c'est que certains états psychiques peuvent être les conséquences ou les 'symptômes' d'un manque de sens. Par exemple, en tant qu'individus on a tous une image quelconque de, et des attentes face à, la réalité sociale et physique qui nous entoure, mais si, à certains moments, il devient évident qu'il y a un écart important entre notre conception de la réalité et ce qu'elle est, la frustration, l'insatisfaction, etc. peuvent en résulter.



- la religion: fait social total.

Prenons maintenant en considération un point soulevé brièvement lorsque nous avons exposé notre définition du phénomène religion, c'est-à-dire que, potentiellement, la religion peut fournir du sens à tous les différents aspects de la vie dans une société. C'est surtout dans les sociétés non-occidentales ayant un niveau de développement technologique peu élévé que ce phénomène prend le plus d'ampleur et c'est dans de telles sociétés que la religion constitue un exemple quasi-archétypique de "fait social total" comme le décrivit Marcel Mauss. (Mauss 1960: 274)

Que la religion en tant que "fait social total" soit rencontrée plus fréquemment en dehors de l'Occident n'implique pas qu'elle est inexistante sous cette forme chez nous. La religion peut très bien devenir un "fait social total" en Occident aussi et ceci est surtout vrai dans le cas des dénominations et sectes ayant une vie communautaire intense (ex. les communautés Ammish de l'Ouest canadien). Il y a néanmoins une parenthèse à ajouter au sujet des aspects globalisants de la religion: il faut tenir compte du fait qu'à ses débuts, une 'religion' peut très bien n'exister que dans la tête du fondateur. Elle aura donc beaucoup de chemin à faire avant d'être un "fait social total", mais remarquons que dès sa conception toute religion a vraisemblablement le potentiel de devenir un "fait social total".


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Notes

[1]- Longtemps après avoir rédigé cette section j'ai lu un essai anthropologique par John Fulton (1981) tentant d'aborder la religion à partir de la notion d'aliénation. Fulton n'a, malheureusement, pas appliqué cette notion à des sociétés non-occidentales.

[2]- Ce qui me ramène à l'esprit une phrase de Lévi-Strauss: (1955: 417)

[3]- Anatol Rapoport nous précise ce que cela signfie dans le cas de la théorie de l'information. (1966: 51-52)

Notons, comme Rapoport le mentionne assez brièvement ici, que l'équivalence mathématique n'est tout de même pas une formule magique qui explique tout. Il reste que le 'gros bon sens' et l'expérience d'observation de la communauté scientifique étendue servent aussi pour établir les limites d'une telle analogie. Par ailleurs, si l'on prend une vision quelque peu cynique de la question, nous pourrions avoir l'impression que parfois la préoccupation à vouloir établir à tout prix une équivalence mathématique résulte d'une incapacité de pouvoir conceptualiser un rapport entre deux domaines, sauf si on est en mesure de fournir une équation mathématique pour l'exprimer. (Voir aussi quelques commentaires de N. Georgescu-Roegen sur ce point 1971: 79-83)

[4]- Ceci est une question dont certains adeptes de l'approche écologie-culturelle se sont particulièrement préoccupés, c'est-à-dire le calcul des dépenses d'énergie nécessaire pour le maintien d'une société X avec une infrastructure Y.

[5]- En fait, comme nous pouvons le voir ici, cela est vrai pour toute production matérielle d'une société. (Williams 1981: 18)

[6]- Peut-être qu'il n'est pas clair que des salaires représentent un apport d'énergie, mais ça le devient si l'on suppose que l'école fonctionne dans une économie de troc où les salaires sont payés en litres d'essence automobile ou en nourriture.

[7]- Nous faisons appel ici évidemment aux définitions de l'entropie venant de la thermodynamique statistique et de la théorie de l'information.

