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Samizdat

La bataille pour notre culture:

une entrevue avec Francis Schaeffer[1].





Francis SchaefferFrancis Schaeffer, philosophe, auteur et théologien chrétien, est un point de référence pour les chrétiens en ce qui concerne l'impact qu'ils devraient avoir sur la société qui les entoure. Le Dr. Schaeffer et sa femme, Édith, sont les fondateurs de la Fraternité l'Abri en Suisse, un oeuvre qui a touché les vies et les esprits de gens innombrables. Ils sont les auteurs de plusieurs livres traitant de la réalité de l'existence de Dieu et sa participation active dans nos vies. Les plus récents sont The Tapestry, une histoire complète de "la vie et les temps de Francis et Édith Schaeffer", écrit par Édith; et Le manifeste chrétien, l'énoncé la plus définitive du Dr. Schaeffer sur la responsabilité du chrétien qui doit prendre une position courageuse devant une société en déclin et de plus en plus hostile. La publication de cette entrevue avec Dr. Schaeffer sur ce sujet coïncide avec certains événements significatifs de sa vie: la publication du Manifeste chrétien et aussi son soixante-dixième anniversaire de naissance - un miracle en quelque sorte à la lumière de la bataille courageuse il a livré contre le cancer au cours de ces trois dernières années. Nous sommes honorés de publier les réflexions de ce grand homme de Dieu.


NW
[2]: Quels principes croyez-vous que les chrétiens devraient garder à l'esprit face à la société dans laquelle nous vivons et tentons d'influencer ?

FS: Je pense que nous devons comprendre deux points fondamentaux. Le premier est une question d'attitude. Il y a un bon moment, lorsque je réfléchissais pour la première fois à l'importance de communiquer efficacement à notre société et aux implications pratiques de cette communication j'ai remarqué quelque chose dans les Écritures. Après beaucoup de luttes et de prières, j'ai vu qu'après notre conversion, notre responsabilité première doit être d'affirmer l'existence de Dieu en démontrant son caractère. Cela, bien sûr, n'écarte pas l'importance de la Grande Commission d'aller par tout le monde - il inclut cette Commission. En tant que chrétiens, tout ce que nous faisons devrait démontrer le caractère de Dieu.

Les Écritures déclarent clairement que Dieu est saint et que Dieu est amour. Notre tâche, alors, est de démontrer ces deux caractéristiques dans tous nos rapports, que ce soit dans nos luttes personnelles, nos luttes théologiques, les problèmes qui surviennent dans nos églises locales ou encore dans les situations que nous affrontons au sein de notre société dans son ensemble.

Après bien des luttes avant la fondation de l'Abri, j'ai vu que l'on pouvait prétendre défendre la sainteté de Dieu et se comporter de manière dure et insensible. Par contre, d'autres disent défendre l'amour de Dieu et font des compromis inacceptables. J'ai vu aussi que certains prônent des simulacres humanistes de l'une ou l'autre de ces attitudes. Mais ce que vous ne pouvez pas faire, par vous même humainement - même d'une manière pitoyable - c'est de démontrer à la fois l'amour et la sainteté de Dieu simultanément. Ceci ne peut être fait que grâce à l'œuvre de l'Esprit Saint dans nos vies.

Par la grâce de Dieu nous devons démontrer à la fois l'amour et la sainteté de Dieu, si bien que nous ne devons compromettre ni notre foi, ni se comporter de manière dure et insensible. Si cette attitude a toujours été nécessaire pour les chrétiens, il est plus important maintenant que nous entrons une phase de lutte réelle pour notre pays et sa culture. Cette équilibre dans nos vies entre l'amour et la sainteté est un objectif de première importance.

Des pressions terribles et des campagnes haineuses peuvent être déclenchées contre nous par les individus dans la société qui s'opposent au christianisme, et la tentation est alors très grande de répliquer avec une agressivité proportionnelle. Mais nous devons avoir à l'esprit de démontrer à la fois l'amour et la sainteté de Dieu.

