AW Tozer
Étant donné la nature humaine et la nature du monde qui nous entoure, l'étude la plus importante et la plus profitable dont tous peuvent se livrer, est sans conteste la théologie.
Que la théologie ait généralement droit à moins d'attention que tout autre sujet ne nous dit rien sur son importance. Tout au plus, ce sont des indices que les hommes se cachent toujours parmi les arbres du jardin de la présence de Dieu et se sentent profondément mal à l'aise lorsque la question de leur relation à Dieu est abordée. Ils sont conscients de leur aliénation profonde de Dieu et ne parviennent à vivre en paix avec eux-mêmes qu'en oubliant qu'ils ne sont pas en règle avec Dieu.
Si Dieu n'existait pas, ça ne se passerait pas ainsi. S'il n'y avait personne à qui nous devions rendre des comptes, une charge très lourde aurait disparu de nos esprits. Nous n'aurions besoin que de se soucier de la légalité de nos gestes, ce qui n'est pas une tâche trop pénible dans la plupart des pays, et si ce but était atteint, il n'y aurait rien d'autre à craindre. Mais si en effet Dieu a créé la Terre et y a placé l'homme dans un état de responsabilité morale, alors l'obligation lourde incombe à nous de connaître la volonté de Dieu et de l'accomplir.
Il m'a toujours semblé totalement incohérent que l'existentialisme puisse nier l'existence de Dieu pour ensuite exploiter un vocabulaire tiré du théisme afin de persuader les hommes à vivre de manière juste. L'écrivain français Jean-Paul Sartre, par exemple, affirme ouvertement représenter l'existentialisme athée. “Si Dieu n'existe pas”, dit-il, “ nous ne trouvons pas en face de nous des valeurs ou des ordres qui légitimeront notre conduite. Ainsi, nous n'avons ni derrière nous, ni devant nous, dans le domaine lumineux des valeurs, des justifications ou des excuses. Nous sommes seuls, sans excuses. ” Pourtant, dans le paragraphe suivant, il affirme sans ambages: “ L'homme est responsable de sa passion, ” et plus loin: “Un lâche est responsable de sa lâcheté." Et de telles considérations, dit-il, remplit l'existentialiste d' “angoisse, délaissement et de désespoir." (Sartre 1960: 36-38)
Il me semble qu'un tel raisonnement prend appui sur une vérité qu'il cherche par ailleurs à nier. Si Dieu n'existait pas, le mot “responsable” serait vain. Aucun criminel ne ressent le besoin de craindre un juge qui n'existe pas et ne se fera aucun souci de violer une loi qui n'a pas été adoptée. C'est la connaissance que la loi et le juge existent bel et bien, qui réveille la crainte dans le cœur du contrevenant. Il y a quelqu'un à qui il doit rendre des comptes, sinon la notion de “ responsabilité ” n'a aucun sens.
C'est précisément parce que Dieu existe, parce que l'homme est fait à son image et qu'il est responsable devant lui, que la théologie a tellement d'importance. Seule la révélation chrétienne apporte la réponse à des questions sans réponse sur Dieu et sur la destinée humaine. Permettre à ces réponses sublimes de demeurer négligés tandis que nous cherchons partout ailleurs pour des réponses et sans en trouver est, il me semble, rien de moins que de la folie.
Aucun automobiliste ne serait excusé s'il avait négligé de consulter sa carte routière et avait tenté de trouver son chemin en examinant la mousse sur les troncs d'arbres abattus, en observant le vol d'abeilles sauvages ou en observant les mouvements des corps célestes. Si les cartes routières n'existaient pas, il se peut qu'un homme pourrait trouver son chemin en se guidant par les étoiles, mais pour le voyageur tentant de rentrer chez lui, les étoiles seraient un mauvais substitut pour une carte.
