Compte rendu par Paul Gosselin
ReMine, Walter (1993)
The Biotic Message: Evolution Versus Message Theory.
Saint Paul Science 538 p.
Walter ReMine est l'auteur de l'ouvrage intitulé The Biotic Message (Le Message Biotique). ReMine est un ingénieur en électronique avec des diplômes BSEE et MSEE[1] de l'université du Minnesota. Il a étudié le traitement des signaux et la reconnaissance des formes et a une formation mathématique solide, qui lui a servi plus tard dans l'étude de la vie biologique et les modes de reconnaissance de leur signification. Parmi ses passe-temps, on retrouve la guitare et la magie. Il note avec ironie que son expérience avec les illusions de la magie lui a bien servi pour déconstruire les preuves illusoires de la théorie de l'évolution...
Pour sa thèse de maîtrise, ReMine a inventé et développé un système de reconnaissance de formes (pattern recognition) pour la reconnaissance et la catégorisation automatique des crises d'épilepsie en s'appuyant sur les données fournies par électroencéphalogramme (EEG). Par la suite, il a travaillé trois ans dans les hôpitaux de l'Université du Minnesota où il a conçu des systèmes de surveillance et de diagnostic pour l'épilepsie. Par la suite, il a travaillé pour une firme de recherche technologique de renommée internationale, à Saint-Paul Minnesota sur des projets tels que le projet d'implant cochléaire (Cochlear Implant Project, un appareil implanté chirurgicalement permettant aux sourds d'entendre), un stimulateur pour systèmes nerveux et musculaires (pour la thérapie physique), et systèmes de transactions sécuritaires pour bibliothèques. Actuellement, il détient quatre brevets.
Touchant le monde biologique, ReMine propose une perspective fort inédite et innovatrice, ainsi The Biotic Message offre une contribution importante au débat sur les origines. ReMine est d'avis que la vie a été conçue pour transmettre deux messages 1) que la vie n'a pas évolué et 2) qu'elle provient plutôt de la main d'un Créateur unique. Le code génétique universel (ADN) appuie ce dernier point et l'intransigeance de la vie, avec ses hiérarchies imbriquées appuie le deuxième. Si chaque groupe comportait des codes génétiques complètement distincts, on pourrait être justifié de croire que l'abiogenèse[2] s'est produite à plusieurs reprises. Si toute vie a une origine clairement identifiable, alors on peut être justifié de croire en l'évolution. Selon ReMine, le Créateur a imprimé sur le monde vivant un “ message biotique ” exclurait ces alternatives et n'appui qu'une seule origine, impliquant un agent intelligent. Évidemment, les évolutionnistes prétendent que les universaux biologiques tels que l'ARN, l'ADN, l'ATP, etc sont des preuves de l'ancêtre commun de toutes choses. Toutefois, ReMine souligne le fait que l'évolution n'a jamais prédit que la vie ne serait apparue qu'une seule fois et s'appuierait uniquement sur le code de l'ADN.
L'évolution ne prédit pas que le monde vivant sera structuré d'une manière particulière. ReMine observe, par exemple, que la découverte d'un organisme nouveau, n'ayant connu aucun lien avec les formes de vie connues, ne constituerait pas une réfutation de l'évolution, car l'évolution ne prédit pas son absence. Et de toute manière, cette théorie sera immédiatement ajustée pour expliquer l'existence de la nouvelle forme de vie. “ Circulez, il n'y a rien à voir... ”
Un secret honteux
Remine note que la génétique évolutionniste comporte ses secrets honteux. Le plus important parmi ceux-ci est le Dilemme de Haldane. Il s'agit d'un problème découvert dans les années 1950 par le généticien évolutionniste britannique célèbre, J.B.S. Haldane. Les revues scientifiques anglophones en ont discuté dans les années 60, mais par la suite la question a été ignorée. Haldane a noté que dans une population où le gène A présente une adaptation optimale, si un changement dans l'environnement privilégie le gène B et éliminera progressivement A ; mais s'appuyant sur des calculs mathématiques, le résultat le plus sûr est une baisse de la population. Haldane a calculé que la transformation d'une espèce en une autre ne pouvait porter sur le remplacement de plus de douze gènes à la fois, sous peine d'éliminer la population.
