Troisième partie
Brian Godawa
Ayant à l'esprit ces concepts de base touchant la nature du mythe et la structure du récit, voici un résumé des choses qu'il faut noter lorsqu'on regard un film afin de comprendre quelle est la notion de rachat[2] est vous est transmise en tant que spectateur:
1) Recherchez le protagoniste et l'antagoniste.
Considérez de quel côté vous allez prendre. Avec la tendance relativiste en évidence dans le cinéma moderne, la désintégration des notions de bien et du mal, la remise en question de la vertu, les héros deviennent plus des méchants et les méchants sont vantés comme des héros. Le protagoniste, est-il un héros avec un défaut dont il doit surmonter comme dans La vie est belle, Histoire de jouet ou Forrest Gump? Ou est-ce que le héros est un truand que l'on a rendu sympa par le biais de traits attendrissants comme dans Stars et truands / Get Shorty, Le Parrain, Bugsy, ou Pulp Fiction. Est-ce que vous prenez la part du truand, afin qu'il réussisse son crime, simplement parce qu'il est joué par un acteur "cool" comme Jack Nicholson ou Robert DeNiro? Est-ce que le méchant est associé aux maux de religion et de la moralité traditionnelle comme dans Sept, À l'ombre de Shawshank ou Cape Fear? Le protagoniste/ héros et l'antagoniste/ scélérat représentent des visions du monde en compétition pour donner sens à nos existences.
2) Recherchez la faiblesse/le défaut/ le besoin du héros.
Dès le début vous devez être en mesure de reconnaître ce que recherche le héros et ce que l'empêche d'atteindre cet objectif. Qu'est-ce qui cloche avec sa perception des choses, sa vision du monde? Examinez d'abord son comportement, ensuite son raisonnement ou la manière dont il justifie ses croyances ou son comportement. Par ce biais, on fixe le contexte de son besoin de rachat. Par ailleurs, recherchez la même chose, mais d'un angle différent, en examinant les personnages secondaires. Leurs défauts sont habituellement des reflets du personnage principal. Et leur sort reflète divers aspects du thème.
3) Recherchez le moment de prise de conscience du héros.
Il s'agit d'un moment, près de la fin du film, où le héros fait un discours touchant ce qu'il vient d'apprendre sur la vie ou comment il a changé sa perception des choses. Il s'agit du point névralgique du récit. C'est à ce moment que le scénariste nous indique comment nous devons agir ou ne pas agir dans ce monde.
4) Examinez le raisonnement du méchant.
Pourquoi agit-il de la sorte ? Sa conception des choses est habituellement livrée dans un discours vers le début du film ou encore révélée à la fin, dans l'affrontement avec le héros. Il s'agit de la vision du monde que le film veut discréditer à nos yeux. Rappelez-vous, l'exagération même d'un trait de caractère d'un personnage peut être le reflet subtil d'un point de vue moins extrême. Jack Nicholson, dans Des hommes d'honneur n'incarnait pas simplement un général militaire despotique. Aux yeux du scénariste, il représentait la fin logique d'une philosophie militaire. Le discours infâme sur la cupidité dans Wall Street le personnage de Gordon Gecko (joué par Michael Douglas), ne traduit pas simplement la vie réelle du courtier Ivan Boesky, mais un groupe important de gens réels dans le monde réel des finances et de la bourse.
5) Examinez quels sont les facteurs qui font les changer d'attitude les personnages et pourquoi ils ont cet impact.
Il s'agit ici du moyen de rédemption offert par le film. Dans Le docteur, William Hurt, un médecin insensible, apprend à devenir une personne compatissante lorsqu'il est forcé d'endurer les traitements de son propre système, dont il était froidement inconscient des conséquences. Le moyen pour son rachat était simplement de se voir placer, lui-même, dans la situation de l'un de ses patients. Dans A Propos d'Henri, le personnage d'Harrison Ford, un avocat si aveuglément ambitieux et si narcissique que seule l'amnésie d'un coup de feu à la tête peut lui donner l'objectivité afin de se voir telle qu'il est réellement et se racheter lui-même de cet état. Tandis qu'il nous est peut-être pas nécessaire de se voir atteindre par un coup de feu à la tête pour atteindre une telle objectivité, nous pouvons certainement apprendre la leçon que nous devons opérer des changements dramatiques dans nos vies de manière à briser notre aveuglement face à notre égoïsme.
