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Samizdat

Analyse critique du livre d'Henri Blocher
“Révélation des origines”.






Marc Hébert (juin 2004)

Présentation du livre et de son auteur
Henri Blocher est professeur de théologie systématique et d'hébreu en France. Son livre Révélation des origines a été publié en 1979, puis a été revu et réédité en 1989 aux Presses Bibliques Universitaires. Blocher y traite essentiellement du sens des premiers chapîtres de Genèse selon une approche du type “entonnoir”. Par cette approche, les différentes interprétations en vogue sont passées au peigne fin de l'analyse linguistique et littéraire, pour ne retenir que les thèses probantes.


Blocher, Henri.
1979/1989.
Révélation des origines.
Presses bibliques universitaires. Lausanne. 2ème édition.

D'emblée, au chapitre un, l'auteur présente sa méthode d'interprétation. La Bible, et notamment Génèse, est un livre inspiré dont l'autorité a préséance sur toute autre autorité (dont la science moderne). Il admet par conséquent, en accord avec le Nouveau-Testament, que Moïse est l'auteur de Genèse.

Une première conséquence de sa méthode est le rejet de la théorie documentaire pour expliquer la présence de deux “récits” de la création. Pour bien prendre ses distances avec la théorie documentaire, Blocher parle plutôt des deux “tablettes” agencées magistralement par un auteur unique : Moïse, inspiré de Dieu.

Blocher insiste aussi sur la présence de sens figuré dans ces tablettes, tout en affirmant la réalité historique des faits sous-jacents aux figures. C'est pourquoi il prend aussi ses distances par rapport aux écoles de pensée qu'il appelle anti-scientistes (littérales), concordistes (qui interprètent la Bible sous l'autorité de la science moderne) ou fidéistes (qui séparent foi et science).

Au chapitre deux, l'auteur met ensuite en évidence la structure littéraire de la première “tablette”, avec un début “tohu et bohu” et une fin de création où l'univers est ordonné et rempli, en passant par des actes de création présentés dans une séquence de “jours” . Ces jours seraient vraisemblablement un anthropomorphisme, puisque le septième jour, le sabbat, ne semble pas avoir de fin et ne saurait donc être pris littéralement. Pour cette raison, et également à cause d'arguments linguistiques, bibliques ou logiques, Blocher présente les failles des approches concordistes et littérales, ainsi que l'approche restitutionniste (Gap théory). Il opte donc pour une interprétation de Génèse qui s'inscrit dans un cadre “littéraire”.

Révélation des origines - Henri BlocherAyant davantage précisé son cadre d'interprétation, Blocher dégage le sens de certains éléments importants de la premièr “tablette”, comme la création “ex nihilo”, le rôle de l'Esprit, les créatures et leur ordre, dont l'Homme créé à l'image de Dieu.

Au chapitre 5, l'auteur développe notamment la nature de l'homme et de la femme et aborde progressivement la deuxième “tablette”.

Au chapitre six, Blocher présente Éden, la création de l'homme et de la femme, leurs rôles, privilèges et devoirs, en somme: les conditions de l'Alliance entre Dieu et l'homme.

Le chapitre 7 du livre de Blocher discute de la rupture de cette alliance par la faute de Adam et Ève, sous l'influence du Serpent, qui n'est autre que Satan. Quant à manger de l'arbre de la connaissance du bien et du mal, il s'agirait d'un symbole signifiant devenir comme Dieu, ce Dieu qui établit ce qui est bien ou mal. Le péché est horrible et inexcusable. Le verset parle de l'acte pécheur ou “manduction du fruit” représenterait d'ailleurs le centre d'un chiasme dans la structure littéraire de la deuxième “tablette”. Avant, c'était la plénitude, ensuite l'accomplissement de la menace qui va altérer dramatiquement cette plénitude.

Au huitième chapitre, Blocher montre que les conséquences du péché de rébellion sont énormes. La relation homme-femme est brisée. Adam et Ève ont honte l'un-l'autre de leur différence, leur sexe, symbole leur dépendance mutuelle, eux qui voulaient être indépendants (comme Dieu). Ils ont également peur de Dieu et se cachent, en vain. Au lieu de se repentir, ils tentent de se justifier. Dieu dans sa justice leur précise alors les conséquences de leur péché. Cependant, au milieu de la malédiction, il promet et annonce également la venue d'un descendant, assurément Jésus-Christ, qui écrasera leur ennemi le Serpent, assurément Satan. Pour Blocher, il y a donc présence d'acteurs réels dans la deuxième “tablette”, et donc une trame historique dans le récit, bien que constituée d'éléments figurés (serpent, arbres). Blocher est catégorique : ce n'est pas un mythe!

Le dernier chapitre présente ensuite sommairement l'effet et l'accroissement du péché dans la société humaine, avec les châtiments correspondants, dont le déluge et Babel. Malgré cela, la promesse de descendance se développe en parallèle. Par des généalogies successives et concentriques, Genèse aboutit ainsi à un homme, Abram, descendant de Noé, de Seth, d'Adam et d'Ève, à qui la promesse d'une descendance spéciale est répétée. Le développement de cette promesse fera l'objet du reste de la Bible.

Le livre de Blocher présente finalement deux appendices, un sur des considérations scientifiques relativement au créationnisme “anti-scientisme”, et un autre sur la théorie des “sources” documentaires (non repris dans la deuxième édition).


