Richard Mayhue
La majorité des évangéliques aux Etats-Unis connaît l'histoire de Joni Eareckson Tada, étant donné l'énorme publicité dont elle bénéficie à travers ses livres, ses peintures et ses interventions publiques. Dieu donne à cette jeune femme un grand ministère en faveur des infirmes.
Cependant on ne connaît pas la Joni de tous les jours. Le plus grand nombre ne soupçonne pas sa lutte pour accomplir les actes les plus simples de la vie ordinaire, comme se baigner ou prendre ses repas. Beaucoup ne voient en elle que la "superstar".
Je suis allé rendre visite à Joni à Woodland Hills, dans sa modeste demeure surplombant la vallée de San Fernando en Californie du sud. Quelques escarres avaient contraint Joni à garder le lit, mais elle accepta néanmoins avec grâce de passer un après-midi en ma compagnie.
Richard : Est-ce que tu crois que les mouvements de guérison par la foi et leur message peuvent être une source de confusion ?
Joni : Récemment j'ai dû prendre l'avion pour San Francisco à l'occasion d'une conférence. Pendant le vol j'engageai la conversation avec une jeune hôtesse dont le visage rayonnait de l'amour de Jésus. Elle était l'une des personnes les plus pétillantes et les plus joyeuses qu'il m'avait été donné de rencontrer. Il était évident qu'elle venait de rencontrer le Seigneur et qu'elle était subjuguée par son amour. Elle me dit : "Joni, je ne pourrais pas servir un Dieu qui ne voudrait pas guérir tout le monde. Un Dieu dont ce ne serait pas la volonté que tout le monde soit guéri".
Je lui fis la remarque suivante : "Il est pourtant évident, à regarder le monde autour de soi, que ce n'est pas la volonté de Dieu que tout le monde soit guéri ; tout simplement parce qu'un grand nombre de personnes ne le sont pas. L'homme ne peut pas résister à la volonté de Dieu, et si la guérison de l'humanité entière faisait partie de son dessein, rien ne pourrait empêcher qu'il en soit ainsi. Nous devrions voir des évidences de ce fait partout autour de nous, mais ce n'est pas le cas. C'est pourquoi on peut en conclure qu'il n'est pas de la volonté de Dieu que tout le monde soit guéri."
Elle me fit ensuite une réflexion de ce genre : "Mais pourtant, est-ce que notre foi n'a pas quelque chose à voir là-dedans ?" Je crois que voilà un excellent sujet de conversation parce que, en dehors du fait que les gens ont du Royaume de Dieu une conception aussi erronée que leur herméneutique, la tentation est grande de retirer quelques passages bibliques de leur contexte, quelques versets ici et là qui parlent de foi, et de bâtir autour de cette foi toute une théologie. Je vois la foi tout bonnement comme un instrument par lequel s'exprime la grâce divine. D'autres, ceux qui partagent l'opinion de l'hôtesse, la voient peut-être davantage comme un gourdin que nous brandissons au dessus de la tête de Dieu, ou bien comme les ficelles à tirer si nous voulons voir Dieu bouger. A mon avis, ce n'est pas de la foi mais de la présomption ; cela rabaisse presque Dieu au rang d'un pantin.
Richard : Est-ce que tu es jamais allée à une réunion de guérison ?
Joni : Franchement j'ai assisté à quelques réunions de Kathryn Kuhlman. Je crois que toute la pensée derrière ces réunions est très subtilement faussée dans le sens où elle entretient l'idée que se faisait l'hôtesse de l'air, c'est-à-dire que le but poursuivi par Dieu en rachetant l'humanité était principalement de faire de nous des êtres heureux, en bonne santé et vivant une vie exempte de difficultés. S'efforcer de se raccrocher à n'importe quoi ; tirer les ficelles pour forcer Dieu à agir ; engager avec Lui une partie de bras de fer ou le réduire à notre taille ne sont de notre part que des efforts désespérés pour voir nos désirs satisfaits et nos prières exaucées de la manière dont nous nous imaginons qu'elles doivent l'être. Son dessein, lorsqu'Il nous a rachetés, était de nous amener à être conformes à l'image de Christ. Et cela nous l'oublions souvent.
Richard : Quand tu assistais à ces réunions, t'es-tu avancée pour être guérie ?