Deuxièmement, nous devons reconnaître ce que j'appelle l'"hiérarchie de vérité". Toute vérité authentique est vraie, et toute vérité est importante, mais certaines vérités sont moins centrales que d'autres.

Nous devons prendre garde afin d'investir nos énergies dans les problèmes centraux - sans quoi nous pouvons perdre la guerre dans son ensemble. Une bonne illustration d'un problème central, je crois, c'est la question de l'avortement. La position chrétienne touchant l'avortement remonte, dans l'histoire de l'église, aussi loin que Tertullien, un dirigeant de l'église primitive, et le livre du Didachè. La vision biblique s'oppose de manière radicale à l'avortement. Si nous allons combattre dans la bataille pour notre culture et notre gouvernement à cette époque, alors nous devons demander à tous les chrétiens de prendre position sur cette question centrale.

D'un autre côté, lorsque nous abordons des questions secondaires, par exemple une question politique tel que la ratification du traité du canal de Panama, nous devons admettre que les chrétiens seront partagés dans leurs positions et accepter le fait que de tels problèmes se situent à un niveau d'importance différent. Ils ne sont pas des problèmes centraux comme peuvent l'être l'avortement, et nous ne devons pas confondre ces deux niveaux d'importance.

Je dirais que la compréhension de ces deux points - démontrer l'amour de Dieu ainsi que sa sainteté et s'attaquer aux problèmes centraux - est essentiel afin d'aborder la société actuelle d'une manière efficace.



NW: Pourquoi croyez-vous que l'avortement est une question centrale pour les chrétiens ?

FS: Je crois que l'avortement est un point névralgique dans la bataille contre la vision du monde humaniste que nous combattons actuellement puisque d'un point de vu chrétien nous voyons un lien directe et indissoluble entre la dignité et valeur intrinsèque de la vie humaine et l'existence d'un Dieu personnel. Si Dieu existe, la vie humaine comporte une dignité intrinsèque car cette vie vient de sa main.

Aucune autre philosophie, aucune autre religion, ne justifie[3] la dignité intrinsèque de l'être humain. Si Dieu n'existe pas, la vie humaine n'a pas de dignité intrinsèque.

Nous devons comprendre que la vision du monde humaniste, qui rejette Dieu comme la source de notre dignité, a graduellement envahi de plus en plus les écoles et les médias. Depuis la prise de position par la Cour Suprême américaine touchant l'avortement en 1973, l'influence de la pensée matérialiste et humaniste grandit dans la société américaine et devient une question de vie ou de mort. Dès ce moment l'avortement est devenu le problème central à chacun une de nous et à la culture entière, puisqu'il y est question de la valeur de vie humaine elle-même. Si donc on admet la légalité d'avortement dans notre pays, et si l'attitude humaniste touchant l'avortement reste dominante dans les médias et la société dans son ensemble, nous serons témoins d'une érosion destructive de la structure sociale.

Nous savons que Dieu existe et qu'il nous a faits à son image. Si nous laissons la position humaniste dominer sur la place publique sans opposition, cependant, il réduira la vision sociale de la vie humaine où les être humaines seront perçus comme simplement une partie d'un certain continuum matérialiste. Ceci constituerait l'attaque humaniste le plus destructeur contre le concept chrétien d'un Dieu personnel. Pour cette raison, toute cette question est d'une importance vitale.

De plus, si vous dévaluez la vie humaine, le processus ne s'arrêtera pas là; l'avortement ne sera pas le seul conséquence. L'évidence de ce fait c'est que bien qu'il soit encore considéré illégal de commettre l'infanticide (c'est-à-dire laisser mourir un bébé après sa naissance), il est de notoriété publique que l'infanticide est pratiqué de toute manière, et ce sans aucune vague de protestations contre ce phénomène. Nous entendons déjà des discussions touchant l'euthanasie, "la miséricorde meurtrière[4]"- des personnes âgées. L'acceptation de ce phénomène ne fait pas que permettre l'élimination des personnes âgées; il contribue aussi à dévaluer la vie humaine dans son ensemble.

