Paul Gosselin 2009
(auteur, anthropologue)
Introduction
Lors
du procès à Drummondville (cour Supérieur du Québec)
au mois d'avril 2009 touchant les demandes d'exemptions de parents québécois
vis-à-vis le cours obligatoire d'Éthique et culture religieuse,
imposé sur l'ensemble du système scolaire québécois,
le philosophe Georges
Leroux (et spécialiste de la tradition platonicienne) a été
cité comme témoin expert par le procureur du gouvernement et
a déposé un rapport sur la requête des Lavallées.
La lecture du rapport d'expert rédigé par m. Leroux suscite
certaines questions
J'ai donc imaginé l'échange virtuel qui suit. Évidemment j'ai une imagination trop fertile et en aucun cas peut-on attribuer les répliques reproduites ici à m. Leroux. Nul doute qu'il serait plus loquace de toute manière...
Le rapport
Leroux, Georges (2009) Rapport d'expert présenté dans la requête Suzanne Lavallée et Daniel Jutras relative au programme d'Éthique et culture religieuse. (déposé le 17/4/09 PGQ-33 – District Drummondville, 54 p.) rédaction terminé fév. 2009
Note: en général les commentaires apparaissent simplement dans
l'ordre des pages du document de Leroux. La note “ p. 9 ”
réfère donc à la page 9 du rapport d'expertise de M.
Leroux.
______________________________
p. 9
PG: m. Leroux, dans votre rapport, vous avez écrit:
Adopter un point de vue relativiste équivaut donc à déclarer que toute “vérité ”n'est vraie que pour celui qui la proclame (a) et que la vérité universelle est une utopie de l'entendement humain (b).
Est-ce correcte à votre avis, que pour éviter le relativisme, qu'il soit nécessaire d'évoquer un référent ou "vérité universelle" qui transcende à la fois l'individu et la société?
GL: Oui...
PG: En quelques mots, pouvez-vous dire à la cour comment ECR évite le relativisme? Sur quel texte sacré ou "vérité universelle" s'appui-t-on?
p.10
Bien que pour celui dont le système de croyances dérive du Siècle des Lumières, la science reste le seul point de repère permettant d'établir la vérité, il faut souligner que le présent procès ne concerne pas un cours de science alors il semble un peu étrange que m. Leroux divague sur la question du relativisme dans le domaine de la philosophie de la science. Nous comprenons néanmoins qu'en tant que philosophe, la question puisse lui sembler passionnante, mais dans le contexte de ce procès, il aurait été utile préciser la pertinence de l'évoquer aux pages 10 à 13 de son rapport.
p. 14
PG: Dans le cours d'ECR il est souvent question de "conceptions de la vie bonne". Pourriez-vous dire à la cour d'où tire-t-on la conception de la vie bonne qu'implique ECR?
GL: Mais, il n'y a pas une conception de la vie bonne, il y en a plusieurs...
PG: Mais si c'est le cas, comment faites-vous alors pour éviter le relativisme, si ECR implique plusieurs conceptions de la vie bonne? Comment faire pour éviter l'incohérence?
GL mais en faisant appel à la raison...
PG: Oui, mais tous affirment être raisonnable, à quelle raison?
p. 14-15
PG: m. Leroux, dans votre rapport, vous avez écrit:
Le RELATIVISME MORAL est intimement associé au relativisme épistémologique, (...) La conclusion extrême voulant que toutes les morales “se valent ”ne peut pas être considérée comme une inférence normale des positions relativistes générales : on peut très bien soutenir que, dans l'état présent de nos connaissances, nous ne disposons d'aucun moyen pour dépasser la variété des morales disponibles et les évaluer et néanmoins continuer de soutenir que toutes ne se valent pas et qu'on ne peut, par exemple, comparer le nazisme et le christianisme.
PG: M. Leroux, votre affirmation, semble confuse. D'un côté vous observez que " nous ne disposons d'aucun moyen pour dépasser la variété des morales disponibles et les évaluer" et de l'autre vous affirmez que nous devons tout de même continuer à évaluer et faire des jugements moraux. Sur quelle base ECR permet-il de le faire? Sur quoi s'appui de tels jugements?
p. 15
PG: M. Leroux , vous observez dans votre rapport que:
Selon lui [Fernand Ouellet], le relativisme populaire (“à chacun sa vérité ”) constitue l'obstacle le plus dangereux au développement d'une compréhension des autres cultures, d'où l'importance d'un projet éducatif, comme celui de l'éducation au pluralisme religieux et culturel, dont il s'est fait le promoteur dès les années soixante-dix au Québec.
