Vie chretienne Cosmos Arts Engin de recherches Plan du site

Samizdat

CHAPITRE 5 :
Les questions débattues en didactique des langues




La question de recherche que nous nous posions au début de cette étude était la suivante: Quel type de pratique de classe favorise le plus l'apprentissage d'une langue seconde ? Pour tenter de donner une réponse à cette question, nous avons parcouru les implications pédagogiques découlant de quatre propositions que nous retrouvons en didactique des langues : la théorie de l'acquisition des habiletés complexes, la conscience accrue, l'enseignement par le traitement de l'input, et le syllabus basé sur la tâche.

Il est difficile de tirer des conclusions de cette revue des écrits puisque, souvent fondées sur des bases théoriques distinctes, les différentes propositions en didactique des langues s'opposent entre elles. La seule conclusion à laquelle nous pouvons arriver jusqu'à maintenant est par rapport à ce que nous avons étudié dans le chapitre sur l'enseignement par le traitement de l'input. Il est clair que la pratique de classe doit être axée autant sur la compréhension de la langue que sur sa production. Il est possible que la technique préconisée par VanPatten soit plus efficace que l'enseignement traditionnel axé sur la production, mais plusieurs études qui ont comparé un enseignement axé sur la compréhension (autre que l'ETI) et un enseignement axé sur la production, ont démontré que l'un n'était pas supérieur à l'autre. Pour ce qui est de l'emploi de l'ETI, nous ne croyons pas qu'il soit possible d'utiliser cette technique sur une base régulière, car comme nous l'avons vu, l'ETI n'est pas une technique facile à mettre en place puisqu'elle semble être utilisable qu'avec un nombre de structures grammaticales assez limitées.

Il nous parait donc raisonnable de croire que la meilleure option soit d'établir un équilibre entre la compréhension et la production puisque cela crée de la variété et que les deux options offrent de bons résultats. Et cela même si, selon la proposition d'Ellis sur la conscience accrue, on ne devrait pas exiger aux apprenant de produire à cause du problème de la non-enseignabilité. Car comme nous l'avons vu en rapportant les études de Swain, le fait de pousser les apprenants à produire en L2 favorise la prise de conscience des écarts entre l'interlangue et la langue cible et la saisie d'éléments grammaticaux qui pourront s'intégrer ultérieurement dans le système en développement.

Maintenant, abordons la question suivante : L'enseignant peut-il exercer un contrôle sur l'atteinte des objectifs pédagogiques fixés pour ses élèves ? En tenant compte de toutes les propositions, il est difficile de tirer une conclusion à ce sujet. Pour la théorie de l'acquisition des habiletés complexes, c'est oui; pour la conscience accrue, c'est oui pour l'apprentissage des règles explicites, mais c'est non pour l'incorporation de ces règles dans l'interlangue; pour l'enseignement par le traitement de l'input, c'est oui; et pour le syllabus basé sur la tâche, c'est non dans le cas des propositions de Long et Skehan et c'est oui dans le cas de celle de Willis. Il est à noter cependant que dans la proposition de Skehan, l'enseignant peut contrôler des objectifs qui ne sont pas liés à des éléments grammaticaux, notamment l'aisance, la précision et la complexité.

Somme toute, il est difficile de tirer des conclusions précises à partir de propositions pédagogiques qui ne reposent pas sur les mêmes bases théoriques et qui s'opposent entre elles. Pour arriver à des conclusions et à des implications pédagogiques en enseignement des L2, il faut débattre des questions de fond et prendre position au sujet d'une ou de l'autre des options présentées. Ces questions de fond concernent principalement les subdivisions que nous avons mentionnées en introduction au sujet des différents types d'enseignement. Quel type d'enseignement est le plus efficace, l'enseignement explicite ou implicite ? Est-il mieux qu'une technique d'enseignement soit de l'attention sur les formes ou de l'attention sur la forme ? Est-il préférable que l'attention sur la forme soit planifiée ou accidentelle ?


Les bénéfices de l'enseignement explicite de la grammaire

Un des principaux thèmes de recherche en didactique des L2 de cette dernière décennie est incontestablement l'impact que peut avoir l'enseignement explicite de la grammaire sur l'acquisition d'une L2 (de Graaff, 1997). Mais aucun consensus n'est encore en vue au sujet de l'importance de l'enseignement explicite et de sa place dans un programme d'enseignement en L2.

Commençons d'abord avec les recherches qui favorisent l'enseignement explicite. Un bon nombre d'études empiriques ont démontré la supériorité des traitements pédagogiques explicites par rapport aux traitements implicites (Alanen, 1995; de Graaff, 1997; DeKeyser, 1995; N. Ellis, 1993; Robinson, 1996). Dans une méta-analyse de 49 études empiriques sur l'enseignement de la grammaire, Norris et Ortega (2001) sont arrivés à la conclusion suivante : “ ...l'état actuel des découvertes dans ce domaine de recherche suggère que les traitements incluant une attention explicite sur les règles qui gouvernent les structures de la L2 sont plus efficaces que les traitements qui n'incluent pas une telle attention ” (p.195).

