Paul Gosselin
Récemment, un copain chrétien m'a filé un lien web (URL) d'un clip vidéo de l'auteur américaine Elizabeth Gilbert d'une présentation faite en fév. 2009 à Long Beach en Californie (en ANGLAIS). Dans ce clip, elle discute du côté sombre et dysfonctionnel de la créativité et des dangers psychologiques que son exercice peut comporter pour l'artiste ou la personne créative. Et pour illustrer la question, elle expose, avec beaucoup de courage, les effets et craintes que cet exercice peut avoir dans sa propre vie.
Je devine que c'est un prof d'art qui l'as filé ce truc à mon copain étudiant.
Mais enfin, voici le lien qui suit donne accès au vidéo:
Elizabeth Gilbert on nurturing creativity. (TED videos)
La présentation de Mme Gilbert comporte plusieurs observations fort intéressantes. Je peux m'identifier aux luttes, craintes et joies qu'implique l'exercice de la créativité ainsi qu'aux épisodes curieux d'inspiration que décrit cette dame. Il m'est arrivé plus d'une fois devoir courir pour du papier.
Il faut bien s'entendre que Mme Gilbert ne sappuie pas sur une perspective chrétienne. Du moins, je n'ai rien vu dans cette présentation qui serait l'Indice d'une perspective chrétienne. Ses fondements (cosmologiques) sont plutôt postmodernes. Par exemple, en abordant la question de la responsabilité de l'artiste dans sa production (et le stress que cela entraîne), bien souvent l'exigence de productivité créatrice peut déstabiliser bien des artistes. Est-ce que mon prochain truc sera un succès ou serait-il rejeté? Comme le note Mme Gilbert bien des artistes craquent sous la charge. Mais pour sa part, Mme Gilbert propose de couper avec la tradition matérialiste des Lumières (qui fait de l'individu l'unique source de la créativité) et cherche à se rapprocher avec des conceptions plus antiques, comme chez les Grecs et les Romains qui concevaient que la créativité était due à l'intervention d'un esprit ou muse auprès d'un humain créatif. Si on conçoit les choses ainsi, désormais l'artiste ne porte pas TOUTE la charge de la responsabilité pour l'inspiration de son oeuvre.
Cela me rappelle la perspective du romancier athée américain Kurt Vonnegut. Dans une collection darticles publiés sous le titre Wampeters, Foma & Granfalloons, il résume à sa manière l'évolution de sa pensée personnelle à ce sujet. À ce titre, il constitue un bel exemple de lévolution des croyances au XXe siècle où lhéritage du Siècle des Lumières subit une remise en question et doit faire place à un nouveau système de croyances. Vonnegut indique que, dans sa jeunesse, il était un optimiste et croyait que la Science allait nous conduire au Nirvana, au Progrès. Il croyait que les scientifiques allaient rapidement découvrir comment tout fonctionne et par la suite pourraient faire en sorte que tout aille mieux. Il sattendait quavant ses vingt et un ans, un scientifique aurait pris une photo de Dieu qui serait publiée dans la revue Popular Mechanics. Tous les grands mystères de la vie seraient ainsi résolus. Mais de cet optimisme initial, les dures réalités de la guerre et de la vie ordinaire lont conduit au pessimisme et à la remise en question des idées reçues du Siècle des Lumières. Cest plutôt à vingt et un ans que Vonnegut a été témoin de la destruction massive de la ville de Dresde en Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale. Il note avec ironie que sa génération a vu larguer la vérité scientifique sur Hiroshima. Vonnegut indique, lors dune allocution de graduation dans un lycée quà la suite de ces événements il eut une conversation intime avec lui-même et nous livre le résultat de léchange (1975: 162) :
"" Hey, caporal Vonnegut ", je me suis dit, " peut-être que tu avais tort dêtre optimiste. Peut-être que le pessimisme, cest le truc quil faut. " Depuis, jai été un pessimiste assidu, avec quelques exceptions. Par exemple, pour persuader mon épouse de me marier, inévitablement jai dû lui promettre que lavenir serait merveilleux. Par la suite, jai dû mentir sur lavenir à chaque fois quelle pensait à avoir un enfant. Et jai dû lui mentir à nouveau à chaque fois quelle menaçait de me quitter parce que jétais trop pessimiste.
(1975 : 163-164) Je sais que des millions de dollars ont été dépensés pour produire ce splendide groupe de gradués et que lespoir le plus cher de vos enseignants a été, quau bout du processus, vous ne seriez plus superstitieux. Je regrette, mais je dois défaire ce projet maintenant. Je vous supplie de croire à la superstition la plus colossale dentre elles toutes, cest-à-dire que lhumanité est le centre de lunivers, à la fois laccomplissement et lanéantissement des rêves les plus grandioses du Dieu tout-puissant. Si vous pouvez y croire et persuader dautres dy croire, alors on peut nourrir quelque espoir. Si les humains peuvent cesser de se traiter les uns les autres comme des déchets pour sapprécier et se protéger plutôt, alors il se peut quil soit à nouveau souhaitable davoir des enfants. Mais si vous me ressemblez un peu, plusieurs dentre vous auront des enfants de toute manière. Comme le disait le poète Schiller " Contre la stupidité, même les dieux sacharnent en vain. ". En ce qui concerne lastrologie et la chiromancie, ce sont de bonnes choses, car elles donnent aux gens de lénergie et le sentiment des possibilités de la vie. Cest le communisme à son meilleur, car tous ont une date de naissance et une paume de main."
