Lettre ouverte au milieu universitaire au sujet du cours ECR.
Depuis quelques années, on voit au Québec la montée d'une nouvelle Grande noirceur, mais sous le masque d'une version politiquement correcte. Il s'agit donc d'une Grande noirceur plus hypocrite, qui ne reconnaît pas son caractère religieux.
Une telle conception est évidemment liée à la tradition (héritée des Lumières) de nos intellos qui considèrent avoir dépassé le stade de la religion. Si on exploite une définition désuète de la religion, qui le lie au surnaturel ou à la croyance en des divinités (ce qui implique une identification implicite au christianisme) cela peut aller, mais depuis la Seconde Guerre mondiale cette définition populaire de la religion a été rejetée par les chercheurs. À leur avis, la religion est désormais un système de croyances qui donne sens à l'existence humaine. Que ces croyances réfèrent au surnaturel ou non a peu d'importance.
Il en découle que la religion est un phénomène universel et que la question du sens ne peut être évitée, ni par l'individu, ni par une civilisation. Des chercheurs comme les anthropologues Clifford Geertz ou Marc Augé ont exposé le fait que la religion n'est pas nécessairement liée à des croyances dans le surnaturel. Sur le plan anthropologique, il est patent que la religion a pris et peut prendre bien des formes. Et si le système de croyances dominant en Occident a coupé les liens avec le surnaturel et nie son caractère religieux, cela ne change rien de fondamental.
Mais depuis les Lumières, on a vu la montée en Occident d'une élite qui affirme avoir dépassé le stade de la religion. Elle nie donc son caractère religieux et masque ses croyances derrière un discours hypocrite de neutralité qui le met à l'abri de toute critique sérieuse. Le milieu universitaire pose, de manière typique un regard condescendant sur la religion des autres, mais démontre très rarement un regard critique sur son propre discours, sur son propre milieu. Dans le Québec du XXIe siècle, la question est capitale, car par le biais du cours Éthique et culture religieuse, l'État du Québec impose sur la population du Québec un système de croyances postmodernes et un nouveau clergé.
Si on se penche sur des études de religion comparée, on constate que chaque religion comporte une attitude qui lui est propre sur la question du recrutement et de la conversion. Si plusieurs sectes chrétiennes exigent une conversion basée sur le choix délibéré de l'individu[1], dans d'autres religions, le choix de l'individu, bien que désirable, sera considéré facultatif. Si on examine les trois premiers siècles de l'expansion initiale de l'islam par exemple, on constate rapidement que cette expansion n'est pas liée à l'envoi de missionnaires, mais aux conquêtes territoriales des armées du Prophète[2]. Dans l'islam, la conversion forcée ne pose aucun problème.
La religion postmoderne, qui est celle d'un grand nombre de nos élites universitaires, domine notre génération. Bien qu'elle n'avance pas à la pointe de l'épée, tout comme l'islam, elle se soucie peu du choix de l'individu. La religion postmoderne s'impose donc surtout par la conquête de territoires institutionnels, dans les médias, l'État et le système d'éducation. La chose est évidente lorsque l'on considère la manière dont le fameux cours d'Éthique et culture religieuse a été imposé (sans possibilité d'exemptions) par le MELS et l'État québécois depuis septembre 2008.
Une question simple se pose alors. Allez-vous faire partie de ce nouveau clergé ou, de par vos activités professionnelles, allez-vous participer à former ses candidats à la prêtrise ou encore à l'appuyer grâce à vos recherches ou à votre plume?
Si vous vous voulez explorer une perspective qui sort des sentiers battus, veuillez consulter les articles qui suivent :
Éthique et culture religieuse: la nouvelle religion d'État au Québec.
Se dégager du relativisme: une réponse au clergé du MELS.
La définition de la religion en anthropologie sociale.
La définition de la religion: un autre son de cloche. (présentation faite à la commission Bouchard-Taylor le 30 oct. 2007 - format PDF)
Évidemment il ne faut pas se leurrer. Tout ça n'est pas un jeu. Le milieu universitaire aime bien se targuer de sa tolérance, mais l'observateur lucide constate néanmoins que certaines remises en question sont mal reçues. Actuellement ECR a l'appui non seulement de l'État québécois, des médias, mais aussi d'une part très large des élites universitaires. Il faut donc être conscient qu'une prise de position contre ce programme peut avoir des conséquences professionnelles. Une permanence souhaitée qui n'aura pas lieu, des demandes de subventions pour des projets de recherche non renouvelées. À chacun de peser le pour et le contre, mais il faut également peser les conséquences à long terme pour la société québécoise de laisser imposer une telle pensée unique.