Des études mentionnées ci-haut, nous exposerons celle de N. Ellis (1993). Ce chercheur a étudié les effets de trois traitements différents sur l'apprentissage de structures morpho-syntaxiques : un groupe a été exposé aux phrases dans un ordre aléatoire, un autre groupe a reçu un enseignement explicite des règles avec une exposition aléatoire aux phrases, et un troisième groupe a reçu un enseignement explicite des règles avec deux exemples pour chaque règle avant d'être exposé également aux phrases dans l'ordre aléatoire. Les résultats ont démontré que les apprenants avec le traitement des règles et des exemples ont appris plus lentement, mais qu'ils ont été les seuls à développer un schéma abstrait pour l'application de mutations légères. De plus, quand ils ont été exposés à de nouveaux exemples, ils ont été capables de les généraliser correctement. Ils ont aussi été capables de formuler explicitement les nouvelles règles et de réussir dans les jugements des formes. Les découvertes d'Ellis apportent du support à l'idée que la présentation des connaissances explicites a un effet bénéfique sur l'acquisition d'une L2 si elle est associée à un input linguistique approprié. Dans ce même ordre d'idées, MacWhinney (1997) affirme que “ les psychologues ont démontré plusieurs fois que l'apprentissage de concepts avec des organisateurs et des indices préalables est toujours mieux que l'apprentissage sans indices. Les étudiants qui reçoivent de l'enseignement explicite, et en même temps une exposition implicite aux formes, semblent recevoir le meilleur des deux mondes ” (p. 278).

L'étude d'Ellis (1993) et celles mentionnées ci-haut apportent sans contredit des éléments solides en faveur de l'enseignement explicite de la grammaire. Cependant certains points faibles doivent être mis en évidence. Les cinq études ont été réalisées dans un contexte de laboratoire, quatre d'entre elles avec des ordinateurs et deux avec des langues artificielles. Il faut toutefois mentionner que les langues artificielles utilisées étaient différentes des grammaires artificielles utilisées dans les études de Reber (cit. de Graaff, 1997). Ces dernières consistaient en des patrons qui n'avaient pas de sens tandis que les langues artificielles utilisées dans les études de de Graaff et DeKeyser permettaient de faire des relations entre les formes et le sens, ce qui est un processus central dans l'apprentissage des langues naturelles. Les études assistées par ordinateur dans un contexte de laboratoire ne sont évidemment pas comme les études dans un contexte de salle de classe. Elles permettent peut être plus de validité interne à cause du contrôle qui peut être exercé sur les différentes variables, mais elles se déroulent néanmoins dans un contexte différent d'une situation d'apprentissage normale. DeKeyser (1995) note que la validité écologique est particulièrement importante dans le domaine de la didactique des L2 où on a réalisé peu à peu l'importance de la communication authentique dans l'apprentissage. Selon Hulstijn et De Graaf (1994), “ la preuve finale doit toujours être donnée par une classe de langue normale ” (p.108).

Deux autres observations doivent être faites sur ces études empiriques. D'abord, il faut réaliser que l'enseignement explicite n'est pas synonyme d'apprentissage explicite et que l'enseignement implicite n'est pas non plus synonyme d'apprentissage implicite. Les différents traitements mis en place par les chercheurs ne provoquent pas nécessairement le type d'apprentissage qu'il est sensé provoquer; ceci est une variable très difficile à contrôler. Finalement, ce qui pourrait biaiser davantage les conclusions de ces études, c'est la façon dont les résultats sont mesurés. MacWhinney (1997) affirme que “ les études qui analysent les effets de l'enseignement explicite en utilisant des mesures des résultats académiques sont biaisées par la surestimation des effets de l'enseignement explicite sur l'acquisition réelle ” (p.279). Dans le même sens, Norris et Ortega (2001) affirment que “ la mesure des changements provoqués par l'enseignement est effectuée par des instruments qui semblent favoriser les traitements de type explicite en appelant une performance explicite basée sur la mémoire ” (p.196). Les résultats des études mentionnées fournissent de preuves en faveur de l'enseignement explicite de la grammaire, mais nous ne permettent pas de tirer des conclusions définitives.

