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Samizdat

Géographie et explorations : L'apport de l'Europe du bas moyen âge[1].





Rodrigue Allard

Avant-propos

D'un historien à l'autre, apparaît de puissantes divergences quant à l'état de la géographie et des sciences en général, au Moyen Âge : Alors que Daniel Boorstin affirme encore péremptoirement en 1983, qu'au Moyen Âge "les dirigeants de la Chrétienté vont dresser contre le progrès des connaissances [géographiques] une formidable barrière", Pierre Gauthier Dalché[2] et la revue Pour la science[3], entre autres, récusent fermement cette thèse longtemps défendue[4] d'un Moyen Âge "régressif à cause du Christianisme".

Thomas Cahill[5] abonde dans le même sens que Dalché : Il affirme que si le début du Moyen Âge a été terrible pour l'Occident barbarisé[6], le zèle de l'Église (celle des celtes principalement) a sauvé, fait évoluer et répandu en de nouvelles terres, la civilisation héritée des Grecs et des Romains et donc la géographie développée et/ou transmise par eux.

Déterminer le caractère positif ou non pour la géographie, les explorations et les sciences en général, du Moyen Âge occidental, sera donc la question centrale de ce présent travail.


1) État de la géographie, légué par l'Antiquité et le Haut Moyen Âge

Un certain flou entourant la notion d'"Occident" encourage le dénigrement du Moyen Âge dans le domaine de la Géographie. En effet, quand on compare les géographies antiques et médiévales, on tend souvent[7] à comparer la crème des géographes grecs d'Alexandrie[8] sous les Ptolémée ou le Haut Empire romain, à leurs successeurs d'origine barbare[9] fraîchement latinisés, cela pendant les pires temps d'anarchie du Haut Moyen Âge en Europe du Nord (fin du 7e siècle, début du 8e). Si on veulait être juste en comparant les deux périodes, comparerais la science géographique d'un Germain sous Marc Aurèle, à celle de ses descendants sous Charlemagne (8e-9e siècles), Henry VI (12e siècle) et Maximilien de Habsbourg (15e siècle). [10] Quand on compare la géographie médiévale à celle de l'Antiquité, on tend aussi à oublier que contrairement au clergé chrétien, les intellectuels païens antiques rejetaient systématiquement l'idée de répandre le savoir auprès du public.[11] La conséquence incontournable d'un tel contexte, est que, quoique puisse prétendre Boorstin,[12] les impressionnantes découvertes de géographes d'exception comme Hannon de Carthage,[13] Pythéas de Marseille,[14] Ératosthène d'Alexandrie[15] ou Hipparque,[16] n'ont pas vraiment influencé l'univers mental de leur époque. Cela d'autant plus que cet univers mental récusait à priori tout soupçon d'idée nouvelle. S'il n'en a pas été ainsi, comment expliquer ce que rapporte Histoire de la Géographie (pp.16-17). Il est effectivement rapporté dans cet ouvrage que peu après l'an 168 de notre ère, Denis d'Alexandrie,[17] réussit aisément à faire oublier les découvertes des pionniers susmentionnés de la géographie scientifique, et à faire triompher auprès de l'Intelligentsia gréco-romaine une conception de la "géographie" basée sur la mythologie et l'astrologie (donc sur le Paganisme omniprésent). Même avant cette époque, les disciples mêmes d'Ératosthène et Hipparque, sont déjà en régression par rapport à ces deux maîtres ; par exemple les thèses de Strabon, Pline l'Ancien au 1er siècle de notre ère, et aussi celles de Claude, mélangent les principes scientifiques des maîtres susmentionnés, avec l'astrologie et les mythes païens.[18] De plus, à cette date apparemment fatidique de 168, correspond aussi approximativement, la montée vertigineuse du Néoplatonisme,[19] cela aux dépends des tendances philosophiques (déjà très minoritaires) plus ouvertes à l'observation scientifique. La philosophie Néo-platonicienne s'inspirant de Platon (bien sûr) et des philosophies orientales (Zoroastrisme, Hindouisme, Bouddhisme), décrète que ce que l'on perçoit avec nos sens est vain et mauvais et conséquemment, seule la pensée mathématique et spéculative, est vraie et bonne.[20] Une telle pensée, ne peut que paralyser le développement des Sciences, particulièrement celui de la Géographie et de la Cartographie, totalement dépendantes de l'observation. Au 4e siècle, la "conversion" de la société romaine au Christianisme, ne sera pas suffisamment sincère pour détrôner le Platonisme et l'astrologie susmentionnés, au sein de l'Intelligentsia pendant les siècles subséquents, ce que déplorent Ammien Marcelin et Saint-Augustin. [21]

b) Barbarisation du monde intellectuel romain dans l'Antiquité tardive et le Haut Moyen Âge

De plus, de l'an 192 jusqu'au règne de Charlemagne, l'Occident entre dans une phase d'anarchie quasi ininterrompue. Or, comme je l'ai signalé ci-haut, ce qui fait la différence entre une société cultivée et son pendant primitif (barbare), pendant les périodes antiques et médiévales surtout, ce n'est pas le niveau de connaissances de la population ordinaire[22] de cette société, mais seulement à celui de sa classe dirigeante. Dans une telle situation, le remplacement d'empereurs cultivés comme Marc Aurèle,[23] par des Caudillos militaires, à moitié ou totalement barbares et incultes, ne peut qu'avoir un effet délétère envers le progrès des sciences, géographiques et autres.

Or, cette barbarisation de la culture, ira en s'accroissant au fur et à mesure que des peuplades de plus en plus marginales et/ou étrangères à la civilisation gréco-romaine, monopoliserons l'Armée et le Pouvoir dans l'Empire. Au début du 6e siècle, l'Empire d'Occident est encore dominé par des Germains hellénisés du Sud, comme les Goths, les Vandales, les Burgondes et les Suèves.[24] Mais par la suite, des groupes d'origine de plus en plus nordiques[25] ou Orientaux nordiques,[26] tous illettrés[27], supplantent les Germains du Sud. Rien donc d'étonnant, au fait que les sciences se barbarisent elles aussi, alors qu'on voit se multiplier de manière exponentielle, des noms qui "sentent" la fraîche origine barbare[28] dans le "who's who" des lettrés d'Occident, alors qu'à l'époque antique, le "who's who" du monde intellectuel ne présentait que des noms grecs ou romains, dénotant une lignée civilisée de longue date.[29] Or, l'art de ces Barbares qui envahissent l'espace mental (et physique) de l'Empire, se caractérise par son dédain de la représentation réaliste de ce que l'on peut voir : Comme le font les peintres abstraits des 20e et 21e siècles, les Celtes et les Germains préfèrent dessiner des sentiments et des abstractions (ou ce qui leur en tient lieu), plutôt que de reproduire ce que l'œil voit, même quand ils en sont capables.[30]

