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Samizdat

Êtes-vous un évangélique éduqué
et handicapé intellectuel?

 



Paul Gosselin

How Should We Then Live?: The Rise and Decline of Western Thought and CultureOuais, certains vont trouver que le titre de ce message un peu "trop provocateur", mais bon, je m'explique.

En ce moment je relis un ouvrage aussi extraordinaire que négligé par Francis Schaeffer, soit How Should We Then Live?: The Rise and Decline of Western Thought and Culture (publié initialement en 1976).

Cette lecture m'a fait penser au fait que bien des évangéliques font des études universitaires avec la pensée (un peu perversement naïve) qu'ils y recevront qu'une formation professionnelle neutre. Et ainsi ils ne songeront jamais au fait qu'il leur serait essentiel de s'équiper sur le plan apologétique aussi bien pour défendre leur foi dans le contexte universitaire que de développer une perspective judéo-chrétienne cohérente qui leur sera utile pour le reste de leur vie. Que l'université soit une institution idéologique et qu'il puisse y avoir conflit entre les idéologies universitaires et leurs convictions chrétiennes ne leur effleura même pas l'esprit. C'est le diplôme qui les intéresse, se faire un lit douillet par la suite et rien d'autre.

Mais cet état des choses ne doit pas surprendre, car on a prêché si longtemps dans nos églises évangéliques un "évangile" superficiel, centré sur le culte du confort et du bien-être (ou les "bénédictions" si on préfère le jargon évangélique) et qui se préoccupe à peu près plus de VÉRITÉ, alors si en général les étudiants évangéliques à l'université cherchent à éviter la bagarre ou développer un esprit critique face aux idéologies qui les entourent la cela ne doit pas nous étonner, c'est dans l'ordre "normal" des choses. Mais les Écritures nous avertissent, si le sel ne sale plus, qu'en fait-on??? (Mt 5: 13). Mais il y a un prix à payer pour se tenir debout pour la vérité. Mais combien d'évangéliques dans notre génération sont prêt(e)s à le payer?

Ainsi, lorsque des évangéliques engagent leurs études universitaires sans se préoccuper de se prémunir sur le plan apologétique cela assure un résultat tout à fait inévitable à la fin du processus: soit des gens se disant "chrétiens" (et, avec un peu de chance, ayant acquis quelques disciplines chrétiennes, dont des dévotions régulières) mais lorsqu'ils auront enfin leur diplôme, ils penseront tout à fait comme des païens. Ils auront subi avec succès leur lavage de cerveau universitaire... Et par la suite, dans leur vie professionnelle, ils se comporteront aussi tout à fait comme des païens si ce n'est (dans le meilleur des cas) de quelques scrupules personnels sur la sexualité, l'honnêteté ou le vol.

Et les associations d'étudiants évangéliques sur campus ne sont guère utiles sur ces questions car en général se sont des clubs sociaux pour évangéliques et lorsque, dans de rares cas, ils se préoccupent de question intellectuels, c'est trop souvent pour se donner bonne conscience des compromis et concessions faites aux idéologies dominantes de l'heure. Développer une perspective cohérente et se démarquer radicalement des idéologies dominantes, euh... Pourquoi faire?

Mais quand même Gosselin, vous avez oublié de nous expliquer pourquoi vous pensez que " How Should We Then Live?" soit un ouvrage aussi capital!

Ah, j'oubliais, ou presque... En fait c'est Schaeffer lui-même qui est le plus intéressant. Si CS Lewis a laissé sa marque comme pratiquement le premier intellectuel chrétien du 20e siècle, Schaeffer se démarque comme le premier intellectuel vraiment évangélique. Et contrairement à beaucoup d'élites évangéliques de notre génération, Schaeffer avait un attachement féroce à la vérité et à l'inerrance des Écritures. Schaeffer a donc ouvert la voie à d'autres qui ont suivi dont Oz Guinness et bien d'autres. Moi-même, je dois avouer Schaeffer m'a influencé tout autant que CS Lewis.

Mais le livre de Schaeffer réduit en bouilli un préjugé TRES largement diffusé dans le système universitaire occidental, soit que le christianisme a été dans les faits la 11e plaie d'Égypte pour la civilisation occidentale, et a fait obstacles au progrès de la science, à la démocratie et les arts. Schaeffer apporte de multiples preuves du contraire. Schaeffer avait non seulement un don de vulgarisateur, mais prenait soin de montrer les répercussions culturelles de certaines idées philosophiques, répercussions aussi bien dans les arts visuels que dans la littérature.