ReMine examine en profondeur (et de manière instructive) le Dilemme de Haldane. Haldane avait effectivement montré que les organismes ayant temps de génération long (comme c'est le cas de plusieurs mammifères) n'ont pas eu assez de temps pour évoluer, en raison du coût de substitution (car la fixation d'un nouveau gène dans une population exige la mort des individus qui ne l'ont pas), même en posant des conditions favorables à l'évolution (par exemple, pas de pléiotropie ou de polygynie et un minimum d'allèles récessifs). ReMine aborde les différentes tentatives pour régler le problème - comme la simulation par ordinateur naïve proposée par Richard Dawkins visant les mutations et la sélection naturelle où Dawkins exploite abusivement un scénario irréaliste (impliquant la sélection parfaite, un taux élevé de mutations bénéfiques, un taux de reproduction élevé, un but prédéterminé, etc) afin de produire une évolution le plus rapidement possible. Cela présente l'illusion que l'évolution est simple, pratiquement inévitable et rapide. Remine est d'avis que les évolutionnismes n'ont jamais réglé ce problème, mais l'ont plutôt envoyé au placard. Voici ce que qu'il affirme à ce sujet:
En somme, le Dilemme de Haldane est un secret honteux que les généticiens évolutionnistes préféraient voir rester à l'ombre. Le livre de Remine comporte deux chapitres (et un appendice) examinant le Dilemme de Haldane réfutant les nombreuses tentatives pour le résoudre. Par curiosité, j'ai posé la question suivante à quelques contacts francophones ayant une formation en biologie (ou un domaine connexe) : “ As-tu entendu parler du Dilemme de Haldane à l'université ? ” La majorité de ces contacts avait un diplôme d'études gradué et aucun n'en avait jamais entendu parler.
Dans une communication personnelle, Remine a signalé (2008) “ qu'il il existe une autre crise dans la génétique évolutionniste, touchant la question de la catastrophe d'erreurs, l'ADN bidon/junk-DNA, et le taux de mutations. Ces questions sont liées. Si on réduit à l'essentiel, pour éliminer le problème de la catastrophe d'erreurs, les évolutionnistes ont besoin d'un taux de mutations nuisibles très faible et ils y sont parvenus (en théorie) en affirmant que la majorité du génome (plus de 90%) est inerte et n'a pas de fonction (d'où le concept de l'ADN bidon/junk-DNA) et sur laquelle les mutations nuisibles sont sans conséquence. Cela leur a permis de réduire (artificiellement) le taux de mutations nuisibles par un facteur de 10 à 100. Ainsi, 99 fois sur 100, une mutation touchera la partie inerte du génome, et sera donc considérée neutre par définition.
Actuellement l'argument évolutionniste se trouve “ coincé ” des deux côtés. Tout d'abord, on a découvert récemment que la quasi-totalité du génome est transcrite et a une fonction. Le concept de l'ADN bidon ou inerte est de plus en plus remis en question. Deuxièmement, à l'aide de mesures plus précises en génétique, on a découvert que le taux de mutation est beaucoup plus élevé que l'on pensait auparavant. Les avis sont partagés, mais selon le généticien évolutionniste que vous consulterez, le taux de nouvelles mutations par organisme naissant se situe entre 100 et 300 (sans compter toutes les mutations, qu'ils héritent de leurs parents). Ces deux facteurs mis ensemble poussent la population en catastrophe d'erreurs peu importe le modèle génétique/sélection de l'évolution que vous pouvez évoquer. Cette catastrophe d'erreurs a été démontrée par des simulations sur ordinateur de l'évolution ”
ReMine discute également de la théorie neutraliste de l'évolution proposée par le généticien japonais Motoo Kimura. On peut voir dans la théorie de Kimura, essentiellement une tentative de résoudre le Dilemme de Haldane. La propagation de traits génétiques neutres est censée accélérer l'évolution. Toutefois, un taux élevé d'évolution neutre signifie qu'il y aura un taux plus élevé que prévu de mutations neutres exprimées, dont 90 % sera certainement nuisible (de l'avis de Kimura), entraînant une catastrophe d'erreurs[3].