Comme si toutes ces entraves ne suffisaient point, il faut y rajouter le fait que pendant la période qui s'étend du Bas Empire (3e siècle) au 10e siècle, chaque fois qu'une vague d'envahisseurs repus commence à s'établir dans la Romania, et à s'y assagir un tantinet, une nouvelle vague plus virulente encore apparaît à son tour : Tout pour encourager le replis sur soi plutôt que la découverte de pays lointains...qui envoient des hordes de brutes. De toutes manières, dans de telles époques, une seule préoccupation : Survivre,[31] sauf quand on est un missionnaire prêt à mourir pour le Christ ; c'est pourquoi les explorations du Haut Moyen Âge seront le fait de ces gens assez fous du Christ, pour aller vers les pays d'Europe du Nord d'où viennent les brutes, dans l'espoir de sauver leurs âmes ; alors que de leur côté, les autres victimes desdites brutes s'intéressent uniquement (et de tout cœur) à les voir brûler en enfer pour l'éternité.[32] Plus tard, la croyance au caractère magique de la Terre sainte (les Vaudois, dès le 12e siècle et les Églises protestantes suivantes, rejettent la valeur spirituelle des Pèlerinages, et les présentent comme une vaine superstition païenne.[33]

Tous ces graves problèmes de l'Europe barbare auront un impact voyant sur le progrès de la géographie et surtout de la cartographie, ou pour être exact, sur la lenteur de ce progrès.[34] Je dis bien : "lenteur du progrès" et non "régression". En effet, Pierre Dalché,[35] rapporte que les lettrés du Moyen Âge, savent déjà en général, que la Terre est ronde, sauf certaines exceptions, comme le moine égyptien Cosmas Indicopleustes au 6e siècle, mais ce dernier par contre, précède les Musulmans dans l'exploration de l'Océan indien à l'est de l'Inde, il prend même connaissance de la route vers la Chine.[36]

De même, les plus anciennes cartes que les services d'archives de la planète possèdent, sont européennes et datent du 12e siècle, i.e. du Moyen Âge : elles ne sont ni gréco-romaines antiques ni perses ni extrême-orientales ni musulmanes.[37] Ce que produisent en lieu et place ces civilisations-là, consiste en schémas, déployant des noms de lieux sur un fond symbolisant le monde connu d'une manière extrêmement stylisée ;[38] ce qui ne peut qu'être en lien avec des philosophies comme le Platonisme, le Bouddhisme, (etc.) déjà mentionnées plus haut. Déjà, en comparaison avec cet "art" abstrait, les "cartes" de l'Occident barbare, qui précèdent l'apparition des premières cartes portulans au 12e siècle,[39] représentent déjà bien plus concrètement la réalité que leurs contreparties extra-européennes ;[40] cela, même si ces cartes ne sont manifestement pas destinées à guider un quelconque voyageur; ce sont en effet plutôt les portulans descriptifs non illustrés qui servent à cette fin.[41]

c) Limites de l'apport musulman et chinois
Bien sûr, les Musulmans précèdent l'Occident médiéval, dans l'exploration de l'Extrême Orient, mais y a-t-il lieu pour autant de dire que "le flambeau de la géographie quitta l'Europe chrétienne [au sens constantinien du terme] pour être repris par [les] arabes", comme l'affirme une notice d'Universalis ? [42] Il est vrai que les Musulmans ont conquis un Empire immense, quasi universel, qui se rend de la Guinée à la Péninsule ibérique, de la Septimanie (i.e. Sud Ouest de la France) au Turkestan chinois, des Comores à l'actuel Kazakhstan, et du Turkestan chinois au Sud Est de l'Océan indien.[43] En faisant cela, les Barbares bédouins et berbères, unis par l'idéologie de Mahomet, pillent les trésors scientifiques hérités des Syriens, des Égyptiens, des Greco-romains (dont ils conquièrent les régions les plus riches et les plus avancées) et des Indo-Perses et ils en enlèvent l'accès aux Européens d'Occident.[44]

Malgré ces avantages dont ils disposent les lettrés musulmans, ceux de Chine et contrairement aux lettrés d'Europe médiévale, ignorent la rotondité de la Terre.[45]

De plus, les Croisades, (jointes aux mouvements de "Paix de Dieu" et de "Trêve de Dieu"), aideront aussi au développement de l'Occident européen (et donc des sciences occidentales) en déversant le trop plein d'énergie guerrière des Seigneurs vers d'autres lieux, permettant ainsi à l'autorité ecclésiastique et royale d'établir une stabilité politique, propice au développement des explorations subventionnées et systématisées par l'État, ainsi que de la géographie et des sciences en général.[46]

2) Les premiers pas de l'Europe occidentale : Outils mentaux et techniques maritimes

Comme je l'ai précédemment signalé, Patrick Dalché rapporte le fait que, déjà au 8e siècle, le moine anglo-saxon Bède et la majorité de ses confrères lettrés de tout le Moyen Âge, savent que la Terre est ronde ; www.encyclopedia.com fait d'ailleurs de Bède, le premier savant à la moderne, de l'histoire, par sa capacité à critiquer ses sources.

Les Normands inventent le bateau élancé à fond plat, qui est "aérodynamique", contrairement à la ronde nef dérivée de la galère gréco-romaine. En tant qu'illettrés, ils doivent longtemps se passer de cartes et de descriptions écrites, et naviguer par mémoire, ce qui ralentit le rythme de leurs découvertes ; c'est à l'époque (10e siècle) de la conversion au "Christianisme" constantinien, donc à la civilisation de l'écrit des peuples scandinaves, que les explorations se rendront jusqu'en Amérique.[47]

À mesure que se développent les va-et-vient (autres que le pillage), de manière de plus en plus systématique à partir du 10e siècle, les techniques maritimes de la façade Atlantique/Mer du Nord fusionnent avec celles des Byzantins, Vénitiens et Arabes. La voile triangulaire et le gouvernail d'étambot, surtout[48] sont apportés par ces sociétés. Cela se produit surtout, bien sûr, à la faveur du retour des Occidentaux en Méditerranée, i.e. à partir du début de la Reconquista et des Croisades, au 11e siècle. Cette fusion de techniques maritimes, donnera naissance au 13e siècle, à la caravelle. [49] L'astrolabe[50] est inventé par les Grecs, mais ce sont les Occidentaux du Bas Moyen Âge qui l'améliorent jusqu'à ce qu'elle leur permette de traverser l'Atlantique et de coloniser l'Amérique de manière permanente et durable.[51]