Si donc le relativisme populaire, avec son concept que “chacun a sa vérité ”, constitue un danger, à quelle vérité donc se réfère le cours d'ECR pour éviter ce danger?
GL: Mais ECR ne prône AUCUNE vérité!
PG: Alors vous reconnaissez donc qu'ECR, sans s'afficher ouvertement comme relativiste, qu'il implique néanmoins le relativisme?
GL : Ouais, mais pour voir clairement, il est essentiel de faire la distinction entre le relativisme moral, culturel et épistémologie, etc ...
PG: Mais revenons à ma question. Si ECR rejette effectivement le relativisme populaire, avec son concept que “chacun a sa vérité, sur quelle base le fait-il? Et si d'autres jugent que votre argument contre le relativisme populaire est trop faible, concédez-vous qu'ils puissent considérer ECR comme relativiste?
p. 17
PG: Dans votre rapport, vous affirmez:
Des valeurs fondamentales, comme la réciprocité, déjà formulée dans la règle d'or et reprise dans l'universalisme kantien, sont apparues comme le socle d'une morale universelle en voie de constitution.
PG : Vous citez ici la règle d'or. Faites aux autres ce que vous voudriez qu'ils vous fassent. C'est évidemment tiré des Évangiles (Matthieu 7:12). Je me demande si vous seriez du même avis que Jean-Paul Sartre lorsqu'il affirmait (dans Simone de Beauvoir 1981:552):
S.-de B.-Comment définiriez-vous en gros votre Bien et votre Mal,ce
que vous appelez le Bien,ce que vous appelez le Mal?
J.-P.S.-Essentiellement le Bien c 'est ce qui sert la liberté humaine,ce
qui lui permet de poser des objets qu 'elle a réalisés,et
le Mal c 'est ce qui dessert la liberté humaine, c 'est ce qui présente
l'homme comme n 'étant pas libre, qui crée par exemple le
déterminisme des sociologues d 'une certaine époque.
S.de B.-Donc,votre morale est basée sur l 'homme et n 'a plus beaucoup
de rapport avec Dieu.
J.-P.S.-Aucun, maintenant. Mais il est certain que les notions de Bien
et de Mal absolus sont nées du catéchisme qu 'on m 'a enseigné.
[BEAUVOIR, Simone de (1981) La cérémonie des adieux; suivi
de Entretiens avec Jean-Paul Sartre, août-septembre 1974. [Paris]:
Gallimard, 559 p.]
À votre avis, comment ECR peut-il éviter ce piège ?
Il y a dans ces affirmations de J.-P. Sartre un aveu implicite de l'incapacité
des systèmes de croyances modernes (le Siècle des Lumières)
à produire un système éthique cohérent.
Dès lors deux questions se posent :
1) Il serait facile aux promoteurs d'ECR d'éviter la charge du relativisme. Ils n'ont qu'à désigner un référent éthique particulier et identifiable. Pour la majorité des religions ce référent est habituellement un texte sacré, comme dans les religions monothéistes, mais il est concevable que ce soit autre chose. Mais il faut que ce soit quelque chose d'indépendant de l'individu et de la société, sinon ce sera sujet à manipulation, donc relatif. Inévitablement ce référent sera lié à une cosmologie et à une religion. Si les défenseurs d'ECR n'acceptent pas de répondre à la question, l'affirmation qu'ECR est relativiste reste entière. Évoquer du verbiage philosophique, genre "pluralisme normatif", n'y change RIEN, que de la poudre aux yeux...
2) Et si par hasard on laisserait entendre que ce référent serait la société, alors il ne faut pas oublier ce mantra des défenseurs d'ECR, c'est-à-dire que nous sommes dans une "société pluraliste" ou pour l'exprimer autrement, une société faite de plusieurs sociétés, chacune doté de ses propres normes. Et cela pose un problème nouveau. Si certaines sociétés défendent les droits de la femme, d'autres l'esclavage, d'autres le génocide et d'autres encore la pédophilie (Grèce antique) alors quelle norme ou référent l'emportera sur les autres dans un contexte "pluraliste"?? Faire de la société (ou même sa charte des droits) un référent ne règle rien non plus.
Rien dans le matériel défendant ECR rencontré
jusqu'ici ne me paraît répondre à ces questions.
p. 20
GL :
Le pluralisme est donc un terme qui désigne d'abord le fait que, soit dans les théories scientifiques, soit dans les conceptions morales de la vie bonne[1], nous sommes en présence d'une pluralité de théories et de conceptions et d'accepter leur irréductibilité. Cette pluralité est un fait irréfutable, (...)