Critique du livre
Au plan de la forme, le livre de Blocher est de lecture très difficile. Le vocabulaire est élaboré et les tournures de phrases trop complexes pour saisir facilement la pensée de l'auteur. J'ai dû lire, et relire ce livre, avec un dictionnaire à la main, et des pauses de lecture fréquentes. Je n'ai donc assurément capté qu'une portion de son message.

D'emblée, l'auteur indiquait toutefois s'adresser au “grand public cultivé”. En fait, on a plutôt l'impression qu'il s'adresse à des pairs, exégètes et érudits d'écoles de pensée diverses, tenants de la controverse sur Genèse. Cela se voit à l'insistance par l'auteur d'envisager une multitude de thèses contradictoires.

Le contenu de certaines thèses soutenues par Blocher m'a troublé, notamment la remise en cause de la réalité des six jours de la création. J'ai aussi été agacé de voir qu'il n'hésite pas à considérer les thèses d'exégètes catholiques ou libéraux, parfois même d'athées, et à retenir leurs arguments pour une interprétation non littérale de Génèse. Certes, un chrétien qui a une vocation de docteur se doit de confronter son exégèse. Cependant, Dieu nous met en garde concernant la sagesse des “ sages ” (1Cor 1 :20).

Il me semble d'ailleurs percevoir chez l'auteur un fort a-priori évolutionniste, notamment dans l'appendice où il élève les découvertes de la science par rapport aux prétentions des “anti-scientistes” que sont les créationnistes littéraux. On sent d'ailleurs un mépris de la part de Blocher envers ces “ anti-scientistes ”, épithète qui est en soi éloquent.

D'où vient donc cette tendance à l'évolutionnisme chez Blocher et cet antagonisme envers une interprétation littérale? Car il me semble que l'évolution ne vient pas à l'esprit quand on lit la Genèse, ou la Bible. Serait-ce l'arrière plan de Blocher qui est en cause, celui de la France des intellectuels libre-penseurs et humanistes? Je m'arrête ici, car je deviens dangereusement proche du jugement d'intentions, et je n'ai pas de preuve à l'appui.

Paradoxallement, j'ai le goût de relire son livre. Pourquoi? Sûrement pas à cause du style de l'auteur, mais à cause de ses idées différentes et son analyse méticuleuse des thèses contradictoires. Ce livre m'a réellement édifié quant à la beauté de la relation conjugale et par la découverte de la structure littéraire dans Génèse. Blocher met aussi en évidence les difficultés bibliques, très réelles, de l'interprétation strictement littérale d'un texte qui présente manifestement des images, des jeux de mots et des figures de style.

C'est donc pour moi une leçon qui m'oblige à plus de profondeur biblique dans mes convictions créationnistes, et à moins de jugement envers ceux qui n'interprètent pas Genèse comme moi. Je retiens notamment que le Serpent, c'est avant tout Satan, et qu'il n'y a possiblement jamais eu de serpent animal en Génèse 2. Je peux aussi considérer la possibilité que l'arbre de la connaissance du bien et du mal en Éden puisse être figuratif.

Par contre, j'ai l'impression que Blocher va trop loin lorsqu'il prétend que les six jours de création ne sont qu'un procédé littéraire ou pédagogique, sans rapport avec la chronologie des événements créateurs. Dieu n'a pas de problème avec le temps. Jésus en effet n'a pas eu de problème à créer instantanément, et sans évolution, des pains et des poissons avec une apparence d'âge de 4 milliards d'années (selon la théorie évolutionniste).

J'ai aussi un réflexe de rejet face à des interprétations trop rationalisantes des Écritures (minimisant ou excluant le surnaturel), comme celle voulant que les chérubins seraient une personnification des attributs de Dieu. Dieu a fait des créatures étranges sur la terre, dans les abysses sous-marines et au ciel. Je pense qu'à cet égard Ézéchiel trouverait que Blocher a une perception un peu trop virtuelle et intellectuelle de la réalité spirituelle.

Le livre “Révélation des origines” laissera sûrement des traces dans ma compréhension de Genèse et dans ma façon de l'exposer. Je recommande sa lecture aux “anti-scientistes”, notamment pour faire connaître aux créationnistes littéraux les objections d'un érudit associé au mouvement évangélique. La croyance en l'évolution chez Blocher représente toutefois un corps étranger par rapport à la Bible et, selon moi, une erreur pouvant avoir plusieurs répercussions au plan doctrinal sur les chrétiens qui se nourriront de cet enseignement.



Autres ressources

BÉDARD, Paulin (2009) Critique de l’interprétation «cadre» ou «littéraire» de Genèse 1. La Revue réformée no 252, nov.

RAMBERT, Serge (1994) Positions Créationnistes – numéro 11. (avec avant-propos par Jean Marc BERTHOUD) -> Examen critique des arguments développés par Henri Blocher dans son livre Révélation des Origines.

BERTHOUD, Jean-Marc - Henri BLOCHER (1994) Débat public sur la doctrine biblique de la création. Positions créationnistes no. 12

KELLY, Douglas (2012) Les jours de la création: Leur signification biblique.

RAMBERT Serge - "Révélation des origines" de Henri Blocher - Une réponse. Calvinisme évangélique de hier et d'aujourd'hui

RENNETEAU, Michel Les jours createurs de l'Éternel.