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Samizdat

Étude sur la christologie.



Daniel Audette

LA PERSONNE DE CHRIST


La doctrine du Christ dans l'histoire
La relation entre l'anthropologie et la christologie
Il existe une relation étroite entre la doctrine de l'homme et la doctrine du Christ. La première traite de l'homme créé, mais qui en raison de sa transgression s'est dépouillé de sa véritable humanité et est ainsi devenu pécheur. Désormais séparé de Dieu, l'homme gémit et soupire après une délivrance divine. La christologie est en partie une réponse à cette misère profonde. Elle nous présente en effet l'œuvre objective de Dieu en Christ pour le salut des hommes[1]. La christologie est donc la doctrine du Dieu qui se fait “ l'Homme-Messie ” en vue de sauver l'humanité pécheresse[2].


La doctrine du Christ selon l'attente vétérotestamentaire

Pour se faire une idée exacte du Christ, c'est dans la littérature vétérotestamentaire qu'il faut d'abord regarder. Dans l'Ancien Testament, la possibilité d'un salut via la médiation d'une figure humaine historique est déjà perceptible. Se dégage également du tableau vétérotestamentaire la divinité du Messie qui doit venir.

Le “ Protévangile ” constitue la première référence messianique de l'Écriture : la Semence de la femme, que la tradition a souvent associée à la figure individuelle du Messie, triomphera et apportera le salut final (Gn 3.15). On peut aussi considérer Gn 12.3 ; 18.18 et 28.14, où la promesse de la “ semence ” se transpose à Abraham (et Isaac et Jacob après lui), en qui “ toutes les familles de la terre seront bénies ”.

L'annonce de la venue d'un prophète semblable à Moïse (Dt 18.15, 18) laisse entrevoir le rôle prophétique de celui que l'Éternel enverra. Peut-on lier ce nouveau Moïse à la Semence du Protévangile ? Rien, de manière directe et scripturaire, ne permet de faire ce lien. On peut cependant, en raison de l'intelligence de la foi, qui est informée par l'histoire subséquente de la rédemption (le Nouveau Testament surtout), faire coïncider ces deux figures dans la personne de Jésus-Christ.

L'attente messianique de l'Ancien Testament est particulièrement caractérisée pas la figure davidique du Messie : on espérait en effet l'inauguration d'un règne universel dirigé par un Messie de la descendance de David (voir principalement 2 S 7.4-16, mais aussi Ps 2.7-12 ; 110.1-7 ; Es 4.2 ; 9.5 ; 11.1-5 ; 55.3 ; Jr 23.5 ; Dn 9.24-26 ; Mi 5.1 ; Za 3.8 ; 6.11-14 ; 9.9 ; 13.7, qui reprennent et enrichissent chacun à sa façon la promesse messianique).

Ésaïe introduit la figure du Serviteur souffrant, qui paraît à première vue assez distincte de celles de la “ Semence ”, du “ nouveau Moïse ” et du “ Fils de David ”. Un rapprochement semble toutefois possible, voire nécessaire : sous la plume d'Ésaïe, le Serviteur souffrant accomplira en effet le rôle prophétique du nouveau Moïse (Es 42.2, 6, 7 ; 49.6s ; 53.10). Jérémie et Zacharie font la jonction entre l'annonce du Serviteur, qui est aussi le “ Germe de l'Éternel ” d'Ésaïe 4.2, et la promesse du Messie (Jr 23.5 ; 33.15 ; Za 3.8-9 ; 6.12).

Daniel fait intervenir la figure du Fils de l'homme, populaire dans les Évangiles, mais qu'on peut déjà, dans le livre de Daniel, associer à la figure du Messie (Dn 7.13-14) ! Bien que la désignation Fils d'homme souligne le caractère humain de cette figure promise, c'est aussi, et surtout, à la divinité de cet être que le titre renvoie : “ il dominera éternellement et tous le serviront ” (v. 14), la domination et la seigneurie étant deux prérogatives qui n'appartiennent qu'à Dieu seul.


La doctrine du Christ avant la Réforme
De l'Église primitive au Concile de Nicée
Bien avant la composition des premières confessions de foi de l'Église des Conciles œcuméniques (aux 4e et 5e siècles), dans lesquelles a été “ officiellement fixée ” la doctrine du Christ, l'Église primitive confessait déjà la divinité et l'humanité de Jésus-Christ. Elle affirmait également la vie sans péché de Jésus et le considérait comme l'objet de son adoration.

La question complexe des natures divine et humaine unies dans la personne de Jésus ne posait donc aucun problème véritable pour l'Église naissante ; celle-ci adorait Jésus-Christ en toute simplicité, le déclarant à la fois pleinement Dieu et pleinement Homme. Ce n'est que dans le feu de la controverse qu'est apparu pour l'Église le besoin d'une définition plus systématique de sa doctrine christologique, celle-ci devant principalement lui servir à réfuter les fausses doctrines. Bien que les principaux conflits christologiques aient surtout fait rage à partir du 4e siècle, on pouvait déjà les pressentir sous leurs formes embryonnaires dès le 2e siècle, notamment avec l'ébionisme et le gnosticisme.

Les ébionites, formant une secte judéo-chrétienne au 2e siècle, sont parmi les premiers à avoir attaqué de front la foi christologique de l'Église primitive. Henri Blocher résume leur doctrine : “ À l'origine Jésus n'est, pour eux, qu'un homme, né sans miracle, mais revêtu de la Puissance parfaite d'En-Haut, du Saint-Esprit : à la suite de son obéissance parfaite à la Loi et à la volonté de Dieu pour lui, il a été élevé par Dieu, glorifié comme Messie —Seigneur et Fils de Dieu[3]. ”

À l'instar des ébionites, les aloges[4] nieront à leur tour la divinité de Jésus-Christ. Ils ont d'ailleurs rejeté l'Évangile de Jean, qu'ils considéraient comme étranger à la pensée du Nouveau Testament à cause de sa doctrine du Logos.

Si certains rejetaient la divinité de Jésus, d'autres, au contraire, reniaient son humanité. Les gnostiques, par exemple, refusaient à Jésus la nature humaine, la matière étant en effet mauvaise selon eux. Jésus, prétendaient-ils, n'avait que l'apparence mais non la substance de l'humanité. L'influence grecque du dualisme de la chair (mauvaise) opposée à l'esprit (bon) est évidente. Quelques Pères de l'Église ont combattu le gnosticisme (Tertullien et Origène, par exemple) en affirmant la pleine divinité de Jésus, sans toutefois parvenir à procurer à l'Église une représentation équilibrée et définitive de la doctrine du Christ (peut-on le leur reprocher ?).


Le Christ des Conciles œcuméniques
Le Concile de Nicée (325)
L'année 325 demeura toujours une date importante et décisive dans le développement de la christologie, puisque durant la période entourant cette date, l'Église a résisté à l'une des plus virulentes attaques jamais portées contre elle. C'est qu'un dénommé Arius (250_336), qui avait été reçu prêtre dans l'Église d'Alexandrie, enseignait ouvertement que le Logos n'est pas d'essence divine.

Arius soutenait un monothéisme strict. Selon lui, Dieu est éternel et un. Tout ce qui existe lui est par conséquent soumis. Le Fils, cependant, est un être créé, “ le premier-né de toute la création ” (Col 3.15), selon l'interprétation qu'il donnait de ce texte paulinien. C'est pourquoi Arius pouvait dire : “ Dieu ne fut pas toujours Père[5]. ” C'est en créant le Fils que Dieu est devenu Père. Et le Fils n'a pas toujours été Fils : “ Le Verbe a été créé à partir du néant, il fut un temps où il n'était pas, il a été engendré librement par le Père, seul inengendré[6]. ” Dans sa “ Thalie ”, Arius prétendait que

le Verbe n'est pas vrai Dieu. Bien qu'on l'appelle Dieu, il ne l'est pas vraiment, mais seulement par participation de grâce ; comme tous les autres, lui-même n'est dit Dieu que nominalement. De même que toutes choses sont par essence étrangères à Dieu et différentes de lui, de même le Verbe est absolument étranger à l'essence et à la propriété du Père ; il est de l'ordre des œuvres et des créatures : il est l'une d'elles[7].

Ainsi, selon Arius, le Fils ne procède pas de la substance du Père, mais de la volonté créatrice de Dieu. Il n'y a donc aucune identité d'essence ou de substance divine entre le Père et le Fils[8]. Bref, selon le prêtre hérétique d'Alexandrie, Jésus-Christ n'est tout simplement pas Dieu[9].