PG : Pouvez-vous nous expliquer d'où vous tirez votre concept du pluralisme? Pour mieux nous situer, pourriez-vous nous éclairer sur les sources de cette perspective et des penseurs (que ce soit au Québec ou ailleurs) qui la véhiculent? Cela se rattache à quel courant de pensée?
Commentaire PG
Sur le plan philosophique, c'est un point très faible de l'argument
de GL. Le philosophe écossais David
Hume[2] a justement établi qu'un
fait observable (dans notre contexte, la pluralité des visions du monde/religions)
ne peut jamais fonder une prescription morale (le problème is/ought).
C'est un problème bien connu en philosophie. L'argument est développé
plus amplement aux pages 11 à 12 de
Gosselin, Paul (2009) Se
dégager du relativisme: une réponse au clergé du MELS.
Rapports techniques Samizdat 30 p.
Sur le plan philosophique donc, affirmer que la pluralité des visions
du monde/religions impose le pluralisme, c'est TRICHER! Il n'y a aucun
lien logique entre les deux. La première observation n'entraîne
en aucun cas la prescription morale que GL en tire.
p. 20
PG: m. Leroux, dans votre rapport vous citez R. Nadeau qui affirme:
Lorsqu'on décrète qu'aucune de ces thèses, théories ou méthodes ne peut par principe, être jugée meilleure, ou plus fondamentale que les autres, le pluralisme devient un relativisme.
À votre avis, sur le plan logique cette affirmation implique-t-elle qu'il faut, pour éviter le relativisme, juger qu'une théorie ou méthode à quelque part est meilleure ou plus fondamentale que les autres?
GL: oui...
PG: Et dans le cadre d'ECR, sur quelle base ou en se référant
à QUOI, peut-on juger qu'une conception de la vie bonne par exemple,
est plus vraie ou meilleure que les autres?
p. 21
(...) le pluralisme désigne de la même manière une situation de fait : (...)
PG: m. Leroux, on peut tous s'entendre que la société québécoise comporte une pluralité de visions du monde. Il s'agit d'un fait observable. Par contre, sur le pluralisme, en tant que crise nécessitant une solution, est une affirmation d'un autre ordre. À ce sujet, trois questions se posent:
p. 22
Le pluralisme est donc distinct du relativisme, en ce qu'il ne doute pas de la possibilité de progresser rationnellement, par le moyen de l'éthique, vers une morale rationnelle, mais invite à constater qu'historiquement, elle n'est pas disponible et à tenir compte de la pluralité pour enrichir l'éthique.
PG: Cette affirmation est intéressante. Vous affirmez en somme que le pluralisme évite le relativisme en s'appuyant sur l'éthique. Sur quel système éthique au juste?
GL: ...
PG: La deuxième partie de cette citation est aussi intéressante,
car lorsque vous affirmez que " mais invite à constater qu'historiquement,
elle[3] n'est pas disponible et à tenir
compte de la pluralité pour enrichir l'éthique" cela laisse
entendre que l'éthique ne peut suffire pour éviter le
relativisme et qu'il faut également s'appuyer sur la pluralité
pour éviter le relativisme. Mais puisqu'on a établi que la pluralité
des systèmes de croyances en soi est neutre sur le plan moral, concédez
vous que certains puissent être d'avis qu'ECR n'évite en aucun
cas le relativisme?
p.22
C'est en ce sens que les théoriciens parlent de PLURALISME NORMATIF, une expression qui désigne le fait que la pluralité des normes et des valeurs doit servir de critère pour la réflexion éthique. La pluralité des conceptions de la vie bonne enrichit la réflexion sur le bien commun, dans la mesure où elle contribue à nourrir les arguments soutenant diverses formes de vie bonne ou blâmant certaines formes de vie mauvaise.
PG: Il n'est pas inutile de sortir des abstractions pour examiner une situation concrète. Un anthropologue a fait des recherches chez les Sambia de la Papouasie-Nouvelle-Guinée et a rencontré la situation suivante. Dans cette société une femme, sous l'autorité de son mari peut être battue, même jusqu'à la mort si elle se montre rebelle. Et lorsque son mari décède, les hommes âgés du village peuvent agir de même à son égard. Et bien cet anthropologue est sur le point de quitter le village et un de ses contacts dans le village est une femme dont le mari est justement décédé. Cette femme lui a beaucoup aidé dans ses recherches. Il sait que dans la culture locale cette femme est considérée emmerdante, rebelle à l'autorité patriarcale. La question se pose, m. Leroux, puisque vous affirmez que "Le pluralisme est donc conçu comme norme et comme idéal à respecter." (p. 23) est-ce que l'anthropologue doit accepter la pluralité des visions de la vie bonne et ne pas intervenir auprès des hommes du village pour défendre cette femme de la menace qui pèse sur elle? Et s'il rejette cette option et décide d'intervenir, sur quoi s'appui-t-il pour le faire?