Le contrôle du langage
Un autre volet à la fois important et instructif du livre de Remine est sa déconstruction du discours évolutionniste. À maintes reprises Remine expose la logique déficiente des arguments proposés par les évolutionnistes et ainsi que les stratégies rhétoriques hypocrites sur lesquelles ils prennent appuie. Entre autres, Remine porte son attention sur l'argument évolutionniste touchant les lignées ancestrales (= "phylogénie"). Remine fait ce commentaire qui souligne l'exploitation habile d'un vocabulaire nébuleux (1993 : 300):
"The evolutionists' redefinition of the term phylogeny is a strategic move that turns their opponent into a mute: unable to communicate serious objections to evolution. This applies to all the terminology of the origins debate. By redefining the key words, evolutionists effectively silence or sidetrack opponents. The opponent can no longer communicate effectively, because all the key words have been taken away."
Le but de la stratégie évolutionniste ici est donc de contrôler le contexte ou le cadre du débat. Si l'adversaire du darwinisme ne remet pas en question les définitions vagues et changeantes exploitées par les évolutionnistes (et imposées dans le système d'éducation et les médias), il se verra désarçonné et tôt ou tard contraint d'accepter les conclusions évolutionnistes... C'est une stratégie fort efficace. Remine ajoute (1993 : 300):
"The origins debate is not just about facts, cold and hard. It is also about illusions, soft and evanescent. It is about how illusions are created and maintained. Terminology is key to grand illusions. Terminology, so often dry, dull, and disregarded, can sometimes be the lifeblood of a controversy. This is the case in the origins debate. Names are used to create the illusion of lineage. Names do not reveal the diversity around and within the named group. Thus, names can artificially conceal diversity. The public is especially vulnerable to these illusions."
Lorsqu'il est question de phylogénie par exemple (l'étude d'une lignée d'organismes issus d'un ancêtre commun) il est remarquable à quel point les évolutionnistes modernes ont mal défini tous les termes-clés de sorte qu'ils n'ont jamais à identifier les ancêtres avec précision. Ainsi, les termes utilisés laissent entendre que les ancêtres ont été identifiés - et c'est certainement ainsi que le public interprète ces termes - mais les termes-clés n'entraînent pas de telles conclusions. Cette ambiguïté du sens est idéale pour entretenir l'illusion d'une preuve de l'évolution dans l'esprit du public. Voici quelques exemples de termes-clés:
- Primitif, avancé, ancestral, dérivé, intermédiaire, transitoire, convergent,
- (Ainsi que tous ces mots combinés avec les mots “forme”, comme “forme primitive”, etc.),
- ainsi que les mots : ancêtre, lignage et phylogénie.
On ne trouve pas d'ancêtres ou de lignées sans ambiguïté, ne présentant pas de traits incohérents avec le cadre conceptuel évolutionniste, mais ces faits sont voilés par l'exploitation d'une terminologie obscure et trompeuse. On peut supposer qu'en général cette stratégie rhétorique obscurissante est inconsciente.
D'autre part, les évolutionnistes affirment que les données fossiles démontrent “qu'il y a du changement au cours du temps ” et que cela constitue une preuve de l'évolution (dans le contexte de leur définition obscure du terme). Mais cela équivaut à affirmer “ qu'une strate rocheuse contient des bouts de papier, et celle au-dessus, des trombones et la suivante contient des bouteilles de soda, et ainsi de suite” et que ce “ changement dans le temps ” est censé prouver le fait d'une évolution. Est-ce que cela prouve quoi que ce soit?
Voici un exemple fort rigolo où Remine expose la duplicité du discours évolutionniste. Ici le biologiste de renommée mondiale, Ernst Mayr, défend la sélection naturelle contre l'accusation de philosophes[4] qu'elle est tautologique et ne peut être testé. Mayr réplique (1982 : 523) :
Several philosophers opposed to natural selection have stated that it is impossible to falsify any claims made on behalf of natural selection. Here one must make a distinction between the theory of natural selection as such and the application of natural selection to specific cases. As soon as one deals with specific cases, one can make predictions that can be falsified in principle, by testing them against various assumptions.