La boussole est inventée par les Chinois, sans que ces derniers en tirent d'usage pratique. En effet, le Dictionnaire Hachette affirme que la boussole fut inventée au 2e siècle de l'ère chrétienne, et Pour la science (janv. 96, p.67), rapporte de son côté que ce sont les Normands qui, dès le Haut Moyen Âge, surent utiliser la boussole. Histoire universelle des exploration (tome.1, p.350) affirme quant à elle, que les plus anciens textes chinois mentionnant la boussole remontent à 1114; de même, les plus anciens textes musulmans datent du milieu du même 13e siècle et les premières mentions occidentales de la deuxième moitié de ce même siècle. Cela aura donc pris 1000 ans, pour que la connaissance de cette découverte commence à se répandre un tantinet en Chine et sans nécessairement faire allusion à de possibles applications pratiques, alors que les Musulmans et surtout les Européens, sont beaucoup plus prompts à réaliser et systématiser les applications pratiques, dès qu'ils peuvent avoir connaissance de l'existence de cette invention.[52] Cet exemple (et d'autres) illustre bien la différence fondamentale entre les attitudes païennes et monothéistes vis-à-vis le progrès scientifique. Dans la première, la nature est habitée par les dieux et les âmes réincarnées et vouloir changer l'ordre naturel, attire la malédiction de ces derniers. Dans le Monothéisme, Dieu crée l'homme et la femme à Son image et dit : "Remplissez la Terre et rendez-vous en maîtres".[53] Ce sont les Occidentaux du Moyen Âge, là encore, qui développeront le plein potentiel de la boussole, jusqu'à braver les interdits que les meilleurs géographes de l'Antiquité avaient prononcés contre la navigation en haute mer,[54] et auxquels les Musulmans continueront à se conformer, eux, non seulement dans l'Atlantique, mais aussi, sauf rare exception dans l'Océan indien : Vasco de Gama sera un des tout premier marin à le traverser en ligne droite et non par "sauts de puce". Le fait de ne pas être comme les Musulmans, entravés par des traditions comme celle d'utiliser de la corde et non du métal pour relier ensemble les planches de leurs bateaux, permettra[55] à Gama de réussir cet exploit.[56]

Roger BaconLes Chinois comme les Musulmans, se contenteront sauf très rares exceptions, de pratiquer le cabotage, même à l'apogée de leurs explorations, sous la gouverne de l'ambassadeur Cheng Ho, d'origine musulmane, lors de ses expéditions de 1403 à 1433. Après celles-ci, les voyages hors Chine sont interdits sous peine de mort : le culte chinois de la Tradition a repris tous ses droits.[57] Par contre, dans le 12e siècle européen, l'Anglais Adélard de Bath énonce déjà les latitudes et les longitudes des pays d'Asie centrale et au même siècle apparaissent les toutes premières cartes nautiques de l'histoire.[58]

Au 13e siècle, Roger Bacon calcule la circonférence terrestre assez correctement et ce même siècle voit les frères Vivaldi se lancer dans la circumnavigation de l'Afrique.[59] Au milieu de ce même siècle, Niccolo Polo père du célèbre Marco, possède déjà une carte de l'île de Java, attestant déjà le commerce maritime occidental dans cette région. Tous ces outils techniques et mentaux (ainsi que ceux dont je ne parle pas dans ce présent travail), annoncent déjà la vague des Grandes Découvertes du 15e et du 16e siècle, qui donneront l'hégémonie mondiale aux Occidentaux.

3 ) Les premiers pas de l'Occident : Moines, Normands et Croisades

Déjà au Haut Moyen Âge,[60] La conséquence positive de l'expulsion des Européens occidentaux de la Méditerranée, est d'amener ceux-ci à explorer la partie nordique de l'Europe, une région négligée, ignorée des Romains et des Grecs pendant toute l'Antiquité. Ainsi dès le 8e, les Moines irlandais explorent l'Islande (Cf. ce nom dans le Dictionnaire de langue française, encyclopédie et noms propres, Éd. Hachette, 1989 et "Iceland" dans le Viking Desk Encyclopedia), ce qui permet d'envisager la possibilité de voyages (sur lesquels il n'y a pas de traces écrites) jusqu'aux Amériques. En effet, là où se situent ces dernières, le Bas Moyen Âge situe diverses iles, dont celles d'Antilia et de Brazil, dont le 16e siècle donnera le nom aux Antilles et au Brésil. La théorie de Moines irlandais comme Brendan, selon laquelle le Jardin d'Eden se trouve dans l'Atlantique, sera[61] le principal moteur des voyages de Christophe Colomb.[62]

De manière générale, du 5e au 9e siècles, ces Moines explorent la façade atlantique de l'Europe jusqu'en Scandinavie et jusqu'aux sources des fleuves qui se jettent dans les mer de cette dite façade, pour évangéliser et scolariser les populations païennes incultes et sanguinaires du Nord de l'Europe. Cette vague d'exploration a la particularité d'être motivée, non par la cupidité ou la guerre, mais par altruisme, ce qui concourra à donner un immense prestige moral aux ordres monastiques, pendant tout le Moyen Âge, même bien après que ces ordres aient perdu leur ferveur et leur intégrité premières.[63]

Dans la deuxième moitié du 9e siècle, ces entreprises monastiques d'exploration et de diffusion sont interrompues par le pillage, les destructions et les exterminations que leur font subir les Normands à partir du milieu du 9e siècle; mais ces derniers, marins de pointe et grands marchands reprendront plus avant les entreprises exploratoires des Moines...avec des motifs entièrement opposés (cette opposition des motifs, se perpétuera tout au long des siècles de l'histoire des explorations.) Les Normands de Suède remontent les fleuves de l'actuelle Russie où ils fondent la ville de Novgorod au Nord, et plus au sud Kiev, dans l'actuelle Ukraine ; ce faisant, ils rencontrent aussi des agents byzantins et musulmans venus eux, par la Mer noire, de telle manière qu'une partie d'entre eux en viennent à former la Garde Varanguienne de l'Empereur de Byzance.[64] Au 10e siècle, la dynastie ottonienne (qui prend la place des Carolingiens) inflige des défaites aux Hongrois et aux Normands du Danemark, et au même moment, l'Empire byzantin reprend du poil de la bête au dépens des Musulmans d'Asie mineure et Syrie, ainsi que des peuplades païennes (Petchenègues et Bulgares) au Nord des Balkans. À la même époque aussi, la Papauté reçoit des Empereurs ottoniens, la mission de l'aider à mettre fin à l'anarchie seigneuriale et à réunir l'Occident sous une même loi politique et religieuse. Toutes ces circonstances, seront à l'origine de la "renaissance" de l'An mil, en fait la naissance, de l'Europe occidentale, qui mènera aux Croisades, à la montée de l'état centralisé, à l'exploration et la colonisation du monde entier. Déjà, quelques décennies après le début des Croisades (1099), l'Europe occidentale produit déjà les premières cartes précises de la Méditerranée.

Carte de Hereford (12e s.)

À partir du 13e siècle, il en est de même pour l'intérieur des terres de toute l'Europe.[65] Déjà à partir du 11e siècle, les explorations et établissements systématiques des Moines irlandais et des Normands aux siècles passés, puis les marins du Nord de l'Allemagne avaient suscité un flux d'échanges entre la Mer du Nord et l'Italie.[66] Ce transit devient permanent au début du 14e siècle : L'Europe sera devenue ainsi une authentique entité géographique, organiquement unie et distincte, et clairement distincte de l'Afrique du Nord et du Moyen Orient à cause de l'Islam ; un Islam qui malgré le harcèlement que ses corsaires barbaresques font subir aux bateaux européens, ne peut plus s'opposer à l'édification de cette unification maritime de l'Europe. Et déjà au 13e siècle, des Européens osent braver l'Atlantique comme les Musulmans n'ont jamais osé le faire : Les Vivaldi de Gênes, tentent le contournement de l'Afrique. Ils ne reviendront pas pour rapporter leurs réussites, mais ce premier essai, est le début de la conquête des Océans ; d'autres Génois suivront le chemin ouvert, et rendront durables la découvertes et la conquête des Océans.[67]

4) 13e et 14e siècles : Découverte et perte de l'Extrême Orient par l'Europe occidentale

Le 13e siècle est un siècle charnière dans le destin de l'Europe occidentale, c'est celui où ce continent prend définitivement son envol. Dans l'Antiquité, la Chine n'avait été que le Pays de la soie, une soie vendue dans le monde hellénistique puis l'Empire romain, par des marchands syriens[68] à des Iraniens de Perse, du Nord de l'Inde et d'Asie centrale. Au Moyen Âge, les descendants de ces Indo-Iraniens sont devenus Musulmans, tout en continuant à contrôler ce commerce. Puis au milieu du 13e siècle, les hordes mongoles supplantent brusquement et brutalement celles de l'Islam.