Contre l'hérésie d'Arius et de ses disciples, les 318 Pères réunis à Nicée sont parvenus à cette magnifique formulation doctrinale, qu'ils ont nommée le “ Credo ” de Nicée :

Nous croyons en un Dieu, Père tout-puissant, créateur de toutes les choses visibles et invisibles, et en un Seigneur Jésus-Christ, le Fils de Dieu, unique engendré du Père, c'est-à-dire de la substance du Père, Dieu de Dieu, lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu, engendré, non fait, consubstantiel (homoousios) au Père, par qui tout a été fait, ce qui est dans le ciel et ce qui est sur la terre, qui, pour nous les hommes et pour notre salut, est descendu, s'est incarné, s'est fait homme, a souffert, est ressuscité le troisième jour, est monté aux cieux et viendra juger les vivants et les morts, et en l'Esprit Saint. Pour ceux qui disent : “ Il fut un temps où il n'était pas ” et “ Avant de naître, il n'était pas ”, et “ Il a été créé à partir du néant ”, ou qui déclarent que le Fils de Dieu est d'une autre substance (hypostasis) ou d'une autre essence (ousia), ou qu'il est créé ou soumis au changement ou à l'altération, l'Église catholique et apostolique les anathématise[10].


Le Concile de Constantinople (381)

La victoire de l'Église au Concile de Nicée contre l'arianisme, bien qu'elle ait permis de consolider et d'assurer la confession de “ Jésus-Christ vrai Dieu de vrai Dieu ”, ne devait cependant pas encore mettre un terme au conflit christologique. Une autre menace planait, venant cette fois-ci de l'évêque de Laodicée, Apollinaire (310-390).

Apollinaire était un fervent défenseur de la doctrine nicéenne de la consubstantialité (homoousios) divine entre le Père et le Fils. Cet accord d'Apollinaire avec la foi de Nicée ne l'a pourtant pas empêché d'entrer en conflit avec l'Église. C'est qu'Apollinaire interprétait le Christ à partir du schéma de l'unité substantielle de l'homme en tant que synthèse du corps et de l'âme. Camelot explique :

Dans l'homme, composé d'un corps et d'une âme qui ne font qu'une nature, il n'y a qu'un seul principe d'activité, l'âme, qui se meut elle-même et meut le corps. De même, dans le Christ, il n'y a qu'un seul principe d'activité, le Logos[11].

Ainsi, selon Apollinaire, le Logos n'assume pas l'âme humaine au moment de l'Incarnation[12], mais il remplace et prend la place de celle-ci. Si le Logos s'unissait à une nature humaine complète, c'est-à-dire ayant un corps et une âme, cela résulterait en un être composé de deux sujets rationnels[13]. Or, selon Apollinaire, il est impossible qu'il y ait plus d'un principe de rationalité et d'autodétermination dans le Christ. C'est ce qu'il exprime dans les deux textes suivants :

Ils dessinent du doigt sur la pierre, ceux qui enseignent l'existence dans le Christ de deux intellects, j'entends, un divin et un humain. En effet, si tout intellect est souverain, mû par son vouloir propre selon la nature, il est impossible que dans un seul et même sujet en coexistent deux qui voudraient l'opposé l'un de l'autre, chacun des deux opérant l'objet de son vouloir selon un mouvement autonome.

Pour notre part nous confessons non pas que le Verbe de Dieu se serait transporté dans un homme saint, comme c'était le cas dans les prophètes, mais que le Verbe lui-même est devenu chair, non pas en prenant un intellect humain, intellect qu'orientent et que captivent des pensées impures, mais en étant un intellect divin, immuable et céleste[14].

Toujours selon Apollinaire, mais dans un langage quelque peu différent, l'unité véritable dans le Christ est réalisé lorsque l'élément divin et l'élément humain se trouvent reliés comme les “ parties ” d'un “ tout ”. Et ce “ tout ” apparaît lorsque le Logos prend possession de la chair humaine. Évidemment, les “ parties ” du Christ ne sont pas égales : le pneuma divin (l'esprit ou l'âme supérieure) conserve en tout sa prééminence. Cependant, pour parvenir à ce “ tout ”, l'évêque de Laodicée devait concevoir dans le Christ une nature humaine incomplète, c'est-à-dire sans âme, réduisant par le fait même l'humanité de Jésus à un état de pure passivité. Il ne pouvait donc plus dire, sur cette base, que Jésus a été “ semblable à ses frères en toutes choses ” (Hé 2.17 ; voir aussi Hé 2.14 ; Ro 8.3 ; Ph 2.7).

Contre Apollinaire et sa doctrine hérétique, le Concile de Constantinople a réaffirmé la foi de Nicée, en précisant cependant que, selon le témoignage des Écritures, le Fils de Dieu “ s'est incarné de l'Esprit Saint et de la Vierge Marie et s'est fait homme[15] ”. Le “ s'est fait homme ” du symbole de Constantinople ne signifiait évidemment pas la conjonction d'un intellect divin et d'une nature humaine incomplète (sans âme rationnelle) dans la personne du Christ, comme le soutenait erronément Apollinaire. Bien au contraire, cela voulait dire que Jésus-Christ est à la fois vrai Dieu et vrai Homme. Ainsi, en réaffirmant avec force l'existence de l'âme humaine de Jésus-Christ, Constantinople a fait triompher le témoignage biblique selon lequel Jésus est “ semblable à nous en toutes choses ” (Hé 2.17)[16].


Le Concile d'Éphèse (431)

Avec les Conciles de Nicée et Constantinople, les Pères se sont penchés tour à tour sur la question de la nature divine et de la nature humaine du Christ, affirmant pleinement tant l'une que l'autre. À partir d'Éphèse, ils se concentreront plus spécifiquement sur la manière dont l'Église doit interpréter et comprendre le mode d'union entre le divin et l'humain dans la personne de Jésus. On assistera donc, avec Éphèse, à une nette progression dans la compréhension et la formulation du dogme christologique[17].

Au Concile d'Éphèse, c'est à Nestorius (mort en 451), consacré patriarche de Constantinople en 428[18], et lui aussi fervent défenseur de la divinité (Nicée) et de l'humanité (Constantinople) de Jésus-Christ, qu'on reprochait directement la christologie.

La christologie de Nestorius, par opposition à la christologie “ unitaire ”, qui ne voyait dans le Christ qu'un seul principe d'activité, le Logos, était une christologie dite “ dualiste ” : dans son étude du Christ, cette christologie partait des deux natures complètes (Homme-Dieu). En cela, Nestorius était l'héritier de la christologie antiochienne. En effet, les Antiochiens distinguaient clairement les deux natures, la nature divine étant impassible et immuable, et la nature humaine sujette à la souffrance et à la mort.

En distinguant aussi nettement les natures, Nestorius n'entendait pas pour autant les séparer. Il est certes exact d'affirmer que sa christologie souffrait d'une insuffisance réelle dans le choix du vocabulaire (l'idée que le Christ n'est qu'une conjonction de deux êtres, l'homme et le Verbe, qui n'ont en commun qu'une “ unité de volonté, d'opération et de seigneurie, n'est pas tout à fait suffisante). Mais sa doctrine du Christ manifestait néanmoins un effort véritable dans la direction d'une union des deux natures. Comme le déclarait lui-même Nestorius : “ Nous ne connaissons pas deux Christs ou deux Fils, ou Monogènes, ou Seigneurs (...)[19]. ” Dans certaines occasions, il affirmait même un seul prosôpon[20](personne) comme résultat de l'union des deux natures[21].

Ce langage, bien qu'il semble se rapprocher favorablement de l'orthodoxie, ne l'atteint pourtant pas. Comme l'explique en effet Aloys Grillmeier, au fond de la christologie nestorienne subsiste toujours l'idée de deux prosôpa (personnes) : “ L'unité du prosôpon est basée sur le fait que le prosôpon du Logos fait usage du prosôpon de l'humanité du Christ comme d'un instrument, d'un organon[22]. ” Le théologien anglican G. L. Prestige, en des termes quelque peu différents de ceux de Grillmeier, caractérise le point faible de la christologie de Nestorius de la façon suivante : “ Nestorius est incapable de ramener à une unique personnalité clairement conçue les deux natures du Christ qu'il distinguait avec un si admirable réalisme[23]. ”

C'est Cyrille (375_444), le patriarche d'Alexandrie, qui a réagi le plus fortement à l'enseignement de Nestorius. Dans la seconde lettre qu'il a fait parvenir à Nestorius, et qui a été par la suite retenue comme document officiel du Concile de Constantinople, il disait :

Ainsi nous confesserons un seul Christ et un seul Seigneur, non pas en adorant un homme avec le Verbe, pour ne pas introduire l'imagination d'une division en disant avec ; mais nous adorons un seul et même Christ, car le corps du Verbe ne lui est pas étranger, c'est avec lui qu'il siège maintenant avec son Père : ce ne sont pas deux Fils qui siègent avec le Père, mais un seul, à cause de l'union, avec sa propre chair[24].


Le Concile de Chalcédoine (451)

À Nicée, c'est notamment la divinité de Christ qu'il fallait défendre contre les aberrations doctrinales d'un Arius. Constantinople, cependant, luttait pour maintenir la nature entièrement humaine de Jésus, nature humaine que minimisait dangereusement Apollinaire. Avec Éphèse, on sentait surtout le besoin d'expliquer et de formuler avec une plus grande clarté le mode d'union des deux natures dans la seule et même personne du Christ en se battant contre la conception erronée d'une simple conjonction de deux personnes, tel que l'enseignait Nestorius. Mais c'est vraiment à Chalcédoine que la question de l'union personnelle des natures divine et humaine en Christ a été résolue de manière “ définitive ”. C'est l'erreur opposée au nestorianisme qu'il fallait maintenant combattre à Chalcédoine, car certains théologiens, comme nous le verrons ci-dessous, avaient en effet tendance à “ trop unir ”, voire à mélanger et à confondre les natures divine et humaine de Jésus-Christ.

