Christian Bourgeois
Je l'avoue, il y a peu de temps en arrière, je n'aurais peut-être pas pu écrire ces mots. Etait-il hors de ma portée de les imaginer ou bien étaient-ils déjà présents attendant le bon moment pour surgir, je ne sais pas. Cependant je me sens la liberté de les écrire aujourd'hui et de les transmettre tels qu'ils vont se matérialiser devant moi par des lettres.
Matthieu § 6, v 6 : “ ...Pour toi, quand tu veux prier, entre dans ta chambre la plus retirée, verrouille ta porte et adresse ta prière à ton Père qui est là dans le secret. Et ton Père qui voit dans le secret te le rendra. ”
Jésus qui connaissait si bien le Père savait très bien où on pouvait Le trouver : dans le lieu retiré de notre maison, celui auquel on n'accède qu'après s'être éloigné de toute agitation, de tout bruit, de toute forme de relation avec qui que ce soit. Puis une fois cette démarche effectuée, un geste, le dernier dirigé vers ce monde dont on va s'éloigner quelques instants: on fermera la porte derrière nous.
Cette recommandation de Jésus est accompagnée d'une affirmation guidée par la ferme assurance que donne la parfaite connaissance que l'on a de quelqu'un. Si on pensait voir dans la promesse de Jésus une certaine glorification de la part du Père si l'on se retirait dans un lieu secret, on resterait, je le crains, dans une espèce de relation d'échanges un peu du style: je fais ceci, et Toi, Tu tiens Ta promesse ( = Tu me glorifies ?)
Dans ce cas, où serait la relation authentique et où serait l'hypocrisie ?
C'est probablement dans ce but que Jésus nous enseigne à ne pas suivre l'exemple des religieux de son temps qui ne savent pas trouver le Père. Ils pensent peut-être le trouver en priant à haute voix dans les synagogues, ou bien aux carrefours, mais leur but n'est pas réellement une communion avec Dieu, mais plutôt d'être vus des hommes !
C'est afin de nous éviter ce piège dans lequel, avouons-le, il nous est si facile de tomber, que Jésus nous oriente complètement différemment car Il le sait : la gloire de l'homme ne nourrit pas, elle est trompeuse par-dessus tout.
Il existe, dans les enseignements de Jésus des clés pour bien les comprendre. Que ce soit pour un enseignement ou pour une parabole, une œuvre particulière ou une invective, il nous faut la clé pour éviter de s'égarer dans des interprétations séduisantes certes, mais ô combien stériles.
Deux fois l'expression “ Père ” revient dans le même chapitre. Une fois déjà au verset 1 ( Votre Père ) et une autre au verset 4 ( Ton Père ) on retrouve cette expression. Visiblement Jésus tente de nous réorienter en nous branchant sur le bon canal dirait-on aujourd'hui, comme aux versets 45 et 48 du § 5 et de nouveau au § 6 et au verset 8 sans oublier bien sûr le “ Notre Père.”
Doit-on penser que cette partie “ du sermon sur la montagne ” est faite pour enseigner une méthode de prière autre que celle des religieux ? Peut-être, mais ne serait-ce pas alors créer ainsi une nouvelle forme de religiosité ? Cette insistance de Jésus à nous relier au Père Céleste a un but : nous détourner du regard des hommes pour ne plus apprendre à dépendre que de “ Notre Père ”...comme Lui.
Ce qui est frappant dans la fin du § 5 et le début du § 6, c'est qu'il n'est jamais question de relation à sens unique. Quoique nous fassions ou que nous disions, il y aura toujours un retour. Celui-ci semble évident, automatique, obligatoire : c'est en effet une loi divine. Ce n'est pas comme nous l'avons vu plus haut basé sur une relation d'échange sordide, mais ce serait plutôt fait pour nous rassurer, nous communiquer la vraie sécurité.
Au § 6 verset 4 : “ ...et ton Père qui voit dans le secret te le rendra. ”
Au verset 6 : “ ...et ton Père qui voit dans le secret te le rendra. ”
Au verset 18 : “ ...et ton Père qui voit dans le secret te le rendra. ”
La clé dont il était question plus haut serait donc : Notre Père.