[8]- Notons que la notion d'ordre (en termes sociaux) mérite encore quelques précisions étant donné que pour certains cette notion fera penser irrémédiablement au "law and order" de "l'American Way of Life" ou aux régimes d'extrême droite. Soulignons que Les ordres que peuvent ériger ou viser les divers systèmes idéologico-religieux humains ne sont limités dans leur variété que par l'imagination humaine. Ce qui peut constituer ordre pour l'un constituera désordre pour l'autre. Un exemple frappant de ce phénomène ce sont les prêtresses d'Avlekete (Togo) dont le seul interdit qui leur est imposé est celui de ne pas respecter les interdits des autres groupes cultuels (dans Augé: Pouvoirs de vie, Pouvoirs de mort p.114-115). Ce qui semble à première vue être une porte ouverte à une liberté totale, vers un désordre complet, n'est en fin de compte qu'un ordre à l'envers puisque les prêtresses se voient toujours obligées de faire le contraire des autres, donc pas n'importe quoi! Par ailleurs Augustin (qui vécut lors du déclin de l'empire romain 354-430 AD) réfléchissant sur l'état de son esprit avant sa conversion au christianisme exprime bien la subjectivité (l'anthropocentrisme inévitable) des conceptions d'ordre et de désordre. (1964: 285)

[9]- Braines et Svetchinsky (1975: 143-144) indiquent sur cette question.

Par ailleurs, je dois avouer, il m'apparaît probable que la même chose soit vraie pour toute forme d'échange ou de communication culturelle, c'est-à-dire qu'elles impliquent nécessairement des dépenses d'énergie, des structures matérielles et un investissement en information.

[10]- Voici une liste partielle d'auteurs et de chercheurs qui partagent ce point de vue. Notons qu'étant donné qu'on ne comprend encore que de manière incomplète le métabolisme des êtres vivants et le processus de vieillissement, divers points de vue existent quant à la manière spécifique d'envisager les effets des processus entropiques sur un organisme, l'amenant finalement à la mort.

[11]- Bien que la manière de recompenser l'obéissance, d'exprimer l'interdiction et de punir la transgression puisse varier considérablement d'un système à un autre.

[12]- A mon avis, ce problème peut être évité si l'on postule (comme je le fis dans ma définition) que la religion est une tentative (plus ou moins réussie) d'imposer un ordre sur la réalité; cela explique, par exemple, l'écart qui est souvent observé dans bien des religions entre prescriptions/tabous et les comportements réels. Un autre point qui est plus rarement soulevé, c'est le fait que le manque de cohérence apparent des discours (ou comportements) religieux peut être le résultat de la présence non reconnue de systèmes de pensée ayant une logique autre que celui du 'discours officiel' (voir B. Morris 1982 à ce sujet). En langage théologique on appelle ces derniers des hérésies.

[13]- Remarquons, qu'on peut encore compliquer les choses si l'on considère aussi que dans chaque religion (et, vraisemblablement, dans chaque système juridique) il y a des comportements qui peuvent être acceptés dans certaines circonstances et rejetés dans d'autres. Ex. : l'enlèvement d'une vie humaine.

En temps de guerre (et s'il s'agit d'un ennemi) un tel acte sera accepté. En temps de paix (s'il s'agit d'un cas de vengeance personnelle) l'acte sera puni. La catégorisation des comportements ne se fait donc pas simplement comme un arrêt d'inspection sur une ligne d'assemblage dans une usine (objet accepté ou refusé), il y a toute la question du contexte qui intervient et qui complique les choses.

[14]- Une autre opposition, retrouvée dans de nombreux systèmes religieux, celle de la pureté ou impureté rituelle, se comprend aussi aisément en rapport avec le processus de lutte contre l'entropie (désordre). Edmund Leach note: (1968: 3)

[15]- Fortes indique: (1959: 53) que les Tallensi considèrent comme un mal les comportements ou attitudes qui menacent la structure de parenté (ce qui inclut la négligence envers les parents et les ancêtres défunts). Voici un exemple de comportement individuel incompatible avec le système Tallensi, ses conséquences et son redressement. (Fortes 1959: 54-55)

[16]- Quelque temps après avoir redigé cette section je me suis aperçu qu'un autre auteur, R.B. Lindsay, avait établi un rapport explicite entre l'entropie et les comportements humains dits anti-sociaux. (Lindsay 1963: 290-298). Malheureusement, Lindsay, à l'époque, n'a pu concevoir l'idée que la notion d'ordre puisse être variable selon les sociétés et qu'il ne s'agit pas d'un trait culturel universel. Cette lacune devient criante lorsque Lindsay tente d'ériger en principe éthique l'idée que les hommes doivent toujours et en tout temps combattre le désordre, l'entropie. Un petit détail fait problème... on a négligé de spécifier quel type d'ordre appuyer!