Joni : Oui. Si je me souviens bien, c'était à l'hôtel Hilton à Washington. Il y avait un monde fou et j'étais complètement à l'arrière de la salle. Il y avait des chaises partout et on ne pouvait pas bouger. Vraiment nous étions entassés les uns sur les autres.
Il y avait des gens en chaises roulantes, d'autres avec des trotteuses, d'autres avec des béquilles ; enfin pleins de gens comme moi. Tu comprends, Richard, j'en étais arrivée au point où je m'inventais des péchés à confesser. Je voulais m'assurer qu'entre Dieu et moi tout était transparent. C'est vrai que tout au fond de moi je me sentais un peu ridicule d'être là, mais je me disais que le fait de se sentir ridicule face à Dieu, face à tous ces gens, était nécessaire.
Il était indispensable que je sois prostrée ; que je me rende totalement, absolument vulnérable, non seulement devant lui, mais aussi devant tout le monde. Et puis il y avait des gens qui priaient pour moi lorsque je me rendais à ces réunions.
J'avais déjà reçu l'onction d'huile. Un nombre incalculable de personnes m'avaient imposé les mains, et je me disais : "C'est vraiment bien, parce que cela veut dire qu'on tente le nécessaire". Toutes les mesures imaginables — des pasteurs qui vous imposent les mains, l'huile, les prières et les péchés que je confessais. J'ai tout essayé. Je me rendais là-bas, m'imaginant que Dieu avait aplani le chemin, préparé la scène et que j'allais pouvoir rouler jusqu'à l'estrade et que le miracle allait arriver !
Mais rien ne s'est passé. Pendant très longtemps j'ai été incapable de comprendre pourquoi mes mains et mes jambes ne recevaient pas le message que mon esprit leur envoyait. Je me rappelle les regards que je portais à mes membres, comme s'ils étaient distincts de ce que j'étais et de ce que je pensais. Mon cœur et mon esprit disaient : "Tu es guéri, mon corps !
Je voulais m'assurer que j'avais la foi avec un grand "F".
Richard : Est-ce que tu avais orienté tes pensées en lisant des ouvrages ayant trait à la guérison ?
Joni : Oui, l'important était ma foi. La développer, la dégrossir, l'entraîner, la maintenir en grande forme. Je croyais vraiment ! Et pourtant mes mains et mes pieds ne réagissaient pas à ce que je savais être la vérité. C'est alors que j'ai commencé à réaliser que, soit Dieu était en train de me faire une monstrueuse et cruelle plaisanterie — que j'étais la victime d'une farce divine — ou bien que mon interprétation des Ecritures était inexacte.
Je ne pouvais pas croire que Dieu faisait de moi l'objet d'une plaisanterie. J'avais vu Dieu à l'œuvre dans d'autres aspects de ma vie et j'avais foi dans les Ecritures. Je savais qu'une telle chose n'entrait pas dans sa nature ni dans son caractère. Dieu n'est pas le Dieu des malentendus ou des plaisanteries cruelles. Je me suis donc dit que le problème devait résider en moi. Cependant je savais qu'il n'était pas dans ma foi : Je croyais avec tant d'ardeur. J'avais appelé des gens et je leur avais dit : "Vous me verrez à votre porte demain. Je vais sauter et courir sur votre trottoir." J'avais vraiment joué franc-jeu. Je croyais vraiment et donc je savais que le problème ne résidait pas dans la qualité de ma foi.
Il fallait donc que la faute se trouve dans ma compréhension des Ecritures. C'est alors que j'ai commencé à remonter jusqu'au jardin d'Eden, jusqu'à la racine-même de la souffrance, de la maladie, des blessures et de la mort. Je réalisai que la maladie avait commencé avec le péché et, comme je l'ai raconté dans a step further [un pas de plus], j'ai commencé, lentement et systématiquement, à assembler les éléments du courant de l'histoire de la Rédemption divine à travers la Bible jusqu'à ce que j'en entrevoie la structure. Quand j'en arrivais au Nouveau Testament, je commençai tout d'un coup à comprendre les miracles, les guérisons et tout l'enthousiasme qui accompagnait Jésus sur la terre.
Très logiquement la souffrance devait faire partie de la substance et des fibres mêmes de l'action rédemptrice de Dieu pour l'humanité. Et même une fois le salut accompli, la souffrance devait encore trouver sa place dans la chaîne et la trame de l'histoire de la rédemption. Lorsque Jésus s'est occupé du péché et de ses conséquences, il a enclenché le processus d'inversion des effets du péché avec tout ce qui en résultait. Cependant il n'a fait que poser des fondements : Le monde est encore déchu ; les gens meurent toujours ; des catastrophes naturelles se produisent encore, les gens continuent de tomber malades et ainsi de suite jusqu'à ce qu'Il revienne.
