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Samizdat

Communisme, histoire, art et mysticisme:

Réponse à Léon Trotsky de la perspective de la Création biblique[1].




Ellen Myers

Cher Léon Davidovitch:
Je viens de lire votre livre Littérature et révolution[2], écrit trois ans avant que Staline accomplit son premier désir: votre expulsion du Parti Communiste en 1927, suivie par votre exile en Sibérie méridionale, et enfin la réduction de votre statut à une non-personne orwellienne [1984]. Et comme vous le sentiez dans votre perspective du matérialisme dialectique, Staline avait raison quand il optait pour le Parti contre l'individu. Après tout, si le matérialisme dialectique et le socialisme scientifique ont raison quant à la nature moniste de l'univers - si le Créateur surnaturel, le Dieu de la Bible, n'existe pas - alors vous, Léon Trotsky, comme tout le monde, n'êtes qu'un ensemble de molécules. Maintenant, après votre mort, vous êtes dans un processus de désintégration ou de recombinaison; c'est-à-dire, 'vous' n'existez plus. L'ensemble de molécules qui s'appelait Staline accomplit son second désir quand il vous fit liquider par l'ensemble de molécules nommée Luis Mercader qui enfonça un piolet dans votre cerveau brillant le 20 août 1940. C'était une victoire pour le Parti, l'avant-garde de l'Histoire.

Langage complexe et brutal, Lev Davidovitch, mais sur le plan logique c'est le seul langage qui devrait être utilisé par les matérialistes dialectiques lorsqu'ils se réfèrent à des hommes et des femmes. Les croyants chrétiens comme moi sont libres de parler avec des termes plus simples. Pour nous les hommes et les femmes sont simplement des créatures faites à l'image du Dieu de la Bible. Tous sont doués d'un 'moi' personnel, tout comme notre Dieu Qui s'appelle 'Je suis celui qui suis' (Exode 3:14). Pour nous, l'histoire repose dans les mains de ce Dieu et n'a point de puissance ni de buts en elle-même. Par contre, dans votre vision du monde communiste il y a une contradiction entre votre 'Histoire' qui se dirige elle-même et l'avant-garde du prolétariat, le Parti, sans qui l'Histoire serait incapable de s'accomplir ou de réaliser ses buts apparemment inhérents. Dites-moi, je vous prie, comment un processus naturel sans raison et sans direction peut avoir des buts? Mais si ce processus n'est pas sans direction comme vous l'affirmez pour l'Histoire, alors il doit y avoir quelque chose comme un esprit qui la contrôle et la dirige. Et alors comment pouvez-vous dire qu'à travers toute l’histoire, l'esprit clopine après la réalité?' (p. 19) Serait-ce possible que toute la synthèse imposante de l'histoire formulée par Marx et Hegel n'est qu'une autre forme de ce mysticisme fantasque et flou que vous condamnez chez les autres? Est-ce que cette synthèse pourrait être exprimée aussi bien dans les termes de 'l'élan vital' d'Henri Bergson, ou en termes du 'Point Oméga' du Père Pierre Teilhard de Chardin? Et si le cours impersonnel de l'Histoire a besoin du Parti pour réaliser ses 'buts,' alors votre dieu actuel est le Chef du Parti. Prosternez-vous donc devant Staline et mourez!

Vous vomissez votre rage la plus féroce contre les croyants chrétiens. Ah non, pardonnez-moi, vous le faites contre votre caricature du christianisme qui n'a rien à voir avec le christianisme véritable. Vous haïssez 'le christianisme fataliste,' produit de votre imagination hostile que vous affirmez avoir trouvé dans un roman de Mariette Shaginyan, oublié depuis longtemps. Vous dites qu'elle est 'anti-révolutionnaire au fond de son essence parce que c'est son indifférence domestique envers tout ce qui n'appartient pas à son ménage qui la réconcilie à la Révolution,' (p. 115). Est-ce possible que vous avez cru avoir porté un coup au christianisme? Notre religion est unique et dont le fondateur est la Deuxième Personne de Dieu. Il n'était ni froidement indiffèrent ni résigné quant à nos infirmités. Il a endossé son 'chèque en blanc' (p. 241) sur la croix en son propre sang, renonçant à son pouvoir et bonheur divin pour 'être rendu semblable en toutes choses à ses frères' (Hébreux 2:17). Indifférence domestique? Notre demeure, Lev Davidovitch, est l'univers entier crée et la propriété de notre Père Dieu le Créateur (Psaume 8, Psaume 24), 1 Corinthiens 6:2-3, et beaucoup d'autres passages de la Bible). Comment pouvons-nous être indifférents à quoi que ce soit, nous autres qui deviennent participants de la nature divine de notre Dieu (Romains 8:19-23, 2 Pierre 1:1-4)! Même si Shaginyan est coupable de vos accusations contre elle, nous en sommes innocents.