Remine note (1993 : 482) que la déclaration de Mayr n'offre pas une définition précise de la sélection naturelle, et sans une telle définition Mayr ne peut proposer de test spécifique. Et sans un test spécifique, l'affirmation que la sélection naturelle est vérifiable devient vide et sans fondement. Cela ne nous laisse, comme le disait Dalida, que de : “ Paroles, paroles,... Encore des mots, toujours des mots ”. Il est fort ironique de constater que le simple fait de changer l'expression sélection naturelle dans la citation de Mayr pour le terme astrologie et ses affirmations gardent leur logique et leur cohérence. La structure de l'argument de Mayr reste donc tout aussi efficace (ou inefficace) pour défendre l'astrologie que la sélection naturelle. Pour s'en convaincre, il suffit d'examiner une paraphrase de la citation de Mayr
Several philosophers opposed to astrology have stated that it is impossible to falsify any claims made on behalf of astrology. Here one must make a distinction between the theory of astrology as such and the application of astrology to specific cases. As soon as one deals with specific cases, one can make predictions that can be falsified in principle, by testing them against various assumptions.
Remine note qu'à la même page, Mayr tente à nouveau de renverser l'accusation que la théorie darwinienne est irréfutable[5] et donc non scientifique (Mayr 1982: 523):
Enfin, puisque peu ou pas de néodarwiniens affirment que chaque élément du phénotype et que chaque changement évolutif est le résultat d'une sélection ad hoc, l'argument de l'irréfutabilité n'a pas beaucoup de force.
Cette déclaration de Mayr démontre une autre dimension de l'irréfutabilité de la sélection naturelle. La théorie n'est pas invoquée lors de tous les changements évolutifs, mais plutôt au gré des spéculations évolutionnistes. Cela permet une flexibilité à l'infinie, et les théoriciens exploitent cette flexibilité afin de protéger leur théorie de toute remise en question sérieuse. Les évolutionnistes peuvent ainsi préserver leur théorie de toute gêne provenant de données contraires, simplement en évitant d'évoquer la sélection lorsque cela pose problème. Remine s'amuse en notant qu'un astrologue peut très bien défendre l'astrologie au moyen du même argument. Ainsi, on peut paraphraser Mayr et cela donnera :
Enfin, puisque peu ou pas d'astrologues affirment que chaque élément du psychisme humain et que chaque événement du quotidien est le résultat d'une influence astrale, l'argument de l'irréfutabilité n'a pas beaucoup de force.
Le resto-buffet évolutionniste
Remine, observe (1993 : 24) que, contrairement à une théorie scientifique véritable, la théorie de l'évolution ne prédit rien, mais s'adapte ex post facto aux données du monde biologique tout comme un brouillard s'adapte parfaitement aux traits physiques d'un paysage. Remine affirme donc que la théorie de l'évolution n'a pas de structure véritable et continuera d'évoluer[6] au gré du vent des découvertes scientifiques. De l'avis de Remine, la théorie de l'évolution se développe selon le principe du restaurant buffet. C'est-à-dire que la théorie offre une panoplie de mécanismes pour expliquer le monde vivant, une panoplie toujours changeante d'ailleurs. Voici une liste non exhaustive de ces mécanismes:
1) la perte de traits biologiques (comme les serpents, “perdant” leurs jambes)
2) le remplacement des traits biologiques
3) la convergence des traits biologiques (développement des systèmes visuels chez les vertébrés, invertébrés, etc.)
4) l'atavisme (une rechute évolutive[7] où des traits sont d'abord masqués et, plus tard, démasqués)
5) la transposition de traits (connu sous le nom de transfert latéral d'ADN, et endosymbiose)
6) l'inversion des traits
Si on examine le monde biologique nous pouvons classer les organismes, comme l'a fait initialement Karl von Linné, et nous constatons une structure hiérarchique imbriquée. Une structure hiérarchique imbriquée implique qu'un groupe d'organismes partagent toutes les caractéristiques du sommet de la hiérarchie, mais toute une variété des caractéristiques nouvelles s'ajoute au fur et à mesure qu'on s'approche de la base. Et si une nouvelle branche d'organismes apparaît, le même principe s'applique. Ainsi, dans une structure imbriquée, tous les organismes partagent la caractéristique du sommet, mais peuvent manifester d'autres caractéristiques additionnelles plus on s'approche de la base. Mais la théorie de l'évolution (s'appuyant sur ces mécanismes) ne prédit pas une structure hiérarchique imbriquée des organismes vivants. Dans le contexte évolutionniste, le résultat dépend de la combinaison de ces mécanismes, qui se produisent dans la nature. (Par exemple, à quelle vitesse les traits biologiques sont perdus ou remplacés). Remine est d'avis que la théorie de l'évolution moderne est sans structure et amorphe et qu'il s'agit d'un assortiment de mécanismes matérialistes, dans lequel les évolutionnistes peuvent piger et exploiter un ou plusieurs mécanismes matérialistes dans la proportion qui leur convient afin d'expliquer les données. C'est ce que l'on pourrait appeler une sélection naturelle...
