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Samizdat

Analyse de la situation familiale québécoise tirée du roman de M. -C. Blais

"Une Saison dans la vie d'Emmanuel[1]".





Paul Gosselin

l. Introduction:
Marie-Claire BlaisCet essai propose une analyse de situation familiale québécoise en prenant comme point de référence le roman de Marie-Claire Blais: Une Saison dans la vie d'Emmanuel. La première partie de cette analyse consistera à résumer le texte lui-même afin de situer le contexte, en deuxième partie, mettre en évidence les caractères individuels et la structure des interactions entre individus dans la famille. Lla troisième partie constituera en l'analyse proprement dite.

I. Résumé
Ce roman décrit la vie d'une famille québécoise assez pauvre vivant sur une ferme vers les années où arrive l'électricité dans les campagnes du Québec, c'est-à-dire les années 1940-50. Le roman relate les événements se passant pendant un hiver; il s'agit d'une famille de seize enfants, le père, la mère et la grand-mère maternelle.

L'histoire débute avec une description de la grand-mère; on insiste beaucoup sur le fait qu'elle est dominante et détient l'autorité. Suite à ceci, on raconte la naissance d'Emmanuel (un petit garçon): il est le dernier né. Emmanuel se fait placer sous la garde de sa grand-mère tandis que sa mère travail sur la terre. On y décrit la vie quotidienne de la famille, qui reste sans nom dans le texte): l'arrivée des enfants de l'école, la grand-mère qui leur distribue des bonbons, la mère qui arrive triste et fatiguée à la maison après l'ouvrage de la journée. Il y a une dispute entre la grand-mère et le père au sujet de l'utilité de l'école, que la grand-mère gagne en indiquant que c'est du domaine des femmes, c'est pourquoi il n'y comprend rien, le père semble plutôt faible. Dans une autre situation, lorsqu'il s'agit de décider la date du baptême d'Emmanuel, il propose qu'on remette le baptême au printemps, mais lorsque la grand-mère décide unilatéralement de le faire plus tôt et que sa femme se met d'accord avec la grand-mère, c'est alors qu'il se plie sans dire un mot. Un des rares moments où la mère dit quelque chose pendant le récit est au moment des relations sexuelles avec son mari et lors du jugement de son mari sur ses fils. (Elle dit "La vie est dure et les hommes cruels. ") Lorsque présenté avec la situation où quelqu'un doit servir le père et la mère est occupée, la grand-mère s'y refuse en disant (en elle-même): "Il croit que j'imiterai ma fille, mais je ne lui apporterai pas le bassin d'eau chaude, les vêtements propres. Non, non, je ne bougerai pas de mon fauteuil. Il attend qu'une femme vienne le servir, mais je ne me lèverai pas. ' (p. 16) Ainsi lorsqu'il y a une querelle entre un des garçons (Jean le Maigre) et le père, la grand-mère le protège contre le père, en quelque sorte elle s'en sert contre lui pour affirmer son autorité; le père ne peut pas le toucher lorsqu'il est près d'elle.

On y raconte la fin d'une journée typique. La grand-mère épouille les enfants, un des enfants arrive à la maison en retard et saoul. Le père qui administre les punitions corporelles, mais il semble que la grand-mère jouit d'une puissance punitive parallèle. Suite à ceci Jean le maigre et Le Septième (son frère Fortuné) descendent à la cave et se saoulent ensemble en se contant des histoires et en fumant des mégots que Le Septième a ramassés à l'école. Pendant la scène du souper, on indique que la mère est "toujours épuisée et sans regard". La grand-mère pense aux enfants morts dans la famille et au fait qu'elle s'attend que Jean le Maigre meure bientôt (il est tuberculeux), mais elle admet à elle-même qu'elle le préfère vivant (soumis à elle) plutôt que mort (au-dessus d'elle: au ciel). Après le souper, la grand-mère rassemble tous au salon pour la prière du soir, tous les hommes s'y intéressent peu, les enfants essaient de s'en sauver, Jean et le Septième descendent boire encore à la cave.

Heloise descend alors pour la prière. Elle n'avait pas soupé, car elle jeûnait dans sa chambre. C'est le mouton noir de la famille, "la religieuse", elle a été au couvent un certain temps. Elle a toujours été ascète, faisant beaucoup de jeunes et de prières jusqu'au point où son frère la ridiculise en disant "elle a toujours eu l'amour de la torture". On décrit comment de façon inquiétante, lorsqu'au couvent, elle a découvert ses désirs sexuels, craignant de nouvelles émotions et ne pouvant pas librement les exprimer, elle se jette dans plus de prières et de jeunes afin "d'enterrer" ses désirs.