6) Qui gagne? Qui Perd? Qui meurt? Pourquoi?
Celui qui gagne est le prototype du personnage idéal du scénariste. Il concrétise la conception du scénariste de comment nous devions être. Celui qui perd est l'avertissement du scénariste de comment nous devions ne pas être. Et s'il est assez astucieux, ses gagnants et perdants représenteront de près la manière dont certains gens pensent réellement dans le monde. Celui qui meurt représente souvent le point de vue plus faible, qui ne mérite pas de survivre dans ce monde. Dans La firme, Gène Hackman se conduit lui-même à sa mort car la malhonnêteté et la corruption affaiblit la détermination d'être au-dessus du mal du méchant. Dans La société des poètes disparus, un étudiant qui se tue lui-même à cause de son incapacité à désobéir à son père oppressif, avance le point de vue, que de manière ultime, la soumission à l'autorité parentale abouti à l'autodestruction. Et une telle fin est perçue comme inévitable car le besoin d'exprimer son individualité est considéré comme absolu dans le film.
Mais prenons garde. La mort peut avoir plus d'un sens. Le contexte de la mort peut changer sa signification. Par exemple, dans Braveheart, le héros, Wallace, meurt pour une cause noble: la liberté. De son martyre, la victoire a été, dans le cours du temps, forgée pour son peuple. Inversement, Tristan, le rebel et esprit libre dans Légendes d'automne, meurt effectivement à la fin, mais puisqu'il représente le sauvage, noble et héroïque, libre des règles des hommes ou de Dieu, sa mort autodéterminée, déchiré par un ours, constitue en effet sa victoire et la démonstration ultime de son pouvoir. Il choisit sa fin, aux mains d'une nature non-souillée par l'homme civilisé. Dans ce film, on fait de l'homme sauvage et égoïstement destructeur le héros, tandis que son frère, le politicien, qui tente de faire le bien, termine sa vie dans la misère et le désespoir, ayant le regret de ne pas avoir acquis le mépris passionné des autres démontré par son frère!
7) Quelles sont les conséquences du comportement des personnages ?
Si un comportement n'a pas de conséquences négatives alors il est probable qu'on le considère légitime. Dans Stars et truands (Get Shorty) Chili réussite prouve qu'en faisant appel au machismo commun chez les gangsters, accompagné d'une touche de sensibilité, on peut obtenir un bon succès dans l'industrie du divertissement. Si des comportements ou croyances résultent dans des conséquences négatives alors il s'agit de traits de caractère indésirables pour la société. Dans La société des poètes disparus, la tradition, la discipline et l'honneur, le slogan de l'administration de l'école ainsi que l'autorité parentale, sont considérés comme étouffants ou destructeurs de la liberté individuelle, dont la conséquence extrême est le suicide.
8) Recherchez les expressions qui se répètent.
Souvent, une expression, qui dirige l'attention sur ce qui le scénariste tente de communiquer, sera répétée tout le long du film. Dans La société des poètes disparus il s'agit de Carpe Deum, Saisit le jour. Dans Forrest Gump, il s'agit de la phrase: "Mama m'a toujours dit, La vie est comme une boîte de chocolats. Vous ne savez jamais ce que vous allez découvrir", et Le stupide est révélé par ses actes stupides[3]. Dans Univers des ombres, nous entendons, à plusieurs reprises, que "la douleur est le mégaphone de Dieu à un monde sourd" et "la douleur présente fera partie du plaisir ultérieur".
9) Prenez note de la scène de la fin.