SOURCE: (Herdt et al.1990: 200):
Dans le cas de P, nous nous demandions, avant de quitter la Vallée, s'il pouvait arriver que certains hommes, comme leur permettaient leurs coutumes locales, puissent la tuer pour avoir été une femelle rebelle, dérangeante. Était-il légitime de notre part de prévenir son meurtre et, ce faisant, imposer notre moralité étrangère à ces gens? Lorsque nous avions décidé, Merde – nous allions protéger P en les avertissant de ne pas la tuer, ni même la battre jusqu'à l'inconscience – nous savions qu'il y avait là un caprice de notre part. Car en agissant ainsi, nous la sauvions peut-être, mais nous avions poussé ces gens un peu plus loin sur le chemin des changements culturels imprévisibles.*
HERDT, Gilbert; STOLLER, Robert J. (1989/1990)
Intimate communications. Columbia U. Press New York 467 p.
p. 29
PG: Est-ce exacte que, dans votre rapport, vous avez écrit?
Les accommodements requis dans certaines circonstances pour faciliter l'harmonie sociale sont la responsabilité commune du législateur et de l'autorité religieuse, mais, comme la jurisprudence l'a montré au cours des dernières années, l'issue ne repose jamais sur l'interprétation civile d'une disposition religieuse, mais, au contraire, sur l'auto-interprétation de la croyance sincère au sein même de la communauté religieuse. Le cas du jugement de la Cour suprême du Canada sur le port du kirpan à l'école illustre ce point de manière définitive et ferme.
PG: Si c'est votre avis m. Leroux, seriez-vous également d'accord
que l'État du Québec doit faire de même pour les parents
québécois dont c'est la croyance sincère que le
contenu du cours ECR contredit et entre en conflit avec leurs propres convictions
et sur cette base demandent que leurs enfants en soient exemptés de
ce même cours?
p. 31
PG: Dans votre rapport, vous avez affirmé: "Il est donc essentiel que l'État favorise l'expression de la pluralité morale dans l'espace public," Pourriez-vous préciser ce qu'est ce terme " pluralité morale" par rapport au terme pluralisme que vous employez habituellement?
GL: ...
PG: Et quel référendum a mandaté l'État québécois
afin qu'il impose l'idéologie pluraliste sur la société
québécoise? Sur quoi est fondé ce mandat?
Polythéisme
p. 34
Chacune en effet peut hériter des autres, mais la synthèse qu'elle présente demeure entièrement autonome. Rome, par exemple, doit tout au panthéon de la religion grecque olympienne, mais la religion romaine présente un corpus autonome. Aucune religion polythéiste, pour le dire autrement, ne se situe dans une continuité herméneutique avec une autre.
PG: Sur la question du polythéisme, notre requête affirmait qu'un tel système religieux n'impose pas l'ensemble du panthéon, mais laisse libres ses adhérents à croire en et adorer les divinités qu'ils veulent et n'exclut pas non plus des divinités tirés d'autres religions polythéistes. À votre avis, est-ce une affirmation légitime?
Vous affirmez également :
Pour conclure, on dira donc que lorsqu'une religion ne propose pas une théologie monothéiste affirmée et qu'elle maintient la coexistence de plusieurs entités divines ou principes transcendants, alors elle est polythéiste.
PG: Notre requête affirmait qu'une religion polythéiste implique l'affirmation que plusieurs divinités existent. Est-ce une définition acceptable à votre point de vue (car votre rapport ne semble pas l'exclure)?
p. 35
PG: Vous citez la Commission des droits de la personne du Québec à l'effet que:
(...) que nul ne peut être forcé, directement ou indirectement, d'embrasser une conception religieuse, ou d'agir contrairement à ce qu'il croit.
Est-ce possible qu'il y ait une contradiction entre cette affirmation et les interventions de l'État québécois depuis la loi 95 en imposant ECR sur l'ensemble de la population du Québec et où manifestement une large part de la population juge que, dans ce cas, on la force à embrasser un système de croyances qui est contraire à ses convictions.
PG: Dans votre rapport, vous citez un document de la Commission des droits
de la personne, affirmant que:
Pour l'État, elle comporte un autre élément relatif à la nécessaire neutralité de celui-ci par rapport à la diversité des religions.