On décrit alors la grand-mère qui s'occupe d'envoyer tous les enfants au lit. Chez les garçons, on est quatre dans un lit et l'auteur laisse entendre de façon implicite certaines activités homosexuelles s'y déroulent. Ils visitent alors la chambre de leur sœur Heloise et s'aperçoivent qu'elle fait la même (ce qui n'est jamais explicité chez l'auteur, masturbation probablement).

Le lendemain, Jean le Maigre est envoyé au noviciat (genre d'école pour garçons dirigée par des frères). Il ne veut pas, mais sa grand-mère l'y contraint. Au noviciat, il rencontre un Frère Théodule qui s'introduit chez lui dans sa cellule la nuit pour avoir de relations homosexuelles (encore l'auteur ne le dit pas de façon explicite). Son état empire et il est ordonné de rester au lit (à cause de la tuberculose). Pendant qu'il y est, il se met à écrire une auto_ biographie. Il raconte comment un de ses frères qui avait été au séminaire s'est suicidé et que suite à ceci il a essayé de faire de même avec son frère sans jamais y réussir. (Remarque: pendant toute la trame de l'histoire j'ai noté une prédilection morbide de tous les caractères, excepté peut-être le père et la mère, avec la mort et, comme tel, le roman nous laisse comme une impression de décomposition après lecture. ) Suite à son insuccès à se suicider, Jean décide de devenir poète. Son père n'aime pas le fait qu'il est instruit. Il y raconte aussi son premier fantasme d'amour, sa maîtresse d'école, lorsqu'elle serait remplacée, il mettrait le feu à l'école avec son frère et, en punition, ils se feraient envoyés tous deux à l'école de correction. À leur sortie, peu de temps après, ils se feraient prendre à voler et seraient envoyés encore dans une école de correction. Son père indique que la dernière solution c'est le noviciat, l'école menée par des frères, école de métiers peut-être? Son autobiographie finit dans un rêve macabre et l'on découvre plus loin qu'il est mort.

Heloise, maintenant chez elle, fantasme seule dans sa chambre un Époux, qui la prendrait et coucherait avec elle; doux d'abord, l'Époux imaginaire devient violent. Elle avait toujours été interrompue au couvent dans ses fantasmes par la Supérieure qui la découvrait. D'ailleurs, lorsqu'on a su ce qui se passait, on lui a coupé les cheveux.

Grand-mère s'ennuie depuis que Jean est mort et s'isole : elle blâme la mort de Jean sur son père qu'elle traite de paresseux et de négligent. Emmanuel est maintenant sevré et se porte mieux depuis que Jean est mort. Grand-mère garde et relie les manuscrits de Jean et ne les brûle pas (malgré leurs tendances perverses). On y raconte le départ du Frère Théodule du noviciat: on le met dehors parce qu'il a causé la mort de deux enfants.

Emmanuel s'amuse avec sa grand-mère et fait semblant d'oublier sa mère qui lui avait nourri d'une morose indifférence. Emmanuel semble prendre la place de Jean le Maigre dans la vie de la grand-mère. Emmanuel raconte la scène de la nuit dans la chambre des parents et comment il déteste cette "étranger" qui viole sa mère (son père). "Immobile dans son lit, les poings serrés, il écoutait jusqu'à l'épuisement ces supplications de joie et de peine, honteux que sa mère obéisse à cet homme qui lui donnait des ordres la nuit. " (p. 134) Maintenant, deux des frères d'Emmanuel ont été envoyés travailler au village dans une manufacture de souliers, un de ses frères s'y fait couper trois doigts dans un accident de travail.

Heloise s'est mise à la recherche de travail. Elle répond à une offre d'emploi dans une auberge et, en arrivant, découvre qu'il s'agit d'un bordel, ce qui étrangement lui semble rappeler le couvent et elle reste. On y décrit la visite d'un client, M. Le Notaire. Elle envoie de l'argent à la maison des parents pour aider à payer les frais d'hôpitaux de son frère. Les parents ne savent pas vraiment ce que fait leur fille.