Au tout début, c'est pour l'Europe, une catastrophe encore pire que les Invasions barbares du Haut Moyen Âge: Les hordes mongoles déferlent jusque dans l'Est de l'actuelle Allemagne et l'extrême Nord Est de l'Italie ; on va jusqu'en Irlande pour tenter d'y échapper.[69] L'éveil que vit l'Occident depuis l'An mil, semble condamné à faire place à un nouvel "Age obscur" de plusieurs siècles ; encore une fois, vraiment rien pour encourager l'exploration de terres inconnues.

Puis, c'est le miracle. Les Mongols, arrivés dans l'Est de l'Allemagne sont stoppés par des querelles dynastiques et par la mort subséquente de l'Empereur suprême Ogodaï,[70] qui les font retourner en Mongolie.[71] De plus, dès les débuts des conquêtes mongoles, celle-ci se sont donné les terre d'Islam pour cible première de leur déprédations, ce qui avait relancé la légende du Prêtre Jean, puissant Roi d'une "chrétienté" extrême-oriental qui doit prendre l'Islam.[72] Or voilà que, non content de mettre fin à leur invasion de l'Occident, les Mongols se précipitent cette fois vers la Tête universelle même, de cet Islam tant haï et redouté : le Calife de Bagdad, successeur de Mahomet.[73] Tous les espoirs de l'Occident croisé, semblent permis. De plus, plusieurs membres de l'entourage des princes mongols sont baptisés dans l'Église nestorienne,[74] se livrent à un intense lobbying en faveur de l'Europe croisée, et laissent entrevoir à cette dernière, l'espoir d'un retour de leur Église dans le giron de Rome.[75] Cette rémission inespérée[76] crée l'urgence pour les Occidentaux, d'envoyer une ambassade aux Mongols, pour prendre des renseignements sur leurs moyens et leurs intentions prochaines, en profitant du caractère sacré que les superstitions[77] mongoles attribue aux ambassadeurs.[78] Déjà l'universalisme (relatif) du catholicisme (comme l'indique son nom), encourage l'acheminement jusqu'à Rome, de rapports des hongrois catholiques, sur leurs conquérants mongols.[79] Quatre ans seulement après l'assaut mongol de 1241, qui faillit être fatal à l'Occident, le Pape, "Chef suprême" dudit Occident et "Saint" Louis son associé,[80] envoient donc les membres de deux ordres qui, de part leur mandat de prédication, sont déjà ferrés en diplomatie auprès des pays musulmans, à savoir les Franciscains et les Dominicains.[81]

Au début, il ne s'agit que de se rendre à la Tente d'or du Khan de l'Europe mongole, sur les bords de la Mer noire ; mais les conquêtes mongoles ont tout changé : l'Europe occidentale est devenue voisine d'un peuple d'Extrême Orient et le Khan d'Europe de l'Est enjoint les premiers ambassadeurs de se rendre chez son Maître: L'Empereur de Mongolie et de Chine du Nord, en personne. Les tout premiers ambassadeurs n'oseront pas accomplir ce qu'aucun Européens n'avait accompli depuis qu'il existait des humains en terre d'Europe. La deuxième vague, elle, osera. Disons-le : Comme à l'époque des invasions germaniques, seuls des fous du Christ, prêts à tout donner, des Franciscains dans ce cas-ci, accepteront cette mission insensée. Il convient de préciser "Franciscains", car les premiers ambassadeurs, ceux qui refusent de se précipiter dans le gouffre de l'inconnu, sont des Dominicains, fonctionnaires pontificaux incapables (ou non désireux) de faire plus que ce qui a été spécifiquement ordonné.[82] Pendant ce 13e siècle effervescent d'ailleurs, les Franciscains sont l'avant-garde mondiale dans de nombreux champs : ils participent à l'élaboration des sciences modernes par le biais de gens comme Robert Grosseteste, Roger Bacon et Ramon Lulle.[83] Ils font aussi œuvre de pionnier pour la paix entre l'Occident et le monde musulman[84], pour l'abolition de l'inquisition[85] et pour l'égalité hommes/femmes.[86]

Notre monde moderne s'est souvenu de l'audace révolutionnaire de Christophe Colomb, mais elle a oublié un exploit meilleur ou aussi grand que celui là : L'audace de ces missionnaires qui doivent traverser un Océan plus vaste que l'Atlantique et qui sépare l'Occident de l'Extrême Orient : la steppe interminable des Russies d'Europe et d'Asie, de l'Asie centrale et de la Mongolie, et le gigantesque barrière de l'Himalaya. Et cet "Océan", on ne peut le traverser sur un vaisseau qui fend l'horizon à toutes voiles, il faut le traverser, au mieux sur le dos d'un cheval qui contrairement au vent, se fatigue, au pire à dos d'âne ou à pied ; c'est très long ! Cela prend environ deux ans et demi, à cette toute première délégation européenne, commandée par Jean du Plan Carpin, homme corpulent âgé de 63 ans (mais tenace), pour revenir en Europe.[87] Cette immensité amène l'Occident à se représenter l'Asie deux fois plus grande qu'en réalité et à en placer les côtes extrême-orientales à l'endroit où se trouve l'Amérique, d'où la confusion tenace dans laquelle se trouvera Colomb jusqu'à sa mort.[88]

Wagon-hutte mongol

Plan Carpin et son successeur immédiat, Guillaume de Rubrouck, sont diplomates et non cartographes; explorant un Extrême Orient où nul Européen n'a jamais mis les pieds, il leur est impossible de dresser un bilan cartographique de leurs découvertes ou de situer précisément les lieux qu'ils explorent ou dont ils entendent parler. Ils excellent par contre dans la description des lieux personnellement visités par eux. Plan Carpin fait preuve d'une remarquable adaptabilité (contrairement aux Dominicains), tout en demeurant ferme devant l'Empereur mongol lui-même. Lui et ses successeurs sauront corriger plusieurs des légendes qui courent sur l'Asie en Europe.[89]

