Paul Gosselin (2010)
Récemment un contact internet m’a envoyé un message avec
une question aussi intéressante qu’embêtante sur le champ
littéraire chez les évangéliques. Voici la question initiale,
suivie des échanges :
J'aimerais savoir si vous connaissiez un poète, écrivain ou autre chrétien du genre dans toute la francophonie qui vaille la peine d'être lu pour autre chose que ses écrits théologiques/apostoliques et autres. Merci !
Ma réplique (PG)
Lukas,
Ouais, vous avez bien dit auteurs FRANCOPHONES... C’est gênant, mais il y a rien à vrai dire. Par contre, on trouve pas mal d’auteurs anglophones traduits en français (CS Lewis, Peretti, Stephen Lawhead), mais des auteurs francophones... Euh… Bon je ne prétends pas avoir une connaissance omniprésente de la culture francophone évangélique, mais s’il y a de tels auteurs ils sont TRES discrets... Et si je me trompe à ce sujet, je n’en serais que trop heureux... Il y a Alain Auderset qui fait de la BD, mais pour ce qui est du roman....
Je fais ce constat de cette lacune béante depuis bien des années (voir Hors du ghetto), mais je ne me l’explique toujours pas. Avec l’amour de la langue typique chez les francophones, on trouve à peu près rien par des protestants ou évangéliques francophones sur le plan littéraire.
Ça m’afflige d’autant plus que les moyens de publication et de diffusion sont multiples maintenant. La porte est ouverte !porte toi bien
Paul Gosselin
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Et j’ai retransmis la question de Lukas à mon ami Alain Gendron qui est infographiste et qui a publié des poèmes et qui rédige un roman jeunesse. Voici sa réaction :
Salut Paul,
Après avoir réfléchi à la chose et fait une petite inspection à la librairie chrétienne locale vendredi dernier, il faut bien avouer que la situation est ce qu'elle est. Beaucoup d'ouvrages à saveur de «laissez-moi vous donner la recette de...» ou «Laissez-moi vous instruire de ceci...» mais peu (j'ai laissé le mot au cas où il existerait un truc qu'on ignore) de réflexions ou d'écrits cherchant à employer de beaux mots pour dire les choses.
Tout ce qu'il nous reste maintenant, est de réfléchir sur les causes de cette pauvreté... Certainement lié à l'influence du piétisme qui amène à considérer comme vain de s'attacher à la réflexion et à une culture condamnée à disparaitre (au dépens des choses spirituelles).
N'observons-nous pas le même je-m'en-foutisme dans le domaine de la santé (l'exercice physique, la bonne alimentation, euh! Pourquoi?) et de l'écologie (euh! pourquoi s'inquiéter de la planète? Elle va périr dans le jugement de toute façon!). Il serait intéressant de réfléchir plus à fond sur cette question...
Au Québec, notre passé catholique a mis si peu d'emphase sur l'éducation, à part pour former des prêtres et des religieuses que ceux qui se retrouvent dans nos églises ont rarement des préoccupations qui s'élèvent au niveau de la culture.
Il y a certes un fond de chrétiens évangéliques qui
le sont depuis plusieurs générations mais encore là,
il semblerait que la tradition "évangélique" ne soit
pas porteuse de "culture". Se pourrait-il que nous n'ayons pas le
souci de nous engager dans un dialogue avec la culture plus générale,
autre que celui de propager NOTRE propre culture et d'amener le non-croyant
à abandonner la sienne?
En cela, je suis d'avis que nous sommes à côté, car n'est-ce
pas précisément au contraire que la doctrine de l'incarnation
nous appelle? Incarner la vie et le message du Christ dans notre propre culture,
étant engagé dans le dialogue avec les non-croyants jusqu'à
ce qu'Il vienne.
CRÉATION, INCARNATION, CONSOMMATION. Tant que nous n'accorderons à pas ces trois doctrines la même importance au lieu de les télescoper et de baser en grande partie notre vie d'église sur le dernier aspect (consommation = fin des temps), notre impact sur la culture sera minimal puisque les croyants auront peur de se contaminer.
Too bad pour le monde que Christ est venu sauver...
Alain Gendron
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Ma réplique à Alain Gendron
Cela correspond aux conclusions aux quelles j’arrive au premier chapitre de mon livre Hors du ghetto. Je ne suis pas sûr à quel point l’influence catholique joue encore, car sur bien d’autres plans les évangéliques ont fait des ruptures radicales avec le catholicisme. Non je pense que l’influence piétiste (ou calviniste ?) est au cœur du problème. Heureusement que CS Lewis y a échappé... Il semblerait que les évangéliques francophones aient oubliés que Jésus était un auteur de romans prolifique, mais on les appel les paraboles... Ont-ils oubliés également que Jésus ne respectait pas dans ses romans le préjugé du folklore évangélique voulant que toute oeuvre créative doit être de la propagande très explicite et qu'on doit y retrouver clairement les quatre points du salut?