Le Frère Théodule, mis à la porte du noviciat, se met à faire de l'enseignement privé. Il rencontre Le Septième (frère de Jean le Maigre) et, en marchant seuls le long de la rivière, le moleste et l'étrangle presque à la mort. Pomme ne peut plus travailler à la manufacture. Il se met à gagner sa vie en livrant les journaux. Une saison dans la vie d'Emmanuel est terminée.

II. Structure
Malgré le grand nombre de personnages impliqués dans cette histoire, il n'y en a que quatre, peut-être cinq, individus qui ressortent suffisamment pour pouvoir les caractériser. J'essayerai ici de catégoriser les individus par l'importance que leur donne l'auteur (nombre d'apparitions dans le texte) et son rôle d'autorité. Le premier personnage, qui ressort immédiatement, est la grand-mère et elle domine presque toute la trame des événements et, comme l'économie dans la théorie marxiste de l'histoire, elle est déterminante en dernière instance. Le père, bien qu'apparaissant dans le texte moins souvent que plusieurs autres personnages, détient quand même une certaine autorité. À un niveau d'importance à peu près égal apparaissent Jean le Maigre et Heloise. Il ne reste dès lors que la mère qui reste passive pendant tout le roman, ce qui laisse Septième, Pomme et Emmanuel qui ne jouissent que d'une importance résiduelle. Je donnerai donc, dans ce qui suit, quelques traits qui situeront chaque personnage afin de souligner un schéma des relations familiales.

Grand-mère Antoinette:
Comme je l'ai déjà indiqué, le rôle joué par la grand-mère est prépondérant. À l'égard des hommes, elle a comme une attitude de compétition ou de résistance. Cette attitude est mise en évidence à un endroit lorsqu'elle tient pour la première fois le petit Emmanuel. "Ces vêtements de laine le séparaient encore de ce sein glacé qu'elle écrasait de la main d'un geste d'inquiétude ou de défense, car lorsqu'on approchait son corps étouffé sous la robe sévère, on croyait raviver en elle quelque fraîcheur endormie, ce désir ancien et fier que nul n'avait assouvi, on voulait dormir en elle, comme dans un fleuve chaud, reposer sur son cœur. Mais elle écartait Emmanuel de ce geste de la main qui jadis, avait refusé l'amour, puni le désir de l'homme. " (p. 9) Lorsqu'elle remémore sa relation avec son défunt mari, cette attitude apparaît encore. ''Grand-mère Antoinette nourrissait encore un triomphe secret et amer en songeant que son mari n'avait jamais vu son corps dans la lumière du jour. Il était mort sans l'avoir connue lui qui avait cherché à la conquérir dans l'épouvante et la tendresse à travers l'épaisseur raidie de ses jupons, de ses chemises et mille prisons subtiles, qu'elle avait inventés pour se mettre à l'abri des caresses. " (p. 108) Ainsi, sa relation avec son gendre est presque constamment caractérisée par l'antagonisme. Elle semble jamais d'avoir de problèmes vis-à-vis de sa fille; vis-à-vis des enfants (les plus jeunes) elle jouit d'une autorité incontestée; les garçons aînés forment, avec leur père, un camp retranché qui ne peut être atteint par la grand-mère. Parmi les enfants, c'est Jean le Maigre qui lui est le plus important; dans certaines circonstances, elle se servira de disputes entre Jean et son père au détriment du père. Dans la famille, elle joue comme un rôle de régisseur moral et religieux: c'est elle qui appelle la famille à la prière tous les soirs et qui brûlera les textes amoraux qu'écrira Jean (de son vivant).

Jean le Maigre:
C'est le "petit intellectuel" de la famille: il aime bien lire et écrire. Il s'entend très bien avec son frère Le Septième (Fortuné): ensemble ils sèment la zizanie, tous deux se reconnaissent comme de grands menteurs. Il reconnaît avoir été grandement impressionné (non pas ébranlé ou choqué, mais impressionné) par le suicide de son frère Léopold au point d'essayer de le faire lui-même avec son frère, mais suite à plusieurs tentatives infructueuses, il pensera à faire de la poésie. Après avoir relu le texte, j'ai constaté qu'il y avait bien des relations homosexuelles entre Jean et son frère, Le Septième (ce n'est pas explicite dans le texte) et que lorsqu'il entre au noviciat, il est récupéré par un Frère homosexuel presque immédiatement. Dans la famille, il lui arrivait souvent (et à ses frères aussi) de se faire battre corporellement par son père en punition.