En arrivant dans la capitale mongole, Rubrouck constate la présence de divers Européens au service de l'Empereur. Ce dernier s'est entres autres fait livrer d'Europe centrale, un orfèvre de Paris.[90] Lors donc, s'il est vrai que la Chine du 13e siècle est plus avancée scientifiquement, techniquement, que cette "pauvre" Europe "enténébrée dans son méprisable Moyen Âge" comme beaucoup d'Orientalophiles se complaisent à le dire, pourquoi diantre l'Empereur de Chine du Nord (déjà extrêmement peuplée), a t'il besoin de se faire venir des techniciens de si loin ? Pourquoi se met-il en peine de bien connaître St-Louis et de s'en faire un allié ?[91] Pourquoi de même, à la fin du 13e siècle, le Chinois du Sud, Rabban Çauma est-il envoyé par l'Empereur du moment pour faire alliance avec Philippe le Bel, si ce dernier n'est supposé n'être perçu que comme un roitelet ? Et pourquoi le même Çauma est-il si impressionné par Paris et ses universités ?[92] Pourquoi Ibn Batoutah, le plus grand voyageur de l'histoire jusqu'à Colomb et Gama, est-il en extase devant Byzance,[93] qui est pourtant déjà en quasi-état de siège, par l'Islam turc ?[94] Pourquoi au 16e siècle, la science horlogère et astronomique de Matteo Ricci le rendent-il indispensable à l'inaccessible Empereur de Chine Ming ?[95] Il faut croire au vu de tout cela, que l'Europe fait déjà partie des civilisations prééminentes, aux côtés de l'Islam et de la Chine, et bientôt son étoile s'élèvera au-dessus de la leur qui elle pâlira.

Parmi les marchands-ambassadeurs occidentaux et musulmans, certains parmi eux, vont plus loin que les Franciscains; par exemple, Marco Polo (dernier tiers du 13e s.) et Ibn Batoutah (14e siècle), jusqu'à pouvoir décrire pour la première fois le Japon, dans le cas de Polo.[96] Mais les récits desdits marchands représentent une régression de par le grand nombre de vantardises sur leur propre personne et sur les pays qu'ils explorent, ainsi que de faits non vérifiés et présentés comme vrais.[97] Polo quant à lui, continue à colporter la légende du Prêtre Jean, démentie par ses prédécesseurs franciscains.[98] L'impact le plus important de Marco Polo, est l'insistance qu'il met à décrire les richesses et les immenses possibilités d'affaires, offertes par l'Asie; c'est ce qu'il fallait pour motiver les marchands d'Occident à investir massivement dans la découvertes de routes vers l'Asie.[99]

Après Polo, vient au début du 14e siècle, une nouvelle vague bien plus abondante que la première, de missionnaires-ambassadeurs, très souvent Franciscains encore une fois ; les plus connus sont Odoric de Podorone et surtout, Jean de Montecorvino.[100] Ce dernier, cultivé sans avoir reçu de formation spécifique en géographie ou cartographie, est, parmi les nombreux explorateurs (étrangers ou chinois) ayant foulé le sol d'Extrême Orient, le tout premier esprit vraiment scientifique. Il ne se contente pas en effet, de rapporter des curiosités, mais s'efforce de faire la part du vrai et du faux, et surtout d'expliquer les phénomènes inconnus.[101] Un de ses collègues à la même époque, est le premier Européen explorant l'Inde du Sud profonde.[102] Un archidiocèse catholique est créé à Pékin, nouvelle capitale de l'Empire mongol, et plusieurs diocèses suffrageants autour. Plusieurs autres diocèses sont fondés un peu partout dans le susdit Empire.[103] Un flux encore plus vaste de marchands européens se répand de même. Puis, c'est le ressac. Les Khans des régions musulmanes du Sud de la Russie au Nord de l'Inde, se convertissent à l'Islam et/ou sont remplacés par des dynasties musulmanes ; à la même époque, les Musulmans turcs s'élancent à la conquête des Balkans. À cause de cela, toutes ces régions se ferment à l'Europe.[104] Pire, le flux commercial ainsi stoppé, a quand même le temps d'amener la Grande peste[105] en Europe, faisant ainsi perdre le tiers de sa population lors de la deuxième moitié du 14e siècle, ce qui se rajoute à la famine, à la Guerre de cent ans, aux guerres inter-seigneuriales et aux soulèvements populaires, au Grand Schisme[106] de l'Église catholique. De plus, l'Occident croisé avait déjà, perdu sa dernière forteresse, St-Jean-d'Acre, en 1291. En Chine même, au milieu de ce même 14e siècle, une dynastie xénophobe chasse massivement les Mongols et autres étrangers, donnant aux seuls musulmans, l'accès au commerce avec l'Extrême Orient chinois. En bref, les relations semblent brisées pour toujours entre cette partie du monde et l'Europe occidentale ; mais cette dernière ne peut oublier les trésors de l'Asie, après y avoir goûté,[107] elle devra donc trouver d'autres trésors ou d'autres moyens de retrouver ceux d'Asie.

5) L'Occident se tourne vers la route maritime africaine

Au moment même de la perte de St-Jean-d'Acre (1291), les Génois investissent dans l'aventure des frères Vivaldi qui tentent la circumnavigation de l'Afrique.[108] Cette tentative est suivie par une autre, en 1346, qui elle aussi échoue.[109] L'Afrique a, elle aussi beaucoup à offrir : de l'or, de l'ébène, des épices et des esclaves, (etc.) dont se repaissent depuis de très nombreux siècles, les marchands et guerriers berbères, au cours de leurs expéditions et de leurs conquêtes en Afrique de l'Ouest. ; tout cela suscitera de plus en plus les convoitises des marchands et princes d'Occident[110], malgré les deux échecs précédents, surtout du moment où le commerce direct vers l'Asie prendra fin. D'autant plus, qu'avant même ces deux tentatives le 13e siècle voit, pour la première dans l'histoire, apparaître une mention cartographique génoise, de l'île de Madère, et le 14e voit la découverte des Canaries et des Açores, en haute mer atlantique ; Gênes recherche déjà alors, les Iles fortunées.[111] Au 14e siècle, on voit apparaître les premières cartes de l'intérieur de l'Afrique.[112]

L'idée donc, de recréer un commerce direct avec l'Asie par voie de mer, tout en faisant main basse sur les richesses de l'Afrique et des Iles fortunées de l'Atlantique[113], fait de plus en plus son chemin. Les nombreux malheurs qui frappe l'Europe au 14e siècle, ralentissent pour un temps ce projet bien sûr, mais rien ne semble pouvoir détruire à long terme la vitalité de l'Occident qui reprend de plus belle son ascension, à partir du début du 15e siècle.[114]

Les conquêtes de Tamerlan, du Sud de la Russie au Nord de l'Inde et du Nord-Ouest de la Chine à l'actuelle Turquie, pendant le dernier tiers du 14e siècle, avaient semblé annoncer le retour du commerce occidental direct en Extrême Orient ; cela assorti d'une alliance entre lui et les rois européens, contre les Turcs ottomans. Sa mort en 1405 détruit définitivement ces espoirs.[115]

Vers le même temps, la plupart des malheurs susmentionnés du 14e siècle, prennent fin. En puis en 1415, la prise de Ceuta et des iles atlantiques susmentionnées, donnent aux Portugais le contrôle du passage entre la Méditerranée et l'Atlantique, et le contrôle de ce dernier puisque les seules flottes musulmanes de l'Atlantique, ne sont pas suffisantes pour résister à celles des Portugais et des autres pays Occidentaux ayant un intérêt économique à voir l'Islam perdre le contrôle de l'Atlantique.[116]