Et vous ajoutez ce commentaire
l'État, en effet, doit s'abstenir de promouvoir toute religion particulière, mais doit protéger la liberté religieuse de tous les citoyens.
m. Leroux, puisque c'est votre avis que l'État doit s'abstenir de promouvoir toute religion particulière qu'il n'aurait pas été plus logique et plus cohérent d'éliminer tout cours de religion ou d'éthique dans le système d'éducation québécois?
p. 38
PG: Dans votre rapport...
Ces formulations de l'allégation principale sont très différentes, mais on peut y distinguer au moins deux versions distinctes : selon la première, le programme ÉCR véhiculerait un certain relativisme; selon une version plus forte, le relativisme serait la doctrine philosophique de l'État, inspirée du postmodernisme, qui en ferait derechef la doctrine explicite du programme.
Et si le relativisme ou le postmodernisme étaient des doctrines implicites du programme ECR, à votre avis est-ce que cela suffit pour réfuter l'affirmation qu'ECR n'est pas neutre?
GL: ...
PG: [peu importe la réponse] svp justifier votre réponse...
p. 39
PG: Dans votre rapport, vous alléguez que le refus d'ECR dans une
part de la population québécoise serait lié à
une "crainte de la diversité[4]".
À votre avis, cette crainte serait-elle comparable à celle d'un
individu qui, entrant dans une épicerie, ferait une crise de nerfs
à la vue de tout ce choix de fruits et légumes?
GL: ...
PG: svp justifier votre réponse...
p. 40
PG: dans votre rapport, vous notez "1/Le programme ÉCR ne contient,
ni dans sa structure, ni dans ses finalités, ni dans l'énoncé
de ses compétences, quelque élément relativiste que ce
soit."
PG: À votre avis, est-ce que votre affirmation implique qu'ECR ne comporte pas d'éléments relativistes explicites?
GL: ...
PG: Est-ce possible par ailleurs qu'ECR implique des éléments
relativistes implicites?
GL: ....
PG: Brièvement, pouvez-vous nous offrir un argument raisonné qui peut nous convaincre qu'ECR n'est pas relativiste?
GL: Dans son rapport, GL se contente d'affirmer qu'ECR incite au dialogue est donc n'est pas relativiste.
PG: À votre avis, comment le dialogue peut-il prévenir le relativisme? À votre avis, les relativistes sont donc incapables de dialogue?
postmodernisme
p. 43
PG: dans votre rapport, vous notez
Je commence par la question de la soi-disant “idéologie
post-moderne ” de l'État québécois : cette
lecture du programme relève bien sûr d'un soupçon injustifié,
mais exprime surtout une crainte importante de la part de milieux catholiques
fragilisés par la déconfessionnalisation du système
scolaire.
Vous vous livrez à des spéculations intéressantes sur ce qui a pu motiver la demanderesse à poser cette question, mais j'ai cherché en vain dans votre rapport une réponse à cette question. Pouvez-vous, brièvement, expliquer à la cour en quoi la perspective proposée par le cours ECR diffère de celle qu'on retrouve dans le courant postmoderne si répandu en milieu universitaire?
GL: ...
PG: Pouvez-vous apporter des preuves de ce que vous affirmez?
PG: L'auteur Jean-Pierre Cometti[5], professeur de philosophie à l'université de Provence (Aix-Marseille I), affirme que le pluralisme fait bien partie du courant postmoderne.
Le pluralisme « post-moderne » possède des attraits qui procèdent beaucoup moins d'une brusque illumination ayant fait faire un grand pas à l'esprit moderne que des péripéties d'une histoire marquée par le déclin des grandes idéologies, le recul du politique et le développement d'un nouveau capitalisme dont la « globalisation »est devenue depuis peu l'emblème, en positif ou en négatif. (p. 37)
Jean-Pierre COMETTI (2001) Le
pluralisme pragmatiste et la question du relativisme. Archives de Philosophie
no.1 - Volume 64 pages 21 à 39 ISSN 1769-681X
PG: Pourriez-vous commenter ce lien établi par Cometti entre pluralisme et le système de croyances postmoderne?
PG: Cometti ajoute une observation intéressante.
la globalisation, tout, comme le pluralisme post-moderne, s'accommodent assez bien d'un relativisme qui tend à affaiblir le potentiel critique disponible dans les sociétés acquises à ces thèmes. (pp. 37-38)
PG: Pourriez-vous commenter l'affirmation de Cometti à l'effet que la pensée postmoderne n'exclut pas le relativisme?