Heloise:
Parmi les filles, c'est la seule qui se démarque des autres et ce qui la distingue est ses habitudes religieuses. Avant d'entrer au couvent, elle s'est constamment appliquée à la prière et au jeune. Elle a toujours fait autrement que ses sœurs. Au couvent, elle découvre des désirs sexuels qu'elle n'avait pas connus avant. Ces émotions "mondaines" et "impures" suscitent en elle une crainte et elle essaie de les "combattre" en redoublant de prières et de jeunes, mais ce n'est que pour se laver la conscience puisque ses frères découvrent qu'elle se masturbe comme eux. Elle ne semble pas avoir de conflits avec qui que ce soit excepté la Mère Supérieure du couvent qui découvre ses fantasmes sexuels et la punit. Ses fantasmes d'amant sexuel sont au départ doux, mais plus on lui punit ses fantasmes, plus l'amant fantasmé deviendra violent et cruel. Au couvent, elle s'était éprise d'un jeune prêtre, mais, quelques mois plus tard, Heloise revient à la maison avec une lettre de la Supérieure. "La lettre parlait d'épuisement, de crises nerveuses; Grand-mère Antoinette dit que les religieuses avaient une écriture illisible et détruisit la lettre " (p. 39) Elle avait compris ce qui se passait en Heloise.

Le Père:
Dans ses rapports avec la grand-mère (c'est d'ailleurs presque les seules situations où il parle) il lui est constamment subjugué: le seul endroit où son autorité est incontestée est au lit avec sa femme. À l'égard de son fils Jean, il ne croit pas qu'il soit utile de l'envoyer à l'école puisqu'il mourra de tuberculose. Il semble être jaloux de son niveau d'éducation (puisqu'il ne sait même pas lire son propre nom) et le menace quelques fois de lui brûler ses livres. À un certain moment, il recourt à l'exemple d'ascétisme d'Heloise afin de faire des remontrances à Jean. Dans une autre situation, c'est-à-dire après le suicide de son fils Léopold (le séminariste), sa seule réaction à la nouvelle de sa mort est "Malédiction. Oh Malédiction !" (p. 72) et de cracher par terre . . . tout ce capital investi disparu !

La Mère:
Dans tout le texte, elle se caractérise par son absence ou sa passivité. Au moment où une décision lui est imposée de choisir de consolider la position de son mari face à sa mère (concernant le choix du jour du baptême) elle se plie à la volonté de sa mère. L'absence complète de conflits entre la mère et la grand-mère semble indiquer que la première n'a jamais sorti des jupons de sa mère.

III. Analyse
Dans cette troisième partie, je vais souligner quelques aspects de la situation familiale et essayer de les mettre en rapport avec la psychanalyse. Une chose à remarquer par contre est que je ne crois pas que les conclusions que je peux tirer de cette analyse puissent être généralisables à la société québécoise: il me semble dangereux d'essayer des extrapolations au niveau social puisqu'il ne s'agit que d'un roman.

L'élément fondamental (du moins celui qui ressort le plus) qui structure cette situation familiale est la domination de la grand-mère Antoinette; la position du père, symbolisant la loi, s'en trouve singulièrement atrophiée. Il a déjà été dit au cours qu'il était impossible que le père réalise cette symbolisation de la loi sans la crédibilité et que cette crédibilité ne peut être fondée que par la mère (femme du père) ce qui n'est évidemment pas le cas ici. Le seul pouvoir dont jouit le père est la punition corporelle et, encore là, la grand-mère détient un pouvoir punitif parallèle de même type. Ce n'est qu'au lit qu'il est maître et ce pouvoir, il semble l'exercer avec vengeance. Décrit par Emmanuel (le petit garçon), nous avons une scène dans la chambre des parents où le père exerce son pouvoir et qui révèle en même temps une situation clairement œdipienne. "Il reverrait plusieurs fois en vieillissant, cette silhouette brutale allant et venant dans la chambre. N'était-ce pas lui l'étranger, l'ennemi géant, qui violait sa mère chaque nuit, tandis qu'elle se plaignait doucement à voix basse "Non... Non, Mon Dieu, non!" ou bien ce 'trop fa-ti-guée' qui achevait l'étreinte ininterrompue. " (p. 133-34) La nature œdipienne de cet extrait est assez intéressante, mais due au manque de développement du texte, elle ne peut être explorée. Ainsi le père ne peut que jouer un rôle de géniteur et sa femme qui ne semble jamais s'opposer à l'autorité de sa mère donne l'impression d'un grand enfant qui n'est jamais sortie des jupons de sa mère. Tout cela laisse avec une image en quelque sorte renversée du père de la horde primitive que l'on rencontre chez Freud. Ici il s'agit d'une mère omnipotente entourée de ses enfants (grands et petits). Comme elle le dit elle-même, "Vous devriez me remercier de prendre les décisions à votre place. " (p. 16) Qui sont ceux qui ne peuvent prendre des décisions, sinon les enfants?