Antithèse au sujet de l'enseignement explicite

Doughty (2003) adopte une position diamétralement opposée à l'enseignement explicite de la grammaire. Elle affirme : “ Au sujet des recherches sur les types d'enseignement, les erreurs méthodologiques dans les recherches sur l'enseignement des L2 toutes prises ensemble, et les erreurs révélées dans les mesures, nous avons interprété de façon plus justifiée l'avantage apparent de l'enseignement explicite comme un artefact des erreurs cumulatives. Plus spécifiquement, quand les résultats d'un enseignement explicite à très court terme sont mesurés par des tests artificiels d'éléments séparés, on trouve des preuves qu'il est efficace. Dit plus simplement, le cas de l'enseignement explicite a été exagéré” (p.274). De cette façon, Doughty remet en question la méthodologie utilisée dans les études empiriques appuyant l'enseignement explicite de la grammaire.

Doughty prend également position contre le principe de l'enseignement explicite pour accroître la conscience métalinguistique des apprenants afin de provoquer la saisie de structures cibles, tel que proposé par Ellis. Elle dit que la conscience métalinguistique et la saisie sont deux processus mentaux complètement séparés, et elle cite Schmidt (2000) qui affirme que : “ les objets d'attention et de saisie sont des éléments de la structure de surface des énoncés de l'input – exemples de langue, plutôt que des règles abstraites ou principes desquels ces exemples peuvent être des exemples ” (p.5). Selon elle, il serait très difficile de trouver une façon de présenter la langue cible explicitement de manière à ce que cette présentation corresponde à la façon dont l'apprenant va porter son attention à la forme durant son exposition à l'input.

Doughty prend aussi position contre le principe de la procéduralisation des connaissances déclaratives, telle que proposé par DeKeyser, et elle propose un processus cognitif complètement différent. Elle croit que se sont “ les connaissances implicites menant directement aux habiletés procédurales qui sont d'abord internées, et que seulement si les conditions le requièrent, les connaissances déclaratives se développement ultérieurement ” (p. 291).

Trois études empiriques soi-disant contre l'enseignement explicite

Trois études empiriques (Rosa et O'Neill, 1999; Sanz et Morgan-Short, 2004; VanPatten et Oikkenon, 1996) ont été utilisées comme contre-évidence à l'enseignement explicite des formes linguistiques dans Sanz et Morgan-Short (2004).

Nous avons déjà mentionné l'étude de Rosa et O'Neill (1999) par rapport à la question de la conscience en acquisition des L2, mais il existe un autre volet à cette étude, celui de l'enseignement explicite versus l'enseignement implicite. On y compare deux aspects de l'enseignement des L2 (appelés dans cette étude “ conditions d'entraînement ”), la condition d'enseignement et la condition de tâche. Le premier aspect se réfère à la manière dont la structure cible fut d'abord présentée aux participants ; il y avait deux possibilités, soit qu'il y avait une présentation explicite de la structure ou soit qu'il n'y en avait pas. Le deuxième aspect, la condition de tâche, se réfère aux types de consignes que recevaient les participants pour la tâche de résolution de problème ; il y avait également deux possibilités, soit qu'on demandait aux participants de chercher une règle qui régissait la structure cible, ou soit qu'on leur demandait de mémoriser les phrases une fois la tâche résolue. Dans les deux aspects étudiés, il y avait donc une condition explicite et une condition non-explicite. Les résultats de cette étude ont démontré que les explications explicites étaient plus efficaces que les expositions aux formes de manière implicite, mais que les explications explicites n'avaient pas un impact aussi important sur l'intake que le fait d'orienter les apprenants à la recherche des règles. C'est sur ce dernier point que s'appuient les auteurs s'opposant à l'enseignement explicite de la grammaire. Le groupe qui n'a pas reçu d'enseignement formel et qui a été orienté vers la recherche de règles a obtenu d'aussi bons résultats que les groupes qui ont reçu l'enseignement formel et la recherche de règles, et l'enseignement formel et l'absence de recherche de règles. Ces résultats laissent croire que la recherche de règles était l'élément le plus significatif dans l'acquisition de la structure cible.

Nous répliquons à ceci que la condition de tâche “ recherche de règles ” n'a pas donné des résultats supérieurs à la condition d'enseignement explicite donc la preuve présentée n'est pas un argument contre l'enseignement explicite de la grammaire. De plus, lorsqu'on demande à des apprenants de trouver des règles sur le fonctionnement d'une structure quelconque, on provoque chez eux un apprentissage explicite de la langue. Il ne s'agit pas là d'un apprentissage implicite, mais d'un apprentissage explicite inductif, au lieu de donner les règles aux apprenants, ces derniers tentent de les découvrir par eux-mêmes. Et dans le contexte de cette expérimentation, l'enseignement explicite inductif a engendré d'aussi bons résultats que l'enseignement explicite déductif.