Les évêques réunis au Concile de Chalcédoine devaient examiner et condamner la doctrine d'un certain Eutychès (378-454), moine et archimandrite[25] dans la ville de Constantinople, qui prétendait qu'après l'union du Verbe incarné, seule la nature divine subsiste : “ Dans le Christ, la divinité a absorbé l'humanité, comme l'eau de la mer absorbe la goutte de miel qui y serait tombée (...) L'humanité n'a pas été anéantie dans son union avec la divinité, elle a été changée en elle[26](...) ” Une seule nature ! (La doctrine qui n'admet qu'une seule nature dans la personne de Jésus se nomme le monophysisme).

Devant la gravité de l'hérésie monophysite que soutenait Eutychès et des débats christologiques faisant rages depuis au moins deux siècles déjà, les évêques réunis à Chalcédoine sont parvenus à une confession de foi commune et ont condamné non seulement la doctrine monophysite, mais encore l'arianisme, l'apollinarisme et le nestorianisme. Nous citons intégralement la Définition de Chalcédoine :

Suivant donc les Saints Pères, nous enseignons tous d'une seule voix un seul et même Fils, Notre Seigneur Jésus-Christ, le même parfait en divinité, le même parfait en humanité, le même Dieu vraiment et homme vraiment, (fait) d'une âme raisonnable et d'un corps, consubstantiel au Père selon la divinité, consubstantiel à nous selon l'humanité, semblable à nous en tout hors le péché, engendré du Père avant les siècles quant à sa divinité, mais aux derniers jours, pour nous et pour notre salut, (engendré) de Marie la Vierge la Theotokos [mère de Dieu] quant à son humanité, un seul et même Christ, Fils, Seigneur, Fils unique, que nous reconnaissons être en deux natures, sans confusion, ni changement, sans division ni séparation ; la différence des natures n'est nullement supprimée par l'union, mais au contraire les propriétés de chacune des deux natures restent sauves, et se rencontrent en une seule personne (prosôpon) ou hypostase ; (nous confessons) non pas (un fils) partagé ou divisé en deux personnes, mais un seul et même Fils, Fils unique, Dieu, Verbe, Seigneur, Jésus-Christ, comme autrefois les prophètes l'ont dit de lui, comme le Seigneur Jésus-Christ lui-même nous en a instruits, et comme le Symbole des Pères nous l'a transmis.

Tout ceci ayant été fixé et formulé par nous avec toutes les précisions et l'attention possible, le saint et œcuménique Synode a décidé qu'il n'est permis à personne de professer, de rédiger, de composer une autre formule de foi, ou de l'enseigner à d'autres. Quant à ceux qui oseraient composer une autre foi, ou proposer, enseigner ou transmettre un autre symbole à ceux qui désirent se convertir de l'hellénisme, du judaïsme ou d'une hérésie quelconque à la connaissance de la vérité, ceux-là, s'ils sont évêques ou clercs, ils sont exclus, les évêques de l'épiscopat, les clercs de la cléricature ; s'ils sont moines ou laïcs, ils sont anathèmes[27].

La contribution remarquable qu'a pu réaliser le Concile de Chalcédoine aux décisions christologiques des conciles précédents trouve son plein écho dans la déclaration suivante : (...) un seul et même Christ, Fils, Seigneur, Fils unique, que nous reconnaissons être en deux natures, sans confusion, ni changement, sans division ni séparation ; la différence des natures n'est nullement supprimée par l'union, mais au contraire les propriétés de chacune des deux natures restent sauves, et se rencontrent en une seule personne (prosôpon) ou hypostase[28].

Cette déclaration précise en effet comment le concept de personne doit être conçu quand vient le moment de clarifier le mode d'union de la nature divine et de la nature humaine dans le Christ. Chalcédoine voulait d'une part éviter de dire deux personnes (prosôpa) dans le Christ (comme le faisait Nestorius), puisqu'il est en effet une seule personne, d'autre part ce même concile voulait établir clairement que l'union des deux natures dans une seule personne n'entraîne pas forcément l'abolition de l'une ou l'autre de ces deux natures (comme le faisait l'erreur monophysite, qui abolissait la nature humaine au profit de la nature divine). Il fallait donc trouver une formulation doctrinale qui pouvait préserver à la fois l'unipersonnalité de Jésus-Christ et l'existence plénière de chacune des deux natures sans toutefois les confondre ou les diviser.

Pour grand nombre de théologiens, tant chez les anciens que chez les modernes, le Concile de Chalcédoine marque un point décisif dans la christologie de l'Église. On dit en effet que la définition doctrinale réalisée durant ce concile exprime le plus clairement et le plus précisément possible tout l'enseignement scripturaire concernant la personne de Jésus-Christ. Aller au-delà ou en deçà de cette confession serait donc ni plus ni moins qu'un retour à l'hétérodoxie sous l'une ou l'autre de ses formes anciennes[29] ! Peut-on se rallier à un tel point de vue ? Si oui, comment alors le faire sans donner l'impression que nous cessons de considérer la Bible comme notre seule norme en matière de foi ? Considérons brièvement l'opinion de Robert L. Reymond sur ce point :


La doctrine du Christ à partir de la Réforme

La Réforme n'a pas vraiment innové en matière de christologie, si ce n'est quelques précisions doctrinales nécessaires qu'elle a dû apporter face à certains hérésiarques de cette époque qui reprenaient les hérésies du passé mais sous des formes et présentations différentes. La Réforme a donc réaffirmé de manière globale et conciliante les dogmes christologiques des premiers Conciles œcuméniques (les quatre premiers conciles, Chalcédoine en particulier)[31]. Dans la section qui suit, nous verrons la christologie des principales confessions issues de la Réforme (la Confession d'Augsbourg, la Confession de La Rochelle, la Seconde Confession helvétique et le Catéchisme de Heidelberg) et de la période subséquente à la Réforme (les Textes de Westminster, la Confession de foi réformée baptiste de 1689). Nous n'avons retenu de ces confessions que l'enseignement relatif aux deux natures (divine et humaine) du Christ et à l'union de ces deux natures dans une personne unique.


Les Confessions de foi de la Réforme
La Confession d'Augsbourg (1530)
Devant la menace nouvelle que représentent le mouvement de protestation suscité par le moine augustin Martin Luther, la Diète (assemblée politique dans certains pays d'Europe) du Saint Empire romain germanique décide de se réunir à Augsbourg au printemps 1530. Devant les seigneurs, évêques et représentants des villes, l'empereur Charles Quint propose un arbitrage entre partisans et ennemis de Luther.

Craignant cependant pour sa vie, Martin Luther décide de se faire représenter par Philippe Melanchton. Le 25 juin 1530, celui-ci présente donc à la Diète la profession de foi de Luther, connue sous le nom de “ Confession de foi d'Augsbourg ”. Ce texte est toutefois rejeté après six semaines de réflexion par les théologiens catholiques. Les partisans de Luther émettent aussitôt une protestation solennelle. D'où le nom de “ protestants ” qui est donné dès lors à l'ensemble des chrétiens qui se détournent de l'ancienne foi catholique. Voici ce qu'enseigne, à l'article 3, cette confession de foi en ce qui concerne la personne de Christ :

Article 3 : Du Fils de Dieu

Nous enseignons aussi que Dieu le Fils est devenu homme, né de la pure Vierge Marie, et que les deux natures, la divine et l'humaine, unies inséparablement dans une personne unique, constituent un seul Christ, qui est vrai Dieu et vrai homme. Il est véritablement né, il a réellement souffert, il a été crucifié, il est mort, il a été enseveli, afin qu'il s'offrit en sacrifice, non seulement pour le péché originel, mais aussi pour tous les autres péchés, afin d'apaiser la juste colère de Dieu[32].


