Paul Gosselin, anthropologue et auteur (2008)
Le cours d'Éthique et de culture religieuse qui a été imposé sur l'ensemble des étudiants du système scolaire québécois depuis sept. 2008 nous est présenté par la propagande gouvernementale comme “ neutre sur le plan de moralité ”. Cette propagande s'appuie sur la fiction qui veut que l'on puisse détacher l'éthique de la religion. En somme, l'éthique sort de la bouche des concepteurs d'ECR, comme le lapin du chapeau du magicien. Ne leur demandez surtout pas le secret de leur truc... Les bons magiciens n'expliquent jamais comment ils font.
Le cours d'ECR n'admet évidemment pas que l'on puisse donner priorité à une éthique catholique, protestante, pas plus que juive ou bouddhiste, car cela porterait atteinte à sa neutralité. De l'avis des concepteurs d'ECR, aucune religion ne peut avoir préséance sur les autres, car ce serait violer un principe du catéchisme postmoderne, c'est-à-dire que “ Chacun a sa vérité ”.
Ce concept de “ Chacun a sa vérité ” est évidemment dans l'air du temps de notre génération, mais cela comporte un côté obscur, comme dirait Yoda, qui n'est jamais exploré par nos élites bien-pensantes. Si véritablement “ Chacun a sa vérité ” et qu'il n'existe pas d'étalon ou point de référence pour juger des diverses affirmations éthiques, cela implique qu'il faut admettre non seulement le discours éthique de Thérèse de Calcutta ou de Martin Luther King, mais aussi ceux de Hitler, Staline et Pol Pot.
Évidemment, cela offusquerait nos élites bien-pensantes au plus haut point de se voir associés à de tels personnages. Et s'ils s'offusquent effectivement et qu'ils rejettent l'idée qu'il soit nécessaire de mettre au même plan le discours éthique de Thérèse de Calcutta et de Hitler[1], Martin Luther King et Pol Pot, qu'ils nous expliquent alors quel est le point de repère qui leur sert pour discerner avec tant d'assurance entre un discours éthique digne de mention et un discours éthique à rejeter. Qu'ils nous disent alors quel est leur point de repère, leur standard moral, qui leur sert pour admirer Martin Luther King et rejeter Pol Pot! Qu'ils nous disent quelle est leur VÉRITÉ!
Le marquis de Sade a été un des premiers penseurs à explorer les conséquences dun monde sans repères moraux. De l'avis de Sade, si on rejette la religion (au sens traditionnel) tout ce qui reste comme repère éthique et moral est la nature. Et Sade, puisqu'il était un personnage courageux et cohérent, a décidé d'appliquer cette conception sur le plan des relations hommes - femmes. Voici sa vision de ces rapports... (1795/1972[2]: 112)
"S'il devient donc incontestable que nous [les hommes] avons reçu de la nature le droit d'exprimer nos vœux indifféremment à toutes les femmes, il le devient de même que nous avons celui de l'obliger de se soumettre à nos vœux, non pas exclusivement[3], je me contrarierais, mais momentanément. Il est incontestable que nous avons le droit d'établir des lois qui la contraignent de céder aux feux de celui qui la désire; la violence même étant un des effets de ce droit, nous pouvons l'employer légalement. Eh ! la nature n'a-t-elle pas prouvé que nous avions ce droit, en nous départissant la force nécessaire à les soumettre à nos désirs ?"
Certes Sade ne fut pas un romantique, mais on ne peut l'accuser de ne pas avoir de la suite dans les idées ou de ne pas être cohérent avec la vision du monde qu'il a admis. Si on rejet les points de repères éthiques absolus comme le font les concepteurs d'ECR et De Sade, puisque le mâle est généralement plus fort pourquoi n'exploiterait-il pas cet avantage dans sa relation avec les femmes ? Pourquoi pas ? Dans le contexte cosmologique où se situent beaucoup des concepteurs d'ECR, la question est sans réponse. Mais il faut croire que d'avoir trop de suite dans les idées donne des maux de tête aux autres et ça nous rend un personnage ennuyeux. C'est comme ça...