Cela implique que si un mécanisme évolutionniste est remis en question ou réfuté on l'abandonne aussitôt pour un autre mécanisme, mais en aucun cas les évolutionnistes ne permettront que de tels épisodes puissent remettre en question le cœur de la théorie évolutionniste lui-même. Et c'est ainsi que les évolutionnistes construisent leur théorie, dans le domaine de l'irréfutable, sur le plan de stratégies marketing toujours renouvelées. Remine note que si l'évolution prédit quoi que ce soit de manière non ambiguë, inévitablement on observera le contraire dans le monde vivant. On n'a qu'à penser à tous ces chaînons manquants qui étaient attribués, à l'époque de Darwin, au peu de données géologiques disponibles, mais leur absence persistante a poussé Stephen Jay Gould a développer sa théorie saltationniste afin d'expliquer pourquoi on ne retrouvait pas une graduelle transformation des organismes dans les données fossiles.
Une lecture difficile?
Sans doute pour plusieurs francophones éduqués, la lecture du livre de Remine pourra être considérée difficile, car il propose une perspective sur les sciences, et sur la biologie en particulier, qui ne cadre pas avec le discours dominant. Il faut comprendre que dans nos sociétés francophones, le Siècle des Lumières a laissé des traces très profondes[8] et de ce fait il est TRES difficile pour le francophone éduqué de considérer sérieusement une conception des origines qui ne soit pas a priori scientifique ou, pour parler avec plus de précision, matérialiste et par ailleurs portant l'imprimatur des grands prêtres et des grandes institutions de la science. Si une perspective n'a pas un tel imprimatur, nous est extrêmement difficile alors de le considérer de manière objective[9]. Nos élites scientifiques admettront évidemment que l'on peut débattre des mécanismes de l'évolution, mais jamais remettre en question le fait que la vie est apparue essentiellement (et uniquement) par le biais de processus aléatoires et matériels. Pour examiner sérieusement des thèses telles que celles de Remine, le lecteur devra s'efforcer de dépasser l'effet conformiste des “ ornières de l'esprit ”. Je m'explique.
À l'époque plus pittoresque où le moyen de transport habituel était la calèche tirée par des chevaux, les routes pavées étaient chose rare. Par temps pluvieux donc, les voitures passant sur les chemins de terre (transformés en boue) creusaient de profondes ornières. Plus tard, lorsque le soleil et le temps sec étaient de retour et que le tout avait séché, un phénomène bien prévisible se produisait, les ornières séchaient et devenaient comme du béton. Et lorsqu'à nouveau les voyageurs s'aventuraient sur les routes, ces ornières, en quelque sorte, emprisonnaient les roues des voitures. Ceux qui circulaient alors sur de telles routes étaient confrontés à un certain inconvénient. S'ils voyageaient dans le même sens que ceux qui les avaient précédés (par temps humide), tout allait bien. Mais s'ils devaient emprunter le même chemin pour un moment et ensuite en prendre un autre, une difficulté réelle se présentait alors, car il fallait un effort considérable afin de quitter l'ornière qui avait été creusée par ceux qui sont passés auparavant. Il était donc plus facile de rester sur le parcours habituel que d'en sortir.
Lorsqu'il est question d'origines, sur le plan métaphysique il existe aussi des ornières. Ces ornières de l'esprit ce sont les routes conceptuelles empruntées par des millions d'individus et véhiculées par le système d'éducation et les médias. Dans la conscience collective d'une culture ou d'une époque, il se creuse alors de profondes ornières qui guident tout autant la pensée de l'individu que celle des élites et des grandes institutions sociales. Dans une culture médiatisée comme la nôtre, plus on diffuse massivement certains concepts, plus profondes alors seront les ornières de l'esprit chez l'homme postmoderne. Quitter le confort de telles ornières exige de fournir un effort psychique conscient et déterminé. Et cela provoquera inévitablement certains heurts, certaines réactions tandis que les acquis se trouvent remis en question. Pour ce faire, il faut donc développer un esprit critique véritable, indépendant. Il faut prendre l'initiative de ses propres recherches, poser les questions que d'autres taisent... Il faut rejeter la paraplégie de l'esprit qui suggère amicalement de joindre les rangs et de ne pas remettre en question ce que les avis des experts qui savent. C'est le consensus qui dirige.