La Confession de La Rochelle (1559)

La Confession de La Rochelle s'inscrit directement dans le mouvement de la Réforme. En effet, en 1545 est constituée la première Église Réformée (Meaux) de France. Puis, deux mille églises sont fondées entre 1555 et 1570. Pour fonder l'Église Réformée de France, un synode (c'est-à-dire un concile) est tenu durant le mois de mai 1559. Il a lieu dans la clandestinité, et a pour but d'adopter une “ discipline ” et une confession de foi communes à toutes les églises réformées. La rédaction de la confession de foi est confiée au genevois Jean Calvin, dont le texte est légèrement modifié avant d'être adopté et imprimé à la fin des Bibles (40 articles). Sur la personne de Jésus-Christ cette confession de foi déclare ce qui suit :


Le Catéchisme de Heidelberg (1563)

Rédigé en allemand par le théologien Ursinus et le prédicateur Olevianus, en 1562, à la demande de l'Électeur palatin Frédéric III, le Catéchisme de Heidelberg avait pour but de contrecarrer l'influence luthérienne et de répandre le zwinglo-calvinisme de Bullinger. À la question 35 : “ Que veut dire “conçu du Saint-Esprit et né de la vierge Marie” ? ”, le Catéchisme répond :


La Seconde Confession helvétique (1566)

Henri Bullinger, successeur du réformateur Huldrych Zwingli à Zurich, a d'abord composé cette confession en 1561 comme confession de foi personnelle. Atteint par la peste en 1564, il décide alors de remettre sa rédaction au conseil de la ville en tant que testament spirituel, au cas où il décéderait. Mais l'année suivante, Frédéric III, prince électeur du Palatinat, demande à Bullinger une confession de foi rendant compte de l'enseignement réformé. Bullinger, alors remis de sa maladie, fait alors parvenir au prince sa propre confession de foi. C'est donc de cette manière que la Seconde Confession helvétique a commencé à étendre son influence, non plus seulement comme affirmation personnelle de la foi de Bullinger, mais aussi comme déclaration magistrale des Eglises réformées. Au sujet de la doctrine du Christ, voici ce que la Seconde Confession helvétique enseigne au chapitre 11, les articles 1, 2, 4, 5, 6, 7 et 8 :


Les Textes de Westminster (1643-1649)

C'est en l'ancienne Abbaye de Westminster, à Londres, que se sont réunis du 1er juillet 1643 au 22 février 1649 pas moins de 121 théologiens pour une Assemblée extraordinaire. Leur but : rapprocher l'Église d'Angleterre de l'Église d'Écosse et des autres Églises Réformées. Les Textes de Westminster figurent parmi les plus importants écrits confessionnels depuis la Réforme protestante. Voici ce qu'ils affirment sur la personne du Fils de Dieu :

2. Le Fils de Dieu, la seconde personne de la Trinité, étant vrai et éternel Dieu, de même substance que le Père et son égal, a assumé, quand les temps furent accomplis, la nature humaine (Jn 1.1,14), avec toutes ses caractéristiques essentielles et ses communes faiblesses, le péché excepté cependant (Hé 2.14, 16, 17 ; 4.15) ; conçu par la puissance du Saint-Esprit dans le sein de la Vierge Marie, il est de même substance qu'elle (Lc 1.27, 31, 35). Ainsi, les deux natures entières, parfaites et distinctes, la divine et l'humaine, ont été inséparablement unies en une seule personne, sans changement, mélange ou confusion (Lc 1.35 ; Col 2.9 ; Rm 9.5 ; 1 P 3.18 ; 1 Tm 3.16). Cette personne est vraiment Dieu et vraiment homme, et cependant un seul Christ, l'unique Médiateur entre Dieu et l'homme (Rm 1.3, 4 ; 1 Tm 2.5)[35].


La Confession de foi réformée baptiste (1689)

En 1689, des pasteurs baptistes de la région londonienne publient une Confession de foi tenant compte de leur identité distinctive en tant que baptistes. Ils veulent ainsi souligner l'unité qui existe au sein du peuple de Dieu, en suivant de très près les textes presbytériens déjà existants (les textes de Westminster), tout en affirmant leur spécificité baptiste. C'est ce qui explique d'ailleurs les nombreuses ressemblances entre ces deux Confessions.

2. Le Fils de Dieu, la seconde personne de la sainte Trinité, étant vrai et éternel Dieu, l'éclat de la gloire du Père, de même substance que le Père et son égal, créateur du monde, sustentateur et régisseur de toute sa création, a assumé, quand les temps ont été accomplis, la nature humaine, avec toutes ses caractéristiques essentielles et ses communes faiblesses (Jn 1.1,14 ; Ga 4.4), le péché excepté cependant (Rm 8.3 ; Hé 2.14, 16, 17 ; 4.15). Il fut conçu par le Saint-Esprit dans le sein de la vierge Marie, le Saint-Esprit venant sur elle, et la puissance du Très-Haut la recouvrant. Il naquit ainsi d'une femme, de la tribu de Juda, de la postérité d'Abraham et de David, selon les Écritures (Mt 1.22, 23 ; Lc 1.27, 31, 35). Ainsi, les deux natures entières, parfaites et distinctes, ont été inséparablement unies en une seule personne, sans changement, mélange ou confusion. Cette personne est vraiment Dieu et vraiment homme, et cependant un seul Christ, l'unique Médiateur entre Dieu et l'homme (Rm 1.3, 4 ; 1 Tm 2.5)[36].


Les noms du Christ

Cinq noms sont donnés à Jésus. Ils décrivent à la fois ses natures divine et humaine, sa position officielle comme Messie et l'œuvre pour laquelle il est venu dans le monde. Nous verrons ces cinq noms tour à tour.


Le nom Jésus

Le nom “ Jésus ” est celui que Christ a reçu à sa naissance : “ elle enfantera un fils, et tu lui donneras le nom de Jésus, car c'est lui qui sauvera son peuple de ses péchés ” (Mt 1.21). On pense en général que ce nom dérive du mot hébreu Jehoshua (Josué), qui signifie “ L'Éternel sauve ” (voir Nombres 13.8, 16, où l'on trouve le nom Hochéa, qui veut dire “ sauver ”, “ délivrer ”, et que Moïse a changé par Jehoshua).


Le nom Christ

Si “ Jésus ” est le nom personnel du Messie, “ Christ ” en est le nom officiel. Comme nous l'avons déjà mentionné, le nom “ Christ ” provient du mot hébreux “ mâschîakh ”, et qui signifie : “ Celui qui est oint ”. Dans l'Ancien Testament, le terme est appliqué aux rois, dont l'investiture est marquée par une onction (Jg 9.8-15 ; 2 S 5.3 ; 1 R 1.39 ; Ps 89.20), par laquelle ils recevaient le titre d'“ Oint du Seigneur ” (1 S 2.10 ; 12.3 ; Ps 2.2 ; 20.6 ; 132.17). Ainsi, dans son usage biblique premier, le terme est synonyme de “ roi ”, en particulier en référence à David et à ses descendants. Le roi est élu par Dieu et sa personne est sainte (1 S 24.6). Le futur de sa dynastie est assuré (2 S 7.12-16 ; 22.51 ; Ps 89.4, 36-37) et il est l'unique instrument de la justice de Dieu sur terre (2 S 23.3 ; 1 R 3.28 ; Ps 45.4 ; 72.1-4). Avec les crises qu'ont traversées Israël et Juda au fil des siècles, l'imagerie royale a commencé à être appliquée à un roi futur et espéré, dont le règne serait caractérisé par la justice éternelle, la sécurité et la paix (Es 11.1-5 ; 32.1 ; Jr 33.14-26 ; Ez 37.24-28).

Au cœur du messianisme se trouve donc l'idée que Dieu intervient dans l'histoire en envoyant un Sauveur pour libérer son peuple de l'oppression. Ce messianisme s'est cristallisé en plusieurs modèles : un premier, influencé par l'Exode, Josué et les Juges, qui voyait le Messie comme roi victorieux conquérant les forces du mal par la force des armes et établissant son royaume éternel (Ex 2.19 ; 3.7-12 ; Jg 2.16, 18). Un deuxième, qui a pris forme dans les milieux sacerdotaux, percevait le Messie comme descendant d'Aaron qui doit s'élever en parallèle du Messie davidique. La figure de Melchisédech donne un titre à ce Messie qui est à la fois roi et prêtre. Un troisième modèle voyait le Messie comme prophète, un nouveau Moïse qui doit apporter la “ bonne nouvelle aux oppressés ” (Es 61.1 ; Lc 4.18). Cette idée est au centre du messianisme samaritain. Une autre tradition présente aussi le Messie comme rejeté et devant souffrir (Ps 22 ; 55 ; 88 ; Ex 16.2 ; 17.2-4 ; Jr 11.18-19 ; 20.7-10). Cette dernière notion reçoit une emphase particulière dans le Nouveau Testament.


Le nom Fils de l'Homme

Titre toujours employé par Jésus lui-même, il s'agit certainement de celui dont le sens est le plus controversé et le plus débattu. Qu'est-ce que ce titre évoquait-il donc pour ceux qui entendaient Jésus le prononcer ?

Les premiers auditeurs étant juifs, il est naturel de chercher une réponse dans les traditions religieuses juives de l'époque. Dans l'Ancien Testament, l'expression est employée de deux manières différentes : la plupart du temps elle désigne seulement un être humain (distinct de Dieu). Dans ce contexte, elle met surtout l'accent sur la faiblesse et la pauvreté des mortels en contraste avec la puissance de Dieu (Nb 23.19 ; Jb 25.6 ; Ps 8.4 ; 146.3 ; Es 51.12). À l'occasion, le terme désigne un prophète (Ez 2.1 ; Dn 8.17).

Le titre “ Fils de l'homme ” est aussi employé d'une façon très différente dans Daniel 7.13-14. Dans ce passage, loin d'indiquer la faiblesse de l'homme, l'expression renvoie plutôt à un être transcendant, céleste, qui partage la puissance même de Dieu. Spécifions cependant que, dans la langue araméenne, le titre “ Fils de l'homme ” (bar-nasha ) ne signifie rien en particulier, sinon une façon de parler des gens en général[37].