Lire l'Ancien Testament m'a été d'une grande aide. En considérant les promesses de l'ancienne alliance (comment les yeux de l'aveugle s'ouvraient, les oreilles des sourds entendaient, et comment l'Oint du Seigneur possédait joie et bonheur) je commençai petit à petit à comprendre que la venue de Jésus n'était que le commencement et non le tableau dans son ensemble. Ainsi que nous le savons, Il revient, non pas sous les traits d'un humble serviteur mais sous ceux d'un Roi inaugurant son règne. Il établira son royaume et tiendra toutes ses promesses glorieuses.
Je pense que c'est la raison pour laquelle j'accepte ma chaise roulante et ma souffrance. Si, à cause de cela, un plus grand nombre de personnes peuvent avoir accès au Royaume de Dieu et faire partie de sa famille, alors cela prend un sens. Souffrir sans raison, souffrir pour rien, voilà qui serait vraiment douloureux.
Richard : Pour en revenir à votre hôtesse, comment votre conversation a-t-elle tourné ?
Joni : Ma conversation avec l'hôtesse me chagrinait parce qu'elle était typique, sur une petite échelle, de la mentalité des Eglises de ce pays. Lorsque je suis descendue de l'avion à l'aéroport, j'ai été accueillie par mes sponsors. Ils avaient amené avec eux une jeune femme qui avait eu la colonne vertébrale brisée dans un accident d'automobile un an auparavant. Elle était parvenue au point où elle était capable de faire confiance à Dieu et d'accepter son sort.
Mais quelqu'un lui avait dit que la volonté de Dieu pour elle était qu'elle soit guérie. Bref, elle s'était mise à croire, toujours davantage. Elle avait fait de gros efforts ; elle était passée par toutes les étapes nécessaires, et pourtant elle n'avait pas été guérie. Tout cela l'avait plongée dans la dépression. L'image qu'elle avait de Dieu s'était altérée.
A l'intérieur d'elle-même, Dieu commençait à ressembler à un monstre cruel jouant des farces monstrueuses aux humains. On lui disait aussi que sa dépression n'était pas la marque d'une vie de foi. En fait sa dépression n'était rien de plus qu'un pur péché. Que tout cela était cruel, affreusement cruel !
Elle répondit à ceux qui lui faisaient ces remarques : "Regardez Joni. Elle aime le Seigneur et elle marche avec Christ. Pourtant le Seigneur n'a pas choisi de la guérir". A quoi on répliqua que Joni s'était résignée à ne jamais être guérie. C'était la raison pour laquelle elle ne l'était pas.
Cette jeune femme désirait vraiment m'entendre personnellement. Avais-je jamais été déprimée ? Est-ce que je croyais que tout cela était la volonté de Dieu ? Est-ce que je m'étais résignée à ne jamais pouvoir me tenir sur mes jambes ?
La conversation avec l'hôtesse encore toute fraîche dans ma mémoire, ma première réflexion fut : "Non, je ne suis pas résignée à ne jamais guérir." Il est vrai que d'un autre côté il y a des gens qui disent que Dieu n'accomplit jamais de miracles de guérison : Ils voudraient faire entrer l'activité divine dans un moule. A l'inverse, d'autres personnes disent que Dieu veut que tout le monde soit guéri. Eux aussi enferment Dieu dans un moule. Voilà pourquoi je lui ai dit : "Non, je ne suis pas résignée à ne jamais guérir". J'ai accepté de laisser toutes les questions ouvertes. Cependant la balle est dans le camp de Dieu, plus dans le mien. Si ma compréhension des Ecritures est correcte et mon opinion de Dieu suffisamment élevée, alors les choses dépendent de Lui.
Je crois vraiment, ainsi que je le lui ai dit, que la guérison est l'exception qui confirme la règle qui veut que Dieu, à notre époque, ne guérisse pas toujours miraculeusement, pas plus qu'Il ne ressuscite les morts ou ne permette de marcher sur l'eau. Ce sont là tout bonnement des choses qui n'arrivent pas.
