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Samizdat

L'absorption des croyances
dans une culture postmoderne.[1]






Paul Gosselin

La distinction moderne/postmoderne
Lorsque je rencontre un intellectuel, je m'amuse parfois à poser la question “Qu'est-ce pour toi que le postmodernisme? Qu'est-ce que la distinction moderne/postmoderne ?” Les réponses varient toujours en fonction des intérêts de la personne et son champ de formation. Une définition pertinente, dans le champ des études littératures ou en architecture, pourra être sans intérêt en anthropologie ou en histoire. Il ne peut donc être question ici que d'offrir une perspective inévitablement partielle et partiale de la question. L'idéologie moderne, dominante au XXe siècle, a d'abord mis de côté la religion et a affirmé que désormais la science serait la source du savoir. Si autrefois la hiérarchie ecclésiastique ou la Bible était le garant de la Vérité, désormais la science jouerait ce rôle. L'empirique devait constituer la fondation de tout savoir digne de mention. Bien qu'une vision du monde matérialiste domine l'Occident depuis le début du XXe siècle, on a malgré tout maintenu[2] plusieurs concepts tirés du bagage culturel judéo-chrétien. Par exemple, on a maintenu le concept chrétien qu'il y ait un sens à l'histoire et, dans le contexte moderne, on a appelé ce sens le progrès. Dans la période postmoderne, on a poursuivi ce travail de délestage et d'autres éléments de l'héritage judéo-chrétien sont, via un long processus souterrain, mis de côté, notamment sur le plan de la moralité, le concept d'histoire universelle (unilinéaire), le droit, la place de l'homme dans la nature. De plus, la vision du monde postmoderne renie tout projet politique collectif, universel. Le relativisme culturel élimine tout universalisme moral ou politique, sauf celle de la science. Le concept de progrès est aussi déconstruit. On nie l'universalité de ce concept que l'on aborde en tant que métarécit de l'Occident. Mais ce n'est là qu'une question de temps. Il faut noter que le postmoderne ne renie plus la religion (comme ce fut le cas de l'idéologie moderne) à la condition que celle-ci se plie aux exigences du syncrétisme postmoderne et, surtout, renonce aux prétentions d'un Absolu, d'une Vérité universelle. Le matérialisme pur et dur n'est plus obligatoire. Les idéologies ou religions collectives sont chose du passé. L'idéologie postmoderne est fait sur mesure, l'individu est le juge de tout. L'individu peut, bien sûr, adhérer à une communauté de foi, mais c'est un aspect de moindre importance, secondaire. Ce que l'on appelle parfois cheminement, masque un shopping idéologique, au gré des émotions et des préoccupations du moment. Atteindre un but, trouver la vérité, importe peu, c'est le cheminement lui-même qui importe.


Comment on acquiert ses croyances?
Si on recule de cent ans en Occident, les gens faisaient l'acquisition de leurs croyances en participant à des rituels publics ou par un enseignement religieux formel comme, par exemple, la lecture d'un catéchisme. Ce n'est plus le cas. L'homme postmoderne, où va-t-il chercher ses croyances alors ? À quel endroit va-t-il trouver le sens à sa vie et établir sa moralité ? En somme, où va-t-il chercher sa religion ? À plusieurs sources en fait. L'homme postmoderne absorbe ses croyances et attitudes par le biais de son environnement social, son éducation et dans sa consommation de la culture populaire, c'est-à-dire par l'écoute de CDs de musique, la lecture de son quotidien, en visionnant des téléromans, des films, en lisant un roman Harlequin ou en assistant à des pièces de théâtre. Dans une très large mesure, cette absorption de croyances et d'attitudes de la culture populaire est un processus inconscient.


L'intérêt pour les arts chez les évangéliques

Il y a actuellement dans les milieux évangéliques un regain d'intérêt pour l'exercice de la créativité. On veut sortir de notre isolement, sortir de nos interdits et exploiter nos talents. Pour atteindre cet objectif, en cours de route, il faut donc découvrir ses capacités, ses points forts, ses points faibles, tenter des choses, se former, prendre des risques et monter des projets. Mais il faut aussi aller plus loin. Il faut aussi poser la question : “ Pourquoi exercer sa créativité ? Pour livrer quel contenu ? ”

L'expression de la créativité implique toujours une référence (plus ou moins visible) à une vision du monde, une idéologie. L'art n'est pas neutre. Les Écritures nous enseignent que l'exercice de la créativité implique une responsabilité. Puisqu'on tente d'influencer d'autres le verset qui suit s'applique alors. “ Mes frères, qu'il n'y ait pas parmi vous un grand nombre de personnes qui se mettent à enseigner, car vous savez que nous serons jugés plus sévèrement. ” (Jacques 3:1 ). Si on imite le monde qui nous entour et que notre priorité la plus importante est de s'épanouir sur le plan personnel et de maintenir notre niveau de vie cela risque de conduire à des compromis lorsqu'on sera mise à l'épreuve. Les Écritures nous affirment “ Vous êtes le sel de la terre. Mais si le sel perd sa saveur, avec quoi la lui rendra-t-on? Il ne sert plus qu'à être jeté dehors, et foulé aux pieds par les hommes. ” (Matt 5:13) Il ne s'agit pas de retourner à l'idée que l'art d'un doit servir strictement à l'évangélisation ou la liturgie et que le reste soit sans intérêt. Le Chrétien a le droit de s'intéresser à tout dans la Création à moins d'interdit explicite de la part de la Parole de Dieu. Par exemple il est concevable que le Chrétien compose un chant d'amour, mais non pas un chant d'amour qui vante les plaisirs de l'adultère...