Bien sûr, il ne s'agit pas pour nous de choisir entre l'une ou l'autre de ces possibilités pour comprendre le sens exact de l'expression dans les évangiles : elles sont sans doute toutes pertinentes. Mais pour Jésus, ce terme un peu flou lui permettait surtout de s'identifier personnellement. Et pour ceux qui disposaient d'un excellent arrière-plan biblique, le titre “ Fils de l'homme ” pouvait à tout le moins leur indiquer que Jésus était à la fois un humain ainsi qu'un être qui vient de Dieu et qui doit retourner à Dieu (Jn 3.13 ; 8.28).


Le nom Fils de Dieu

Dans l'Israël ancien, le roi était considéré (avec un sens imagé et non dans un usage courant) comme le “ Fils de Dieu ” (2 S 7.14 ; Ps 2.7 ; 89.26). En hébreu (ben) et en araméen (bar), “ fils ” ne désigne pas seulement une descendance mais aussi une relation spéciale : le mot peut ainsi signifier un être divin ou humain ayant une relation particulière avec Dieu. Au 1er siècle, le terme est utilisé par les Romains pour désigner l'Empereur ou tout personnage héroïque (Mt 27.54).

Dans le cas de Jésus, ce titre avait au moins deux sens distincts : d'abord le sens messianique, désignant en effet le rôle de Messie que doit jouer Jésus (Mt 17.5 ; Mc 1.11 ; 9.7 ; Lc 3.22 ; 9.35), et ensuite le sens natif, désignant ainsi la naissance surnaturelle de Jésus provenant du Père (Lc 1.35). Ce deuxième sens inclut évidemment le sens trinitaire, puisque le Fils de Dieu est également la deuxième personne de la Trinité.


Le nom Seigneur

Le nom “ Seigneur ”, qui vient du mot grec kurios, est l'équivalent du terme vétérotestamentaire hébreux Adonai (Jos 3.13 ; Ps 97.5 ; Mi 4.13 ; Za 4.14). Il était appliqué à Dieu comme désignation honorifique. Dans le Nouveau Testament, le terme reçoit une application triple : a) il est utilisé comme forme de politesse (Mt 8.2 ; 20.33), b) on l'emploie aussi pour indiquer la propriété et l'autorité (Mt 21.3 ; 24.42), c) et, finalement, “ Seigneur ” exprime dans certains passages néotestamentaires le plus haut degré de dignité et d'autorité ; il est dans ces occurrences pratiquement l'équivalent du nom “ Dieu ” (Mc 12.36, 37 ; Lc 2.11 ; 3.4 ; Ac 2.36 ; 1Co 12.3 ; Ph 2.11).


LES DEUX éTATS DU CHRIST

Depuis que la théologie luthérienne a ouvert la voie, il est devenu classique pour la théologie protestante d'exposer les étapes de l'histoire de l'Incarné en considérant ses deux états successifs : l'humiliation et l'exaltation. Le terme “ état ” ne se réfère pas d'abord aux conditions d'existence, mais au statut légal de Christ. Henri Blocher explique :

Dans l'état d'humiliation, le Médiateur a) se rend solidaire de ses frères sous la loi ; b) se charge volontairement de leur dette à son égard et la règle ; dans l'état d'exaltation, le Médiateur a) recueille le fruit de son œuvre, et entre le premier dans le régime nouveau qu'il a rendu possible ; b) y introduit les siens à sa suite[38]

Nous verrons tour à tour ces deux états que sont l'humiliation et l'exaltation.


L'humiliation
[39]
L'incarnation et la naissance de Jésus

L'Incarnation comme telle n'entre pas dans l'état d'humiliation. L'état d'humiliation ne concerne pas l'assomption de la nature humaine, mais la fonction messianique assumée par Jésus, fonction qui exige, selon le plan divin, la mort physique dans la chair (comme l'a prophétisé Caïphe, “ il est avantageux pour vous qu'un seul meure pour le peuple et que la nation entière ne périsse pas ” ; Jn 11.50). Dire que le “ devenir homme ” est humiliation à cause du péché, c'est dire “ qu'être homme ” comme tel est péché et humiliant ; mais l'Écriture ne va pas dans cette direction, puisqu'elle affirme au contraire que l'homme a été créé très bon et à l'image de Dieu (Gn 1.26 ; 2.31). D'ailleurs l'exaltation ne supprime pas l'humanité de Jésus : indication supplémentaire de la non humiliation de l'Incarnation, Christ assumant en effet la nature humaine pour toute l'éternité. Il est vrai que Paul, en Philippiens 2.6s, semble associer étroitement l'abaissement au “ devenir homme ”. Cependant, l'humiliation dont il est question dans ce passage débute non à la naissance, mais une fois l'humanité déjà assumée : “ après s'être trouvé dans la situation d'un homme, il s'est humilié lui-même en devenant obéissant jusqu'à la mort, la mort sur la croix. ” (Ph 2.7-8). Le texte présente plutôt le “ devenir homme ” de Christ comme un “ dépouillement ” (v. 7), et non comme une humiliation[40].

Ce qui a donc été humiliation dans l'humanité de Jésus depuis sa naissance, ce n'est pas l'humanité qu'il a assumée, mais les conséquences du péché qu'il a, lui aussi à l'instar de tous les hommes, endurées dans sa vie d'homme : la pauvreté et l'insignifiance sociale de ses parents, les circonstances dramatiques de l'accouchement (une hôtellerie de fortune, à savoir une crèche), les railleries des hommes, la vie d'errance qu'il a vécu, la mort sur la croix, etc. Pour le Chef de l'humanité, le Seigneur des seigneurs, quelle humiliation !

La naissance virginale de Jésus-Christ suscite au moins deux questions fondamentales : a) Comment un être humain peut-il être conçu à partir de la femelle uniquement, sans aucune participation mâle ? ; b) Comment un être humain peut-il ne pas hériter de la nature pécheresse d'un parent pécheur ?

Ces deux questions ont suscité et suscitent encore la controverse. On sait que la discussion coupe court dès que l'on invoque la conception surnaturelle et miraculeuse de Jésus dans le sein de Marie (“ elle se trouva enceinte par l'action du Saint-Esprit ” ; Mt 1.18 ; Lc 1.35), mais les détracteurs ne se rassasient pas de telles “ explications ” (et parfois les chrétiens non plus !). Quelle réponse leur donner alors, puisque nous n'avons rien d'autre que le témoignage biblique en notre faveur ? Parfois, il faut confesser sans comprendre[41]...

L'Écriture enseigne non seulement la procréation exempte de péché de Jésus ; elle proclame également le Christ sans péché dans tout le cours de sa vie (Mt 27.4 ; Lc 1.35 ; 4. 33-34 ; 23.41 ; Jn 8.46 ; 14.30 ; 2 Co 5.21 ; Hé 4.15 ; 1 P 2.22 ; 1 Jn 3.5).


La vie de service de Jésus-Christ

Dans son ministère terrestre, Jésus s'est présenté comme serviteur : “ Je suis au milieu de vous comme celui qui sert. ” (Lc 22.27). Non seulement son ministère officiel, mais encore sa vie entière est caractérisée par cet humble service (ne le retrouve-t-on pas en effet dès l'âge de douze ans dans le temple vaquant aux affaires de son Père ? ; voir Lc 2.41-52). Cet humble service de Jésus, c'est ce que nous étudierons dans les prochains points.


La soumission

Jésus s'humilie en Serviteur par la soumission qu'il accepte aux obligations et contraintes communes, bien qu'il eût pu s'en exempter en vertu de ce qu'il était comme Seigneur. Ainsi se rend-il semblable à ses frères pour les servir et se charger de leur cause.

Pour eux, il accepte en effet de se placer sous la loi (Ga 4.4). Ce qui signifie qu'il accepte aussi la circoncision (Lc 2.21), le baptême de Jean (Mt 3.13-17) et le respect de la loi instituée par les autorités religieuses et politiques en obéissant à ses parents (Lc 2.51) et en payant l'impôt à César (Mt 22.16-21). De plus, il se soumet volontairement à la discipline spirituelle des serviteurs de Dieu : prière, méditation des Écritures et tentation. On sait que Jésus s'est beaucoup adonné à la prière, qu'il a respecté l'autorité des Écritures de manière admirable et qu'il a été tenté “ comme nous à tous égards ” (Hé 4.15), comme en font également foi les récits de la tentation (Mt 4.1-11 ; Mc 1.12-13 ; Lc 4.1-13).


La souffrance

Nous connaissons si peu à propos de la vie de Jésus avant son ministère : a-t-il joui d'une vie heureuse ou malheureuse, aisée ou pauvre, favorable ou défavorable ? La question restera toujours ouverte. Sa vie ministérielle, cependant, est l'exemple suprême de l'acceptation humble de la souffrance (“ homme de douleur et habitué à la souffrance ”, a prophétisé Es 53.3). Jésus disait lui-même qu'il n'avait pas d'endroit où reposer sa tête (Mt 8.20). Hostilité virulente et croissante, aussi bien verbalement que physiquement (Lc 4.29 ; Jn 8.48, 59 ; 10.31), et accusations de toutes sortes : voilà en quoi consistait son lot quotidien (Mt 12.10). Il a même dû supporter l'incrédulité de ses proches (Mc 3.21 ; Jn 7.5). Pourtant, cela ne l'a pas empêché de dire qu'il est “ doux et humble de cœur ” (Mt 11.28-30) et, sur la croix, dans d'atroces souffrances : “ Père pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font ” (Lc 23.34).