Je lui ai dit que j'étais souvent déprimée. Par exemple, je suis maintenant alitée avec quelques escarres tenaces. Voilà maintenant plusieurs mois que je dois garder le lit. C'est très décourageant et même parfois déprimant. Des gens me disent qu'ils prient pour ma guérison. La jeune femme me demanda, avec une drôle d'expression sur le visage : "Et tu ne crois pas que c'est un péché ?". Je lui dis : "Si je permettais à ces émotions d'altérer mon idée de Dieu, ce serait un péché. Mais ce n'en est pas un dans le sens où ma vue de Dieu n'a pas changé."
Cependant je suis un être humain. Dieu sait comment je suis faite et Il se souvient que je ne suis que poussière. J'ai été créée avec de vraies larmes. Je ne peux ressentir des émotions heureuses en étant clouée au lit trois mois durant, mais tout cela n'a pas altéré ma vision de Dieu. La dépression que je traverse fait partie intégrante de ma nature humaine. Un peu de dépression est la rançon des coups et des bleus quotidiens qui sont le lot des hommes, chrétiens et non chrétiens. Cependant, pour le chrétien, point n'est besoin de désespérer puisque nous avons un espoir - l'espoir que Christ établira un ordre nouveau.
Richard : Il est bien de faire la distinction entre le mot "dépression", qui est attaché à ce qui fait notre humanité, et le mot "désespoir" qui ne devrait jamais faire partie de notre relation de rédemption avec Christ.
Joni : C'est si merveilleux. J'ai vraiment désespéré au début, après mon accident. Je ne savais pas comment emboîter les pièces du puzzle. Je ne savais absolument pas que Dieu était là ; qu'Il se souciait de moi ; qu'Il contrôlait la situation et que je n'avais pas à m'en faire ; que ce n'était pas un accident ; qu'Il avait un plan bien ordonné et qu'Il tenait à ma disposition la puissance de la résurrection. J'ignorais tout cela. C'est pourquoi dans les premiers mois de mon infirmité, oui, j'ai désespéré. J'ai pensé qu'il n'y avait pas d'espoir. Mais les chrétiens ne devraient jamais désespérer, même si parfois il leur arrive de déprimer.
Richard : As-tu jamais analysé les étapes de ta réflexion, depuis l'adolescente handicapée que tu étais, jusqu'au point où tu te trouves maintenant ? Existe-t-il des paliers particuliers qu'il t'a fallu franchir ?
Joni : Eh bien, je crois avoir suivi la "filière" classique de ceux qui finissent par accepter leur handicap. On trouve cinq phases typiques : le traumatisme, le refus, la colère, le marchandage et l'acceptation.
Au début, oui, j'étais choquée et totalement incrédule. C'est curieux Richard. Je voyais mon corps paralysé, mais je ne réalisais pas qu'il en serait désormais toujours ainsi. Ce n'est pas que j'en refusais l'idée, c'est que le lien ne s'établissait pas. Et le lien ne s'établissait pas parce que tout cela était trop traumatisant. Ensuite est survenue la colère : "Mon Dieu, comment as-tu pu laisser m'arriver une chose pareille ?".
Et puis une autre chose m'a toujours semblé curieuse : Pourquoi est-ce que nous accusons Dieu ? Pourquoi Lui ? C'est probablement notre nature pécheresse qui doit nous porter à rejeter la faute sur lui. Nous n'incriminons jamais vraiment la révolte initiale de l'homme, nous rejetons la responsabilité sur Dieu, pas sur Satan. Fidèle à notre nature humaine, telle est l'attitude de la brute qui sommeille en nous. Il semble que nous soyons incapables d'endosser une quelconque responsabilité.
Après cela j'entrai dans une phase de refus : "Les choses ne sont pas ce qu'elles doivent être. Mon Dieu, je sais très bien que tu vas me remettre sur pied." Après avoir traversé la période de marchandage avec le Seigneur j'en arrivai enfin au point où j'étais capable d'accepter ma situation. L'accepter non pas dans le sens d'une résignation dépourvue d'espoir, comme si je disais : "je pense que je m'accommode au mieux de mon état, je vais faire contre mauvaise fortune bon cœur et continuer à vivre", comme si je portais ma croix en m'apitoyant sur moi-même. Non, lorsque je parle d'acceptation, je veux dire saisir à pleines mains ce que Dieu nous a donné et le recevoir avec gratitude. Pour moi c'est cela accepter véritablement, et je crois que seul un chrétien en est capable.