Il apparaîtrait que l'on a fait tourner l'interprétation de ces passages autour d'œuvres importantes certes telles que l'aumône, la prière, le salut à ses voisins, le jeûne, mais en insistant trop sur les aspects de ceux-ci plutôt que de diriger les âmes vers le lieu de la communion que le Père affectionne : le secret du cœur, le seul lieu où on est certain de Le rencontrer. Les “ œuvres ” découlant seulement après ces cœur - à - cœur.
Malheureusement, trop souvent, notre besoin d'être “ (re)connus ” des hommes prime sur le reste. Nos prières sont devenues savantes, nos termes spirituels (ou religieux) sont devenus un patois : le patois de Canaan. Même pas une langue, un patois ! Avec tout le respect que j'ai pour les patois, ce terme là me semble plutôt péjoratif.
Nos attitudes ne sont plus l'empreinte de la simplicité, mais “ calculées. ”
Je me souviens au début d'une réunion un dimanche alors que je regardais des chrétiens arriver dans la salle, avoir vu une homme rentrer joyeusement et discuter avec l'un et l'autre et il faisait vraiment plaisir à voir. Mais dès qu'il vit qu'il était dans la salle de la réunion son attitude a complètement changé. Il s'est fabriqué un masque d'une forme religieuse acceptable, comme pour obtenir une approbation certaine des anciens et du pasteur. Quel dommage ! A quelle loi subitement cette âme du Seigneur s'est-elle soumise ? Aucune de celles qui viennent du Père si l'on en croit Jésus...
Mais revenons à notre texte.
Trois types de personnes sont en relation : le Père Céleste, les religieux, les autres.
Dans une première lecture, ce sont les religieux qui semblent être les personnages centraux de l'histoire. Ils sont bien vêtus, aiment faire de belles et longues prières là où on peut les voir et les entendre et quand ils jeûnent, ils tiennent à ce que cela se sache.
Je me dis que ces gens se mettent dans une position de leader : ils sont là, présents, assumant la veille spirituelle pour la maison d'Israël, ils donnent l'exemple quant au respect de la loi de Moïse et assurent en plus une surveillance assidue du respect des bonnes mœurs du peuple. Quoi dire de plus si ce n'est qu'ils entretiennent des relations politiques étroites avec le pouvoir politique (romain) en place.
Très curieusement pourtant, Jésus ne les porte pas dans son cœur.
Pour l'homme de la rue que je suis, cette attitude me paraît agressive. A plusieurs reprises, Il les traite d'hypocrites, recommande vivement de ne pas les imiter. Pire, il ira les traiter de citernes crevassées, de sépulcres blanchis...
Puis il y a les autres, ceux très précisément auxquels Jésus s'adresse. Les autres, ce sont les gens du peuple qui suivent Jésus, ses futurs disciples pour certains.
Ils vont recevoir un enseignement à faire se dresser les cheveux sur la tête :
“ Aimez vos ennemis...afin d'être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux ... ”
Quoi ! Dieu aime ses ennemis ! Quel changement de l'image de Dieu !
“ Si tu ne salues que tes amis, quel gré t'en saura-t-on (autrement dit, salue aussi les troupes d'occupation romaines, les samaritains, les païens)? ”
“ Quant tu pries, que personne ne le sache, ”
“ Quand tu fais l'aumône, cache-le ; quand tu l'as faite, oublie-le, ”
“ Quand tu jeûnes, sois comme si tu ne jeûnais pas, au contraire : que ce soit comme une fête. ”
Bref, ta spiritualité : ne l'étale pas, qu'elle ne soit pas ta carte de visite, mais aussi ne t'en sers pas pour devenir le conducteur d'autrui, pour faire venir les regards sur toi, pour que d'autres dépendent de toi. Renonce aussi à l'approbation de ton entourage quant à ta spiritualité, renonce à la louange que l'on peut t'en faire.
Renonce à être bien vu des religieux, quitte peut-être à être désavoué par eux... Ta liberté est à ce prix.
