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Déviances et déviants par Jacques Ellul,
quelques impressions.




Déviances et déviants par Jacques EllulPaul Gosselin (3/11/2025)


Voici un livre curieux par le philosophe et sociologue français Jacques Ellul, un livre souvent utile, mais parfois perdu dans les nuances et sans prise sur la réalité sociale. Pendant la Seconde Guerre mondiale, Ellul fit partie de la Résistance à l'occupation Allemande.

Voici un exemple de l'utile. Discutant des pressions sociales en direction du conformisme, sans faire exprès, Ellul décrit les régimes succombant à la tentation totalitaire (1992/2000: 28)

En somme les États succombant à la tentation totalitaire génèrent la déviance, mais Ellul ne semble pas considérer que ces sociétés peuvent produire des marginaux qui ne veulent pas suivre les directives d'un régime néo-totalitaire ou qui rejettent le code moral de ce régime (tout comme les résistants de Chambon-sur-Lignon qui ont hébergé des Juifs sous l'Occupation). Mais il est ironique qu'ailleurs dans ce texte Ellul nous offre un clin d'oeil de la vie sous un régime où le pouvoir de contrôle de l'État sur la vie de l'individu n'est pas total. Dans la citation qui suit, Ellul relate des souvenirs d'enfance d'une époque que nos élites désignent inévitablement le “ règne du patriarcat oppressif ” (1992/2000).

Ne serait-ce pas impensable que si le patriarcat est si détesté des postmodernes ce soit qu'au fond le patriarcat constitue un lieu de liberté et un obstacle au pouvoir de l'État Total?... Discutant d'un thème qui touche les comportements de nombreux États occidentaux lors de la crise du Covid, Ellul examine le concept de l'intérêt général[1] et dresse un portrait intéressant de son utilisation dans la propagande d'État (1992/2000).

À la fin, Ellul reconnaît implicitement la possibilité que le concept de l'intérêt général puisse servir à des fins de propagande (totalitaire) (1992/2000: 77-78):

Jacques EllulAu chapitre 3, Ellul émet un commentaire très utile (en note en bas de page) sur la logique eugéniste (comparable au concept des Unnütze Esser / mangeurs inutiles[2] des eugénistes nazis) (1992/2000: 103):

Ouais, "La société"... ne faut-il pas dire plutôt "certaines élites", par exemple, les membres de la secte de Davos qui aiment bien déclarer qu'il y a trop d'humains sur la terre? Évidemment, eux, ils ne sont pas de trop...

Touchant la fuite d'Ellul dans les nuances, vers la conclusion, Ellul clame réduire le phénomène de la déviance en promulguant de “nouvelles valeurs”, particulièrement dans le système juridique. Mais il néglige de préciser ce que sont ces “nouvelles valeurs” et de quel système idéologico-religieux il les tire[3]... Si l'intellectuel français typique ne peut concevoir affirmer ouvertement un code moral ouvertement religieux, cela le repousse inévitablement dans des banalités et dans un cul-de-sac argumentaire.

Lorsqu'un dévot des Lumières veut se donner des "airs moraux", il récupère, plus ou moins sciemment, les prescriptions morales tirées de la vision du monde judéo-chrétienne. Chez les intellectuels français, les aveux de ce genre sont très exceptionnels, mais voici un exemple tiré d'un échange entre Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir (1981: 552)

On a devant nous un cas flagrant de parasitisme éthique, mais Sartre est tout de même un rare cas à l'AVOUER (mais dans une conversation qu'il croyait intime, plutôt que dans un truc qu'il aurait publié lui-même ?)... Par contre Nietzsche a TRES bien compris l'hypocrisie et l'incohérence d'un tel parasitisme éthique. Dans sa génération, Nietzsche, un des philosophes les plus clairvoyants du XIXe siècle, a remis en question le concept que l'on puisse tirer l'éthique du néant, comme le magicien tire un lapin de son chapeau. Discutant des matérialistes incohérents de sa génération, il a exprimé des commentaires décapants qui donnent à réfléchir sur l'exercice difficile de la cohérence dans le cadre conceptuel matérialiste issu des Lumières (1899/1970: 78-79):

Nietzsche parlait parfois de danser au bord de l'Abîme (il me semble légitime de penser que le marquis de Sade a fait justement plus que danser au bord). Là où Nietzsche a jeté un coup d'oeil précautionneux, Sade a sauté à pleins pieds... Mais vivre de manière cohérente avec sa vision du monde n'est pas toujours facile...


Réferences

BEAUVOIR, S. de  (1981/1974) La cérémonie des adieux; suivi de Entretiens avec Jean-Paul Sartre, août-septembre. [Paris]: Gallimard, 559 p.

ELLUL, Jacques (1992/2000) Déviances et déviants dans notre société intolérante. [préface de Jean-Luc Porquet] Érées éditions Toulouse (coll. Sociétés) 209 p.

GOSSELIN, Paul (2010) Moral Absolutes: An Exchange with Atheist Paul Baird and Paul Gosselin. (Samizdat – 23/11/2010)

NIETZSCHE, Friedrich (1899/1970) Crépuscule des idoles; suivi de Le cas Wagner. (trad. d'Henri et, al. Médiations ; 68) Denoël Gonthier Paris 190 p.



Notes

[1] - Concept équivalent à l'expression plus connue : bien commun.

[2] - Concept appliqué par le programme Aktion T4.

[3] - Question discutée lors de de mon échange avec l'athée britannique Paul Baird. Cf références.