Je pense que beaucoup de non croyants envisagent leur situation comme une sorte de martyre ou comme une situation à affronter stoïquement. Seuls, les chrétiens peuvent "accueillir" leur sort avec gratitude, sachant qu'ils reçoivent de la main de Dieu quelque chose qui servira, non seulement à sa gloire mais également à leur propre bien.
Pour en revenir à l'histoire de notre jeune paraplégique, nous avons parlé et discuté un peu des choses du Royaume de Dieu. Lorsque quelqu'un me pose des questions sur la guérison aujourd'hui, je commence par le Royaume et la raison de la venue de Christ et le sens des miracles. Je ne crois pas que l'on puisse donner des réponses avant d'avoir défini un cadre ou une structure dans lequel on puisse les y inscrire. Nous nous sommes encore entretenues sur le sujet de la dépression avant que je ne regagne ma chambre d'hôtel.
Le matin suivant je me levai pour prendre la parole à un déjeuner de dames — il y avait un millier de participantes — et je parlai sur la nature et le caractère de Dieu et sur notre vision de sa personne dans notre souffrance et nos problèmes. Pour introduire mon exposé je mentionnai le fait que je passais par une période de dépression. Et c'était la vérité. Pas plus d'une semaine et demie auparavant je m'élevais contre l'idée d'être clouée au lit, de me sentir "moche" et de prendre des kilos (parce que quand je suis couchée, je mange). Quoiqu'il en soit, je leur racontai tout cela parce que je désirais que ces gens comprennent que je ne leur présentais pas une théorie biblique bien construite sur laquelle j'avais travaillé des années auparavant.
Une fois mon discours terminé, je retournai m'allonger dans ma chambre à cause de mon escarre. C'est alors que le téléphone sonna. C'était une femme qui désirait me parler. Je pris l'écouteur et elle commença ainsi : "Joni, j'ai une parole de connaissance pour toi, de la part du Seigneur". Elle continua dans le style habituel de ceux qui ont des paroles de connaissance : "Ma fille...". Comme si c'était Dieu qui était en train de parler. La teneur de sa conversation c'était : "Ma fille, — et quelque chose comme — c'est ton péché qui te sépare de Moi et de la guérison. Ta dépression empêche ta communion avec Moi."
J'ai vraiment fait un effort sur moi-même pour tenir ma langue à la fin de sa "parole de connaissance". Je lui dis : "Merci d'avoir appelé pour me faire part de vos idées". J'ai pensé à la cruauté et à l'injustice de mon interlocutrice. Elle avait utilisé un "truc" spirituel bien pratique pour me donner son avis. Si on veut partager son opinion, pourquoi ne pas annoncer que c'est sa propre opinion ? Je ne lui ai pas dit cela, mais je bouillais vraiment en dedans de moi. Encore une fois cela nous ramène à l'hôtel et à la jeune paralysée dans sa chaise roulante. Si nous réduisons Dieu à notre échelle, nous rejetons la vue élevée qu'avaient de Lui les hommes et les femmes de la Bible pour le caser dans nos petits tiroirs commodes.
Richard : Souvent les gens te regardent et s'imaginent que tu mènes une vie normale et insouciante à la maison. Comment vis-tu tes problèmes quotidiens ?
Joni : Je crois que le problème dont je puis le mieux parler en ce moment est l'obligation de garder le lit avec cette escarre ; d'avoir l'impression que mon univers s'arrête à la barrière de mon jardin, d'avoir la sensation que mes prières ne dépassent pas le plafond ou de supporter l'image que me renvoie mon miroir : des cheveux gras, pas de maquillage et des draps aux relents d'alcool et d'antiseptique. Tout cela m'aide à apprendre à faire mienne à nouveau la Parole de Dieu d'une façon efficace.
J'ai appris il y a longtemps que le secret de la progression dans ma vie chrétienne est d'aborder la Parole de Dieu d'une façon systématique et intelligente ; de la partager en sections compréhensibles qui traitent par exemple de la dépression, des épreuves ou de la grâce, et de les apprendre par cœur.
C'est toujours vrai aujourd'hui. Il me faut laisser de côté le sentiment de mon handicap, la sensation que mes prières se heurtent au plafond de ma chambre, mes coups de tête, mes émotions, mes hésitations. Il me faut me résoudre dans mon for intérieur, ce qui constitue, je suppose, un acte de foi, à ne pas céder à mes sentiments mais plutôt à la Parole de Dieu. C'est en fait un acte de volonté. Par la volonté je ne dois pas permettre à mes sentiments et à mes émotions de détruire ma foi ou de déformer ma vision de Dieu.