Les œuvres

Les œuvres nombreuses, prédications, guérisons et miracles de toutes sortes : Jésus ne chôme pas, mais il sert sans relâche les plus petits dans la souffrance, il s'abaisse vers eux afin de les instruire et les élever. Comme le dit si bien Henri Blocher : “ A coup sûr, dans ces années de service harassant, de ville en ville, le Seigneur ne s'est pas complu en lui-même[42]. ”


La Passion

La Passion du Christ, dernier degré de son humiliation, marque non seulement la fin de sa vie, mais également le pourquoi de sa venue ; il est venu pour cette heure : “ Maintenant mon âme est troublée. Et que dirai-je ?... Père, sauve-moi de cette heure ?... Mais c'est pour cela que je suis venu jusqu'à cette heure. ” (Jn 12.27). La Passion est souvent présentée, à juste titre d'ailleurs, comme l'événement central et principal de l'histoire humaine ; ce n'est pas pour rien que la Croix est devenue le symbole du christianisme...

La Passion du Christ doit être dite de trois manières :

a) Elle est d'abord Passion totale, au sens où tout son être (corps, âme et esprit) a souffert l'agonie de la Croix, et cela dans une intensité maximale qu'aucun homme n'a subie avant ou ne subira après lui. Il a souffert la première mort, séparation du corps et retranchement de la terre des vivants. Il a aussi souffert la seconde mort, le jugement divin qui s'abat sur lui, parce qu'il est traité comme un coupable. L'Écriture va jusqu'à dire qu'il est “ devenu malédiction pour nous ” (Ga 3.13). Toute la souffrance inimaginable que peut endurer un homme, Christ l'a souffert totalement ; mais en plus, sa souffrance était aussi celle de Celui qui porte le courroux de Dieu sur ses épaules, souffrance qu'aucun autre homme ne subira jamais (on doit cependant éviter de dire qu'il y a eu déchirure de la Trinité, une division ontologique entre le Père et le Fils).

b) Elle est ensuite Passion légale, au sens où c'est sous la loi qu'il a souffert, mettant ainsi en évidence la malédiction qui reposait sur Jésus (Ga 3.10ss). La Passion de Jésus s'est déroulée comme un procès et, après sa sentence et sa condamnation, la Bible dit que celui-ci “ a été mis au nombre des malfaiteurs ” (Lc 22.37 citant Es 53.12). Évidemment, les accusations portées contre lui étaient fausses et gratuites (l'impossibilité de trouver des témoins à charge, ce qui constituait pourtant l'étape décisive du processus judiciaire en Israël, selon Dt 17.6 et 19.15, en fait foi), faisant du même coup ressortir l'innocence flagrante de Jésus. Devant l'injustice patente du procès de Jésus, se superpose cependant la justice divine, qui agit comme en “ arrière plan ”, pour accomplir le dessein rédempteur de Dieu : il fallait en effet que l'Éternel fasse “ retomber sur lui la faute de nous tous ” (lire Es 53.4-12).

c) Enfin, elle est Passion volontaire, au sens où c'est avec une intention purement libre que Christ a choisi la mort ; c'était une action tout à fait volontaire de sa part, bien que ses contemporains, les disciples y compris, aient pensé qu'il s'agissait d'une décision contre son gré (voir Jn 10.17s ; Mt 26.53). Hébreux 10.5-7 nous révèle l'intention volontaire du Christ selon la perspective du plan éternel de Dieu : “ C'est pourquoi, en entrant dans le monde, (le Christ) dit : Tu n'as voulu ni sacrifice, ni offrande ; mais tu m'as formé un corps. Tu n'as agréé ni holocaustes, ni sacrifices pour le péché. Alors j'ai dit : Voici : je viens, (...) Pour faire, ô Dieu, ta volonté. ” On doit toutefois mettre l'accent sur l'aspect de continuité : Jésus a accompli une œuvre, mais cette œuvre serait restée incomplète sans Golgotha, car c'est précisément pour la mort de la Croix qu'il est venu dans le monde (Jn 12.27 ; Ph 2.8). Sa mort n'a donc jamais été une surprise pour lui ; au contraire, il la voyait venir, mais c'est néanmoins de façon volontaire qu'il a poursuivi son œuvre jusqu'à son accomplissement ultime à la Croix, avec tout ce que cela impliquait d'angoisse, d'appréhension et de tristesse humaine (les relations rompues, comme la tristesse de voir une mère à qui l'on arrache brutalement son fils ou comme la douleur éprouvée en constatant le désarroi de ses propres disciples, égarées comme des brebis qui n'ont plus de berger).


L'ensevelissement du Sauveur

Certains voient la mise au tombeau comme un degré supplémentaire d'humiliation pour le Christ (A. Kuyper voyait ainsi l'ensevelissement de Jésus). On spécule également sur la signification du tombeau, quelques personnes s'imaginant en effet que le Christ a sanctifié toutes nos tombes ! Un holà s'impose, sinon la spéculation risque “ d'enterrer ” le témoignage biblique. Comme dans plusieurs cultures anciennes et modernes, “ la mise au tombeau est la sanction solennelle et publique de la mort[43] ”. Cette dernière interprétation, sobre comme le témoignage des Évangiles, est de loin la plus satisfaisante.


L'exaltation

Le deuxième état du Christ, celui de son exaltation, débute dès la résurrection. Les étapes suivantes sont successivement l'ascension au Père, l'exaltation au sens propre du terme et, finalement, son retour physique. Nous considérerons chacune de ces étapes dans cet ordre respectif.


La résurrection

La résurrection de Jésus est fondamentale au christianisme car elle représente l'une des doctrines fondamentales de celui-ci. On peut l'étudier sous deux angles, du point de vue anthropologique et du point de vue sotériologique, bien qu'il soit impossible de les séparer de manière absolue. Cependant, puisque nous étudierons, dans le cours de sotériologie, les multiples conséquences salutaires de la résurrection, nous ne verrons dans la présente étude que l'aspect anthropologique de cette doctrine, c'est-à-dire l'apparence du corps de Jésus après sa sortie du tombeau. Mais, avant de procéder avec ce sujet, considérons brièvement la question de la crédibilité de la résurrection du Christ.


Crédibilité de la résurrection

Première réaction des autorités religieuses à l'annonce de la résurrection de Jésus : mensonge ! ce sont les disciples qui, de nuit, ont volé le corps de Jésus (Mt 28.13). Cette réaction, certes, est tout à fait “ normale ” pour les hommes qui ont fait crucifier le Seigneur. Pourtant, elle est anormale parce que ces mêmes autorités religieuses ne sont jamais parvenues à mettre la main sur le corps prétendument volé. Ainsi, en plus d'avoir accusé injustement le Seigneur de son vivant en ne présentant pas le nombre de témoins requis selon la loi ni les preuves suffisantes pour le faire condamner, les autorités religieuses d'Israël ont porté une accusation sévère et injustifiée sur la dépouille de Jésus et les disciples (le corps a été volé par les disciples) sans même posséder les preuves nécessaires pour soutenir une telle incrimination. Quand les juges sont eux-mêmes des criminels...

En général, les théologiens invoquent deux sortes d'argument pour établir la crédibilité des récits de la résurrection. Un premier argument tiré du témoignage des apôtres et un second argument tiré de la cause et de l'effet.

a) L'argument tiré du témoignage des apôtres doit être manié selon les bonnes règles : la résurrection obéissant en effet à des lois surnaturelles qui font de cet événement un miracle, il est par conséquent impossible d'établir la validité du témoignage des apôtres sur l'unique conception naturaliste des modernes, qui exigent une explication parfaitement démontrable à l'aide des lois naturelles.