Un autre point qui ressort dans cette famille est le rôle joué par Jean le Maigre vis-à-vis la grand-mère. En quelque sorte, elle se permet des fantasmes à travers lui: il est possible qu'il serve à la grand-mère d'une sorte de fétiche. À ce titre là je ne peux être trop sûr, mais il apparaît clairement que la grand-mère s'en sert à l'encontre du père; d'ailleurs elle cultive ses particularités (telle l'éducation) qui l'aliènent face à son père.

Un point que j'ai trouvé exagéré chez l'auteur était le développement de relations homosexuelles entre les frères puisque je croyais que ce n'était ajouté à l'histoire que pour la rendre plus ''épicée" et que structurellement elle ne serait pas justifiable. Mais lorsque j'ai fait un peu de recherche sur les conditions de développement de l'homosexualité, j'ai découvert nombreux parallèles entre la structure familiale illustrée dans le roman et les conditions nécessaires pour le développement de l'homosexualité. Dans son livre, The Unhappy Gays, le Dr. Tim LaHaye indique qu'habituellement l'homosexuel vient d'un foyer où il y a soit une mère dominante ou bien une mère "étouffante" (ce que LaHaye appelle une 'smother Mother, c'est-à-dire, une mère qui étouffe et entour (et contrôle) toute la vie de l'enfant). Le père est habituellement du type passif ou absent. Ces éléments correspondent très bien avec la situation familiale mise en évidence dans ce roman : la mère dans cette situation est une mère dominante, même si ce n'est pas la mère génitrice qui joue ce rôle, mais la grand-mère. D'ailleurs la mère réelle se trouve reléguée à un rôle presque de servante. Le père aussi correspond à la situation type du développement de l'homosexualité (il est passif). Un autre trait que cite le Dr. Tim LaHaye (et qui ne relève pas spécifiquement de la psychanalyse) est que la majorité des homosexuels sont de caractère mélancolique, ce qui correspond d'assez près de la description donnée du caractère de Jean le Maigre. Bien que j'admettrai volontiers que l'homosexualité ne se réduit pas à ces quelques éléments, je crois que leur mise en évidence ici est d'une quelconque validité dans les limites qu'impose la structure littéraire du texte.

Le dernier point que je veux mettre en évidence est un trait d'Heloise qui au départ semble assez incompréhensible, mais se montre plus intelligible après quelques comparaisons. Le problème est, comment se fait-il qu'Heloise, pudique et religieuse, accepte (et sans objection semble-t-il) de travailler dans un bordel? Au départ ça ne semble qu'un caprice de Blais, mais lorsqu'on compare les deux "institutions" (couvent et bordel) on constate plusieurs éléments en commun. Le premier trait commun est le caractère omnipotent de la direction "politique" des ''institutions": au couvent comme au bordel, on se retrouve face à une femme forte, une "grand-mère poule" qui dirige tout. Dans chaque cas, il s'agit aussi d'une communauté de femmes, chacune a sa propre "cellule,', les hommes n'y vivent pas en permanence, mais viennent en visite seulement. D'après ce que je peux comprendre, ce qui expliquerait le passage d'un milieu à l'autre (couvent à bordel) serait le fait que, dans le premier cas, les fantasmes d'Heloise étaient rejetés tandis que dans le deuxième, ils sont acceptés (et même accomplis?) Dans chaque cas, il semble que la structure politique des communautés rappelle fortement la structure familiale d'où elle vient (c'est-à-dire un genre de matriarcat).

Conclusion:
On ne peut espérer épuiser tous les éléments analysables de ce roman dans un essai aussi bref, j'arrêterai ici puisque je ne me sens plus assez sûr de moi pour pousser plus loin. Une chose me tracasse encore, dans le texte il m'était venu à l'idée que la position de la Grand-mère correspondait au concept freudien de la mère phallique, mais étant donné que je ne me sentais pas maître du concept, j'ai laissé l'analyse telle qu'elle est.