J'accepte les émotions et les sentiments pour ce qu'ils sont, mais je m'applique à marcher sur la droite ligne de l'obéissance à la Parole de Dieu.
La Parole de Dieu me dit que toutes choses concourent au bien, non que toutes choses sont bien. Toutes choses concourent au bien. Je veux croire à ce que me dit la Parole de Dieu lorsqu'elle demande d'accueillir les épreuves comme des amis et de rendre grâces en toutes choses. Je crois que ce qui fait la différence, c'est une approche systématique de sa Parole.
Richard : Les malades ne demandent-ils pas souvent, pour quelles raisons ils sont dans cet état, et pourquoi Dieu permet leur souffrance ? N'en éprouvent-ils pas le besoin ?
Joni : Oui. Ou bien ils demandent : "Pourquoi ne suis-je pas guéri ?" Il est important de répondre à cette question si en tant qu'Eglise nous voulons exercer un ministère auprès des invalides ou passer du temps avec eux, ou faire d'eux des disciples ou que sais-je.
Quelquefois les gens prient pour la guérison d'une tante en phase terminale ou d'un mari qui se meurt du cancer. Ils savent bien que Dieu va rappeler cette personne à Lui. Alors, après le décès ils se réjouissent parce que le malade a fait l'expérience de ce qu'ils appellent "l'essence même de la guérison véritable". Il est clair que cela est une échappatoire — une spirituelle et très commode échappatoire.
Richard : Pourtant il y a un peu de vrai là-dedans. C'est la raison pourquoi cela est si trompeur, n'est-ce pas ?
Joni : Oui. Parce que ce n'est pas ce que ces gens veulent dire. Ils prient que telle ou telle personne soit guérie. En fait, de peur de faire preuve d'un manque de foi, ils refusent de considérer comme une possibilité le fait que la mort peut constituer la guérison véritable.
Richard : Selon ton expérience et tes nombreux correspondants, quelles sont les questions cruciales, celles auxquelles il est indispensable d'apporter une réponse pour les personnes souffrantes ou malades ou celles qui se trouvent plongées dans des circonstances qu'elles ne peuvent changer ?
Joni : Je crois que la question qui préoccupe le plus les gens est celle-ci : "Quelle est la part de responsabilité de Dieu ? Comment Dieu, un Dieu d'amour, peut-il tolérer la souffrance et le mal dans le monde ?"
Et deuxièmement : "En ce qui concerne la guérison, quelle est la part qui m'incombe à moi ? A quel niveau se situe ma foi ? Que fait Dieu ?"
Puisque nous avons déjà parlé de la première question, nous pouvons aborder la seconde. Les gens trouvent difficile de comprendre que dans les passages où Jésus disait : "Ta foi t'a guéri", il parlait en réalité du salut. C'est ce que je crois. La guérison physique n'était qu'une illustration de la guérison spirituelle.
Pourtant les gens pensent encore que la guérison est une affaire d'exercice de leur foi. Ils croient encore que les passages des Ecritures dans lesquels Jésus dit par exemple : "Si vous aviez de la foi comme un grain de sénevé, vous diriez à cette montagne, va-t'en et elle s'en irait" placent la responsabilité sur eux.
Quelquefois je pense que Dieu peut lire les désirs de leurs cœurs ; mais peut-être est-ce aussi la providence divine qui, à partir de leur grossière erreur les amènera à regarder la Bible de plus près.
Prenez par exemple, la jeune hôtesse. Que fera cette chère jeune femme le jour où son mari tombera gravement malade ? Qu'est-ce qu'elle fera ? Je m'émeus pour elle dans un sens. Et pourtant d'un autre côté, je pense que Dieu espère qu'elle sera si déçue, que, comme moi, son désespoir l'amènera à ouvrir sa Bible et à la lire encore une fois plus attentivement. J'ai de la sympathie pour ces gens. Je peux me mettre à leur place. Cela souligne l'importance, pour les gens comme vous qui partagez les vérités divines, d'être exacts. C'est un grand défi à relever !
[1] - Tiré de Mayhue, Richard, Divine Healing Today, Chicago : Moody Press, 1983, pp. 125-134. Traduction de Daniel Dutruc-Rosset.
Voir aussi l'article J'ai le droit d'être heureux(se)! Paul Gosselin