Il faut noter que depuis un bon moment déjà, George Orwell a mis à nu la logique conformiste des systèmes de pensées dominantes, bloquant la pensée et qui évite les questions taboues qui dérangent (1950: 300-301):
La première et la plus simple phase de la discipline qui peut être enseignée, même à de jeunes enfants, s'appelle en Novlangue, arrêtducrime. L'arrêtducrime, c'est la faculté de s'arrêter net, comme par instinct, au seuil d'une pensée dangereuse. Il inclut le pouvoir de ne pas saisir les analogies, de ne pas percevoir les erreurs de logique, de ne pas comprendre les arguments les plus simples, s'ils sont contre l'Angsoc. Il comprend aussi le pouvoir d'éprouver de l'ennui ou du dégoût pour toute suite d'idées capable de mener dans une direction hérétique. L'Arrêtducrime, en résumé, signifie stupidité protectrice.
Mais la stupidité ne suffit pas. Au contraire, l'orthodoxie, dans son sens plein, exige de chacun un contrôle de ses processus mentaux aussi complet que celui d'un acrobate sur son corps. La société océanique repose, en fin de compte, sur la croyance que Big Brother est omnipotent et le Parti infaillible. Mais comme, en réalité, Big Brother n'est pas omnipotent, et que le Parti n'est pas infaillible, une inlassable flexibilité des faits est à chaque instant nécessaire[10].
Pour des millions d'occidentaux, les ornières de l'esprit touchant les origines restent invisibles. Si on leur demandait un avis, plusieurs répondraient que ces ornières n'existent pas et que l'auteur de ces lignes fabule, invente, et que tout cela est le sous-produit d'une mauvaise digestion[11]. Mais, à notre point de vue, la raison d'une telle objection est simple, ils n'ont jamais tenté de s'éloigner des ornières dominantes. Tant que l'on suit le courant de la cosmologie dominante, ces ornières restent invisibles (et tout à fait confortables). Tandis qu'on suit le courant général et admis, il n'y a pas de heurts. Tout se passe bien. Mais si on s'éloigne de ces ornières, alors le chemin devient moins confortable, plus imprévisible, comme l'a documenté Ben Stein dans le film Expelled: No Intelligence Allowed, examinant ce qui se passe lorsque des scientifiques ou universitaires osent remettre sérieusement en question la charia matérialiste. Mais c'est un autre sujet...
Mais pour conclure, je recommande fortement le livre de Remine à tous les étudiants universitaires en biologie ou dans des domaines connexes (sans compter évidemment ceux qui ont complété leurs études). Puisque pour un bon moment encore les programmes font exclusivement la promotion de l'évolution, ceux qui veulent examiner une perspective différente sur la question doivent faire leurs propres recherches, car les manuels de cours n'examinent jamais les problèmes sérieux du scénario néodarwinien et n'y feront jamais allusion sinon pour rassurer les fidèles que le problème est réglé depuis longtemps. Et examiner les arguments créationnistes à la source pour former son propre idée? Ah non, pas question! Évidemment pour plusieurs francophones la lecture d'un livre anglais posera problème, mais pour un francophone dans le monde des sciences où la lecture d'articles et de livres en anglais fait partie du quotidien, alors pour les universitaires, l'obstacle est moindre.
Références
HALDANE, JBS (1957) The Cost of Natural Selection. Journal of Genetics 55, pp 511-524
MAYR, Ernst (1982) The Growth of Biological Thought: Diversity, Evolution and Inheritance. Cambridge Mass, Harvard U.Press xiv-974 p.
ORWELL, George (1950) Mille neuf cent quatre-vingt-quatre. Gallimard [Paris] (coll. Folio; 822) 438 p.