Sans une carte, les Grecs ont navigué leur monde de manière admirable, mais les Hébreux possédaient la carte et n'avait donc pas besoin de la philosophie des hommes. Puisque la pensée grecque ne m'est pas entièrement étrangère, c'est ma conviction que l'un des chapitres éloquents d'Isaïe ou un psaume inspiré de David offre plus de secours à l'humanité que toute la production des meilleurs esprits de la Grèce au cours de ses siècles les plus glorieux.
Le désintérêt actuel de l'homme moderne pour les Écritures est une honte et un scandale, car ces mêmes Ecritures expliquent tout ce qu'il veut savoir ou voudrait savoir, au sujet de Dieu, son âme et son destin d'homme. Il est ironique que les hommes passent beaucoup de temps et d'argent dans des efforts visant à découvrir les secrets de leur passé lorsque leur propre avenir est tout ce qui importe vraiment pour eux. Aucun homme est responsable des gestes de ses ancêtres, et le seul passé pour lequel il doit rendre des comptes est sien, le laps de temps relativement court de sa vie sur terre. Pour savoir comment je peux échapper à la culpabilité des péchés commis au cours de mon bref séjour ici-bas, pour savoir comment je peux vivre à l'abri du péché aujourd'hui et enfin comment accéder à la présence bénie de Dieu dans un avenir heureux – ces choses ont plus d'importance pour moi que tout ce qui peut être découvert par l'anthropologue. L'obsession pour la poussière du passé me semble une perversion étrange tandis que nous avons la capacité de contempler la gloire du ciel.
Tout ce qui m'éloigne de la Bible est mon ennemi, aussi anodine que cette chose puisse sembler. Tout ce qui attire mon attention, lorsque je serais censé méditer sur Dieu et sur les choses éternelles, fait du tort à mon âme. Si les soucis de la vie supplantent les Écritures dans mon esprit, j'ai subi une perte là où je peux le moins me le permettre. Si je me laisse accaparer par autre chose que les Écritures me voilà trompé et volé, à ma confusion éternelle.
Le secret de la vie est théologique et la clé vers le ciel aussi. Nous apprenons avec peine, nous oublions et souffrons beaucoup de distractions. C'est pourquoi nous devons mettre notre coeur à étudier la théologie. Nous devons le proclamer de la chaire, le chanter dans nos hymnes, l'enseigner à nos enfants et en faire le sujet de conversation lorsqu'on rencontre des amis chrétiens.
Les citations de J-P Sartre examinés par Tozer sont tirées du livre L'Existentialisme est un humanisme. On constate que Sartre est revenu à ces questions plus tard, car quelque temps avant sa mort, dans des échanges avec Simone de Beauvoir, Sartre a fait le commentaire suivant (Beauvoir 1981: 551-552):
S. de B. - Ou alors ce mot de Dostoïevski: “ Si Dieu n'existe pas, tout est permis ”. Vous ne pensez pas cela, vous?
J.-P. S. - En un sens, je vois bien ce qu'il veut dire, et c'est abstraitement vrai, mais en un autre je vois bien que tuer un homme est mauvais. Est mauvais directement, absolument, est mauvais pour un autre homme, n'est sans doute pas mauvais pour un aigle ou un lion, mais mauvais pour un homme. Je considère, si vous voulez, que la morale et l'activité morale de l'homme, c'est comme un absolu dans le relatif[2].
Comme beaucoup d'autres penseurs, héritiers des Lumières, Sartre aboutit à un paradoxe, une impasse à la fois grotesque[3] et tragique. Pourquoi serait-il mauvais de tuer un homme? Comment justifier cet interdit, cet absolu? Devant des principes éthiques aussi nébuleux et incertains, la réalité impose ses propres lois, en général économiques ou militaires.