PG: Professeur de philosophie de l'art à l'Institut philosophique du Centre Supérieur de la Recherche scientifique de Madrid, dans Esthétiques de la postmodernité[6], Caroline Guibet-Lafaye examine la pensée postmoderne et remarque (2000: 4):
La dissolution des grands récits et des normes qu'ils proposaient, la perte des illusions modernistes ont engendré une autonomisation croissante de l'individu. La fin des grands récits ouvre la porte à l'individualisme. Le rejet de la raison universalisante fait de l'individu la finalité de toute chose. L'individualisme exprime et coïncide avec la tendance à l'hétérogénéité et au pluralisme propres à l'époque postmoderne. Celle-ci valorise les différences et le particularisme, l'équilégitimité. La revendication accrue des libertés et des droits traduit l'autonomisation de l'individu. La dissolution des valeurs traditionnelles laisse place à une unique valeur, “ le droit de choisir nous-mêmes ce qui nous concerne ”. Cette liberté de choix signifie, en dernière analyse, le droit de choisir les critères de vérité. La dissolution des valeurs traditionnelles est aussi celle des valeurs métaphysiques. L'individualisme postmoderne rejette l'autorité et les valeurs imposées, ainsi que toute normativité.
PG: Pourriez-vous commenter ce lien que fait Guibet-Lafaye entre pluralisme et pensée postmoderne?
PG: Dans son essai Beyond postmodern politics, Honi Fern Haber, professeur de philosophie à l'université du Colorado, observe (p.7)
In the following pages I examine the poststructuralist and postmodern themes
of Lyotard, Rorty, and Foucault, to assess their usefulness for oppositional
politics. I have chosen to discuss Rorty because he is the most influential
representative of the Anglo-American branch of postmodern politics.
Of the influential European proponents, I have chosen to concentrate my
analysis on Lyotard and Foucault. I have chosen Lyotard not only because
in making the term postmodern familiar to many philosophic audiences he
is an obvious choice, but also because he most directly enters into debate
with Rorty over how postmodern, politics ought to be expressed. There is
a progression from one to the other which makes my choice of representatives
heuristically useful; the move from Lyotard to Rorty reveals for us progressive
attempts to solve the problems engendered for political theory by the postmodern
commitment to a radical pluralism ("paganism" in Lyotard's
terms, "ironism. in Rorty's).
Honi Fern Haber (1994) Beyond postmodern politics: Lyotard, Rorty, Foucault.
Routledge, Londres 160 p.
PG: Pourriez-vous commenter ce lien que fait Honi Fern Haber entre pluralisme et pensée postmoderne chez Rorty, un philosophe que vous citez justement dans votre rapport d'expertise? (p. 12, 16, 54)
p. 43
PG: Dans votre rapport, il est question de pluralisme normatif. Pourriez-vous nous éclairer m. Leroux sur la distinction entre ce pluralisme normatif et le relativisme?
p. 45
PG: Dans votre rapport, vous affirmez que "La philosophie explicite qui structure le programme est celle du pluralisme," Reconnaissez-vous cette "philosophie du pluralisme" puisse entrer en contradiction avec les convictions et croyances d'un bon nombre de québécois?
p. 46 (polythéisme)
PG: Est-ce exacte d'affirmer qu'ECR n'impose pas de croire dans Mahomet, Jésus, Bouddha ou le Carcajou amérindien?
PG: Est-ce exacte d'affirmer également qu'ECR n'exclut pas non plus de croire dans Mahomet, Jésus, Bouddha ou le Carcajou amérindien?
GL: ...
PG: Pouvez-vous nous citer un passage dans le programme qui explique aux étudiants qu'il ne faut pas croire
PG: Pouvez vous résumer votre argument le plus fort pour contrer l'accusation qu'ECR constitue une religion polythéiste?
GL: ...
PG: Si je comprends bien votre objection à l'affirmation qu'ECR est une religion polythéiste tient exclusivement au fait qu'à votre avis ECR n'est pas une religion?
GL: ...
PG: Pouvez-vous dire à la cour sur quelle définition de la religion vous vous basez pour appuyer cette affirmation?
GL: Mais il est entendu qu'habituellement une religion implique une croyance en un dieu ou dieux ou encore, religion = croyance au surnaturel...
PG: Réalisez-vous m. Leroux que si on fait appel à une définition plus récente en anthropologie, une définition qui considère la religion comme simplement un système de croyances donnant sens à l'existence de l'individu et d'une société que votre objection tombe inévitablement?
p. 46
PG: m. Leroux, vous rejetez l'affirmation qu'ECR est polythéiste en répliquant:
Mais cette allégation est fallacieuse, car le programme ne fait la promotion d'aucune religion particulière
Ëtes-vous conscient m. Leroux que bien des systèmes de croyances syncrétiques[7] ne font pas la promotion d'une religion particulière?