Pour résumer, le Chrétien ne peut jamais dissocier ce qu'il fait de ce qu'il est. Les Écritures nous affirment “ La bouche parle de l'abondance du cœur. ”


Le Chrétien dans une culture postmoderne

Je notais tantôt que l'homme postmoderne tire ses convictions et attitudes largement de la culture populaire. C'est à la fois une opportunité et un danger. Il a une opportunité dans le fait qu'une culture chrétienne vivante peut toucher l'homme postmoderne. Il y a danger, car il faut noter que le Chrétien au XXIe siècle n'échappe pas à ce phénomène. Aujourd'hui, les portes sont ouvertes, les barrières sont tombées. Le Chrétien regarde aussi la TV, va au cinéma, lis les journaux et prends des cours à l'université. Le monde peut certainement nous atteindre, mais est-ce que nous on peut atteindre le monde ? Si on examine le taux de divorce en milieu évangélique par exemple, à peu de choses près, on rencontre les mêmes attentes, les mêmes comportements, les mêmes justifications et les mêmes statistiques. Il nous faut donc développer une attitude critique, prophétique à l'égard de la culture dominante de notre temps. Et pour ce faire, il faut d'abord retourner aux sources, la Parole de Dieu.

Et si j'utilise le terme prophétique je ne pense pas à celui qui nous annonce le prochain réveil ou celui qui pense avoir déterminé l'identité de l'AntéChrist ou la date de la fin du monde. Il s'agit de quelque chose à la fois plus simple et plus difficile. Il s'agit de celui qui examine la culture environnante et la compare au standard de la Parole de Dieu.

Dans l'essai No God but God. Oz Guiness et John Seel notent de manière directe (1992: 214):

Ce que disent ici Guiness et Seel n'a pas comme but d'encourager les Chrétiens de devenir des emmerdeurs professionnels et d'avoir des conflits de personnalité avec tous ceux qu'ils rencontrent sur leur chemin. Mais ça implique que pour avoir une perspective originale, critique, le Chrétien doit connaître intimement la Parole de Dieu et de l'appliquer dans sa propre vie ainsi que dans le contexte social où il se trouve. C'est son point de repère. Le Chrétien qui exerce sa créativité doit donc être soumis aux mêmes disciplines spirituelles que tout autre chrétien. Il doit avoir une vie de prière stable et lire régulièrement les Écritures. Il doit aussi s'attacher à une église locale. Il faut franchir cette étape avant de passer à autre chose. Sinon, influencé par le contexte social environnant, le Chrétien postmoderne cherche souvent le confort personnel, l'épanouissement de soi, les bénédictions, il évite la confrontation. Devant la génération qui nous entour, il n'a rien de révolutionnaire à dire. Comme les idéologies qui nous entourent, le Chrétien postmoderne affirmera (en utilisant le jargon évangélique approprié) “ J'ai le droit d'être heureux/heureuse! ”

Pour aiguiser son sens critique le Chrétien doit lire ce que d'autres Chrétiens ont dit sur les sujets qui l'intéressent. Il faut donc digérer ce que CS Lewis, Francis Schaeffer, Blaise Pascal et bien d'autres ont pu nous laisser en héritage. On peut s'en inspirer, mais sans en faire des idoles, au-dessus de toute critique, car seule les Écritures sont la Parole, la Vérité. Sur ce champ de bataille, où s'affrontent diverses influences, il faut s'armer. Plusieurs penseurs chrétiens, qui ont passé devant, peuvent nous fournir ces armes. Une traduction intéressante de Proverbes 27 : 17 dit : “ Le fer aiguise le fer, l'homme s'affine au contact de son prochain. ” Les Écritures nous affirment qu'il faut aimer Dieu non seulement avec son cœur/ses émotions, mais avec toute sa pensée[3].

Je vous encourage donc d'exploiter vos talents, de prendre une formation appropriée, d'élargir vos connaissances, démarrer des projets et d'être aussi créatifs que possible avec les moyens à votre disposition. Ne vous souciez pas trop si les autres vous encouragent ou non. Mais je vous encourage surtout d'être des Chrétiens véritables, solidement enracinés dans la Parole et dans une église locale. Si l'art ou une profession devient la raison de vivre d'un chrétien, il est devenu une idole.