Nous ne devons jamais oublier qu'en Allemagne, avant la prise du pouvoir par Hitler, cette vision diminuée de la vie humaine, au niveau médical et juridique, surtout à l'égard de l'avortement, rendit l'euthanasie acceptable dans cette société. Elle fut considérée comme applicable non pas uniquement à la situation des personnes âgées, mais aussi à toute autre personne qui s'opposerait aux objectifs de l'État. Il faut voir clairement que la vision de la réalité final, du point de vue matérialiste ou humaniste, ne fournit aucune raison réelle pourquoi tout individu ou groupe d'individus, s'il est considéré comme une "charge pour la société" ou encore "nuisible", ne puisse être "éliminé".

Ainsi l'avortement se situe réellement à un point crucial. Si L'église du Seigneur Jésus Christ, si ceux d'entre nous qui croient réellement à la Bible, ne se tiennent pas debout et ne luttent pas à ce moment de l'histoire, je ne pense pas l'église obtiendra un autre chance de lutter. Dès ce moment, je ne vois pas où nous pourrions trouver une autre opportunité de changer la direction que prend notre société. L'avortement est le problème central pour l'Église à notre époque.



NW: Bien des chrétiens croient que nous ne devrions pas nous impliquer au niveau social ou politique car une telle activité n'est pas perçu comme "spirituelle" mais plutôt "séculière". Une telle attitude a souvent empêché l'église d'interagir d'une manière efficace avec la société qui l'entoure. D'après vous, de quelle manière cette pensée s'est développée dans l'église ?

FS: En ce qui concerne le christianisme réformé, nous pouvons retracer cette vision fausse de la spiritualité - établissant une division fausse entre le spirituel et le naturel - remonte à la naissance du piétisme au 17e siècle. Tout d'abord il faut dire que j'ai une grande sympathie pour les gens qui firent naître ce mouvement. L'église à cette époque était très froide, et christianisme se résumait souvent à un simple énoncé doctrinal avec très peu d'emphase sur l'implication pratique de la foi dans la vie quotidienne. Ainsi, je veux mettre en évidence les bons points marqués par le piétisme. Une des attitudes les plus positives provenant de ce mouvement est l'attente que chaque doctrine ait quelque implication dans la vie quotidienne du chrétien. Aucune doctrine ne peut demeurer sans répercussion dans notre comportement. La réalisation d'une harmonie entre la foi et la vie pratique est un bon point pour le piétisme, et tout chrétien doit être Piétiste dans ce sens, parce que christianisme est autre chose que juste un ensemble d'énoncés intellectuels et abstraits.

Mais le côté moins reluisant du piétisme est que, depuis ses débuts, il dénigra le corps en opposition à l'âme. Il rejetait les qualités intellectuelles du christianisme et la plénitude de la vie et du cosmos. Cette spiritualité pourrait s'exprimer de la manière suivante: "Nous devons nous intéresser à l'âme et non au corps". La division entre "spirituel" et "séculier" que l'on peut reconnaître chez les évangéliques, a sa source là. Par la suite, la spiritualité est alors devenu quelque chose "d'élevée" ou d'abstraite. Tout le reste de la vie se voyait alors considéré comme "mondain" et de valeur moindre.

Mais d'un point de vue biblique, il s'agit d'une vision particulièrement faussé de la spiritualité. Selon la Bible, Dieu a tout fait; Dieu a créé mon corps tout aussi bien que mon âme. La mort de Jésus implique la résurrection de mon corps des morts. De plus Paul spécifie, dans 1 Corinthiens chapitre 15, que s'il n'y a aucune résurrection des corps, alors le christianisme est un échec total et une erreur.

Certaines choses sont mauvaises et sont clairement désignées comme telles dans la Bible. Elle ne nous dit pas de ne pas faire ces choses puisque nous sommes pécheurs, mais plutôt il nous est dit qu'on ne devrait les faire. Mais si nous éliminons ces choses de nos vies - choses qui sont considérés péché selon la Bible - alors tout le reste devient spirituel. Nier ce fait et négliger de le mettre en pratique dans sa vie constitue une dévaluation de la seigneurie du Christ.