C'est un point plutôt banal, mais souvent négligé. Est-ce que le méchant réussi à se sauver comme il le fait dans Le silence des Agneaux, Usual Suspects ou Tueurs Nés / Natural Born Killers? Si oui, alors le message du film est que le crime paie. Si les méchants sont attrapés, comme dans la plupart des films, alors une partie du message est que crime ne paie pas. Il faut se rappeler que la nature de renversement de tragédie ici, quoique. Une bonne tragédie, comme Les vestiges du jour qui termine avec Anthony Hopkins qui ne parvient jamais à gagner l'amour de la femme de son cœur, est un renforcement négatif de la valeur positive que nous devons prendre des risques et communiquer, à défaut de tout perdre.
10) Prenez note du type de rachat qui est impliqué par le film.
La plupart des films opèrent aujourd'hui dans le contexte d'une vision du monde humaniste. On dépeint habituellement un rachat qui se réduit à une forme d'affirmation de soi ou un rachat opéré par les forces morales propres au protagoniste. L'homme est considéré la mesure de son propre potentiel. Dans La société des poètes disparus, le rachat est transmis par l'enseignant Keating qui considère que puisque l'homme n'est rien d'autre que de la nourriture pour les vers et qu'il n'y a aucune vie après la mort, il faut "Saisir le jour" (Carpe Diem) en rejetant toute contrainte morale et sociale afin de réaliser son potentiel personnel.
Une autre forme populaire de rachat humaniste est l'existentialisme. Dans cette perspective, on affirme que l'homme existe dans un univers essentiellement irrationnel ce, ce qui le conduit au désespoir (angst[4]). Le rachat se fait alors par une prise d'initiative pour s'affirmer par le biais d'un engagement ou choix personnel. Forrest Gump est un exemple populaire de ce type de rachat. La plupart de films de Woody Allen, ainsi que La vie, l’amour, les vaches ! / City Slickers, Un jour sans fin / Groundhog Day, Légendes d'automne, Babe, et d'autres avancent une perspective similaire.
Un concept de rachat de plus en plus populaire au cinéma est le mysticisme oriental. Le mysticisme peut prendre plusieurs formes parmi lesquelles les deux plus communes sont le monisme et le dualisme. Le dualisme correspond à la notion de rachat de La guerres des étoiles. Vous savez, le côté lumineux et le côté obscur de la Force. Ghost est un bon exemple de dualisme où les gens mauvais sont atteints par une punition spirituelle et les bonnes personnes, qui embrassent leur côté lumineux, en relâchant leur contrôle sur d'autres, entrent dans le Nirvana. Powder est un exemple efficace de la position moniste. Dans Powder, le personnage principal, un garçon transformé en génie insolite par une décharge lors d'un orage électrique, affirme à sa copine que le problème de l'humanité est que nous établissons des distinctions ou des séparations entre nous. Si seulement nous voyions l'unité de toutes choses (monisme), nous pourrions alors vivre en paix. L'illumination vient par l'abandon de perspectives obscurcies en expérimentant l'unité avec toutes choses. Un chasseur, adjoint au shérif, remise ses fusils après avoir expérimenté l'unité avec un cerf mourant qu'il a abattu. Le shérif trouve la paix après avoir expérimenté l'unité avec sa femme mourante et inconsciente et son fils avec lequel il est brouillé.