L'étude de VanPatten et Oikkenon (1996) offre des résultats similaires à l'étude de Rosa et O'Neill. Ces chercheurs ont voulu savoir qu'elle était la variable qui était responsable de la supériorité de l'enseignement par le traitement de l'input par rapport à un enseignement traditionnel basé sur la pratique de l'output. Les variables analysées furent : (1) l'ETI comme un tout, c'est-à-dire les explications et la pratique, (2) seulement les explications sans pratique, (3) et seulement la pratique sans explication. Après une exposition à un input dans une de ces trois conditions, les participants de cette étude ont complété un test d'interprétation et un test de production de phrases. Les résultats suggèrent que la pratique par le traitement de l'input est responsable des effets de l'ETI parce qu'il n'y avait pas de différence significative entre le groupe qui avait reçu les explications et la pratique, et le groupe qui n'avait reçu que les activités de pratique. De plus, le groupe qui n'avait reçu que les explications a obtenu des résultats nettement inférieurs aux deux autres groupes. Sur la base de ces résultats, les chercheurs ont conclu que la provision d'informations explicites jouait un rôle limité dans la hausse des performances du pré-test au post-test.

Nous nous trouvons ici devant une situation semblable à celle de l'étude de Rosa et O'Neill. Connaissant la nature de l'ETI, il est évident que la pratique selon cette approche est un enseignement explicite inductif. C'est ce que concluent DeKeyser, Salaberry, Robinson et Harrington (2002) en affirmant : “ VanPatten et Oikkenon concluent de ces résultats que c'était l'input structuré et non l'information explicite qui a été utile aux apprenants, mais il est clair de leur description de traitement que le groupe de la pratique seule a dû aussi être engagé dans un apprentissage explicite. Même si les apprenants de ce groupe n'ont pas reçu de règles, on leur donnait constamment de la rétroaction avec des oui/non, ce qui a pu les orienter à se rendre compte du système... Alors, au lieu d'un groupe implicite, c'était un groupe explicite inductif. Et d'autre part, le groupe des explications explicites seules n'a jamais reçu la pratique nécessaire. En d'autres mots, au lieu d'un traitement explicite et implicite, il y avait a bon traitement explicite-inductif et un mauvais traitement explicite-déductif ” (p.813).

Nous classifions l'ETI comme de l'attention sur les formes puisque l'attention sur la forme y est aussi importante que l'attention sur le sens, et cela non seulement à cause de l'information explicite qu'on y présente au début, mais aussi à cause de la pratique en tant que telle. La pratique telle que conçue par l'ETI est tellement structurée que l'apprenant peut y induire des règles, et cela d'autant plus s'il reçoit également une rétroaction. Nous ne considérons donc pas l'étude de VanPatten et Oikkenon comme une contre-évidence à l'enseignement explicite de la grammaire puisqu'elle utilise elle-même un enseignement explicite.

L'étude de Sanz et Morgan-Short (2004) se situe dans la même ligne que l'étude de VanPatten et Oikkenon puisque l'approche utilisée est celle de l'enseignement par le traitement de l'input. Ils ont voulu analyser l'effet, non seulement de l'information explicite avant la tâche (présentation explicite des règles), mais aussi de l'information explicite offerte durant la tâche (rétroaction explicite négative). Leur hypothèse était la suivante : “ Le fait de donner aux apprenants d'espagnol de l'information explicite sur des phrases contenant des pronoms d'objet dans une position pré-verbale et sur comment les traiter mentalement, avant ou durant l'exposition à la pratique basée sur l'input, ou les deux à la fois, n'affectera pas l'habileté des apprenants à interpréter et à produire des phrases avec des pronoms d'objet en position pré-verbale ” (p.51). Les résultats de leur étude ont confirmé leur hypothèse puisque pour chacun des tests, ni les explications et ni la rétroaction ont eu un effet différentiel.

Ces résultats s'expliquent de la même façon que les deux études antérieures. Il est à noter que toutes les conditions expérimentales de cette étude ont bénéficié d'une rétroaction. La différence entre la rétroaction des groupes expérimentaux et du groupe contrôle fut l'information explicite qui l'accompagnait. Alors, puisque le choix de réponses que devaient donner les apprenants à partir des phrases présentées n'était que du nombre de deux (déterminer le sujet du verbe à partir de deux possibilités), une rétroaction stipulant vrai ou faux était plus que suffisante pour que ceux-ci puissent induire les règles de fonctionnement de cette structure. Il est donc complètement normal que les apprenants n'aient pas eu besoin d'explications explicites supplémentaires et que celles-ci n'aient apporté aucune différence à l'apprentissage. Encore une fois, nous nous trouvons ici devant un enseignement explicite inductif. Il est faux de prétendre alors que l'explicité n'est que de peu d'utilité en acquisition d'une L2.