Les systèmes de pensée de nos élites (modernes ou postmodernes) n'offrent pas de réponses satisfaisantes à un grand nombre de questions sur le sens de la vie. Les masses cherchent à gauche, à droite, des réponses. Au cours du 20e siècle, les utopies de nos élites ont été optimistes, rationnelles et pathétiques... comme en témoigne une déclaration de Sartre (1980: 59):
Ce que je pense, c'est que, lorsque l'homme existera vraiment et totalement, ses rapports avec son semblable et sa manière d'être par lui-même pourront faire l'objet de ce qu'on peut appeler un humanisme, c'est-à-dire simplement, ce sera la manière d'être de l'homme, son rapport avec son prochain, et sa manière d'être en lui-même. Mais nous n'en sommes pas là, nous sommes, si on peut appeler ça comme ça, des sous-hommes, c'est-à-dire des êtres qui ne sont pas parvenus à une fin, qu'ils n'atteindront peut-être jamais d'ailleurs, mais vers laquelle ils vont.
Mais sur quoi repose l'optimisme de Sartre? Est-ce crédible? Est-ce cohérent avec sa vision du monde? Cet espoir a-t-il pu fonder un projet de société non-dysfonctionnelle et durable? Comment donner sens à son existence? Confronté, lui aussi, au manque de sens de son cosmos matérialiste, J. – P. Sartre fit des commentaires d'une grande ironie (dans Beauvoir 1981: 551):
J.-P. S. - Même si on ne croit pas en Dieu, il y a des éléments de l'idée de Dieu qui demeurent en nous, et qui nous font voir le monde avec des aspects divins.
S. de B. - Quoi par exemple?
J.-P. S. - Ça varie selon les gens.
S. de B. - Mais pour vous?
J.-P. S. - Moi, je me sens non pas comme une poussière apparue dans le monde, mais comme un être attendu, provoqué, préfiguré. Bref, comme un être qui ne semble pouvoir venir que d'un créateur, et cette idée d'une main créatrice qui m'aurait créé me renvoie à Dieu. Naturellement ça n'est pas une idée claire et précise que je mets en œuvre chaque fois que je pense à moi; elle contredit beaucoup d'autres de mes idées; mais elle est là, vague. Et quand je pense à moi, je pense souvent un peu comme ça, faute de pouvoir penser autrement. Parce que la conscience en chacun justifie sa manière d'être, et n'est pas présente comme une formation graduelle ou faite d'une série de hasards, mais au contraire comme une chose, une réalité qui est là constamment, qui n'est pas formée, qui n'est pas créée, mais qui apparaît comme constamment là tout entière. La conscience d'ailleurs, c'est la conscience du monde, par conséquent on ne sait pas très bien si on veut dire la conscience ou le monde, et, par conséquent, on se retrouve dans la réalité.
BEAUVOIR, Simone de (1981) La cérémonie des adieux; suivi de Entretiens avec Jean-Paul Sartre, août-septembre 1974. [Paris]: Gallimard, 559 p.
GOSSELIN, Paul (2004) Problems with Ethics in an evolutionary / materialistic world-view. Samizdat
NIETZSCHE, Friedrich (1883/1971) Ainsi parlait Zarathoustra: un livre qui est pour tous et qui n'est pour personne. Éditions Gallimard Paris (coll. Idées 267) 507 p.
SARTRE, J.- P. (1980) Jean-Paul Sartre (avec Benny Levy): L'espoir, maintenant. pp. 19, 56-60 le Nouvel observateur 10 mars no. 800
SARTRE, J.- P. (1960) L'Existentialisme est un humanisme. éd. Nagel et Briquet 141 p.
[1] - Tiré de There Is No Substitute for Theology dans That Incredible Christian 1964 Christian Publications inc. Harrisburg PA. pp. 80-82 (traduction Paul Gosselin 2009)
[2]- Comme l'indique la réplique de Zarathoustra, cette quête de chez soi, d'Absolu est une tentation même pour l'athée ou le relativiste le plus endurci. (Nietzsche 1883/1971: 332):
À des vagabonds comme toi-même une geôle finalement paraît béatitude. Vis-tu jamais comment dorment les criminels captifs? Ils dorment paisiblement, ils jouissent de leur neuve sûreté. Prends garde qu'à la fin encore te tienne captive une étroite croyance, un dur, un strict délire ! Car te séduit et tente à présent tout ce qui est strict et ferme.
[3] - Sur le plan de la cohérence logique du moins.