Quelques exemples de religions syncrétiques
- Foi Bahai
Les notions Baha'ies de révélations religieuses progressives leur font accepter la validité de la plupart des religions du monde, dont les fondateurs ou figures centrales sont considérées comme des manifestations de Dieu. Ces manifestations sont, par exemple : Adam, Moïse, Jésus, Mahomet, Krishna, Zoroastre et Bouddha. Les Baha'is pensent aussi que les autres personnages religieux, comme Abraham, Noé et Houd ont réellement existé et sont des prophètes de Dieu. (Wikipédia[8])
- L'École du Lotus Blanc en Chine sous les Yuan (13e-14e siècle.)
La religion syncrétique n'a pas de prêtres : la vie religieuse
collective, les temples, les fêtes sont gérés par la
communauté elle-même. À la place d'"écritures",
elle s'appuie sur des œuvres théâtrales mettant en scène
les héros et les divinités du panthéon.
Le panthéon de la religion syncrétique est vaste et désordonné,
car c'est avant tout une religion qu'on pourrait appeler fonctionnaliste
: les noms des dieux correspondent à des charges occupées
par tel ou tel personnage au sein de la bureaucratie céleste. D'autre
part, c'est un panthéon ouvert. Si certains dieux passent de mode,
de nouveaux viennent les remplacer. Toute divinité, même étrangère,
dans la mesure où sa puissance devient manifeste, est incorporée
au panthéon, comme par exemple des personnages historiques divinisés,
des buddha et bodhisattva venus de l'Inde (dont Guanyin est le cas le plus
célèbre) et même, au XXe siècle dans certaines
sectes, Mahomet et Jésus-Christ. Un autre élément essentiel
de la religion syncrétique, également issu de la religion
antique, est le culte des ancêtres. (Wikipédia[9])
p. 48
PG: Sur la question de la neutralité des enseignants, vous faites le commentaire suivant:
Tous les enseignants possèdent un profil personnel. Leurs préférences ne sont pas aisément cachées, qu'il s'agisse de leurs choix moraux ou esthétiques, mais tous sont également tenus de ne pas transformer leurs convictions en doctrine enseignée.
À votre avis, comment peut-on s'assurer que les producteurs du cours ECR ne transforment pas leurs convictions en doctrine enseignée dans le cadre du système scolaire québécois? Tiens, n'est pas curieux que vous figurez parmi ces producteurs d'ECR?
Lereoux affirme:
D'abord, nous devons constater, contrairement à ce que soutiennent les requérants, que le programme est neutre eu égard aux convictions religieuses et aux positions morales : il ne présente aucune doctrine et ne favorise aucun positionnement moral particulier.
PG: SI j'ai bien compris, vous dites donc qu'ECR est neutre puisqu'il ne s'agit pas d'une religion?
GL: C'est exacte
PG: Pouvez-vous expliquer à la cour, sur quelle définition de la religion vous vous appuyez pour faire cette affirmation?
PG: Pourriez-vous admettre, m. Leroux, que si on examine le cours d'ECR à la lumière d'une définition plus récente en sciences sociales, une définition cognitive[10] qui définit simplement la religion comme un système de croyances donnant sens à la vie de l'individu et à une société, qu'ECR puisse être considéré alors comme une religion?
GL: ...
PG: À votre avis m. Leroux, si on devait examiner ECR à la lumière d'une telle définition, que cela pourrait remettre en question la neutralité prétendue de ce cours?
PG: À la page 44 de votre rapport, vous affirmez que " seule une laïcité fermement reconnue peut assurer le respect de la liberté et de l'égalité de chacun." Reconnaissez-vous que d'un point de vue anthropologique, cela peut être considéré comme une forme de messianisme[11]? Quelle est la source cet optimisme ? Est-elle fondée sur des faits ou est-ce simplement un rêve comme celle des Raëliens voir la venue des extraterrestres enseigner aux humains la sagesse et l'harmonie
p. 49
PG: Dans la conclusion de votre rapport, vous affirmez que l'école exige une "exigence de décentrement". Pourriez-vous expliquer ce concept à la cour? De source tirez-vous ce concept ?
GL: ...
PG: Pourriez-vous expliquer à la cour pourquoi il faut considérer un tel processus neutre sur le plan des systèmes de croyances?
PG: vous notez que
Notons enfin un troisième principe : la priorité du bien commun dans un contexte pluraliste. Ce principe constitue la deuxième finalité du programme ÉCR.
PG: Pourriez-vous expliquer à la cour quelle est la source de votre conception du "bien commun dans un contexte pluraliste"? Sur quoi s'appui-t-elle?
