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Samizdat

Avatar: La quatrième dimension.


Avatar: James Cameron

Denis Grenier

J’ai vu Avatar deux fois. La première fois, je me suis laissé emporté par la beauté des effets visuels et le rythme de l’histoire. J’ai été impressionné par la grande qualité des images de synthèses et de l’efficacité de la technologie 3D. Mais les performances de l’équipe technique ne suffisent pas à me faire apprécier un film. Il me faut une bonne histoire. En me dirigeant vers la sortie, j’ai pensé spontanément au western « Il danse avec les loups ». En gros, c’est la même histoire en version SF. C’est le même contraste noir et blanc entre les bons et les méchants, cow-boys et indiens. Rien de nouveau sous le soleil. Pourtant, je ne me suis pas ennuyé un seul instant. James Cameron est excellent conteur et excellent cinéaste.

Un ami m’a fait remarquer que le terme « avatar » est un terme sanscrit, et que certaines divinités hindoues sont représentées avec la peau bleue. J’ai consulté mon édition illustrée de la Bhagavad-Gita : c’est ainsi qu’est représenté Krishna. Et les Na’vi chevauchant les lézards volants évoquent étrangement Vishnu sur le grand oiseau Garuda. Il y aurait allusion sinon référence directe à l’hindouisme[1]. Cette référence s’accorderait bien avec les leçon que la belle Neytiri adresse à Jake tout au long de sa formation. Son exposé sur la communion avec la nature et l’unité fondamentale de tout ce qui la compose, y compris les Na’vi, colle parfaitement à la vision du monde des spiritualités orientales.

Je pense que James Cameron nous livre dans ce film ce qui correspond à sa vision du monde, son « credo » en quelque sorte. Cameron n’avait pas produit un grand film depuis Titanic. Il s’était lancé depuis dans la production de documentaires pour faire valoir son point de vue sur des thèmes bibliques, comme l’exode des Hébreux ou la tombe de Jésus. Mais tout ce qu’il a réussi à prouver, c’est qu’il est plus doué pour le cinéma que pour l’archéologie et l’histoire des religions. À chacun son truc.

Une scène a retenu mon attention dans le film. Jake, version Na’vi, s’approche de l’Arbre-mémoire pour adresser une prière à Eiwa (la Nature). Il prie Eiwa de se dresser contre les envahisseurs en portant secours aux Na’vi. Neytiri, sa copine, qui a entendu sa prière, vient vers lui et le corrige gentiment : Eiwa ne prend pas parti dans une guerre, dit-elle, puisqu’elle n’a d’autre rôle que de veiller à l’équilibre de la nature. Pas bête la petite (ou la grande) ! C’est tout à fait juste ! La Nature est indifférente au bien et au mal ; elle ne saurait prendre parti pour l’un ou pour l’autre. Elle n’a pas de caractère personnel ou moral. Or, à ma grande surprise, voilà qu’Eiwa sort de la neutralité et qu’elle participe à l’effort de guerre en mobilisant tous les animaux de Pandora ! À couper le souffle (ou s'étouffer avec le pop-corn) !

On trouve une scène semblable dans Narnia, Prince Caspian. Les troupes du roi Miraz ont engagé le combat contre les Narniens. Même topo. Lucy est partie seule dans la forêt dans l’espoir de trouver Aslan. Lorsqu’il se manifeste, elle lui adresse aussitôt sa prière. Aslan s’élèvera-t-il contre l’envahisseur ? Prendra-t-il part à la guerre ? Il le fera. Aslan rugit pour réveiller les arbres et les engager dans la bataille. On connaît la suite. À la différence d’Eiwa, Aslan est le Seigneur de Narnia. Il a l’attribut personnel et le caractère moral. C. S. Lewis, l’auteur, était chrétien, alors que James Cameron ne l’est pas. Dans la vision du monde de Cameron, la Nature se substitue nécessairement à Dieu. Le problème, c’est que l’auteur n’est pas cohérent avec son propre univers. Avatar commence sur Pandora et se se clôt à Narnia. Pourquoi ? À mon avis, ça tient au fait que Cameron est confronté, comme tous les hommes, à une réalité métaphysique qu’il est bien obligé d’appeler « mal ». C’est l’incontournable réalité du bien et du mal qui le fait passer, bien malgré lui, de Pandora à Narnia. Car dans l’univers de Pandora, le bien et le mal sont, en dernière analyse, des notions vides de sens. Si la Nature est tout ce qui existe, que peut bien représenter le bien ou le mal? La Nature peut bien assister au génocide des Na’vi : ça ne signifie rien pour elle. Ça ne prend une signification particulière qu’à Narnia, dans l’univers judéo-chrétien de Lewis. À mon sens, Cameron a fait ce choix parce que sa vision du monde et sa métaphysique se montrent incapables de rendre compte de l’expérience humaine du bien et du mal.

Il y a bien une autre possibilité. C’est que la religion de Cameron soit moins sophistiquée et plus archaïque encore que l’hindouisme ; c’est qu’elle soit tout simplement «animiste». Pour l’hindouisme, la multitude des figures divines ne sont que les avatars (les formes d’emprunt) de la divinité, une et impersonnelle. Pour l’animiste, il y a des esprits derrière la pierre, l’arbre, le bois... esprits bienveillants ou malveillants, à qui il convient d’offrir sacrifices et prières. Comme l’a dit le prophète (Es 44. 16-17) :

L’apôtre Paul a vu juste. Lorsque l’homme rejette la révélation que Dieu donne de lui-même, il est voué à l’incohérence, « il se perd en raisonnements futiles et son cœur est plongé dans les ténèbres » (Rm 1.21-22).