Dieu a tout fait, Christ a racheté tout, et dans cette vie, par la grâce de Dieu, Christ doit être le Seigneur de l'ensemble de ma vie. Dans la mesure où je limite Son autorité à seulement une portion de ma vie, je déshonore le Christ. Je dirais même davantage, non seulement toute la vie est spirituelle, mais toute la vie est également spirituelle. Le Christ doit être le Seigneur de toute ma vie, et cela inclut précisément toutes mes responsabilités en tant que citoyen de mon pays.


NW: Diriez vous aussi que son règne s'étend à l'éducation, les arts, la culture populaire, le gouvernement et tout autre domaine de la vie ?

FS: Tout. Le problème vient du fait que tout peut être abusé - et évidemment les arts et la culture populaire ont souvent été abusés. Ils ne sont pas bénéfiques de manière automatique; ils sont neutres en ce sens qu'ils peuvent être utilisés pour le bien ou le mal. Les arts peuvent donc constituer la force plus destructive vous pouvez imaginer quand ils expriment une vision du monde humaniste - comme c'est le cas pour la plupart des émissions de télévision. À la télévision nous voyons cette vision du monde exprimé de mille et une manières. Les pièces de théâtre sur Broadway font très souvent étalage de la position humaniste, mettant à l'avant le relativisme et le pluralisme (mais un pluralisme mauvais qui dit, "faites n'importe quoi, il ne faut pas juger"). Ainsi les arts peuvent être employés d'une manière destructive. Mais c'est tout autre chose que le concept l'art est destructif ou nuisible en soi, c'est-à-dire dans son essence.

De même, affirmer que le gouvernement est corrompu dans son essence même est une méprise sérieuse, puisque Dieu lui-même nous a donné le gouvernement humain. Affirmer que le gouvernement est mauvais en soi implique qu'une chose donné par Dieu est mauvaise. Certainement il peut bien y avoir de la "saleté" dans toutes ces domaines d'activités humaines, mais nous devons établir une distinction claire entre l'idée que certaines choses sont mauvaises dans leur essence même, c'est-à-dire qu'ils sont intrinsèquement "mondaines", et le fait qu'ils peuvent être employés d'une manière destructive.

Je crois que Martin Luther et les réformés hollandais avaient aussi un point de vue qui les permettaient de contempler la plénitude de la vie et comprendre que les arts devaient être amené sous l'autorité de Christ. Dans la préface au Gesangbuch de Wittenburg, Luther énonça:

De la même manière, nous devons réaliser qu'il n'y a aucun moyen de communication qui puisse exposer la gloire de Dieu et les merveilles de Dieu le Créateur aussi clairement que la pratique des humanités. Par les humanités je pense plus particulièrement aux résultats d'efforts d'hommes et de femmes dans les domaines intellectuels et artistiques. Nous devons réaliser que l'art chrétien ne se résume pas nécessairement à un tract évangélique. L'art n'ayant qu'un objectif esthétique est légitime - quoiqu'il puisse être abusé - et il est légitime puisque l'art est un reflet de la créativité de Dieu, une évidence que nous sommes faits dans l'image de Dieu.

Nous ne devons penser que puisque l'homme s'est révolté contre Dieu et qu'il a besoin d'un Sauveur, que sa révolte a supprimé totalement les traces de l'image de Dieu en lui. Il importe peu ce que croit un matérialiste touchant sa propre nature, il est tout de même fait à l'image de Dieu. Il porte en lui certaines marques de cette image de Dieu. Peu importe l'éloignement de Dieu de ces gens ou le mal qu'ils sèment dans leurs enseignements touchant la nature humaine, le fait demeure qu'ils sont toujours faits à l'image de Dieu, qu'ils le croient ou non.