Il faut se souvenir que si pour nous Jésus-Christ est le Fils de Dieu, les personnes d'alors, au moment où elles écoutaient la prédication, n'étaient pas encore convaincues de ce fait et que ces choses enseignées étaient loin d'être aussi faciles à recevoir pour elles qu'elles peuvent nous le paraître aujourd'hui. D'ailleurs sont-elles vraiment si faciles pour nous aujourd'hui?
Le Père Céleste auprès duquel Jésus nous introduit et auquel j'arrive maintenant est la grande surprise de la prédication.
Jésus enjoins au § 5 v 43 et suivants d'adopter un comportement envers les ennemis “ afin que vous soyez les fils de votre Père qui est dans les cieux. ” (v 45)
Puis il situe cette perfection à laquelle nous devrions parvenir comme étant la perfection de Dieu (v 48).
En fait, le Père semble occuper moins de place que les religieux et les autres. Pourtant celle que Jésus lui attribue est particulièrement importante.
Une place que vont Lui contester les religieux et les athées car désormais, ce ne sont plus les pharisiens ni les saduccéens qui sont la charnière de la vie religieuse en Israël. Ils ne sont plus les intermédiaires incontournables entre Dieu et les hommes, ni eux ni les politiques qui (par crainte pour leur autorité?) vont provoquer la crucifixion.
Jésus-Christ, Fils de Dieu envoyé par le Père leur ôte ce privilège.
Désormais les hommes pourront aller directement au Père sans leur concours !
Enfin les uns et les autres vont pouvoir bénéficier des véritables richesses promises et s'accumuler un trésor dans le Ciel là où “ le voleur ne peut venir et où les mites ne peuvent accéder. ” Matt § 6 v 19-21.
Ouvrons une parenthèse concernant les voleurs dont parle Jé'sus. Jusquà peu de temps en arrière, les voleurs étaient, dans mon esprit du moins, tout simplement...des voleurs.
Cependant, l'allusion pourrait aussi bien concerner les religieux du temps de Jésus (et de tous les temps) qui par leurs attitudes pleines de suffisance, en captant sur eux l'attention des hommes “ volaient ” à ceux-ci les richesses qui leurs étaient promises dans le Royaume de Dieu et renvoyaient ces hommes “ appauvris. ” Jésus les invectivera d'une manière particulièrement sévère en leur disant :
“ Malheureux êtes-vous qui fermez devant les hommes l'entrée dans le Royaume de Dieu ! Vous-mêmes n'y entrez pas et vous ne laissez pas entrer ceux qui le voudraient. ” Matt. § 23 v 13.
Refermons la parenthèse et retournons à ce que Jésus disait. En relisant le texte une fois encore, il ne semble pas que Jésus dévalorisait les religieux aux dépens des autres hommes. En fait le même message est adressé aux uns et aux autres. Si les religieux sont ainsi pris à partie par le Seigneur, ce n'est pas parce qu'Il en a après la religion. Son but serait plutôt de ramener ces gens dans la voie juste de Dieu et on peut voir que le message est adapté à son destinataire car en fait Jésus Christ n'est pas plus tendre avec les non-religieux.
La question serait celle-ci : n'est-ce pas en fait au religieux qui vit en nous (et qui s'ignore) que Jésus s'adresse ?
Car lequel d'entre nous n'a jamais rêvé d'être dans la situation de ces pharisiens, aussi innocents (ou aveuglés) quant aux terribles conséquences qu'une telle attitude peut entraîner dans leurs vies, les nôtres et celles des autres, ce terrible désir de la chair qui nous pousse à la recherche du pouvoir... au nom de Dieu (ou de Jésus-Christ) bien sûr ?
Si Jésus frappe si fort, n'est-ce pas parce que la plus grande des détresses sera la “ récompense ” des œuvres de la religiosité (et non de la religion) car point n'est besoin d'être dans la religion pour être “ religieux ” ?
Ne nous fait-Il pas une mise en garde quant au danger que nous courons de tomber dans le piège du pouvoir et d'utiliser le nom de Dieu à des fins personnelles risquant d'entraîner un grand nombre dans la séduction ? En s'adressant aux chefs religieux de son temps Jésus leur dit : “ Vous avez pour père le diable. ” (Jean § 8 v 44)
Peut-on être plus dur ?