L'attention sur la forme versus l'attention sur les formes

On sait que dans l'attention sur la forme, on privilégie des techniques d'enseignement implicite telles que le déluge de l'input, la mise en évidence de l'input et la répétition corrigée, tandis que dans l'attention sur les formes, on privilégie l'enseignement explicite et la rétroaction explicite. Certaines études empiriques en salle de classe ont fourni des preuves sur l'efficacité de l'attention sur la forme en acquisition des L2, mais la plupart de ces études ont été réalisées avec des enfants et dans des situations de classe qui peuvent difficilement être reproduites en éducation aux adultes. Nous allons mentionner trois exemples.

Dans le contexte d'un cours intensif d'anglais de 5 mois avec des jeunes entre 10 et 12 ans, White, Spada, Lightbown et Ranta (1991) ont comparé deux types d'enseignement différents sur une période de deux semaines, l'un consistait en de l'attention sur la forme plus de la rétroaction dans un contexte communicatif et l'autre, en un enseignement explicite hors contexte plus des tâches. Aucune différence significative n'a été observée entre les deux groupes.

Dans un même contexte et avec des jeunes du même âge, Spada et Lightbown (1993) ont comparé de nouveau un traitement explicite avec un traitement d'attention sur la forme donnés durant une période de 9 heures et accompagnés d'une rétroaction de deux semaines, et n'ont observé aucune différence significative entre les deux groupes.

Doughty et Varela (1998) ont opérationalisé l'attention sur la forme par une répétition corrigée des verbes au passé durant les six semaines d'une classe de science donnée à des enfants entre 11 et 14 ans et elles ont démontré magistralement l'efficacité de cette approche.

Mais, peut-on généraliser ces résultats à des apprenants adultes ? Et peut-on retrouver ce genre de situation pédagogique dans des cours donnés à des adultes ? Il est généralement accepté qu'à cause de leur plus grande capacité d'analyse, les adultes éprouvent le besoin d'analyser la langue afin de pouvoir l'acquérir plus facilement (Germain, 1995). Dans une étude réalisée dans une école d'immersion, Harley et Hart (1997) ont comparé les aptitudes linguistiques en rapport avec la performance en L2 et elles ont observé que pour les élèves en début d'immersion (les plus jeunes), la mémoire des textes était la principale aptitude prédisant la performance langagière tandis que pour les élèves en fin d'immersion (les plus âgés), c'était les habiletés analytiques. Ces découvertes laissent croire que les apprenants plus âgés s'appuient sur des habiletés cognitives différentes de les apprenants plus jeunes, avec des habiletés analytiques qui sont associées de plus près avec le succès de l'apprentissage des apprenants plus âgés.

Nous insistons sur le fait que plusieurs études empiriques sur l'attention sur la forme ont été réalisées avec des enfants ou des adolescents dans des situations de cours intensif ou d'immersion et que par conséquent ces résultats ne peuvent pas être généralisés à l'enseignement aux adultes, qui bénéficie généralement de laps de temps beaucoup plus courts pour l'apprentissage d'une structure linguistique.

Ellis (2002) a réalisé une méta-analyse sur différentes études empiriques traitant de l'enseignement de la forme (EF). L'EF est une expression qui comprend tous les types d'enseignement en L2, il peut s'agir d'attention sur la forme, d'attention sur les formes, d'enseignement explicite ou implicite. Le point commun des 11 études qu'Ellis a utilisées dans sa méta-analyse était que la performance langagière résultant des traitements avait été mesurée par des tests demandant une production spontanée. En faisant ainsi, le chercheur voulait s'assurer que les connaissances qui avaient été acquises par les apprenants étaient implicites, c'est-à-dire des connaissances vraiment intégrées à l'interlangue des apprenants. Ellis est arrivé à la conclusion suivante : “ Les facteurs-clés dans l'enseignement de la forme sont la nature de la complexité des structures cibles, l'étendue de l'enseignement et la disponibilité des structures cibles dans un input qui ne soit pas institutionnel ” (p.234). Il semblerait que l'enseignement de la forme ait plus de chance de réussir s'il est dirigé vers des éléments morphologiques simples (exemple : formes de verbes, articles et formules) que vers des structures syntaxiques complèxes incluant des changements dans l'ordre des mots (exemple : ordre des mots incluant des pronoms clitiques en espagnol et des phrases au passif).  Également, un EF qui comprend un traitement étendu de la structure cible a plus de chance de réussir qu'un EF avec un traitement plus court.