Ressources

Livres et articles (+ URLs)

Français

Godawa, Brian (1997) Au-delà du sexe et de la violence: Le rachat au cinéma.

GOSSELIN, Paul (2003) Hors du ghetto: un regard évangélique sur les arts et la culture. Samizdat Sainte-Foy, QC 383 p.

GOSSELIN, Paul (2006) Fuite de l'Absolu: Observations cyniques sur l'Occident postmoderne. Volume I. Samizdat Sainte-Foy, QC 492 pages

LEWIS, C. S. (1965) Expérience de critique littéraire. Gallimard [Paris] 206 p.

LEWIS, C. S. (c1970/1986) Dieu au banc des accusés. (edité par Walter Hooper, trad. Astrid & Etienne Huser) Éditions Brummen Verlag Bâle 111 p.

MYERS, Ellen (1989 ) La créativité humaine: La littérature, la musique, les beaux arts. Creation Social Science and Humanities Quarterly Winter Vol XII, no. 2

ROOKMAAKER, Hendrik Roelof (1974) L'art moderne et la mort d'une culture. Ligue pour la lecture de la Bible Guebwiller, France 284 p.

SCHAEFFER, Francis (1968/1989) Dieu, illusion ou réalité ? Ed. Kerygma Aix-en-Provence 155 p.

SCHAEFFER, Francis (1968/1993) Démission de la raison. (édition révisée) Maison de la Bible Préverenges

SCHAEFFER, Francis (1974) La mort dans la cité. Éditions La Maison De La Bible Genève-Paris

SCHAEFFER, Francis La bataille pour notre culture: entrevue. New Wine Vol. 14 no. 2 février. 1982 pp. 4-9


English

GODAWA, Brian (2002) Hollywood Worldviews: Watching Films with Wisdom and Discernment. InterVarsity Press Downers Grove IL

GUINESS, Os & Seel, John (1992) No God but God: Breaking with the Idols of Our Age. Moody Press Chicago IL 224 p.

ROOKMAAKER, Hendrik Roelof (1981) The Creative Gift: Essays on Art and the Christian Life. Cornerstone Press Chicago

ROOKMAAKER, Hendrik Roelof (1970/1985) Christianity and Art. Instuut vir Reformatoriese Studie (coll. Studiestuk no. 210) pp. 1-19

ROOKMAAKER, Hendrik Roelof (1978) Art Needs No Justification. Inter-Varsity Press Downers Grove IL L'Abris cassettes no. X581

SAYER, George (1988/1994) Jack: A Life of C. S. Lewis. Crossway Books (Good News) Wheaton IL 457 p.

SCHAEFFER, Francis (1973) Art and the Bible. InterVarsity Press Downers Grove IL

SCHAEFFER; Francis (1976/1995) How Should We Then Live ? The Rise and Decline of Western Thought and Culture[4]. Crossway Books Wheaton IL 288 p.

SCHAEFFER, Francis (1982) The Battle for Our Culture: an interview with Francis Schaeffer;. pp. 4-9 in New Wine magazine vol. 14 no. 2 Feb.

SCHAEFFER; Francis (1994) The Complete Works of Francis Schaeffer: A Christian World-View. Crossway Books Wheaton IL vols. I-V

SCHAEFFER, Franky V. (1982) A Time for Anger: The Myth of Neutrality. Crossway Books Westchester IL 206 p.

SCHAEFFER, Franky V. (1981/1985) Addicted to Mediocrity: 20th Century Christians and the Arts. Crossway Books Westchester IL 127 p.

SCOTT, Steve (1997) Like a House on Fire: Renewal of the Arts in a Postmodern Culture. Cornerstone Press Chicago IL 135 p.

TURNER, Steve (1995) Hungry for Heaven: Rock 'n Roll & the Search for Redemption. InterVarsity Press Downers Grove IL 240 p.

VEITH, Gene Edward (1994) The Reformation & The Arts. Modern Reformation vol. 3 no. 6 Nov./Dec.

VEITH, Gene Edward (1983) The Gift of Art: The Place of the Arts in the Reformation. Intervarsity Press Downers Grove IL

VEITH, Gene Edward jr. (1991) State of the Arts: From Bezalel to Mapplethorpe. Crossway Books Wheaton IL (coll. Turning Point Christian Worldview Series) 252 p.

ZACHARIAS, Ravi (1998) An Ancient Message, Through Modern Means, to a Postmodern Mind.




Ressources Internet

Christians in the Visual Arts (CIVA)

Samizdat: Arts

Parvis des Arts (France)

The Spiritual Minds Project



Notes

[1] - Conférence présenté à la conférence Écrire Montréal, octobre 2004

[2] - Par intertie culturelle dans une certaine mesure.

[3] - Marc 12: 33.

[4]- Une série de vidéos, portant le même nom, d'une durée de 6 heures existe aussi.