Vous méprisez aussi 'la fausseté même dans les figures pieuses et soumises de Dostoïevski' et vous dites que Dostoïevski 'les créait ... largement comme l'antithèse de lui-même... dans son christianisme perfide' (p. 114). Vous préférez le 'dieu féminin aux hanches larges' qui n'est pas du tout le Dieu de la Bible que vous pensez voir dans l'œuvre de la poétesse Shkapskaya. En passant je suis d'accord avec vous que cette sorte de dieu qui est 'quelque chose dans la nature d'un intermédiaire et d'une sage-femme, mais toujours personnel' est plus attirant que 'le poussin couvé de la philosophie mystique au delà des étoiles' (p. 41). Pourtant, Léon Davidovitch, on pourrait appeler votre déesse 'l'Histoire' le poussin couvé du matérialisme dialectique sur la planète Terre!

Vous êtes un magicien avec des mots. Comme Nietzsche vous charmez vos lecteurs par l'économie, la fureur et la vitalité de votre style. Qui saurait surpasser ce que vous dites de Sologub, Rozanov ou Zinaida Hippuis, principaux écrivains symbolistes et mystiques 'd'avant-octobre' [1917]:

Moi, je rejette ces colporteurs de perles de verre panthéistes - mystiques au nom du Créateur de la réalité, le Dieu de la Bible. Vous les condamnez au nom de 'la Révolution ... [qui] s'efforce à tâtons et expériences interminables à trouver les meilleures méthodes de construire une maison qui est solide' (p. 177). Mais comment sera cette maison en réalité? Sera-t-elle complètement nouvelle, ou ne sera-t-elle que la même vieille structure décrépite un peu remise en état, disons le tsarisme en forme bolchevique? La réponse était déjà bien évidente pendant les dernières années de votre vie, à moins que la nouveauté du bolchevisme ne soit l'échelle des meurtres et tortures sans nombre ou précèdent. Et est-ce que la maison de la Révolution peut assurer sa solidité par sa terreur, ou est-ce que sa terreur elle-même prouve son manque de solidité?

Vous sentez tout cela dans votre haine mi-maussade, mi exaspérée envers les paysans russes. Vous pensez qu'ils auraient dû supporter la Révolution, mais 'ils mangent pour travailler, travaillent pour manger, et aussi pour naître, pour des accouchements, et pour mourir' (p. 109). Pour cette raison, vous vous méfiez des poètes paysans Kliuev et Yessenine, et vous exprimez votre perplexité confondue quand vous criez:

Mais Léon Davidovitch, ne voyez-vous pas que vous vous abandonnez au mysticisme vitaliste et idéaliste avec votre 'principe dynamique, conscient, rationnel et intentionnel'? En effet votre mysticisme est pire que celui de Bergson ou de Teilhard de Chardin, car vous attribuez la conscience et la rationalité à votre 'principe de vie' ce qu'ils ne faisaient jamais puisqu'ils se rappelaient le fait incontestable qu'un 'principe' ne peut pas être conscient ni rationnel.