Quoique ces conclusions soient intéressantes pour nous informer sur les caractéristiques que devraient avoir l'enseignement et la pratique de classe, elles ne nous aident pas à savoir quel est le meilleur traitement à utiliser, soit l'attention sur les formes et l'attention sur la forme. Dans cette analyse, il y avait deux études qui avaient un enseignement par l'attention sur les formes, et les traitements de ces études n'ont eu aucun effet bénéfique sur l'utilisation communicative non-planifiée de la langue. L'auteur explique qu'aucune conclusion ne pouvait être tirée de cela car les deux études en question comprenaient des structures complexes et un traitement de courte durée. Il est difficile de comparer les différentes options pédagogiques à cause de ce genre de variables qui diffèrent d'une étude à l'autre. Ce qui est nécessaire, c'est une comparaison entre un enseignement par l'attention sur les formes et un enseignement par l'attention sur la forme où les deux seraient extensifs et dirigés à des structures susceptibles d'être apprises.

Il y a peu d'études qui pourraient nous aider à comparer les deux types d'enseignement dont nous parlons, de plus, nous croyons que rendu à un certain point la distinction entre l'attention sur la forme et l'attention sur les formes devient difficile à réaliser. Comme nous l'avons vu, selon Norris et Ortega (2001) et Doughty (2003), la technique de l'enseignement par le traitement de l'input de VanPatten se situerait dans l'attention sur la forme tandis que selon Ellis (2001), elle se situerait dans l'attention sur les formes. Par ailleurs, il semble que les deux catégories tendent à se rapprocher l'une de l'autre; des aspects de l'attention sur la forme qui sont essentiels à certains auteurs le deviennent de moins en moins pour d'autres. Notamment, au sujet de l'aspect réactif de cet enseignement (c'est-à-dire lorsque les structures grammaticales ne sont pas déterminées d'avance par le professeur), Swain (2000) affirme : “ En général, la série d'études conduites dans les classes d'immersion laissent croire qu'il y a un bénéfice à porter l'attention sur une forme linguistique à travers l'utilisation d'un matériel de travail planifié à l'avance ” (p.205). Également, au sujet de l'importance de porter l'attention des apprenants sur la forme de façon intégrée aux activités communicatives, Lightbown (1998) affirme : “ Sans enlever de l'importance à l'intégration continuelle de l'attention sur la forme, je crois qu'il y a une place pour “ l'enseignement grammatical ” qui est séparé des activités de communication et qui s'intègre à la leçon comme un tout ” (p.194). D'autre part, il est clair que les auteurs privilégiant l'attention sur les formes, ne croient plus en un enseignement grammatical sans qu'il soit en lien avec une pratique de classe qui s'apparente à un usage normal d'une langue (DeKeyser, 1998).

L'enseignement proactif versus l'enseignement réactif

Lorsque nous parlons d'enseignement proactif et réactif nous nous référons aux deux catégories d'approches pédagogiques mentionnées au début de ce travail : l'attention sur la forme planifiée et l'attention sur la forme accidentelle. Dans le cadre de la pédagogie basée sur la tâche, on pourrait dire que les tâches planifiées avec l'objectif de provoquer l'utilisation d'une structure cible déterminée se situeraient dans l'attention sur la forme planifiée tandis que les tâches qui induisent l'utilisation d'un échantillon général de langue se situeraint dans l'attention sur la forme accidentelle.

À prime abord, il semblerait qu'un enseignement proactif (ou attention sur la forme planifiée) serait plus efficace pour l'acquisition d'une L2 car il permettrait aux apprenants d'aborder une structure cible avec plus d'intensité, en ce sens que la structure en question serait traitée plus souvent et plus longtemps. Lorsqu'un enseignant planifie d'aborder une structure quelconque, il se prépare en conséquence avec des règles précises dans sa tête et avec plusieurs tâches dans lesquelles la structure pourrait être utilisée. D'autre part, dans un enseignement réactif (ou attention sur la forme accidentelle) où il y a aucune préparation de la part du professeur, l'attention sur une forme surgit d'une question d'un élève ou d'un commentaire du professeur et ne va pas plus loin. Le traitement est ponctuel et de courte durée. Il est reconnu encore aujourd'hui que la fréquence d'apparition d'un élément linguistique est un principe de base en acquisition des L2, plus un élément sera perçu par les apprenants, plus il aura de chance d'être saisi et d'être acquis (N. Ellis, 2002a).

Toutefois, l'inconvénient que présente l'enseignement proactif par rapport au réactif dans la pédagogie basée sur la tâche, est qu'il est très difficile de provoquer l'utilisation d'une structure grammaticale déterminée sans que l'apprenant soit mis au courant de celle-ci avant d'exécuter la tâche. Et, en étant au courant de la structure, il sera donc tenté de faire de la précision de sa performance sa priorité et la tâche deviendrait ainsi une pratique libre de grammaire et l'apprenant ne serait plus engagé dans un comportement langagier, mais dans une pratique de structures. Ellis (2003) offre une alternative intéressante à cet inconvénient avec ce qu'il appelle la rétroaction ciblée, qui consiste en une rétroaction implicite ou explicite que l'enseignant réalise pendant la tâche seulement avec la structure cible sur laquelle il veut attirer l'attention des apprenants. De cette manière, ces derniers ne connaissent pas la structure cible d'avance et sont quand même amenés à y porter leur attention.