Les marchands et les investisseurs princiers d'Europe (Florence, Gênes, Venise, Flandres, Ligue hanséatique, Aragon, Angleterre, France)[117], ayant bon espoir que l'Afrique soit courte[118] font du Portugal, une base de leur commerce outremer, et y investissent dans les expéditions qui en partent. De son côté, le Prince portugais Henri le Navigateur, assure que la permanence du financement, au cas où les investisseurs trouveraient que cela prend trop de temps à être payant.[119]

Le doublement du Cap Bojador[120] sera un des plus importants, sur le plan psychologique, à cause des avertissements lancés par les géographes de l'Antiquité païenne : Il y a un seuil , au-delà duquel, les marins de haute mer sont réduits en cendres. Or, la configuration du Cap impose un contournement en haute mer ou un débarquement au risque d'être attaqués par l'armée du Sultan du Maroc.[121]

Il faudra donc rejeter l'idolâtrie envers la tradition antique, croire que l'humanité peut aller plus loin, selon le mot du moine Bernard de Chartres (12e s.) :

À partir du moment où Henri commence à lancer ses expéditions en 1417, il faudra presque vingt ans (1434), pour qu'enfin un vaisseau ose braver la "malédiction" antique et que le fameux Bojador soit franchi ; plus d'une expédition par année aura été nécessaire.[123] Après cela, l'exploration de l'Atlantique du Sud Ouest et de ses rives africaines, se précipite : Dès 1441, le Sénégal est découvert. Trois ans plus tard, les expéditions rapportent leurs premiers profits : 200 Noirs sont vendus en esclavage au Portugal ; c'est le début d'un immense trafic qui enrichira immensément l'Europe pendant des siècles aux dépens de l'Afrique ; c'est à cause d'un tel trafic que l'Occident capitaliste peut se vanter de son "efficacité" économique.[124]

Les découvreurs portugais du Cap vert au Sénégal, en 1445, croient que ce dernier est l'extrême pointe Sud de l'Afrique ; en réalité, ils leur reste encore au moins les trois quarts du chemin à parcourir pour atteindre ce but. Cette fausse impression ajoutée aux profits de l'esclavage, fait croire aux divers investisseurs d'Occident que le butin est à portée de main, les rendant ainsi fort généreux.[125] De toutes manières, depuis Bojador, le rythme des explorations s'accélère. Onze ans plus tard (1456), le Gambie est déjà atteinte ; puis à peine dix-sept ans plus tard (1473), c'est le Gabon : Ce n'est maintenant plus qu'un seul tiers du chemin qu'il reste à accomplir pour atteindre le tournant de l'Afrique ; et sans le savoir, on vient de franchir une ligne capitale, sans en être conscient : La véritable ligne de l'Équateur, et non plus celle fixée par les Anciens.[126]

Enfin, après seulement quatorze ans, le but est finalement atteint par Bartolomeu Dias : démontrer que l'on peut pénétrer dans l'Océan indien par l'Atlantique. Au même moment, son compatriote Covilha atteint le Mozambique en partant du Caire et en descendant l'Océan indien. La route maritime des Indes est fin prête pour celui osera l'emprunter. [127]

Vasco de GamaEn 1494, la crainte de s'être fourvoyés en envoyant paître Colomb, pousse les Portugais à se tourner à leur tour vers la haute mer atlantique et à entrer dans une courte guerre contre l'Espagne, qui mènera au Traité de Tordesillas. Ce dit Traité enlève aux Portugais, les terres situées de l'autre côté de l'Atlantique, au-delà d'une ligne imaginaire située à 370 lieues des îles du Cap Vert. La ligne qui devrait servir de limite extrême-occidentale au domaine espagnol et de limite extrême-orientale au domaine portugais, n'y est pas fixée. Le premier arrivé, sera donc, plus que probablement, le “ légitime ” propriétaire des lieux. Il est donc grand temps pour le Portugal de reprendre la route africaine pour coiffer Colomb au poteau, avant qu'il ne trouve vraiment la Chine, le Japon ou les Indes.[128]

Dix ans après l'exploit de Dias donc (i.e. 1497), Vasco de Gama commencera son épopée révolutionnaire, qui sera le début de la lente conquête de l'Asie par l'Occident, ainsi que du lent déclin de la puissance musulmane. En effet, le jeu est à partir de ce moment, renversé. Il ne s'agira plus d'être sur la défensive devant l'Islam, mais de le mettre lui, sur la défensive,[129] de l'encercler partout dans le monde ; dans la deuxième moitié du 18e siècle ou au 19e siècle, ce sera chose faite : Les Anglais, successeurs des Portugais, maîtres des Indes et suzerains de la Perse et de l'Égypte ; les Russes en Asie centrale et au Nord de la Chine, la France au Maghreb, l'Italie en Somalie et en Libye.

Au moment où nous nous parlons, la culture d'un pays d'Occident (les É-U, successeurs des Anglais) est présente dans le Monde entier, pour le meilleur et pour le pire, parce qu'un jour, l'Occident fondé par nos ancêtres, envahisseurs barbares du Nord, a fondé une science géographique nouvelle qui a révolutionné le monde. Nous vivons encore aujourd'hui avec les conséquences de cette révolution.

Conclusion

La convention des historiens veut que le Moyen Âge s'arrête après le voyage de Dias et à l'orée des voyages de Colomb et Gama[130], ce à quoi j'accepte de me conformer dans ce présent travail. Je rappellerai simplement ici, que ces deux hommes appartiennent pleinement au Moyen âge, dont ils ne sont que l'aboutissement logique. Un Moyen Âge qui sait déjà que la Terre est ronde comme la Mappemonde de Martin Behaïm[131], construit en 1492, donc avant que Colomb ne revienne, et surtout trente ans avant que Magellan[132] puisse expérimenter (réellement cette fois-là) le fait que la Terre soit ronde. Un Moyen Age qui sait aussi qu'il y des terres, de l'autre côté de l'Atlantique, sans qu'on puisse vraiment savoir par qui et quand, ce savoir attribué à St Brendan (5e s.), est parvenu à l'Occident.[133] Sans ce savoir, et tous les autres savoirs et attitudes inventés ou développé par l'Occident médiéval, qui ont fait (ou auraient dû faire) partie de ce présent travail, l'épopée de Colomb n'aurait jamais eu lieu et nous ne serions pas ici en Amérique, pour faire des travaux sur un tel sujet.


Notes

[1] - Travail présenté pour le cours Genèse médiévale des sociétés occidentales, (avril 2002) Département des sciences humaines, Université du Québec à Rimouski

[2] (Cf. "Une nouvelle carte du monde" de Pierre Gauthier Dalché, dans la revue L'Histoire, no 146, juil.-août '91, p.31

[3] Dossier Arts et sciences du Moyen Âge, janv. 96, pp.66-67

[4] entre autres, par Hitler, cf. "Christianisme" dans l'index de l'ouvrage Les causes de la Seconde guerre mondiale de Narlis Steinert

[5] Cf. son ouvrage How Irish saved Civilization, Éd. Doubleday Books, New York, 1995

[6] Dans ce présent travail, la barbarisation fait référence à l'irruption de dirigeants incultes au sein de la classe dirigeante du monde européen occidental romain, de telle manière que même le monde des lettrés en est influencé.