Vonnegut aussi rejette le matérialisme pur et dur et en arrive donc à la religion postmoderne où la grande Vérité scientifique est abolie. Pour Vonnegut, la porte est désormais ouverte à la mystique et même à locculte. Ce n'est pas pour rien que les Harry Potter sont dans les best-sellers. Notre génération a soif de "spirituel", mais ne se soucie pas à quelle source elle s'abreuvera...
Mais pour revenir à la présentation de Mme Gilbert, il semble bien qu'elle suit Vonnegut dans son rejet de la vision des Lumières, le rationalisme et en particulier la matérialisme si morne qui a dominé le 20e siècle. À mon avis le chrétien peut rejeter comme Gilbert le matérialisme, mais sans aboutir à une perspective postmoderne où l'on valorise le "spirituel" sans aucun discernement. Là où Gilbert attribue la créativité à des "esprits" ou "daemons", le chrétien aura une explication différente touchant la source de ses dons. C'est-à-dire à partir d'une perspective fondée sur les Écritures. Il n'a pas besoin d'être pris au piège entre une vision matérialiste (où il porter à lui seul sur ses épaules toute la charge psychologique du travail créatif lorsqu'il est question de la réussite ou le rejet de ses uvres) et une perspective postmoderne où lon invoque des "esprits" ou démons qui influencent la créativité... Car touchant la source des dons artistiques, scientifiques, intellectuels ou administratifs, les Écritures nous disent que
"toute grâce excellente et tout don parfait descendent d'en haut, du Père des lumières, chez lequel il n'y a ni changement ni ombre de variation." (Jacques 1: 17)
Certains évangéliques seront tentés possiblement d'examiner la vie de tel ou tel artiste et s'adonner à des spéculations sur la source de leur inspiration. Est-ce de Dieu, d'anges ou de démons? Est-ce possible de répondre à de telles questions? Bien que les Écritures laissent entendre qu'il soit possible que des démons puissent influencer les hommes lorsqu'ils s'éloignent de la vérité, mais à mon sens ce n'est pas à nous à juger sur de telles questions. La question qui me semble primordiale est le constat que TOUS les hommes, qu'ils soient des artistes, adulés ou incompris, scientifiques, pasteurs, intellectuels ou chauffeurs de taxi, un jour tous auront des comptes à rendre devant Dieu des dons qu'ils ont reçus. Et nous, que faisons-nous des dons et talents qu'IL nous accordés? La source de notre inspiration n'est donc pas la question la plus importante, mais plutôt les fruits qui en résultent. les Écritures nous disent
"Je vous le dis: au jour du jugement, les hommes rendront compte de toute parole vaine qu'ils auront proférée." (Mt 12:36)
Évidemment notre génération réagie de manière plutôt paranoïaque lorsque le mot jugement est prononcé... Mais il faut noter que Dieu est juste et le verset ci-dessus vise autant les pasteurs ayant promu de la théologie superficielle, que les rockeurs ayant fait la promotion de la vie de débauche... Par aileurs, les Écritures avertissent:
Car personne ne peut poser un autre fondement que celui qui a été posé, savoir Jésus-Christ. Or, si quelqu'un bâtit sur ce fondement avec de l'or, de l'argent, des pierres précieuses, du bois, du foin, du chaume, l'oeuvre de chacun sera manifestée; car le jour la fera connaître, parce qu'elle se révèlera dans le feu, et le feu éprouvera ce qu'est l'oeuvre de chacun. Si l'oeuvre bâtie par quelqu'un sur le fondement subsiste, il recevra une récompense. Si l'oeuvre de quelqu'un est consumée, il perdra sa récompense; pour lui, il sera sauvé, mais comme au travers du feu. (1Co 3: 11-15)
Qu'en est-il de nous? Est-ce que nos uvres ont étés érigé sur le fondement solide ou plutôt sur la pensée du monde, la pensée du monde qui domine notre génération? Et pour pousser plus loin la réflexion sur le développement d'une perspective chrétienne sur les arts, voir mon livre Hors du ghetto.
Mais les Écritures offrent une autre source de secours pour l'artiste, il s'agit de l'Église. Ah... je vois déjà les sourires ironiques sur certains visages d'artistes. " Tu penses que je vais me tenir avec ces #&%&$ qui ne comprennent rien à mon art? " Je sais très bien que bon nombre d'artistes dont les talents ne rentrent pas dans les créneaux traditionnels de la culture évangélique, ne se sentent pas à l'aise dans une église locale. C'est une question que j'examine avec plu de détails dans le chapitre l'Exil dans mon livre Hors du ghetto. Très souvent l'artiste sera tenté de se réfugier dans un réseau d'amis qui comprennent. Il n'y a rien de mauvais d'avoir un réseau d'amis qui comprennent, mais ça ne remplace en aucun cas appartenir à une église locale. Un jour viendra où l'artiste aura besoin de la foi des autres et, à l'inverse, un jour pourra venir où les autres auront besoin de la foi de l'artiste. Dieu veut que nous soyons en famille ou d'autres peuvent nous aider à porter notre charge.