De plus, vous continuez par placer le dualisme au coeur de 'la vie' quand vous opposez son principe 'dynamique' à son 'automatisme élémentaire, sans sens, biologique.' S'il y avait un tel dualisme (il n'y en a pas réellement; c'est une illusion de l'impersonalisme de votre dialectique évolutionniste), alors vous opposeriez la partie même qui est élémentaire, 'les racines paysannes' et ainsi 'solide' en quelque sens. Mais vous venez de dire que votre Révolution voulait bâtir 'une maison qui est solide'! Vous rejetez la solidité que vous pourriez trouver dans des matériels élémentaires et avec racines; alors où donc la trouverez-vous? De plus, est-ce que des branches qui se révoltent contre leurs racines peuvent réussir? Voici le dilemme insoluble du mysticisme athée qui voit l'histoire comme des cycles infinis d'une lutte continuelle entre deux cotes opposées de 'vie' ou de 'force.' L'obscurité oppose sa lumière complémentaire; la magie noire oppose la magie blanche; Éros oppose Thanatos, etc. etc. Aujourd'hui nous avons un mouvement de cette sorte en Occident qui s'appelle 'le Nouvel Age.' Son avant-garde intellectuelle ne trouverait pas de faute dans vos mots sur 'la vie,' et ils n'auraient pas de querelle avec les symbolistes 'd'avant-octobre [1917]' qui étaient évidemment de leur parti. Dans votre vision de 'l'Histoire' et de 'la vie,' Lev Davidovitch, vous montrez que vous aussi - vous, le communiste passionné - appartenez à leurs rangs.

Maintenant il est temps de discuter l'art dont vous parlez tant dans votre livre. Vous commencez par dire, 'Il n'y a pas encore d'art révolutionnaire' (p. 229). Puis vous affirmez que l'art socialiste montrera des émotions de solidarité dans 'un monisme réaliste, au sens d'une philosophie de la vie' ou 'notre vie, cruelle, violente et dérangée jusqu'au fond' dit à l'artiste:

Mais c'est tout un mandat pour l'artiste. Ce n'est pas surprenant que 'l'art révolutionnaire' ne pouvait jamais nous donner plus que de colossales statues glacées et sans vie ou des bâtiments d'appartements similaires aux casernes et vermoulus décrétés par le Parti. Vous louez en rechignant l'art magnifique du Moyen Age chrétien, mais vous niez qu'il soit dû à la foi chrétienne, car un telle vue 'ignore la fondation matérialiste et historique duquel l'ancien drame et l'art gothique grandit, et duquel un nouvel art doit grandir' (p. 241). Mais alors pourquoi l'art ne peut-il être fondé sur 'les racines paysannes de notre vieille histoire russe' comme les œuvres de Kliuev, de Yessenine et de Boris Pilnyak qui 'fut chassé à une fin inconnue par la terreur[3]' ? Ce qui cloche avec votre 'Histoire' dirigée par elle-même et néanmoins réalisée par le Parti, et votre 'vie' dynamique et néanmoins non-téléologique paralyse aussi votre philosophie d'art.

Vos dernières pages sont un exemple de l'optimisme utopique qui se nourrit de soi-même et qui augmente en grandiloquence tout en diminuant en substance. Vous concluez avec ce hymne à l'avenir socialiste:

Je pense que vous écrivez ici d'une manière créative - eh bien, du moins d'une manière imaginative; et comme vous-même quand vous condamnez Kliuev, je vous avertis que je vous loue en ironie. En vérité, Lev Davidovitch, votre 'prophétie' rutilante n'est que de la propagande, tout comme tout votre art révolutionnaire et socialiste. Votre 'exultation' futuriste ne peut se réaliser que si les 'faits' que vous prédisez ont des fondements dans le présent. Vous avez trouvé très peu d'artistes ou personnes à louer même en 1924; comment êtes-vous arrivé à vos conclusions grandioses? Vous, avec votre sens d'honnêteté en louant l'art chrétien du Moyen Age; vous, avec votre rejet bien justifie du mysticisme imbécile de la littérature russe symboliste du 'pré-octobre' - comment se fait-il que vous êtes descendu jusqu'à cette incantation sur le 'surhomme de l'avenir' à la pire manière visionnaire et propagandiste de Nietzsche?