Ce fait est particulièrement évident dans les arts, et si j'utilise le terme "arts" je ne pense pas uniquement aux arts avec un "A" majuscule, c'est-à-dire les arts que nous retrouvons dans les musées. L'homme qui est intéressé par une pièce bien conçue dans sa maison, la femme qui veut offrir un repas bien apprêté et beau à voir, la personne qui intéressée par les plantes et qui désire faire croître un jardin exquis, sont tous impliqués dans les "arts." La raison qui explique pourquoi les êtres humains ont une quelconque capacité de produire de l'art à un niveau ou un autre réside dans le fait qu'ils sont crées à l'image de Dieu, et que ce trait n'a pas été perdue dans la Chute.



NW: À cet égard, que peuvent nous offrir les écrivains et penseurs non-chrétiens d'après vous ?

FS: En général, la pensée philosophique et intellectuelle fonctionne en parallèle des arts dans le sens que même les philosophes et les penseurs non-chrétiens, comme les artistes non-chrétiens, portent encore l'image de Dieu. Bon nombre de penseurs non-chrétiens ont réfléchi aux problèmes centraux de vie avec une grande clarté, et ils ont analysé ces problèmes de manière profonde. Cependant, sans connaître la réalité centrale du Dieu judéo-chrétien, sans connaître son existence ou la révélation, ces philosophes ne peuvent arriver à des réponses adéquates en termes intellectuels ou spirituels. Ils peuvent définir avec précision les problèmes de l'homme et ils ont des éléments d'observation véritables, mais à partir de leur connaissances et perspectives ils sont incapables de nous donner des réponses exactes, suffisantes et complètes en termes intellectuelles.


NW: Croyez-vous, alors, qu'il est légitime pour des chrétiens d'étudier la littérature non-chrétienne ?

FS: J'ai appris bien des choses à la lecture d'auteurs non-chrétiens et en observant comment ils définissent les problèmes de vie. Après cette lecture, je me demande, "Quel sont les réponses chrétiennes à ces questions?" En examinant à la fois les écrits et les formes d'arts, je vois présentés beaucoup de problèmes pour lesquels les écrivains et artistes eux-mêmes n'ont pas de réponse, bien qu'ils aient une certaine sensibilité à des aspects particuliers du dilemme humain et à la condition humaine. Nos esprits sont piqués et affinés en examinant les questions que soulèvent ces gens et nous devons retourner alors à la Bible afin de voir ce que sont les réponses dans le contexte du plein conseil des Écritures. Malheureusement, fréquemment les chrétiens n'ont pris la peine de réfléchir au problème, encore moins à sa réponse.

Un dernier point important: nous devons être très prudents à comprendre que le combat est contre l'humanisme, et non contre les humanités - c'est-à-dire la créativité humaine. Il est évident que la fausse spiritualité dont nous avions discuté ci-dessus rejettera automatiquement les humanités, mais c'est une mauvaise attitude. Puisque les humanités sont un produit de la créativité humaine, ils sont le reflet du grand Créateur, et il y a des manières de les étudier qui sont utiles, aussi longtemps que nous n'acceptons pas les réponses finales les artistes et penseurs non-chrétiens.

Nous ne nous opposons pas évidemment à l'attitude humanitaire[5], qui consiste simplement d'user d'amabilité et de compassion vis-à-vis les gens qui nous entourent. De fait, les chrétiens doivent être les gens plus humanitaires que l'on puisse rencontrer.



NW: Diriez vous que les chrétiens ont échoué, jusqu'à un certain point, en n'essayant pas de comprendre la mentalité des gens laïcisés de manière à leur communiquer efficacement l'évangile ?

FS: Absolument. Lorsque j'ai rédigé initialement mes livres Dieu - ni silencieux ni lointain et la Démission de la raison, je luttais avec les problèmes de l'art moderne. Une chose qui m'irritais au plus haut point survenait quand je commençais prêcher sur l'art moderne, montrant une diapositive d'une peinture moderne, les chrétiens dans l'assistance se mettaient à rigoler. Ça m'irritait énormément car les gens qui peignaient ces images étaient dans l'agonie tandis qu'ils luttaient avec les problèmes de la vie, ils représentaient cette agonie dans leur travail. Étant donné que la perspective de ces artistes était étrangère à la plupart des chrétiens, dans église après l'église, assistance après l'assistance, ces tableaux faisaient rigoler. Mais ils devaient pleurer plutôt ! Où est notre compassion ?