Du côté de la musique, les évangéliques sont assez riche maintenant, car la musique avait son pied dans la porte des églises avec la louange et les Hippies convertis des années 70 ont apporté leur musique et enrichi la tradition musicale des évangéliques, mais en général ils étaient peu portés sur la littérature). Et si le situation des arts visuels n'est pas très reluisante si on la compare à la musique, elle est tout de même meilleure que celle de la littérature (roman/poésie) où, chez les évangéliques c’est toujours le désert... Et avec tous les outils disponibles pour faciliter l’écriture actuellement c’est honteux qu’on soit encore restés là
Paul Gosselin
Depuis la mise en ligne de cette note, j’ai eu quelques réactions qui m’ont agréablement surpris. Les choses ne sont pas aussi noires que j’ai pu le penser. Pas tout à fait en tout cas. Plusieurs m’ont répondu, soit qu’ils écrivaient déjà ou avaient rédigé un roman et d’autres en ont publiés. Parmi ceux-ci, il y a le romancier évangélique québécois Yves Petelle et le français Jean-Paul Debanné. Avec le temps qui passe, je vous en donnerai des nouvelles ici.
Mais il faut constater que si les outils pour rédiger et produire des livres/romans sont facilement accessibles, il y a malgré tout d’énormes obstacles pour l’accès au marché, pour atteindre le lecteur. Du côté séculier, il y a une compétition TRES féroce pour rejoindre les éditeurs. Ils reçoivent des manuscrits à la tonne ! Et du côté évangélique, plutôt que faire la promotion des auteurs évangéliques on les boude, on fait semblant qu’ils n’existent pas. Heureusement qu’il y a l’Internet ! Mais en général, les églises évangéliques font partie du problème. S’il est courant d’inviter un musicien dans une assemblée pour vendre sa salade (dans la mesure où son style plait au pasteur principal…) et faire la promotion de ses CDs, on ne songera jamais à inviter un évangélique auteur de roman. Et dans un tel contexte, que font les chrétiens ordinaires ? S’ils ne connaissent pas d’auteurs évangéliques francophones, ils achèteront inévitablement des romans rédigés par des auteurs non chrétiens. Ainsi cette politique d’ignorer les auteurs évangéliques francophones contribue à la paganisation des évangéliques ou, dans le meilleur des cas, nous réduit à manger les restes de table de la littérature produit en milieu évangélique anglophone, c'est-à-dire les traductions.
Mais pourquoi en rester là ? Évidemment il ne serait pas raisonnable de s’attendre que les pasteurs délaissent leurs responsabilités dans leurs assemblées pour ouvrir des maisons d’édition. Par contre il pensable et faisable pour eux de faire d’encourager la créativité dans leurs églises et de faire la promotion d’œuvres artistiques dignes de mention. Ce sont des gestes qui sont tout à faits accessibles et qui peuvent avoir de grandes conséquences à long terme. À témoin, lisez l’article de Siemon–Netto en anglais (en bas) sur l’influence de l'oeuvre de Jean-Sébastien Bach, longtemps après son décès. Une oeuvre artistique peut parfois pénétrer des barrières à l'Évangile qu'un prédicateur ou missionnaire ne pourra jamais franchir.
Sur les difficultés qui attendent l’auteur évangélique, un contact m’a fait le commentaire suivant
Cher Paul,
Les points que tu développes (un peu) sont intéressants.
Il y en a cependant qui semble échapper à cette réflexion:
On fait comment pour manger en attendant d'avoir vendu un seul de nos romans
qui sera soumis à une concurrence féroce vu le retard pris? J'y
suis confronté avec mes scénarii.
Je dois bosser pour nourrir ma petite famille et à cause de cela, difficile,
voire impossible de se mettre à écrire!
Porte-toi bien
Christian
Christian
Je n’ai pas de réponse toute faite à ce genre de question.
Ce que tu décris pour toi, décris précisément ma
situation aussi. J’ai fait des tas d’initiatives dans le passé
(par exemple en tavaillant à temps plein 3 ans sur le projet de Fuite
de l'Absolu volume 2) pour percer comme intello (autant du côté
évangélique que séculier), mais j’ai frappé
une muraille impénétrable. Du temps et de l'argent investi, c'est
à peine si on couvre les frais d'impression de livres alors mettre du
pain et du beurre sur la table chez nous... Au début 2010 je sombrais
dans une dépression profonde et j’ai fait le constat que je devais
trouver un petit boulot, peu importe lequel. Je donc trouvé un truc et
je bosse le soir dans une boite de livraisons de colis. Le salaire est minimal,
mais il était NÉCESSAIRE que je sorte de ma caverne. Cela n’a
RIEN à voir avec ma formation ni mes aspirations, mais il semble que
Dieu veut que je sois là, pour l’immédiat.
Une consolation, cela m’a permis de mettre de côté quelques
sous pour l’achat d’un nouvel ordi.
Au bout du compte, je pense qu’il faut considérer que ce genre
de truc est entre les mains de Dieu qui nous as données nos talents et
qui connaît nos circonstances. Il faut se confier en Lui.porte toi bien
Paul Gosselin
Siemon–Netto, Uwe (2000)
J. S. Bach in Japan. First Things 104 (June/July 2000): 15-17.
Forum "Lettres chrétiennes" du site Semper Reformanda