Thèse par Paul B. Gosselin: Des Catégories de Religion et de Science: essai d'épistémologie anthropologique.
L'anthropologie, comme toute autre science, doit beaucoup aux catégories qui lui servent d'outils d'analyse. L'essai qui suit ne visa initialement que la catégorie anthropologique "religion", mais il apparut bientôt nécessaire d'élargir la recherche afin d'inclure la catégorie science (conçue comme antithèse de la religion), étant donné l'importance prise par ce terme dans les définitions de la religion en sciences sociales.
Le premier chapitre de cette thèse comporte une présentation et critique de la pensée contemporaine sur la définition du phénomène religieux en anthropologie. Parmi les auteurs dont il est question, nous trouvons M. Spiro, J. Rousseau, L. Vallée, W. Goodenough, C. Geertz, M. Augé et d'autres. Dans ce chapitre, nous faisons une analyse et une critique préliminaires d'un couple fréquemment rencontré dans les définitions du phénomène religieux en sciences sociales: religion--science. Nous pouvons alors rejeter les définitions reposant sur cette dichotomie et les deux oppositions qui la sous-tendent généralement soit: homologie (science)/analogie (religion) et naturel (science)/surnaturel (religion). Nous ferons aussi état des travaux qui tentent, de diverses manières, de dépasser le couple religion--science et de développer des approches rendant mieux compte de la complexité du phénomène religieux.
Dans le deuxième chapitre nous élaborons une définition nouvelle de la religion. Cette approche implique l'introduction d'un concept tiré des sciences naturelles: l'entropie, et aboutit à un regard thermodynamique et cybernétique sur le phénomène religieux. On y trouvera d'abord une explication de ce qu'est l'entropie (ses trois définitions), ensuite la mise en place d'une analyse des conséquences des processus entropiques sur les systèmes religieux. Nous nous intéressons aussi dans ce chapitre à la religion en tant que 'fait social total', au rapport plus large religion/culture et à expliciter des notions auxiliaires de cosmologie et de stratégie sur lesquelles repose, en grande partie, la nouvelle définition de la religion. Dans la dernière partie de ce chapitre l'analyse des diverses 'infiltrations' du religieux dans la culture, pousse l'auteur à remettre en question la caractérisation habituelle du rapport religion/culture jusqu'à la dissoudre, ce qui aboutit à l'élaboration de la notion de religion 'réussie'.
Le troisième chapitre confronte l'approche proposée dans le chapitre précédent aux systèmes idéologico-religieux de deux sociétés non-occidentales. Cette confrontation s'est faite à l'aide des travaux de Raymond Firth (sur les Tikopia) et de Victor Turner (sur les Ndembu). Entre autres, nous aborderons le cycle rituel des Tikopia: les Travaux des Dieux et, chez les Ndembu, les rituels d'affliction et de 'life crisis'. Dans les deux cas, nous expliciterons quels sont les éléments de la cosmologie qui apparaissent, quels types de stratégies sont à l'oeuvre et quel est l'ordre (social/intellectuel) qui en est le produit.
Le quatrième et dernier chapitre reprend l'approche proposée au chapitre deux et la confronte avec un système cognitif occidental: la science, pour reprendre la critique de l'opposition religion--science. Ce chapitre présente quelques développements récents en philosophie de la science sur les croyances métaphysiques implicites dans le travail scientifique, de manière à établir ce qu'est au juste la cosmologie scientifique. Afin d'éclairer ce qu'implique de considérer la science comme une religion incomplète, nous nous tournerons vers une présentation critique des diverses théories concernant les origines de la science selon le débat sur la rationalité, débat actuel en anthropologie anglo-saxonne. Ceci aboutira au développement d'une explication des origines de la science occidentale accordant un rôle déterminant à certains éléments de l'idéo-logique occidentale. En conséquence, on mettra en évidence un certain nombre de dénominateurs communs entre science et religion, dénominateurs qui, d'après l'auteur, obligent à rejeter la dichotomie science/religion et ouvrent la porte à une théorie unifiée des systèmes cognitifs humains. A partir des concepts de cosmologie amovible et de religion incomplète (développés au chap. II), nous procédons à une réflexion sur le rôle idéologico-religieux de la science en Occident. Nous terminerons le chapitre par une courte analyse de la cosmologie des sciences sociales et, à partir des deux concepts mentionnés ci-dessus, par une réflexion sur le rôle idéologico-religieux de ces sciences dans la culture occidentale.