Un autre danger subsiste dont seule une position radicale peut nous sauver : celui de “ faire un peu des deux. ” Il me semble, à la relecture de ces dernières lignes, que la vive répartie de Jésus (“ Derrière moi Satan car tes pensées sont les pensées des hommes... ”Matt §16 v 23) face à la réflexion de Pierre au verset 22 s'explique par une espèce d'invitation latente cachée dans les paroles de Pierre, et à son insu, à accepter une espèce de compromis qui aurait irrémédiablement souillé Sa nature divine.
Pierre avait écouté les enseignements du Seigneur, mais le travail dans son cœur n'était pas encore complètement achevé. Il restait donc dans la position à la fois d'être corrompu par un esprit religieux et de corrompre d'autres lorsque lui-même serait en position de conducteur spirituel. Il devait donc connaître qui était à l'origine de sa propre pensée: le diable ou encore "le diviseur".
Je voudrai revenir à l'invitation de Jésus à nous faire prier dans un endroit secret pour que Dieu nous le rende dans le secret du cœur. Je mets quiconque eu défi de se laisser sonder par le Saint-Esprit et de confesser ensuite qu'il n'y a pas de “ pharisien ” en lui. Quelque soit le degré d'infection, cela n'a pas d'importance.
La religiosité qui est en nous (mais qui peut porter bien d'autres noms) et qui nous pousse à être vu des hommes et à faire pour être en vue des hommes (même si nous en refusons l'évidence) est le fléau contre lequel nous devons mener une guerre impitoyable. Si nous doutions encore du danger de la perversité de cette œuvre, rappelons-nous que ce sont les chefs religieux (et non les Juifs) qui ont fait condamner Jésus-Christ à la mort sur la croix. Mais rappelons-nous aussi qu'ils furent suivis par une foule de gens qu'ils tenaient sous leur domination et qu'ils ont ainsi entraîné dans leur condamnation eux et les athées.
Nous devrions redonner au Saint-Esprit la place qui est la sienne et le rôle qui est le sien. Ce rôle est celui de nous appeler, de nous prendre à part, puis de nous conduire ensuite dans le secret de notre cœur.
Le secret de notre cœur est le lieu où nous avons le moins facilement accès en raison de l'influence que peuvent avoir sur nous le mensonge, l'hypocrisie, les fausses doctrines...bref le mal sous toutes ses formes y compris les plus alléchantes dont celle du pouvoir.
Le Saint-Esprit nous a été donné pour nous conduire dans toute la vérité. Je crois que la première d'entre ces vérités est celle qui concerne notre cœur et ses motivations. Mais dira-t-on, se retirer dans un lieu particulier, d'accord mais quand, combien de fois, combien de temps ? N'est-ce pas plutôt à un style de vie auquel Dieu nous appelle ? Ne peut-on pas, même au milieu de la foule, se retrouver avec le Seigneur dans le secret du cœur ?
Oui bien sûr, et cette capacité, si nous l'avons, est un véritable don du Ciel qu'il ne faut négliger sous aucun prétexte, mais cela ne sera jamais aussi profond et intime que lorsque nous serons seuls, physiquement, dans Sa présence. La présence de Celui qui ne voudra jamais que nous soyons courbés devant qui que ce soit, y compris Lui, par un fardeau ou un joug injuste, et dont l'œuvre sur terre et ensuite depuis le Ciel d'où Il est Roi est précisément d'ôter “ toute forme de joug ” (Esaïe § 58 v 6) afin que nous nous tenions debout. Droit et non courbé.
Les divers renoncements dont il a été question au début peuvent nous apparaître, a priori, et plus encore quand nous le pratiquons comme des actes qui imposent une certaine violence. Mais n'est-ce pas aussi ce que voulait dire Jésus quand Il dit : “ Depuis les jours de Jean le Baptiste jusqu'à présent, le Royaume des cieux est assailli avec violence ; ce sont des violents qui l'arrachent ” ?