[7] ou du moins, a t-on eu tendance à le faire, jusqu'à un passé très rapproché

[8] on met ainsi l'Égypte dans l' “ Occident ” parce qu'ils font partie, par conquête, des civilisations grecques et romaines; cf. par ex.: Les découvreurs, pp.84-91.

[9] J'utilise bien sûr le terme "barbares" dans son sens antique.

[10] Cf. ces noms dans Thesaurus Universalis

[11] Cf. “Histoire de trois naissances : l'enseignement, l'école, la pédagogie / Clermont Gauthier”. -- Vie pédagogique, no 75, nov.-déc. 1991, p. 10-16.

[12] dans son ouvrage Les découvreurs p.93, 1er paragraphe

[13] Cf. "Hannon" dans l'index de l'ouvrage Histoire universelle des explorations de L.-H. Parias et al., Éd. Nouvelle librairie de France, Paris, 1964, et "Découvertes et explorations" dans www.webencyclo.com

[14] Qui aurait découvert l'Islande ou la Scandinavie au 4e siècle av. J.-C. Cf. "Pythéas" dans l'index d'Histoire universelle des explorations et dans www.webencyclo.com

[15] directeur de la plus riche bibliothèque de l'Antiquité, qui a induit la rotondité de la Terre au 3e s. av. J.-C...ce qui, précisons-le, lui a valu d'être universellement tourné en ridicule. Cf. "Ératosthène" dans l'Index des ouvrages Hist. univ. des explo.t.1 et Les découvreurs de Daniel Boorstin, Éd. Seghers/Robert Lafond, 1986, et dans le Thesaurus index d'Universalis.

[16] continuateur et rival d'Ératosthène au 2e s. av. J.-C. Cf. "Hipparque" dans Thésaurus Universalis

[17]. Cf. Les découvreurs, p.89 et 100),

[18] Cf. Les découvreurs, p.23 à 25; p.89 dern. paragraphe, et p.100, 1er parag.

[19] Cf. Les découvreurs, p.82

[20] Cf. "Hindouisme", "Bouddhisme", "Platonisme" et "Néo-platonisme", "Gnosticisme" et "Manichéisme" dans Thesaurus Universalis

[21] Cf. Les découvreurs, pp.22 et 26, ainsi que How the Irish saved Civilization, pp.21-23 et 148

[22] Car en réalité ce niveau de connaissances, n'est pas vraiment plus élevé en terre de civilisation, qu'en terre de barbarie.

[23] et avant lui Alexandre, les Ptolémée, César...Cf. ces noms dans l'index de Hist. univ. des explo. t.1 et celui de Hist. de la géo.

[24] . (Cf. "Germains" dans le Corpus Universalis

[25] i.e. les Lombards, les Mérovingiens de Tournai, les Carolingiens de Herstal, les Ottoniens de Saxe et les Normands. Cf. ces noms dans le Thesaurus Universalis

[26] i.e. les Alains, Avars, Hongrois, Bulgares, Petchenègues, Slaves et, quelques siècles plus tard, les Turcs et les Mongols

[27] Charlemagne par ex. sera le premier roi franc non illettré après des siècles de domination franque en Gaule. Cf. “ Charlemagne ” dans la section Corpus d'Universalis, Cf. "Runes" et "Islande" dans le Thesaurus Universalis)

[28] Gondebaud, Arculf, Bède, Theodulf, Alcuin, Scot Érigène, Éginhard, Angilbert, Frédilo d'Auxerre, Liutprand de Crémone, etc. Cf. ces noms dans Thesaurus Universalis

[29] Ces lettrés sont dans leur très grande majorité des habitants des rives de la Méditerranée; l'époque d'Ausone dans le 2e moitié du 4e, est celle où apparaît des lettrés qui ne sont pas riverains de la Méditerranée. Cf. Ausone dans Thesaurus Universalis

[30] Cf. Histoire de la géographie, coll. Que sais-je, 1995, p.18; "Celtes : Art" et "Germains orientaux" dans le cédérom ou le Corpus d'Universalis, ainsi que "Gallo-romain" (et son illustration) dans Dictionnaire Hachette

[31] Cf. Histoire de la géographie, coll. Que sais-je, 1995, p.18

[32] Cf. How the Irish saved Civilization p.179-196. Les explo. du Moyen Âge, p.13

[33] . (Cf. "Pèlerinages" dans l'index de l'ouvrage Les Vaudois : Histoire d'une dissidence de Gabriel Audisio, disponible à l'U.Laval)

[34] Cf. l'image de la p.67 du dossier Arts et sciences du Moyen Âge dans la revue Pour la science, janv. 96, et aussi l'illustration no XI d'Histoire universelle des explorations tome 1

[35] Cf. "Une nouvelle carte du monde" de Patrick Gauthier Dalché dans l'Histoire, no 146, juil.-août 91. p.31

[36] Cf. "Cosmas Indicopleustes" dans l'index d'Histoire universelle des explorations tome 1, et Les explorateurs du Moyen Âge, p.11

[37] Ce dernier fait, même Boorstin le médiévophobe, est obligé de la reconnaître; cf. Les découvreurs, p.130

[38] Cf. Les explorateurs au Moyen Âge, pp.10 et 23.

[39] Cf. l'encadré présentant l'auteur au début de l'article "Une nouvelle carte du monde" de Patrick Gauthier Dalché dans l'Histoire, no 146, juil.-août 91. p.31

[40] C'est ce qu'on voit quand par exemple, on compare l'image des pp.10 et 23 dans les Explorateurs... et celle de la p.66 dans le Dossier Arts et sciences au Moyen Âge de la revue Pour la sciences, janv. 96

[41] Cf. L'Histoire no 146, p.31

[42] Cf. "Géographie : Des théories antiques aux découvertes arabes" dans le cédérom Universalis

[43] Cf. "Islam:Expansion territoriale" dans Thesaurus Universalis, et Les explo. du Moyen Âge, p.19

[44] Cf. Mahomet et Charlemagne d'Henri Pirenne, et Les explorateurs du Moyen Âge, p.4

[45] Cf. Les découvreurs, p.102

[46] Cf. Les explorateurs du Moyen Âge, p. 21, 1er paragraphe, et p.22

[47] Cf. Les découvreurs, p.188-189

[48] Cf. Les découvreurs, p.63

[49] Cf. “ Caravelle ” dans Dictionnaire Hachette

[50] Cf. ce mot dans Universalis. Notons qu'au 11e siècle, Héloïse et Abélard appellent leur fils ainsi, signe d'une fascination européenne médiévale pour la technologie, jamais vue auparavant et ailleurs. Cf. aussi ces deux noms dans l'index de La révolution industrielle du Moyen Âge

[51] i.e. non comme le firent les Normands. Les explorateurs du Moyen Âge, p.22, 1er paragraphe

[52] Cette promptitude technologique est présentée par Jean Gimpel comme étant l'attitude quintessencielle de l'Occident médiéval, tout au long de son ouvrage La révolution industrielle du Moyen Âge