Nous autres chrétiens, réalistes jusqu'au coeur, nous avons notre propre devise: 'Examinez toutes choses; retenez ce qui est bon' (1 Thessaloniens 5:21). Voici une bonne qualité de votre livre, Lev Davidovitch: c'est votre passion. C'est Dante, chrétien et un des plus grands artistes de l'humanité, qui dit que les flammes les plus chaudes de l'enfer sont réservées a ceux qui préservent leur neutralité dans un temps de crise moral. En cela il ne fit que répéter les mots de notre Seigneur Jésus-Christ Qui dit: 'Puisses-tu être froid ou bouillant! Ainsi, parce que tu es tiède, et que tu n'es ni froid ni bouillant, je te vomirai de ma bouche.' (Apocalypse 3:15-16). Une autre bonne qualité de votre livre est que nous pouvons vous remercier pour nous guider aux écrivains qui sont probablement de vrais artistes (votre hostilité a leur égard est en leur faveur): Kliuev, Yessenine, Pilnyak, Akhmatova. Trois, vous avez raison d'exhorter les artistes qu'ils soient sincères. Or, à cause de votre faux dualisme entre le dynamisme et le repos, vous idolâtrez le dynamisme et forceriez tous les artistes de lui servir. Ceci met l'artiste dans une camisole de force. Pourtant la réponse n'est pas 'l'art pour l'art' qui serait en pratique l'expérimentation avec la forme et la méthode pour atteindre de nouveaux effets, et qui est suffoquante et stérile. L'art véritable, comme nous apprenons de Dorothy L. Sayers, une autre chrétienne, est l'expression d'une expérience

'Ce qu'ils devraient en sentir'--voici le tendon d'Achille de tout art de propagande. Dès le premier critique littéraire russe positiviste, Vissarion Belinsky, jusqu'au livre 'Qu'est-ce que c'est que l'art?' de Léon Tolstoy, jusqu'à vous-même, Lev Davidovitch, les critiques avec une 'conscience sociale' ont ordonné aux artistes de faire usage de mots, de couleurs ou de la musique 'pour l’expression appropriée de ce que les gens devraient sentir' sur le sujet de l'artiste. Le sujet lui-même était prescrit aussi: c'était 'le besoin social du moment.'

Les artistes véritables comprennent mieux la chose. Ils se préoccupent de la réalité comme elle est vraiment, tout comme le mathématicien qui dessine une trajectoire vers la lune, ou le savant en médecine qui cherche un vaccin pour le cancer. La vérité et la propagande ne se confondent ni en science ni en art. La science et l'art doivent refléter le caractère personnel immuable de Dieu, le Créateur de toutes choses. Ce n'est pas un accident que 'le réalisme socialiste' nous donna le pseudo-biologiste Trofim Lysenko et aussi l'architecture stalinienne pendant que Boris Pasternak et Aleksandr Solzhenitsyne, les plus grands écrivains russes du vingtième siècle, adorent le Dieu chrétien des paysans russes. Ce n'est pas un accident que l'économie soviétique s'écroula aussi pendant les dernières années 80, comme le fit le Parti Communiste Soviétique dans l'Année de notre Seigneur 1991. La propagande ne nourrit ni l'âme, ni l'esprit, ni le corps. L'homme doit vivre de chaque parole de Dieu, comme Jésus-Christ répondit à Satan (Matthieu 4:4). L'art véritable, la science véritable, la prospérité économique véritable sont toutes des choses que nous ne recevons que quand nous cherchons d'abord le royaume et la justice de Dieu (Matthieu 6:33). L'art symboliste 'd'avant-octobre' était de la propagande aussi parce qu'il voulait changer la conscience de ceux qui le recevaient en dirigeant leurs pensées aux choses mystiques et occultes. Sur un plan superficiel, vos paroles sont différentes de leurs paroles, et vous et vos alliés monistes et matérialistes pouvez sincèrement croire que vous êtes séparés d'eux. Mais comme vous êtes tous des monistes, vous ne différez qu'en terminologie, et pour le moment, en méthodes; leur magie est 'blanche' tandis que la votre est 'noire.' Le seul ennemi réel pour vous deux est le christianisme biblique et son Dieu et Créateur transcendant, omnipotent et souverain.

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Notes

[1]- Publié dans le Creation Social Science and Humanities Quarterly Vol XIV, No. 2 (Winter 1991) pp. 3-8; Traduction Ellen Myers & Paul Gosselin

[2]- Léon Trotsky, 'Littérature and Révolution' (Ann Arbor, MI: The University of Michigan Press, Fifth Printing 1975), p. 19.

[3]- James A. Billington, 'The Icon and the Axe' (New York: Random House Vintage Books, 1970), p. 535.

[4]- Dorothy L. Sayers, 'Christian Letters to a Post-Christian World' (Grand Rapids, MI: Wm. B. Eerdmans, 1969), p. 79.


Ellen Myers est l'auteure du roman They Shall Not be Ashamed.