Selon l'argument du témoignage, trois choses sont absolument nécessaires pour qu'un témoignage soit jugé digne de confiance : “ les témoins doivent être des témoins de première main, être suffisamment nombreux et avoir une bonne réputation[44]. ” Les apôtres remplissent toutes ces conditions sans exception : ils mentionnent à plusieurs reprises qu'ils ont été des témoins oculaires (Lc 24.33-36 ; Jn 20.19, 26 ; 21.24 ; Ac 1.3, 21s) ; le Nouveau Testament donne également une liste assez longue des témoins du Christ ressuscité (Mt 28.1-9 ; 28.16-20 ; Mc 16.1-7, 9 ; 16.12s ; Lc 24.1-8 ; 24.9-11 ; 24.13-34 ; 24.50s ; Jn 20.3-10 ; 20.19-24 ; 20.26-29 ; 21.1-14 ; Ac 1.9 ; 1 Co 15.3-8) ; en ce qui à trait à la réputation des apôtres, “ ni les Écritures ni aucun adversaire honorable ne les ont jamais attaqués pour des questions de morale[45] ”.

b)  L'argument tiré de la cause et de l'effet suppose qu'à chaque effet correspond une cause ; il y a donc dans l'histoire chrétienne des effets dont la seule cause possible est la résurrection. Ces effets sont au nombre de quatre :

1) le tombeau vide, qui ne s'explique que par la résurrection (le mensonge inventé par les autorités religieuses vaut s'il est démontrable qu'il s'agit d'une imposture, ce qui n'est pas le cas avec les récits de la résurrection) ;

2) le respect du jour du Seigneur (le dimanche), qui est pour le moins surprenant pour des Juifs qui ont toujours respecté religieusement la loi mosaïque du sabbat, ce qui démontre que, pour ces Juifs convertis, la résurrection l'emportait maintenant sur le sabbat ;

3) la constitution même de L'Église chrétienne n'a de sens qu'à la lumière de la résurrection : comment les apôtres auraient pu en effet accepter volontairement tant de persécutions et d'effusion de sang parmi les leurs s'ils avaient su dès le départ que leur message n'était en réalité qu'un tissu de mensonges ? ;

4) le Nouveau Testament est aussi un effet de la résurrection : “ Si le Christ était demeuré dans le tombeau, l'histoire de sa vie et de sa mort y serait restée avec lui[46]. ”


La conséquence anthropologique de la résurrection

Comme conséquence anthropologique de la résurrection, on signale la pleine humanité du corps physique de Jésus ; celui-ci a de la chair et des os (Lc 24.39), pouvant manger (Lc 24.41-43) et avoir des plaies (Lc 24.34-39 ; Jn 20.25-28). En outre, ce corps ressuscité est maintenant vivant pour toujours (Rm 6.9s ; 2 Tm 1.10 ; Ap 1.18). On doit cependant prendre garde ici d'affaiblir le sens de l'humanité de Jésus, comme si son corps de ressuscité aurait été moins humain que son corps terrestre. Dieu, en Christ, n'a pas détruit l'humanité, mais il l'a plutôt restaurée, lui redonnant en effet ce qu'elle avait perdu au moment de la chute. C'est pourquoi Paul fait surtout jouer les notions d'immortalité et d'incorruptibilité lorsqu'il discute du corps de la résurrection : les corps des croyants, au moment de la résurrection, seront bel et bien changés, non pas cependant dans l'essence même de leur humanité, mais plutôt dans ce qu'ils ont de corruptible et de mortel (cf. 1 Co 15 20-58). Le corps de Christ ne possédait certes pas la corruptibilité, mais, en raison du lien qui l'unissait à ses frères dans la mort, on peut affirmer que le même lien existera dans la résurrection (Rm 6.4-11), de sorte que nos corps de ressuscités seront identiques au sien. Même dans la vie nouvelle le Christ sera semblable à ses frères en toutes choses. Et encore plus dans cette vie nouvelle, puisque ni le Christ ni les croyants ne participeront à la corruptibilité du péché !


L'ascension

L'ascension de Christ parle de son retour au ciel dans son corps de chair. Les Évangiles y font allusion à quelques reprises (Mc 16.19 ; Lc 24.50s). Luc en parle dans les Actes (1.9), Paul dans ses épîtres (Ep 4.8-10 ; Ph 2.9 ; 1 Tm 3.16), comme Pierre également (1 P 3.22) ainsi que l'auteur de l'Épître aux Hébreux (4.14).


L'exaltation au sens propre du terme

Un certain nombre de choses sont comprises dans l'exaltation de Christ. Christ a été “ couronné de gloire et d'honneur ” (Hé 2.9). Cette gloire se voit dans le “ corps de sa gloire ” actuel (Ph 3.21). Jean l'a vu dans ce corps sur l'île de Patmos (Ap 1.12-18). Nous voyons la gloire et l'honneur dans le fait qu'il a reçu un nom qui est au-dessus de tout nom (Ph 2.9). Le Seigneur fait allusion à son nouveau nom (Ap 3.12 ; 19.12s, 16). Avec ce nouveau nom, il y a aussi eu son intronisation à la droite du Père (Mt 28.18 ; Hé 10.12). C'est là qu'Étienne l'a vu (Ac 7.55s). Un jour, Christ s'assiéra sur son propre trône (Mt 25.31). Dans cet acte était aussi inclus sa nomination comme tête de son corps, l'Église (Ép 1.22). Il dirige maintenant les affaires de son Église. Il remplit le rôle de souverain sacrificateur (Hé 4.14 ; 5-10 ; 6.20 ; 7.21 ; 8.1-6 ; 9.24), offrant son propre sang (1 Jn 2.1s) et priant pour que les siens soient gardés et unis (Lc 22.32 ; Jn 17). Aujourd'hui, les anges, les dominations et les autorités lui sont tous soumis (1 P 3.22). En fait, toutes choses ont été mises sous ses pieds (Ep 1.22). Dans ce sens, il est aujourd'hui le roi d'un royaume (Col 1.13 ; Ap 1.9)[47].


Le retour physique du Christ

Cet aspect de l'exaltation fera l'objet du cours d'eschatologie. Nous l'étudierons donc à ce moment-là.


Notes

[1]1 Le Catéchisme de Genève établit explicitement ce lien entre l'anthropologie et la christologie. En effet, à la question 51 : “ Était-il vraiment indispensable que Jésus prît notre propre chair ? ”, il répond : “ Assurément. Pour réparer la désobéissance de l'homme envers Dieu, il devait —lui aussi— prendre notre chair humaine, car il n'aurait pu autrement être fait Médiateur pour nous réconcilier avec Dieu. ” (voir aussi la question 52) ; Le Catéchisme de Genève, Aix-en-Provence, Éditions Kerygma, 1991, p. 31.

[2]2 Suivant cette relation entre l'anthropologie et la christologie, on pourrait distinguer la doctrine du Logos éternel de celle du Christ —quelle relation y a-t-il en effet entre l'existence du Logos pré-incarné et celle de l'homme ?—, et ne considérer que la doctrine du Christ comme tel dans l'étude de la christologie, qui concerne bien entendu la venue humaine du Messie (le terme “ messie ” provient du mot hébreux “ mâschîakh ”, traduit en grec par “ khristos ”, et qui a par la suite donné le mot français “ christ ”). Bien qu'elle puisse sembler valable du point de vue de la logique, cette distinction ne nous paraît cependant nullement obligatoire ni utile sur le plan méthodologique, car la christologie, si elle est appropriée dans la foi et l'obéissance à la Parole de Dieu, conduira inévitablement le croyant à une connaissance du Logos éternel. En d'autres termes, nous ne pouvons séparer la connaissance du Fils de Dieu pré-incarné de celle du Fils de Dieu incarné, car la première nous serait non seulement inaccessible sans la deuxième, mais elle nous serait également inutile. De plus, une telle distinction ferait perdre de vue l'importance salutaire de l'union de la nature divine et de la nature humaine dans la personne du Christ ; ce n'est pas par hasard si le Messie promis était à la fois Dieu et Homme !

[3]3 Henri BLOCHER, Christologie, série “ Fac étude ”, 1er fascicule, Vaux-sur-Seine, 1986, p. 90.

[4]4 Aloges : a privatif et logos ; les aloges sont donc ceux qui refusent la doctrine du Logos.

[5]5 Pierre-Th. CAMELOT, Pierre MARAVAL, Les conciles œcuméniques : I Le premier millénaire, Paris, Desclée, 1988, vol. 1, p. 10.

[6]6 CAMELOT, MARAVAL, op.cit., p. 9. Arius, pour affirmer cela, s'appuyait sur quelques passages de l'Écriture, surtout Proverbe 8.22, selon la version grecque dite La Septante, où il est question de la Sagesse personnifiée : “ Le Seigneur m'a créée au commencement de ses voies (...) ”

[7]7 CAMELOT, MARAVAL, op.cit., p. 10.

[8]8 Bien que n'étant pas de la même substance que le Père, le Fils, selon Arius, est néanmoins une créature parfaite.

[9]9 Mais, en plus de ruiner la divinité du Fils, Arius tronquait également son humanité : “ En effet, le Fils-Logos prend la place de l'esprit humain, et c'est par cette synthèse entre une super-créature céleste et la chair que le Christ est un. ” ; BLOCHER, op.cit., p. 103.

[10] CAMELOT, MARAVAL, op.cit., p. 15. Pour les Pères de Nicée, le “ consubstantiel ” (homoousios) apparaissait comme le terme le plus approprié pour exprimer le contenu de la foi, le mystère de Dieu. Cette consubstantialité ne doit toutefois pas être conçue comme une simple ressemblance morale entre le Père et le Fils (bien qu'il y en ait une), mais d'abord et surtout comme une identité d'essence ou de substance (ousia), ce qui implique nécessairement la divinité du Christ. En écartant l'idée d'une simple ressemblance, d'une unité purement morale entre le Père et le Fils, l'homoousios traduit au mieux les mots de l'évangile : “ Le Père et moi nous sommes un. Tout ce qu'a le Père est à moi. Je suis dans le Père et le Père est en moi (Jn 10. 40 ; 16.15 ; 14.10). ” Ainsi, en confessant que Jésus est “ vrai Dieu de vrai Dieu ”, l'Église des conciles a préservé la vérité selon laquelle Dieu est véritablement venu parmi nous dans la personne de son Fils unique.