Bien des artistes et penseurs ont été honnêtes en abordant les conséquences de leur vision du monde et ont eu le courage admirable de la pousser jusqu'à sa conclusion logique. Ce qui est beaucoup plus que ce qu'ont fait bien des chrétiens qui acceptent Christ comme Sauveur à un niveau superficiel et ne vont pas plus loin. Je ne dirais pas qu'ils ne sont pas sauvés, mais leur attitude est "Maintenant tout va bien et nous allons au ciel; la question est réglée." Ils vont à l'église et chantent des cantiques afin de se sentir bien. Mais si chrétiens poussaient leurs convictions jusqu'à leur conclusion logique, ils seraient dans les rues. Certains parmi eux feraient probablement des démonstrations dans la rue dans certaines situations - et ils payeraient un prix pour leur convictions.

Mais cette réaction d'indifférence que j'ai rencontré, ce rire nerveux en réaction à l'art moderne, constitue, je crois, une accusation contre les gens qui riaient tandis qu'en vérité ils devaient pleurer. Si nous pouvons comprendre et pleurer avec les gens qui peignent de tels images, cela nous aiderais à communiquer l'évangile aux individus qui partagent cette manière de penser. Nous serions alors capables de présenter clairement la réalité de la déchéance humaine du point de vue de leur propres "prophètes" artistiques.

Nous avons payé un prix terrible pour notre vision fausse de la spiritualité, à la fois en tant qu'individus et au niveau culturel. Dans notre paresse, nous n'avons pas poussé notre foi chrétienne à ses conclusions logiques et éprouvé de la compassion afin de considérer au juste combien est grand le désarroi de notre génération moderne.

La Bible présente des gens sans le Dieu vivant comme perdus en deux sens: Ils seront perdus quand ils meurent dans le jugement final, et ils sont perdus dans cette vie aussi. Mais nous ne nous préoccupons pas de ce genre de chose. Nous vivons dans nos "ghettos" chrétiens et nous chantons nos cantiques, afin de se sentir "bénies". Nous évangélisons à l'aide de slogans vides. Mais où sont nos larmes? Non seulement notre approche a été non-biblique; il a été superficielle.



NW: Que croyez-vous pourrait nous secouer de cette apathie chez les évangéliques?

FS: Je pense que premièrement, nous devons prendre la Bible au sérieux et comprendre que la seigneurie de Christ touche tous les aspects de la vie. Il nous faut devenir véritablement spirituels au lieu de pratiquer une spiritualité superficielle et facile.

Deuxièmement, nous devons avoir le courage de regarder aux visages de la culture moderne et comprendre pourquoi il est sans expression. Nous devons reconnaître que l'art et la pensée moderne sont formés par la vision du monde moderne qui proclame que l'énergie et la matière impersonnelle, formées par le hasard et non par un Dieu personnel, est la réalité finale. Cette vision du monde séculière va produire un effondrement complet de la culture et de la société, une grande victoire pour Satan. Nous devons comprendre quel est la Bête qui nous oppose dans cette bataille et prendre une position sans compromis contre lui.

Enfin nous devons réaliser que la seigneurie de Christ implique que nous payerons un prix pour notre foi, et que sur le plan pratique nous devons porter notre foi dans les domaines où la bataille contre la pensée séculière est livrée.

Chacun de nous doit être prêt à payer le prix de l'engagement vis-à-vis du Dieu vivant dans notre profession et dans nos sphères de responsabilité propres, peu importe le coût. Quand nous serons prêts à payer ce prix, alors nous serons véritablement à l'avant garde du christianisme.


Notes

[1]- publié dans la revue New Wine Vol. 14 no..2 février. 1982 pp. 4-9 (trad. PG)

Francis Schaeffer est décédé à Rochester (États-Unis), le 15 mai 1984. NdT.

[2]- éditeur anonyme de New Wine. NdT

[3]- NdT. sur le plan logique.

[4]- NdT. "mercy killing" en anglais

[5]- "humanitarianism" en anglais. - NdT