Dans la thèse Des Catégories de Religion et de Science: essai d'épistémologie anthropologique l'auteur propose une réflexion critique de l'usage des catégories religion et science en anthropologie. Dans le premier chapitre, on présente une revue critique des définitions contemporaines du phénomène religieux en anthropologie. Le deuxième chapitre comporte une présentation d'une nouvelle définition de la religion qui la place dans un contexte cybernétique et qui tente de redéfinir son rapport à la culture. Au cours du troisième chapitre on confronte cette nouvelle définition aux données ethnographiques recueillies par Firth et Turner sur les Tikopia et les Ndembu. Dans le quatrième et dernier chapitre, utilisant l'approche proposée ci-dessus, nous nous pencherons sur la science occidentale et sa cosmologie. Le chapitre se termine avec une courte analyse de la cosmologie des sciences sociales et le rôle idéologico-religieux de l'anthropologie en Occident.
ABSRACT
Anthropology owes a great deal to the categories which serve as its tools of analysis. The following essay initially involved only a study of the anthropological category "religion", but it soon became apparent that it would be necessary to widen the scope of research in order to include the category science (concieved as the antithesis of religion) especially when considering its frequent appearances in definitions of religion in the social sciences.
The first chapter of this thesis includes a presentation and critique of contemporary anthropological thought on the definition of the religious phenomena. Among the authors whose works are discussed here we find M. Spiro, J. Rousseau, L. Vallée, W. Goodenough, C. Geertz, M. Augé, and others. This chapter also includes an analysis and preliminary critique of a conceptual couple frequently encountered in definitions of the religious phenomena in the social sciences, that of religion--science. We are now in a position, after this discussion, to reject definitions resting on this dichotomy and the two oppositions that generally support it, being: homology=science/analogy=religion and natural=science/supernatural=religion. We will also describe works by various authors that try to go beyond the conceptual couple religion--science and develop approaches that give a better account of the complexity of the religious phenomena.
The second chapter involves the proposal of a new definition of religion. The approach taken here involves the introduction of the concept of entropy and ends up proposing a thermodynamic and cybernetic view of religion. One will find first of all an explanation of what entropy is (its three definitions), then an analysis of the consequences of entropic processes on religious systems. We will also discuss in this chapter religion as a "total social fact", the larger relation of religion to culture, and auxiliary concepts such as cosmology and strategy on which rest the new definition of religion largely. In the latter portion of this chapter the analysis of the various 'infiltrations' of religion into human culture leads the author to question the usual characterization of the religion/culture relationship to the point of dissolving it which brings him to elaborate the concept of "religion réussie" or completed religion.
The third chapter confronts the approach proposed in the preceding chapter with the ideologico-religious systems of two non-western societies. The confrontation has been done using material from the work of Raymond Firth (on the Tikopia) and of Victor Turner (on the Ndembu). Amongst other things discussed here we will find the Tikopia ritual cycle: the Work of the Gods and concerning the Ndembu, their affliction rituals and life-crisis rituals. In each case we will make explicit the various elements of cosmology which appear, the types of strategies at work and discuss the resulting social/intellectual order.
In order to fully develop the criticism of the religion--science dichotomy , the fourth and last chapter takes up the approach presented in chapter II and confronts it with a Western cognitive system: science. Beginning the chapter we explore recent developments in the philosophy of science concerning implicit metaphysical beliefs involved in scientific work. This will allow us to establish the contours of the cosmology of science. In order to clarify what is meant by considering science to be an "incomplete religion", we turn to a presentation and critique of a number of theories regarding the origins of science that have been proposed in the debate on rationality presently taking place in British anthropology. This leads to the development of an explanation of the origins of Western science according a determinant role to certain elements of the Western ideo-logic. As a result, we uncover a number of common denominators between science and religion, and these, according to the author, demand the rejection of the science/religion dichotomy and open up the possibility of developing a unified theory of human cognitive systems. Relying on the concepts of "comologie amovible" (all-purpose cosmology) and incomplete religion (developed in chap. II), we proceed with a reflection on science's ideologico-religious role in the West. The chapter ends with a short analysis of the cosmology of the social sciences and, relying on the two concepts mentioned above, with a reflection on the ideologico-religious role of these fields of study in Western culture.