RABINOW, Paul (1986) Representations Are Social Facts: Modernity and Post-Modernity in Anthropology. pp. 234-261 in Clifford, James & Marcus, George E., eds.. Writing Culture : the Poetics and Politics of Ethnography. University of California Press Berkeley CA
REMINE, Walter (2006) Interview on Haldane's Dilemma. (YouTube)
VJTORLEY (2014) Haldane's dilemma what does science really say? Uncommon Descent
Ressources web
http://www3.interscience.wiley.com/journal/110518786/abstract?CRETRY=1&SRETRY=0
http://en.wikipedia.org/wiki/Haldane's_dilemma
On retrouve une (tentative de) réplique à Remine sur Talkorigins
http://www.talkorigins.org/indexcc/CB/CB121.html
http://ourworld.compuserve.com/homepages/rossuk/haldane.htm
et quelques échanges sur la question (réactions aux arguments évolutionnistes sur la question)
http://www.evolutionfairytale.com/articles_debates/haldane_rebuttal.htm
[1] - Baccalauréat et maîtrise en génie électrique.
[2] - Apparition de la vie à partir d'éléments non vivants. Les démonstrations de Pasteur au 19e siècle ont démoli ce concept.
[3] - Une catastrophe d'erreurs est une expression inventée pour décrire l'incapacité d'un élément génétique de se maintenir au sein d'une population tandis que la capacité de ses mécanismes de reproduction à le reproduire fidèlement diminue au-delà d'un certain seuil. Une catastrophe d'erreurs se produit donc lorsque les erreurs génétiques s'accumulent dans une population plus rapidement qu'elles ne peuvent être éliminées par les mécanismes de détection et de correction d'erreurs.
[4] - Dont le philosophe de la science Karl Popper. J'en discute au chapitre VI de Fuite de l'Absolu, volume 2 (2009).
[5] - Une affirmation irréfutable est proposée de manière à ce qu'aucune donnée empirique ne peut la contredire (ex. l'affirmation : les anges ont tous des ailes bleus). Selon Popper, une théorie scientifique doit pouvoir être contredite par des données d'observation, empiriques.
[6] - Comme il l'a toujours fait d'ailleurs. On n'a qu'à penser à la crise provoquée par la découverte de la génétique mendélienne au début du XXe siècle et qui a produit le néodarwinisme. Rien n'empêche le développement de théories néo-néodarwiniennes.
[7] - C'est-à-dire des traits génétiques d'un organisme retournent à ceux qui étaient caractéristiques d'un organisme ancêtre dans sa lignée.
[8] - Au Québec évidemment cette influence nous est parvenu plus tardivement...
[9] - Cela rappelle un commentaire de l'anthropologue américain Paul Rabinow (1986 : 253)
Nous savons que l'une des tactiques les plus courantes d'une élite est de refuser de discuter – de désigner par des expressions telles que vulgaire ou sans intérêt - des questions qui les mettent mal à l'aise.*
[10] - Orwell explore d'autres aspects de ce phénomène et rend compte de la canalisation des instincts qui se produit lorsque le processus d'endoctrinement est complet. On peut considérer alors que le catéchisme est intégré, qu'il est devenu seconde nature. (Orwell 1950: 300) :
On exige d'un membre du Parti, non seulement qu'il ait des opinions convenables, mais des instincts convenables. Nombre des croyances et attitudes exigées de lui ne sont pas clairement spécifiées, et ne pourraient être clairement spécifiées sans mettre à nu les contradictions inhérentes à l'Angsoc. S'il est naturellement orthodoxe, (en Novlangue: bienpensant), il saura, en toutes circonstances, sans réfléchir, quelle croyance est la vraie, quelle émotion est désirable. Mais en tout cas, l'entraînement mental minutieux auquel il est soumis pendant son enfance, et qui tourne autour des mots Novlangue arrêtducrime, blancnoir et doublepensée, le rend incapable de réfléchir et de vouloir réfléchir trop profondément.
On attend d'un membre du Parti qu'il n'éprouve aucune émotion d'ordre privé et que son enthousiasme ne se relâche jamais. Il est censé vivre dans une continuelle frénésie de haine contre les ennemis étrangers, et les traîtres de l'intérieur, de satisfaction triomphale pour les victoires, d'humilité devant la puissance et la sagesse du Parti. Les mécontentements causés par sa vie nue, insatisfaisante, sont délibérément canalisés et dissipés par des stratagèmes comme les Deux Minutes de la Haine. Les spéculations qui pourraient peut-être amener une attitude sceptique ou rebelle sont tuées d'avance par la discipline intérieure acquise dans sa jeunesse.
[11] - Sinon de la mauvaise volonté...