Néanmoins quelques remarques de Lindsay méritent d'être soulignées. (1963: 291-292)

[17]- Victor Turner a noté des phénomènes similaires chez les Ndembu du Zambie. (1972b: 105-106)

[18]- Un autre cas intéressant d'affaissement d'un système idéologico-religieux (et un mouvement de 'revitalisation' subséquent) a été décrit par A.F.C. Wallace (1961: 144-146), il s'agit des Seneca à la fin du 18e siècle.

[19] Apparemment cela est vrai même dans les sciences "dures". (Lakatos 1978: 4)

Notons que le rejet de phénomènes 'dangereux' ou inconsistants se retrouve aussi chez les adhérents d'idéologies politiques occidentales. Il semble que certains communistes rencontrés par Soljénitsyne pendant son séjour dans le Gulag (internés, eux-aussi) aient adoptés de telles stratégies. (Soljénitsyne 1974: 253)

[20]- Soulignons qu'il ne s'agit pas d'appuyer ici le déterminisme technologique de Sharp qui lie l'effondrement de la culture Yir Yoront à l'introduction d'un seul produit commercial occidental: la hache d'acier. Comme les citations reproduites ici le démontrent, le texte de Sharp lui-même tend à démentir une telle analyse et met en évidence le fait que cet effondrement doit être lié à l'arrivée et à l'imposition d'un ensemble plus large de nouvelles attitudes, comportements, technologies, etc. et la perte d'autonomie qui accompagnèrent le processus d'acculturation dans le cas des Yir Yoront.

[21]- C'est surtout une caractéristique des systèmes idéologico-religieux de l'Occident; le judaîsme, le christianisme, l'islam et le marxisme.

[22]- Voici un exemple intéressant tiré de son article. (Sharp 1952: 22)

Notons que l'exclusivisme au niveau technologique n'implique pas nécessairement la présence de la notion de vérité ou d'absolu. Un autre exemple d'attitude exclusive au niveau technologique, mais qui nous vient de l'Occident c'est la position de l'église catholique à l'égard des moyens contraceptifs.

[23] Ce sont des dénominations nées en Europe aux 18-19e siècles et qui vivent en communautés dans l'ouest des Etats-Unis et du Canada; elles ont, pour une grande part, préservé un mode de vie rural de l'époque de leurs fondateurs (sauf pour ce qui est de la technologie de production semble-t-il); habillement, architecture, musique, etc...

[24] A.F.C. Wallace remarque que dans certains groupes le moyen par lequel un élément nouveau est introduit dans une culture affectera considérablement ses chances d'être accepté, c'est-à-dire qu'il servira en quelque sorte de critère d'admissibilité. (Wallace 1961: 126)

[25]- Voici quelques exemples historiques qui mettent en évidence les différentes attitudes que peuvent prendre des systèmes de croyances à caractère syncrétique et des systèmes à caractère exclusiviste en situation de contact. (White 1978: 252)

[26]- Voici un exemple qui met en lumière cette différence au niveau des stratégies en situation de contact qui existe entre un système syncrétique, l'hindouisme, et un système exclusiviste, le christianisme, qui rend compte de l'exclusivisme 'en dernière instance' des deux types de systèmes idéologico-religieux. (Guiness 1973: 229-230)

[27] Firth fait les remarques suivantes sur les problèmes que cela suscite pour la cosmologie des Tikopia. (1970: 128)

[28]- Le moment de la mort semble aussi un autre lieu très important de 'contrôle' des sensations et émotions par la parole idéologico-religieuse comme le note ici Raymond Lemieux. (1982: 29)

Victor Turner, pour sa part, note au sujet du rite Isoma chez les Ndembu: (1969: 42-43)

[29]- Abordant la question d'un point de vue psychologique, Gregory Bateson illustre ce que peuvent être les effets d'un tel processus sur le 'moi'. (1972: 251)