La rétroaction

Nous n'avons que trop peu abordé la question de la rétroaction et elle est en fait très importante pour notre sujet puisqu'elle se réalise précisément durant la pratique de classe. Dans cette section nous parlerons des principaux types de rétroaction et nous mentionnerons quelques études récentes sur le sujet. Nous terminerons ce chapitre avec une étude par ordinateur menée par Rosa et Leow (2004) dans le cadre de la pédagogie basée sur la tâche.

Il existe principalement trois types de rétroaction : la demande de clarification, la répétition corrigée d'un énoncé et la correction métalinguistique. L'appellation de ces rétroactions parle par soi-même, la demande de clarification consiste en une demande de la part du professeur pour que l'apprenant clarifie un énoncé erroné; la répétition corrigée, c'est l'enseignant qui répète un énoncé erroné en corrigeant l'erreur et en le transformant légèrement; et la correction métalinguistique est une correction explicite de l'erreur linguistique de l'apprenant accompagnée ou non d'une courte explication. Les deux premières rétroactions sont implicites et la dernière est explicite. Les études sur les effets des rétroactions implicites ont donné jusqu'à maintenant des résultats mixtes. Cependant, il y a lieu de croire que la demande de clarification et les répétitions corrigées ont des effets positifs sur l'acquisition. Long, Inagaki et Ortega (1998) ont voulu comparé les effets relatifs des “ modèles ” et des répétitions corrigées sur l'acquisition d'éléments grammaticaux en japonais et en espagnol dans le contexte des tâches. Les “ modèles ” consistaient en phrase que les apprenants écoutaient et répétaient. Les répétitions corrigées offraient des rétroactions négatives aux énoncés des apprenants. Aucun gain significatif dans la précision du japonais n'a été trouvé pour les deux groupes d'apprenants. Toutefois, dans le cas des structures en espagnol, les “ modèles ” et les répétitions corrigées se sont avérés efficaces et les répétitions corrigées ont donné de meilleurs résultats dans le post-test. Long et al. reconnaissent que ces résultats sont un peu décevants, mais affirment qu'ils offrent un support à l'utilisation de la répétition corrigée pour favoriser l'acquisition d'une L2.

L'étude de Mackey et Philp (1998) offre des preuves plus convaincantes. Dans cette étude réalisée avec des adultes, deux types d'interaction étaient analysés, une avec des répétitions corrigées intensives et une autre sans aucune de ces répétitions. Dans le cas des apprenants plus avancés, l'interaction avec les répétitions corrigées s'est avérée plus efficaces que l'interaction sans répétitions. Cependant, dans le cas des apprenants moins avancés, aucune différence n'a été trouvée entre les groupes.

Finalement, Ayoun (2001) a fait une étude expérimentale par ordinateur sur les effets de l'enseignement écrit et explicite de la grammaire, des répétitions corrigées et des “ modèles ” sur l'acquisition de l'imparfait et du passé composé. Il a trouvé que les trois traitements produisaient des gains en acquisition et que les répétitions corrigées étaient plus efficaces que l'enseignement direct de la grammaire.

Des études sur les effets des rétroactions explicites ont démontrées que ces dernières étaient encore plus efficaces que les rétroactions implicites. Dans une étude réalisée dans des classes d'immersion, Lyster et Ranta (1997) ont observé que les professeurs pratiquaient plus de rétroactions implicites qu'explicites malgré le fait que celles-ci étaient moins efficaces pour provoquer une reformulation corrigée de la part de l'apprenant. Dans une autre étude, Samuda (2001) a été plus loin et a démontré qu'il était nécessaire d'utiliser la rétroaction explicite pour que les apprenants acquièrent certaines structures grammaticales puisque la rétroaction implicite s'avérait souvent inefficace.

Quel type d'enseignement est le meilleur pour les adultes?

Nous terminerons maintenant ce chapitre avec la description d'une étude de Rosa et Leow (2004) qui devrait apporter de bons éclaircissements sur le sujet qui nous concerne. Ces chercheurs ont comparé l'effet de différentes conditions d'enseignement sur plusieurs tests mesurant l'apprentissage de 100 apprenants universitaires adultes. Six conditions d'enseignement ayant différent niveau d'explicité ont été analysées : (1) un groupe a reçu des explications grammaticales avant l'exécution de la tâche et une rétroaction explicite durant celle-ci, (2) un groupe a reçu les mêmes explications grammaticales avant l'exécution de la tâche et une rétroaction implicite durant celle-ci, (3) un groupe n'a pas reçu d'explication grammaticale avant l'exécution de la tâche, mais une rétroaction explicite durant celle-ci, (4) un groupe a reçu des explications grammaticales avant l'exécution de la tâche, mais aucune rétroaction durant celle-ci, (5) un groupe n'a reçu qu'une rétroaction implicite, (6) et finalement, un groupe a lu les mêmes phrases expérimentales pour du sens sans aucune explication ni aucune rétroaction.