Bibliographie

 

Bieber, Irving
Homosexuality: A Psychoanalytic Study of Male Homosexuals.
Basic Books Inc. New York, 1962.

Blais, Marie-Claire
Une Saison dans la vie d'Emmanuel.
Ed. Quinze, Montréal, 1976. 175 p.

Couture, J. ; Martel, G. ; Méthé, J. -F.
Religion et famille au Québec dans les années 50-55.
Le Profane, revue des étudiants en anthropologie, Université Laval, vol. 1, no. 1.

David, Pierre
Psychanalyse et Famille.
Armand-Colin, Paris, 1976. 221 p.

LaHaye, Tim
The Unhappy Gays.
Tyndale House Publishers, Wheaton IL
1978. 206 p.



Note

[1] - Travail présenté dans le cours d'Anthropologie et Psychanalyse II; professeur : Willy Apollon. Université Laval, avril 1979



Postface très tardive... (10/11/2023)

Récemment, le hasard de mes lectures a mis entre mes mains une copie du roman Pieds nus dans l'aube par Félix Leclerc (1946). Un délice. Après cette lecture (mon compte rendu) j'ai assez vite réalisé que le roman de MC Blais, Une Saison dans la vie d'Emmanuel peut être considéré un anti-Pieds nus dans l'aube. Puisque MC Blais représente assez fidèlement la pensée des Lumières et son matérialisme, ceci fait de Une Saison un crachat sur le Québec chrétien d'avant la Révolution Tranquille. Ouais, sans doute des familles déglinguées comme décrit Blais ont existé, mais objectivement au Québec en 2023 on a remplacé les curés abuseurs d'autrefois par les fonctionnaires abuseurs de la DPJ (et ceux-ci bien protégés par des journalistes abuseurs des grands médias serviles et des juges abuseurs du système de justice). Notons que la perspective de Blais n'est pas simplement une réaction contre le catholicisme, mais depuis la Révolution Tranquille nos élites postmodernes ont bien démontré qu'ils n'ont que du mépris même pour un christianisme épuré, sans papes, sans prêtres et sans culte de Marie et des saints... En somme, Une Saison est de la propagande. Sans doute c'est pour cette raison qu'on en a fait une lecture obligatoire dans les cours de littérature du système scolaire québécois...

Si autrefois l'église catholique était le salut des Québécois, après la Révolution Tranquille, l'indépendance du Québec est devenu notre utopie et notre salut (politique), mais avouons que ce rêve est mort et aujourd'hui. Et on sait que les pions de Davos au pouvoir partout en Occident n'ont que du mépris pour tout manifestation nationaliste qu'ils ne peuvent pas immédiatement contrôler. De telles choses donnent "trop" de place à l'expression de la voix du peuple. Ces néo-totalitaires sont des mondialistes zélés et des ultra-élitistes. Un indice clair du mépris du peuple par les mondialistes est qu'ils ne tolèrent AUCUN mouvement nationaliste ou populaire, ce qui s'exprime par leur mépris absolu des MAGA américains, du Brexit anglais, des gilets jaunes en France, le mépris effronté de Trudeau des camionneurs canadiens et plus récemment des nationalistes italiens...

Au Québec, puisque le rêve d'un « Québec Libre ! » est mort, il ne nous reste que l'État comme salut... Et les leches-culs de Davos au pouvoir à Ottawa et à Québec sont bien contents de cette situation et feraient volontiers de nous leurs esclaves (avec l'écran comme chaîne). Serait-ce si difficile à admettre que « Grande noiceur », c'est aujourd'hui? George Orwell (1984) et en particulier Aldous Huxley (Brave New World) nous ont donné des aperçus du monde où nous habitons. Félix Leclerc, dans son roman décrit un monde où l'audace, la liberté et les rêves étaient encore possibles. Aujourd'hui nos rêves sont délimités parles algorithmes de gestion de contenu sur Google, FaceBook et TikTok et les laquais de Davos au pouvoir chez nous voudraient le contrôle total de nos finances et opinions, vendraient au plus offrant nos dossiers médicaux sans se soucier de nous demander permission et les écrans seraient nos chaînes... À la fin, la famille québécois dysfonctionnelle que nous présente Blais dans Une Saison décrit beaucoup plus la famille québécoise de 2023...