[53] Ce qui est tout le contraire de saccager, puisque selon cette vision, aucun humain est le propriétaire individuel de la Terre et des biens qu'elle renferme. Cf. “monothéisme” dans l'index d'op.cit, et “ A Biblical Basis for Creation Care ” de Sir Ghillean Prance, St. Edmund's College, U. de Cambridge, dans http://www.jri.org.uk/brief/basis.htm

[54] Cf. Les Découvreurs, p. 97, dernier paragraphe et Hist. univ. des explorations, p.343

[55] en association avec les autres atouts

[56] Cf. Les découvreurs, pp.162-163

[57] Cf. Les découvreurs p.172 et 175

[58] Cf. “ Adelard de Bath ” dans l'index d'Hist. univ. des explo. t.1 et dans Thesaurus Universalis

[59] Cf. ce nom dans op. cit

[60] sauf pour les cités italiennes des rives de l'Adriatique qui sont, elles, rattachés à l'Empire byzantin et qui ont donc accès, par le biais de ce dernier, à la Méditerranée orientale

[61] avec la géographie d'Ératosthène, Ptolémée, Francis Bacon et les récits de Marco Polo

[62] Cf. "Bacon" dans l'index de La révolution industrielle...; Hist. univ. des explo. Tome 2 p.40 et 47; Les explo. du Moyen âge, p. 183; et Les découvreurs, p.197

[63] Cf. Les explo. du M.-A., p.12-14, How the Irish saved Civilization pp.210-212, et "St-Otton" dans le Thesaurus Universalis

[64] Cf. Les explo. du Moyen Âge, pp.12-15; How the Irish saved Civilization pp.210-212; “ Varangia ” dans l'Encyclopédie de l'U. Colombia http://www.encyclopedia.com/html/V/Varangia.asp

[65] Cf. Pour la science, janv. 96, p.66, quatrième paragraphe

[66] Cf. "Hanse" dans le Thesaurus Index Universalis

[67] Cf. "Vivaldi" dans les index d'Hist. univ. des explo. t.1, Les explo. du Moyen Âge, La révolution industrielle... et Les découvreurs

[68] qui l'achetaient tout de même avec des monnaies romaines qu'on a retrouvées en Chine. Cf. Les découvreurs, p.172

[69] Cf. Les explorateurs du Moyen Âge, p.32

[70] fils et continuateur de Gengis Khan

[71] Cf. Hist. univ. des explo.t.1 p.365

[72] Op.cit. p.366

[73] Les explo. du M-Â, pp.46-49

[74] Op.cit, p.49

[75] Op.cit., pp.40-41

[76] qui deviendra permanente, mais les Occidentaux ne peuvent le savoir

[77] Il est fort malaisé de parler de "principes moraux", dans le cas de gens comme les Mongols, cf.. Op.cit p.46

[78] Cf. Op.cit.p.367

[79] Cf. Op.cit pp. 32-37

[80] Op.cit. p.29

[81] Op.cit. p.39

[82] Op.cit. p.44-46

[83] Cf. ces noms dans l'index de La révolution industrielle et Hist. Univ. Des explo.t.1

[84] Attn : Ils ne font pas campagne pour le syncrétisme qui est de mode de nos jours, mais pour que les valeurs de non-violence du Christ deviennent la norme universelle, donc loin d'être plus "open" en terme de Religion, ils sont plus radicaux et intransigeants, en étant pacifistes. Cf. entre autres, le chapitre sur les Franciscains dans Varieties of Pacifism de Peter Brock, Syracuse U. Press, 1998, disponible à l'U.Laval; ainsi que Saint-François d'Assise et l'esprit franciscain, de I. Gobry, Éd. du Seuil

[85] Cf. "Grosseteste" et "Délicieux, Pierre" dans Thesaurus Universalis

[86] Cf. le chapitre sur St-François et les Franciscains dans The Underside of History de C.Boulding, Éd. U. of Colorado Press, 1976

[87] Cf. Les explorateurs du Moyen Âge, pp.43-46, et Histoire universelle des explorations p. 368

[88] Cf. Les découvreurs, p.197

[89] Cf. Les explo. du M-Â, pp.157-158

[90] Op.cit., p.55

[91] Op.cit. p.55

[92] Cf. Hist. univ. des explo.t.1, p.387

[93] Op.cit, p.358

[94] Cf. Les explo. du M.-Â, p.180

[95] Les horloges mécaniques ont d'ailleurs été inventées par les Moines européens du Haut Moyen Âge, cf. Les découvreurs, p.38

[96] Cf. Les découvreurs, pp.196-197

[97] Op.cit., pp.357 et 363

[98] Cf. Les explo. du M-Â, pp.157-158

[99] Hist. univ. des explo.t.1, p.376

[100] Cf. Les explo. du M.-Â, pp.79-82

[101] Op.cit., p.143

[102] Op.cit, p.78

[103] Idem

[104] Op.cit, p.180

[105] Cf. ce mot dans Thesaurus Universalis

[106] Idem

[107] Cf. Les explo. du M.-Â, p.143

[108] Cf. Hist. univ. des explo.t.1, p.399

[109] Idem

[110] Cf. Les découvreurs, p.141-142

[111] Cf. Hist. univ. des explo.t.2, p.38

[112] Cf. L'Histoire, juil.-août 91, p.31, avant-dern. parag.

[113] qui, dans l'esprit des gens du temps, font peut-être un avec le Japon, à cause des déclarations de Roger Bacon à ce sujet, au 13e siècle. Cf. L'Histoire, juil-août 91, p.33

[114] Cf. "Renaissance" dans Corpus Universalis et Les découvreurs, p.137

[115] Cf. "Tamerlan" dans Thesaurus Universalis, et Les découvreurs, pp.127-128

[116] Cf. Les découvreurs, pp.141-142; L'âge des découvertes, p.32

[117] Cf. “ Portugal:Histoire, 15 siècle ” dans Corpus Universalis

[118] Cf. Hist. univ. des explo.t.1, p.389; Les découvreurs, p.136-137

[119] Cf. Op.cit, p.146-147

[120] au sud du Maroc

[121] Cf. L'âge des découvertes de J.R. Hale et al., Pays-Bas, 1974, p.33; Hist. univ. des explo.t.1, p.390

[122] Cf. "Bernard de Chartres" dans l'index de La révolution industrielle...

[123] Les découvreurs, p.147

[124] Idem

[125] Cf. L'âge des découvertes, fin de la p.33 et début de la p.34

[126] Op.cit, p.34

[127] Op.cit, p.35-36

[128] Cf. Les découvreurs, p.154

[129] Op.cit. p.155

[130] Ce qui signifie que l'on attribue ces exploits et ceux qui l'ont suivi à la Renaissance de l'Antiquité, alors qu'en fait cette attitude de retour à l'Antiquité représente plutôt un obstacle au progrès scientifique médiéval, qui a rendu lesdits exploits possibles.

[131] Cf. ce nom dans Thesaurus Universalis et Hist. univ. des explo. t.2 p.52

[132] Cf. ce nom dans Thesaurus Universalis

[133] Cf. idem