Un quatrième type de rachat est la notion judéo-chrétienne d'expiation par le biais d'un substitut où les hommes doivent rechercher le pardon de Dieu. Cette approche est extrêmement rare au cinéma, ce qui ne devrait pas nous surprendre étant donnée l'animosité que ressentent bien des gens à Hollywood à l'égard de cette influence dominante sur la civilisation occidentale. Mais il y a tout de même quelques exceptions comme Les chariots de feu, Tender Mercies, Univers des ombres[5] ou The Addiction, films qui dépeignent la notion judéo-chrétienne du rachat dans leurs personnages. Dans The Addiction, le vampirisme est exploité comme une métaphore pour l'attraction de plus en plus forte de l'humanité au mal. La protagoniste du récit, une étudiante en philosophie à la N.Y.U., bascule de plus et plus profondément dans la dépravation du vampirisme et se rend compte que la philosophie humaine ne peut expliquer suffisamment le péché ou le mal, mais dans les faits le produit et le justifie. Ce n'est qu'au moment où elle est totalement livrée à la destruction des autres et qu'elle atteint son point le plus bas qu'elle se repent et place sa foi en Dieu pour le pardon. Sa vieille personnalité de vampire est alors anéantie et ensevelie et sa nouvelle personnalité s'épanouit dans la liberté.
Un autre film qui s'approche de la notion de rachat judéo-chrétienne est État Second / Fearless où joue l'acteur Jeff Bridges. Le personnage de Bridges survit à un accident d'avion et acquiert par la suite un complexe du messie avec des illusions d'immortalité tandis qu'il guérit d'autres de leurs craintes et de leur culpabilité et qu'il triche lui-même avec la mort. Ce n'est qu'au moment où son orgueil le conduit à une expérience près de la mort qu'il se rend compte qu'il ne peut pas se sauver lui-même mais doit être sauvé par un autre. Une métaphore puissante pour le christianisme.
À Hollywood, il semble que le rebelle véritable soit l'écrivain ou scénariste qui ose défier les conventions et produire un récit où le héros ou l'héroïne trouvent le rachat par le biais de la repentance et la foi.
Par ailleurs, il faut noter que toutes ces histoires de rachat ne constituent pas des philosophies complètes et bien développées. Souvent, ils affirment des valeurs simples comme la valeur de soi étant basée sur l'acceptation de soi-même, sans égards à l'approbation des copains (Histoire de jouet, Stand By Me), ou les dangers de faire confiance à la technologie (Le Parc jurassique, Terminator). Mais même ces valeurs secondaires nous renseignent comment nous devons ou ne devons pas vivre dans cette vie.
Le rachat
Ainsi l'histoire se poursuit. Les films tirent tout leur sens du récit, c'est le cœur du film. Et le récit tourne de manière centrale, cruciale, principalement, autour de la notion de rachat. Avec les outils appropriés en main on peut, avec précision et objectivité, discerner les messages, visions du monde et philosophies de vie qui sont communiqués par le biais du cinéma. Ce n'est pas nécessaire, pour apprécier un film, de mettre de côté ses facultés critiques. Et le plaisir du divertissement n'abouti pas nécessairement à l'abdication irréfléchie du jugement permettant la manipulation des émotions. Joignez la révolution! Lorsque vous sortez d'une salle de cinéma et que l'on vous demande ce que vous pensez du film, ne répondez plus jamais encore bêtement, "Je l'ai aimé", ou "J'ai pas aimé". Que vous puissiez porter une explication nuancée de votre évaluation de ce que le film/ récit tentait réellement exprimer. Le cinéma, ce n'est pas, après tout, que du cinéma...
Brian Godawa est un scénariste vivant en Californie du sud. Il a un diplôme en arts avec une formation en publicité et marketing. Godawa est l'auteur d'un livre intitulé "Hollywood Worldviews: Watching Films with Wisdom and Discernment." chez InterVarsity Press (2002). Pour retrouver des articles stimulants et controversés (en anglais) sur la philosophie et le cinéma, visitez son site web: www.godawa.com
NOTES
[1] - Avec permission, traduction Paul Gosselin.
[2] - NdT: En anglais "redemption", notion qui s'approche du concept évangélique de "salut".
[3] - NdT: Difficile à rendre en français. En anglais: " Stupid is as stupid does".
[4] - NdT: Acronym pour Angoisse et Stress.
[5] - NdT: On le voit aussi sous le titre "Ombres du Coeur".
Autres ressources
Brian Godawa (2019) Follow Your Heart And Other Hollywood Lies. (Podcast #29: The Babylon Bee)