[11]11 P-Th. CAMELOT, Éphèse et Chalcédoine, Paris, Éditions de l'Orante, 1961, p. 20.

[12]12 Dans le sens de “ prendre en charge ”, “ mettre sous son contrôle ”.

[13]13 Apollinaire présupposait en effet que l'âme est le siège de la rationalité.

[14]14 Christologie I. Des origines à l'Antiquité tardive, sous dir. de Karl-Heinz OHLIG, traduction par Bernard Lauret et Georges-Matthieu de Durand, Paris, les Éditions du Cerf, 1996, tome I, p. 170.

[15]15 Christologie I., op.cit., p. 51 (nous avons ajouté les italiques).

[16]16 Pour réfuter la fausse doctrine d'Apollinaire, Grégoire de Nazianze a fait ressortir les conséquences sotériologiques qu'elle entraîne : “ Si seulement une moitié d'Adam a chuté, alors ce que le Christ assume et sauve doit être aussi une moitié ; mais si c'est sa nature entière qui a chuté, elle doit alors être unie à la pleine nature de Celui qui est l'unique engendré, et ainsi être sauvée entièrement. ” ; Gregory of NAZIANZEN, The Nicene and Post-Nicene Fathers, Grand Rapids, Eerdmans, vol. 7, 1983, p. 440.

[17]17 Parmi les théologiens modernes, le Dr Robert L. REYMOND, dans son ouvrage A New Systematic Theology of the Chrsitian Faith, reconnaît que le concile d'Éphèse a apporté une contribution importante pour la résolution finale des conflits christologiques des premiers siècles (Nashville, Thomas Nelson Publisher, 1998, p. 603). Il est vrai que le concile d'Éphèse ne fit aucune “ définition dogmatique ” solennelle. Mais, comme le souligne Camelot, “ il y en a eu l'équivalent, l'expression de la foi commune de l'Église. ” ; CAMELOT, MARAVAL, op.cit., p. 37. Cet “ équivalent ”, selon Camelot, est la deuxième lettre de Cyrille à Nestorius, qui fit aussi l'objet d'un vote commun.

[18]18 Adolf VON HARNACK décrit Nestorius comme un “ évêque vaniteux et tapageur ” ; Adolf VON HARNACK, Histoire des dogmes, Paris, les Éditions du Cerf, 1993, p. 212).

[19]19 Christologie I., op.cit., p. 212.

[20]20 En grec, “ prosopôn ” (“ prosôpa ” au pluriel) signifie “ face ”, “ visage ” ou “ figure ” ; mais il peut aussi se traduire par “ personne ”.

[21]21 Comme en font d'ailleurs foi ces paroles de Nestorius : “ Quant au prosôpon du Fils, il est un seul, mais comme avec deux yeux, différents quant aux natures de l'humanité et de la divinité. ” ; Christologie I., op.cit., p. 212.

[22]22 Aloys GRILLMEIER, Le Christ dans la tradition chrétienne : De l'âge apostolique à Chalcédoine (451), traduction française par sœur Jean-Marie et Monique Saint-Wakker, Paris, Les Éditions du Cerf, 1973, tome 1, p. 445.

[23]23 G. L. PRESTIGE, Fathers and Heretics, cité par CAMELOT, Éphèse et Chalcédoine, op.cit., p. 30.

[24]24 CAMELOT, MARAVAL, op.cit., p. 30.

[25]25 Supérieur de certains monastères dans l'Église grecque.

[26]26 Eutychès, cité par CAMELOT, MARAVAL, op.cit., p. 39.

[27]27 CAMELOT, MARAVAL, op.cit., p. 44.

[28]28 Nous avons ajouté les italiques.

[29]29 Hétérodoxie : Doctrine, opinion émise au sein de l'Église et condamnée par elle comme corrompant les dogmes.

[30]30 Robert L. REYMOND, op.cit., p. 621.

[31]31 Comme le souligne Robert L. Reymond, “ la définition chalcédonienne du cinquième siècle devait devenir la pierre de touche de l'orthodoxie christologique dans la chrétienté catholique [universel] durant les mille cinq cents prochaines années, survivant même au schisme de 1050 ap. J.-C. de l'Église en Églises d'Orient et d'Occident et ensuite au sixième siècle dans la chrétienté occidentale à la division de cette même Église en Églises romaine catholique et protestante ” ; Robert L. REYMOND, op.cit., p. 614.

[32] “ Le même Christ est descendu aux enfers ; il est réellement ressuscité le troisième jour, monté au ciel, assis à la droite de Dieu, afin qu'il étende son règne et sa domination éternels sur toutes les créatures, qu'il sanctifie, purifie, affermisse et console par le Saint-Esprit tous ceux qui croient en lui, et afin qu'il leur donne en partage la vie et toutes sortes de dons, et qu'il les protège contre le diable et le péché. Ce même Seigneur Jésus-Christ reviendra enfin visiblement, pour juger les vivants et les morts, etc., — selon le Symbole des Apôtres. ”

[33] La confession ajoute ici : “ Et notamment aussi les imaginations diaboliques de Servet, lequel attribue au Seigneur Jésus une divinité fantastique, d'autant qu'il le dit être idée et patron de toutes choses, et le nomme Fils personnel ou figuratif de Dieu, et finalement lui forge un corps de trois éléments incréés, et par ainsi mêle et détruit toutes les deux natures. ”

[34]34 La Confession de La Rochelle, Aix-en-Provence, Fondation d'entraide chrétienne réformée, 1988, articles 14 et 15, chapitre III, p. 33-35.

[35]35 Les Textes de Westminster, Aix-en-Provence, Kerygma, 1988, article 2, chapitre VIII, p. 18.

[36]36 Confession de foi réformée baptiste de 1689, Chalon-sur-Saône cédex, Europresse, 1994, article 2, chapitre 8, p. 29.

[37]37 Les chapitres 1.1 à 2.4a du livre de Daniel sont en hébreux, ensuite le livre se poursuit en araméen jusqu'à la fin du chapitre 7, puis il se termine en hébreux.

[38]38 Henri BLOCHER, Christologie, série “ Fac étude ”, 2e fascicule, Vaux-sur-Seine, 1986, p. 230.

[39]39 Pour cette section, nous sommes grandement redevable à Henri Blocher, à qui nous avons beaucoup emprunté de sa Christologie, série “ Fac étude ”, 2e fascicule, Vaux-sur-Seine, 1986, p. 229-292.

[40]40 Jac J. Müller fait la remarque suivante : le participe aoriste (temps ressemblant au passé composé) du verbe “ prendre ” dans l'expression “ en prenant la condition d'esclave ” (Ph 2.7) implique une action simultanée (Jac J. MULLER, The New International Commentary on the New Testament : the Epistles of Paul to the Philippians and to Philemon, Grand Rapids, Eerdmans, 1983, p. 82). Le sens serait donc le suivant : “ Il s'est dépouillé lui-même en prenant (dans l'acte de prendre) la condition d'un serviteur. ” L'expression “ en prenant la condition d'un serviteur ” expliquerait alors le comment du dépouillement : en prenant la forme d'un serviteur, le Christ s'est dépouillé lui-même. Rien n'est dit ici à propos d'un soi-disant abandon des attributs divins, de la nature divine ou de la “ forme de Dieu ” (Ph 2.6). Le texte parle uniquement d'un paradoxe divin : il s'est “ vidé ” lui-même en prenant quelque chose sur lui-même, à savoir la forme, la manière d'être, la condition d'un serviteur. Dans l'incarnation, il est demeuré dans la forme de Dieu, et comme telle le Seigneur et le Maître de tous. Mais en même temps, sans jamais cesser d'être le Seigneur de tous, il était le serviteur de Dieu et des hommes (cf. Jn 13). Mais attention : l'hymne ne dit pas qu'il a échangé la “ forme de Dieu ” pour la “ forme d'un serviteur ”. Il dit seulement que c'est dans l'acte de prendre que Christ “ s'est vidé lui-même ”. C'est donc dans un acte de revêtement que s'accomplit le dépouillement. Et dans cet acte, la divinité n'a subi aucune perte.

[41]41 Pour ce sujet, voir l'excellente étude d'Henri BLOCHER, Christologie, 2e fascicule, op.cit., p. 234-246.

[42]42 Henri BLOCHER, Christologie, 2e fascicule, op.cit., p. 249.

[43]43 Henri BLOCHER, Christologie, 2e fascicule, op.cit., p. 256.

[44]44 Henry C. THIESSEN, Esquisse de Théologie Biblique, Sherbrooke, Béthel, 1987, p. 275.

[45]45 Henry C. THIESSEN, op.cit., p. 275.

[46]46 Williams EVANS, The Great Doctrines of the Bible, cité par Henry C. THIESSEN, op.cit., p. 277.

[47]47 Ce paragraphe est intégralement tiré du livre de Henry C. THIESSEN, op.cit., p. 279.