Notez bien que si vous avez été contacté à ce sujet ce n'est pas que je vous visais personnellement, mais c'est simplement que votre travail ou vos recherches recoupent les questions abordées ci-dessus. Si je me suis trompé sur ce point, alors toutes mes excuses de vous avoir importuné.
bonne lecture!
Paul Gosselin, anthropologue, auteur
le 25 nov. 2009
====================================================
"What sort of thing do you have in mind?"
"Quite simple and obvious things, at first sterilisation of the unfit, liquidation of backward races (we don't want any dead weights), selective breeding. Then real education, including pre-natal education. By real education I mean one that has no 'take-it-or-leave it' nonsense. A real education makes the patient what it wants infallibly: whatever he or his parents try to do about it. Of course, it'll have to be mainly psychological at first. But we'll get on to biochemical conditioning in the end and direct manipulation of the brain."
"But this is stupendous, Feverstone."
"It's the real thing at last. A new type of man: and it's people like you who've got to begin to make him."
CS Lewis p. 43
That Hideous Strength. (Collier/MacMillan New York 1946/1965 382 p.)
====================================================
DERINGIL, Selim (2000) “There Is No Compulsion in Religion”: On Conversion and Apostasy in the Late Ottoman Empire: 1839–1856. pp. 547-575 Society for Comparative Study of Society and History vol. 42 no. 3
GELLNER, Ernest (1992/1999) Postmodernism, Reason and Religion. Routledge London/New York 108 p.
GOSSELIN, Paul (2006) Fuite de l'Absolu: Observations cyniques sur l'Occident postmoderne, volume I. Samizdat Québec 492 p.
[1] - Et vont investir des efforts considérables dans ce but.
[2] -Il n'est pas rare que le fait de souligner de tels faits attire l'accusation d'islamophobie. C'est une réaction un peu curieuse. Dans le discours public, on a parfois l'Impression que l'on ne peut faire aucune critque sérieuse de l'islam. Selon la pensée dominante, toute critique de l'islam sera donc islamophobe? Désolé, mais c'est une affirmation vide, typique des courants postmodernes. Est-ce que la critique de l'islam implique nécessairement une crainte irrationnelle des musulmans ou de l'islam? Pas du tout. L'attitude de nos élites laisse entendre que l'on ne peut critiquer l'islam d'aucune manière et qu'il faut faire preuve d'ouverture. Implicitement cela implique ne s'intéresser qu'aux aspects superficiels des religions. Le dialogue devient alors à sens unique seulement. La religion chrétienne en Occident (avec ses prétentions à la Vérité) est la cible favorite du mépris postmoderne, mais si d'autres religions non occidentales ont de telles prétentions, cela n'attitre ni attention, ni commentaire de la part de nos élites. Cette attitude a attiré les observations suivantes de l'anthropologue britannique, Ernest Gellner (1992: 84):
Les relativistes [ou postmodernes] dirigent leurs attaques seulement contre ceux qu'ils affublent de l'épithète positiviste, c'est-à-dire le non-relativiste occidental, mais passent sous silence le conflit/désaccord qui les sépare du fondamentalisme religieux [non-occidental]. Leur attitude est, en somme, la suivante: l'absolutisme doit être toléré seulement s'il est suffisamment étrange sur le plan culturel. Ce n'est que chez soi qu'ils ne peuvent le tolérer.*
Mais pour ce qui est de l'islam, le fond de la question se règle en examinant les faits. Sur le plan historique, comment s'est fait l'expansion islamique en Afrique du nord? (voir article Wiki: Conquête musulmane du Maghreb) Sans les armées du prophète, est-ce concevable? Est-ce que l'Espagne a été convertie par des missionnaires musulmans ou envahie par des armées? À la bataille de Poitiers en 732, est-ce que Charles Martel a repoussé des missionnaires musulmans ou s'agissait-il d'une armée? Sur ces questions, il faut s'appuyer sur des données historiques plutôt qu'une vision folklorique de l'islam diffusée par les médias. Mais il faut avouer qu'en général le postmoderne ne porte son attention sur l'ensemble des faits. Ceci dit, la vision folklorique de l'islam remplit tout de même une fonction importante chez nos élites postmodernes, car elle permet de protéger un dogme postmoderne fondamental, c'est-à-dire que toutes les religions sont pareils..