Pour mesurer l'apprentissage des participants, les auteurs ont utilisé quatre tests : un test de reconnaissance avec des items de structures anciens et un autre avec des items nouveaux, et un test de production avec des items de structures anciens et un autre avec de items nouveaux. La prémisse de base de l'étude de Rosa et Leow est que les caractéristiques des tâches qui affectent l'explicité des conditions d'apprentissage vont aussi affecter la quantité d'information linguistique que l'apprenant va extraire de l'input.

De manière générale, les résultats vont dans le même sens que la prémisse de base, l'explicité d'une condition d'apprentissage donnée peut avoir une influence sur la quantité d'information généralisable qu'un apprenant extrait de l'input. Les auteurs tirent premièrement la conclusion suivante : “ Les conditions d'apprentissage explicites étaient plus efficaces que les conditions d'apprentissage implicites... ” (p.209). Les avantages des conditions explicites d'apprentissage étaient plus évidentes en production qu'en reconnaissance, et avec les items nouveaux plutôt qu'avec les anciens. Dans cette étude, deux sources d'informations grammaticales explicites ou une source d'informations explicites renforcée par une rétroaction implicite produisait les résultats les plus performants. D'autre part, lorsqu'il n'y avait qu'une seule source disponible, la méthode la plus avantageuse était la rétroaction explicite durant l'exécution de la tâche. La position de chacune des conditions d'apprentissage pour le test de reconnaissance des items nouveaux était la suivante :

(1) = (2) = (3) > (4) = (5) > (6).

La deuxième conclusion que les auteurs tirent à partir de ces résultats est que les explications grammaticales données sous forme de pré-tâche n'étaient pas essentielles dans le contexte de cette étude, puisque les apprenants qui ont reçu seulement la rétroaction durant la tâche ont obtenu une quantité de connaissances généralisables comparable aux apprenants qui ont reçu la pré-tâche et la rétroaction. En d'autres mots, la pré-tâche ne semblait pas être une façon efficace de présenter la structure cible aux apprenants sauf si elle était accompagnée par une forme de rétroaction durant la tâche (explicite ou implicite).

L'étude de Rosa et Leow offre des pistes intéressantes dans le débat sur les types d'enseignement quoiqu'à cause de certaines limitations, il soit prématuré de faire des généralisations catégoriques. Il serait intéressant de dupliquer cette étude en utilisant des tests plus complexes de production libre par exemple, en allongeant les périodes de traitement, ou encore en utilisant d'autres structures cibles et des apprenants d'autres niveaux. Néanmoins, la conclusion en relation avec l'utilité de l'enseignement explicite dans l'acquisition d'une L2 est en accord avec les études que nous avons mentionnées précédemment (Alanen, 1995; de Graaff, 1997; DeKeyser, 1995; N. Ellis, 1993; Robinson, 1996) et la conclusion en relation avec le peu d'utilité des explications grammaticales explicites précédant la tâche est en accord avec les études de Rosa et O'Neill (1999), Sanz et Morgan-Short (2004) et VanPatten et Oikkenon (1996). Ces deux conclusions sont des pistes très intéressantes en recherche comme en pédagogie. L'enseignement explicite faciliterait l'apprentissage d'une langue seconde, mais cet enseignement ne doit pas nécessairement être dispensé avant la pratique de classe. Il semblerait que la rétroaction explicite seule aurait la même efficacité que les explications accompagnées de la rétroaction. Ceci remet en question deux options vues dans la présente étude, c'est-à-dire la théorie de l'acquisition des habiletés complexes proposée par DeKeyser et la conscience accrue proposée par Ellis.

L'État des recherches en didactique des langues ne nous permet pas encore d'adopter une position définitive sur la question des types d'enseignement. Nous pouvons affirmer toutefois qu'il serait inapproprié d'éliminer complètement l'enseignement et la rétroaction explicite de la pédagogie aux adultes car il y a trop de preuves empiriques appuyant l'utilité de l'enseignement explicite en acquisition des L2. La question qu'il faudrait se poser est : Comment cet enseignement devrait être intégré dans un cours de L2 ? Est-ce à la façon de DeKeyser ? Nous ne le croyons pas. Est-ce à la façon d'Ellis ? Peut-être. Tout ce que nous pouvons dire c'est que la pédagogie basée sur les tâches jouit actuellement de beaucoup de popularité entre les auteurs de la didactique des L2.