Mais l'animal humain est souvent affligé de la mauvaise habitude de se donner des “ airs moraux ” même si la vision du monde qu'il promeut ne fournit aucune fondation au discernement éthique. Au XIXe siècle, Nietzsche, un des philosophes les plus clairvoyants, a remis en question le réflexe de l'entretien de l'illusion d'un comportement moral personnel. À cet égard, il a exprimé des commentaires mordants qui s'appliquent tout à fait aux concepteurs d'ECR (Nietzsche 1899/1970: 78-79):
Ils se sont débarrassés du Dieu chrétien et ils croient maintenant, avec plus de raison encore devoir retenir la morale chrétienne. C'est là une déduction anglaise, nous ne voulons pas en blâmer les femelles morales à la Eliot. En Angleterre, pour la moindre petite émancipation de la théologie, il faut se remettre en honneur, jusqu'à inspirer l'épouvante, comme fanatique de la morale. C'est là-bas une façon de faire pénitence. Pour nous autres, il en est autrement. Si l'on renonce à la foi chrétienne, on s'enlève du même coup le droit à la morale chrétienne. (...) Si les Anglais croient en effet savoir par eux-mêmes, “ intuitivement ” ce qui est bien et mal, s'ils se figurent, par conséquent, ne pas avoir besoin du christianisme comme garantie de la morale, cela n'est en soi-même que la conséquence de la souveraineté de l'évolution chrétienne et une expression de la force et de la profondeur de cette souveraineté: en sorte que l'origine de la morale anglaise a été oubliée, en sorte que l'extrême dépendance de son droit à exister n'est plus ressentie. Pour l'Anglais, la Morale n'est pas encore un problème.[4]
Mais l'attitude de Nietzsche ici donne lieu à peu d'échos chez nos élites, car tous veulent se donner des airs moraux et se revendiquer du Bien. Le marketing avant tout... Lorsqu'il est question de discours moral, il faut poser la question emmerdante de la cohérence : le discours moral ECR est-il cohérent avec la cosmologie matérialiste de nos élites qui en est la source? La logique interne d'un système de croyances finit toujours par prendre le dessus sur la rhétorique et le marketing idéologique. Dans le langage des théoriciens marxistes, on dira qu'elle est déterminante en dernière instance.
Conclusion
Mais revenons à nos oignons. Si le MELS[5] insiste qu'ECR est bien pour la société québécoise et pour nos enfants qu'ils nous expliquent certaines choses.
Le hic, c'est que pour ce faire, ils doivent établir une vérité, c'est-à-dire faire référence à un texte sacré. Et le hic, c'est qu'une telle prise de position réduirait à néant la prétention que le cours Éthique et de culture religieuse proposée par le MELS est neutre!
Alors, quelle est la réponse du MELS à cette question?
[1] - Les nazis par exemple appuyaient leur système de pensée sur la théorie de l'évolution et du concept de la lutte pour la survie. Pour les nazis, le salut passe par la race. Si la race va, tout va... Mais si la race est contaminée par du mauvais sang alors ça ne va plus. Il est bien connu que les nazis, s'appuyant sur ces concepts ont classés les races en supérieurs et inférieurs et cela abouti à la Solution Finale et la mort de 6 millions de Juifs. Mais une chose moins connue à propos du nazisme est le fait que les nazis ont rôdé leur programme d'extermination sur eux-mêmes, CAD sur des Allemands. Je fais référence au programme d'euthanasie T4 qui a visé les enfants et les adultes allemands atteints de déficiences, d'anomalies physiques ou de maladies mentales. Avant même que le régime nazi se soit penché sur la Question juive, le programme d'euthanasie T4 sous le IIIe Reich avait causé la mort d'au moins 70 000 adultes et enfants malformés, débiles ou incurables. Les patients à exterminer étaient sélectionnés par les médecins recrutés par le programme T4. Ces médecins examinaient rarement les patients, mais basaient souvent leurs décisions sur les dossiers médicaux et les diagnostics établis par le personnel des institutions d'où provenaient les victimes. On peut accuser les nazis de bien des choses, mais on ne peut pas les accuser d'avoir été incohérents avec les présupposés de leur système de pensée. Comme aimait le dire le philosophe évangélique Francis Schaeffer : Ideas have consequences ”. Les idées ont des conséquences.
[2] - SADE, Marquis de; Blanchot, Maurice (1795/1972) Français, encore un effort si vous voulez être républicains. (extrait de “La Philosophie dans le boudoir”) précédé de L'inconvenance majeure. Jean-Jacques Pauvert Paris (coll. Libertés nouvelles; 23) 163 p.
[3] - Sade n'appréciait pas l'institution du mariage... Sade distingue ici (1795/1972: 111) entre droit de propriété exclusif (le mariage), qu'il rejette, et le droit de jouissance universelle et sporadique qu'il admet (et promeut). Le chanteur Marilyn Manson pousse encore plus loin. Sur la pochette de lalbum Mechanical Animals (1998) où figure la pièce User Friendly (qui aborde aussi les rapports hommes-femmes) on retrouve, au bas, les touches de clavier ordinateur: [CRTL] [ESC] [DEL], cest-à-dire control (contrôler), escape(fuire) et delete (éliminer).
[4] - NIETZSCHE, Friedrich (1899/1970) Crépuscule des idoles; suivi de Le cas Wagner. (trad. d'Henri et, al. Médiations ; 68) Denoël Gonthier Paris 190 p.
[5] - Ministère de l'éducation, des loisirs et du sport du Québec.