PG: vous notez que
Certains soutiennent qu'une neutralité absolue dans les matières normatives est impossible, même en histoire et en littérature : il n'y a pas de neutralité concernant les valeurs, il y a toujours une influence.
Si donc la neutralité est impossible en histoire et en littérature, pourquoi y croire dans le cadre d'un cours de religion destiné aux enfants?
pp. 49-50
PG: Vous notez:
(...) l'idéal de neutralité consiste à soutenir que cette éthique doit donner aux jeunes les moyens de réagir à l'influence, à gagner leur propre émancipation individuelle, à assumer leur identité pour éventuellement la dépasser.
PG: Pourriez-vous être plus explicite sur cette question. Qu'est-ce que signifie pour vous “ assumer leur identité ” (laquelle)? Et que signifie ensuite “ pour éventuellement la dépasser ”? Pour aller où?? Et dans quel but ?
p. 50
PG: À la fin de votre conclusion, vous citez D. Weinstock qui affirme:
En tant que membres de sociétés démocratiques caractérisées par un très haut niveau de diversité religieuse, culturelle, et par des opinions parfois divergentes sur les questions morales les plus brûlantes de l'heure, un jeune devra, en tant que citoyen, apprendre à dialoguer avec des individus qui diffèrent de lui (...)
PG: À votre avis, est-ce que cela implique que les québécois ne savent pas dialoguer?
GL: Euh... bien non, c'est pas ça, mais... il y a la bonne manière...
PG: Si je comprends bien, le problème n'est pas que les Québécois ne savent pas dialoguer, mais qu'ils ne dialoguent pas dans la bonne perspective. Si c'est le cas, pouvez-vous nous éclairer sur les sources de la bonne perspective pour le dialogue?
Remarques finales
Deux problèmes de fond restent sans solution dans le texte de Leroux.
Lorsque l'on met de côté toutes les discussions de mots, il reste une question : Est-ce que l'on va admettre que les parents sont à même de juger que les croyances proposées par le cours ECR sont compatibles ou non avec leurs propres convictions? Et s'ils jugent que les croyances proposées par le cours ECR sont incompatibles, ont-ils le droit de prendre des mesures en conséquence et d'agir comme des agents libres, plutôt que se voir traité comme des enfants dans une garderie qui doivent êtres gérés par un appareil d'État maternaliste?
Les défenseurs d'ECR, tels que Leroux, affirment aux parents québécois que lorsqu'ils décèlent des contradictions entre les doctrines enseignées par ECR et leurs propres convictions, que cela est sans importance, le résultat d'une confusion ou d'un manque d'illumination. Les parents québécois sont aussi tout à fait dans leur droit de rejeter un tel avis lobotomisant. SVP, M. Leroux, cessez de traiter les parents québécois comme des patients d'une aile psychiatrique!
Il faut donc se demander ici : Au Québec, est-ce que les parents sont réellement libres de jouer leur rôle parental ou doivent-ils se contenter d'une illusion de liberté ? À moins que l'État déclare ouvertement que les parents québécois sont inaptes à gérer l'éducation de leurs enfants, ils restent donc tout à fait dans leur droit de rejeter la neutralité du cours d'ECR et d'exiger des exemptions à ce cours.
[1] - GL mélange théories scientifiques et religion (conceptions morales de la vie bonne). Bizarre.
[2] - Le plus amusant dans tout ça est que Hume était un des premiers grands philosophes athées.
[3] - Pas clair, l'éthique??
[4] - Il en est question aussi à la page 43 du rapport Leroux. Cette approche psychanalytique se rencontre également à la page 44.
[5] - Fait intéressant, l'article de Cometti fait référence (p. 37) à Charles Taylor... Et Leroux doit bien connaître Cometti. Voir à ce sujet
[6] -GUIBET LAFAYE, Caroline (2000) Esthétiques de la postmodernité. Etude réalisée dans le cadre d'une coopération entre l'Université Masaryk de Brno (République tchèque) et l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
[7] Que l'Universalis défini de la manière suivante:
"Dans la terminologie habituelle de l'histoire des religions, le syncrétisme désigne la fusion de deux ou de plusieurs religions, de deux ou de plusieurs cultes en une seule formation religieuse ou cultuelle."
UNIVERSALIS (2003) Encyclopédie CD-Universalis version 8.0 pour Mac.
[9] -
http://fr.wikipedia.org/wiki/Secte_du_lotus_blanc
http://www.basicrps.com/chine/religion/religion.html#sync
[10] - Approche liée à la cognitiion, la connaissance. Cette approche examine avant tout les croyances et présupposés, plutôt que les rites ou formes esthétiques.
[11] - Proposition d'une utopie, un paradis sur terre.