Commentaires du webmestre

À mon avis, des films tels que Avatar, avec sa mise en scène d'un néo-paganisme, sont un indice supplémentaire que la cosmologie matérialiste liée à la vision du monde des Lumières (représenté par toutes les sortes d"ismes") qui a tant dominé le 20e siècle, s'est beaucoup effritée. Le film Avatar restitue, dans un contexte sci-fi, la vision du monde postmoderne dominant à peu près sans partage sur notre génération. Ce film est donc le reflet fidèle de bon nombre de croyances de notre génération. C'est d'ailleurs un élément important expliquant son succès au box-office. Si autrefois le matérialisme et le rejet de Dieu étaient de rigueur, aujourd'hui la religion et l’ésotérique sont perçus comme "cool". Et dans le même genre, on peut aussi penser aux films Harry Potter ou Twilight glorifiant l'occulte (et avant cela, tous les films de Disney glorifiant la "magie"). Auteur de science-fiction américain, Kurt Vonnegut illustre bien le cas d'une conversion d'un adepte de la vision du monde Lumières à la vision du monde postmoderne.

Dans le recueil Wampeters, Foma & Granfalloons, l'athée un peu atypique qu'est Vonnegut résume l'évolution de sa pensée personnelle à ce sujet. À ce titre, il constitue un bel exemple de l’évolution des croyances au XXe siècle où l’héritage du Siècle des Lumières subit une remise en question et doit faire place à un nouveau système de croyances. Vonnegut indique que, dans sa jeunesse, il était un optimiste et croyait que la Science allait nous conduire au Nirvana, au Progrès. Il croyait que les scientifiques allaient rapidement découvrir comment tout fonctionne et par la suite pourraient faire en sorte que tout aille mieux. Il s’attendait qu’avant ses vingt et un ans, un scientifique aurait pris une photo de Dieu qui serait publiée dans la revue Popular Mechanics. Tous les grands mystères de la vie seraient ainsi résolus. Mais de cet optimisme initial, les dures réalités de la guerre et de la vie ordinaire l’ont conduit au pessimisme et à la remise en question des idées reçues du Siècle des Lumières. C’est plutôt à vingt et un ans que Vonnegut a été témoin de la destruction massive de la ville de Dresde en Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale. Il note avec ironie que sa génération a vu larguer la vérité scientifique sur Hiroshima. Lors d’une allocution de graduation dans un High school, Vonnegut indique qu’à la suite de ces événements, il eut une conversation intime avec lui-même et nous livre le résultat de l’échange (1975: 162) :

Certains évangéliques seront peut-être d'avis que cette «ouverture à la religion» chez les postmodernes (ce qui contraste avec le matérialisme zélé des devots des Lumières qui a tant dominé le 20e siècle) sera favorable à l'Évangile. J'en doute très fort, car mes études sur la question (voir Fuite de l'Absolu en particulier) exposent le fait que le postmoderne s'intéresse presqu’exclusivement aux aspects superficiels des religions afin de démontrer sa croyance que les religions sont tous pareils .Les points où les religions se contredisent sont ignorés, masqués. C'est donc une lecture très biasée de la religion et du Christianisme en particulier. Par ailleurs, le postmodernisme déteste et ne peut tolérer les concepts de jugement et de vérité, c'est-à-dire qu'il puisse exister quelque chose au-dessus de l'individu (ou de nos élites) devant lequel ils auraient des comptes à rendre. Ainsi, si le postmoderne si dit ouvert à la "religion ", cela inclue tout, sauf le christianisme véritable...

Et dans mes moments pessimistes et, à moins d'une Réforme véritable dans nos églises évangéliques, je me demande si toute cette fascination avec le spirituel dans la génération qui nous entoure ne risque plutôt de préparer la venu de la religion de l'Antéchrist et son prophète qui sont prédits dans les chaps 13-16 de l'Apocalypse. Est-ce que les évangéliques de notre génération seraient capables de résister à cette tentation?


baille!

Paul Gosselin


Voir aussi ces comptes rendus:

Carl Wieland Avatar and the ‘new’ evolutionary religion.

Stephen Hunter James Cameron’s Unbelievium.Commentary February 2010

Et les commentaires francassants tirés dans un sermon du pasteur Mark Discoll


Notes

[1] - Je pense ici à l’hindouisme philosophique, au panthéisme, et non à l’hindouisme populaire polythéiste. L’hindouisme doit être vu comme un spectrum. À l’une de ses extrémités se trouve la croyance en une multitude de dieux personnels et finis. Cet hindouisme est polythéiste. À l’autre extrémité du spectrum se trouve la croyance en une réalité unique, infinie et impersonnelle (Brahman), qui est censée expliquer la diversité des entités à la lumière d’une entité unique et indifférenciée. Cette philosophie est appelée panthéisme. C’est la contribution indienne au mouvement du Nouvel Âge. D’après cette philosophie il n’y aurait qu’une seule réalité - Brahman - et la diversité des choses que nous observons dans le monde serait une illusion ou, au mieux, les manifestations au niveau inférieur de cette seule réalité. (Source: L. T. Jeyachandran, Beyond Opinion, Living the Faith That We Defend, Thomas Nelson, 2007, p. 81-82)