C'est pourquoi le livre de Schaeffer sera utile aussi bien à ceux qui ont terminé depuis bien longtemps leurs études qu'à tous les étudiants évangéliques qui débutent leurs études en sciences sociales, la philosophie, tout ce qui touche la psychologie, en arts et littérature que les étudiants en science et génie. Et pour des étudiants dans des domaines liés de près ou de loin à la question médicale ou bioéthique, Schaeffer fait des réflexions utiles. Schaeffer lui-même a été très impliqué dans les bagarres contre l'avortement des années 1970 et 1980. Schaeffer nous lance donc le défi de développer sa vie intellectuelle sur la base des Écritures. Il nous faut donc penser chrétiennement, plutôt qu'adopter la pensée païenne du jour et lui faire un « packaging évangélique ». Au chap 12, examinant les répercussions de la pensée moderne, Schaeffer note :

En envisageant l’arrivée d’une élite à la tête d’un État autoritaire et manipulateur pour pallier le vide créé par l’abandon des principes chrétiens, il conviendra de chercher autre chose que les exemples classiques de Staline et Hitler. Les gouvernements modernes disposent de moyens de manipulation inimaginables naguère, des moyens liés à des techniques psychologiques, à la recherche biologique, aux medias capables d’influencer les comportements.

C’est une conception qui trouve écho chez un autre penseur de cette génération, un athée pur et dur, soit Aldous Huxley qui affirmait qu’en Occident on ferait face non pas à l’abolition de la démocratie, mais à sa prise contrôle par une élite manipulatrice qui méprise profondément les principes démocratiques, mais qui trouve avantageux d’exploiter les démocratiques à ses propres fins (1990: 144):

Sous l'impitoyable poussée d'une surpopulation qui s'accélère, d'une organisation dont les excès vont s'aggravant et par le moyen de méthodes toujours plus efficaces de manipulation mentale, les démocraties changeront de nature. Les vieilles formes pittoresques — élections, parlements, hautes cours de justice — demeureront, mais la substance sous-jacente sera une nouvelle forme de totalitarisme non violent. Toutes les appellations traditionnelles, tous les slogans consacrés resteront exactement ce qu'ils étaient au bon vieux temps, la démocratie et la liberté seront les thèmes de toutes les émissions radiodiffusés et de tous les éditoriaux — mais une démocratie, une liberté au sens strictement pickwickien du terme. Entre-temps, l'oligarchie au pouvoir et son élite hautement qualifiée de soldats, de policiers, de fabricants de pensée, de manipulateurs mentaux mènera tout et tout le monde comme bon lui semblera.

Et pour les masses, reste-il autre chose que l’illusion du pouvoir démocratique, l’illusion qu’en votant, en participant à des « consultations » ou manifestations dans les rues, on puisse influencer les décisions prises « en haut » ?

Et si vous êtes un « pôv étudiant », sans le sous, notez qu’il y a une solution pour vous car « How Should We Then Live? » a été traduit en français et il existe en ligne ici (gratos): L'héritage du christianisme.

La version papier est disponible à la Maison de la Bible:

Mais il faut noter que l'édition originale anglaise est abondamment illustré (tout à fait approprié pour un livre où il est beaucoup question des arts) et on peut trouver des copies neufs ou usagés pas chers. chez BookFinder (en Europe aussi)

Il faut préciser que la négligence du monde intellectuel par les évangéliques est en grande partie due à l’influence piétiste sur les fondateurs du mouvement évangélique. Chez les piétistes les arts et la vie intellectuel était considéré comme faisant partie « du monde » et il fallait donc s’intéresser qu’aux choses « spirituelles ». Il faut comprendre que si l'influence du piétisme des siècles passés a eu du bon, il a coupé les évangéliques pendant longtemps de la culture et la vie intellectuelle. Pourtant les Écritures affirment:

Ces versets laissent clairement entendre qu'à la conversion, le chrétien doit non seulement réexaminer sa vie morale, mais également sa vie intellectuelle, en vérifier ces fondations et accepter que devant Dieu il aura des comptes à rendre un jour non seulement sur sa vie morale, mais sur sa vie intellectuelle également.


Notes

HUXLEY, Aldous (1958/1990) Retour au meilleur des mondes. Plon [Paris] 155 p.

Francis Schaeffer