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Samizdat

Troisième réponse: Paul Gosselin (8/1/2010)




Table des matières


monsieur Thys,


désolé pour le retard...

Vu nos échanges deviennent de plus en plus élaborés, j'ai pensé passer en mode texte seulement. Puisque dans l'échange on rencontre des commentaires cités à plusieurs reprises, ça devient un peu difficile à suivre.

Dans ce mot, les citations seront donc précédées de ">" et les commentaires ajoutés n'en auront pas. Et si vous me citez, cela sera précédé de deux ">>". Ouais, ça devient assez vite compliqué... Procéder ainsi élimine évidemment des tas de nuances de mise en page (italiques, gras, citations en retrait), mais rend beaucoup plus facile de repérer les nouveaux commentaires.

Pour ce qui est du titre de ce mot (Deux dans un...), cela réfère au fait que dans les dernières semaines, votre deuxième message (du 15/12/09) a suscité de nouvelles réflexions, alors je réagit d'abord à celui du 15/12/09 ainsi que le dernier du 16/12/09.



dans votre mot du 12/12/09, vous avez dit:

> A mes yeux, on ne peut pas CHOISIR d’être créationniste ou évolutionniste. En
> effet, on ne peut pas comparer ni donc choisir entre la " Création ", qui est
> une croyance, relevant du cerveau émotionnel, et l’Evolution (avec majuscule
> parce qu’il s’agit de celle du vivant), qui procède du cerveau rationnel,
> lequel pense, constate, conclut qu’il s’agit d’un fait résultant
> d’observations scientifiques convergentes et cohérentes, même si elles
> resteront toujours partielles.

À mon point de vue, une telle perspective équivaut à une croyance, une croyance qu'on est libre de choisir, ou pas...

> J’ai même tendance à estimer que le cerveau humain, parce que capable du
> meilleur comme du pire, n’est pas un progrès, ni donc le " summum " de
> l’évolution. Je pense plutôt que " pour " compenser la faiblesse corporelle
> humaine, l’évolution l’a rendu capable d’imaginer des dieux protecteurs, puis
> hélas Un seul Vrai " Dieu ", excluant tous les autres, et dès lors à l’origine
> de toutes les intolérances, etc …

Pour ce qui est de l'origine de tous les maux de l'Occident, s'il est question du Moyen Âge (là où, grossièrement, le système judéo-chrétien était au sommet de son influence [je dis bien grossièrement, car du point de vu du Protestant que je suis, il y aurait des tas de réserves à faire sur la question]), il me semble légitime d'examiner le lien entre croyance en Dieu et intolérances, etc... Mais au 20e siècle, la question est fort différente. Chez nos élites ainsi que dans les lieux de pouvoir en Occident, l'influence du système judéo-chrétien a été fortement repoussée et marginalisée. Inéluctablement, ce sont les héritiers des Lumières qui règnent et qui désormais doivent rendre des comptes pour les "intolérances, etc.." du 20e siècle. Mais puisque la repentance et l'examen de soi ne sont pas des concepts forts dans le système idéologico-religieux des Lumières, il leur est beaucoup plus facile de pointer du doigt la culpabilité de leurs ancêtres.

Ceci dit, certains penseurs modernes parviennent à dépasser ce tabou et offrent des observations dignes d'intérêt. Dans son essai Grammaires de la création (2001: pp. 12-13), le critique littéraire britannique George Steiner note que le XXe siècle, pour l'Europe et la Russie, a été non pas le ciel sur la terre, mais plutôt l'enfer. Entre le mois d'août 1914 et la guerre des Balkans dans les années 90 plus de 70 millions d'individus ont trouvé la mort. Évidemment, la guerre, la pestilence et la famine ne sont pas des phénomènes uniques au XXe siècle. Steiner note que la désintégration du visage humain de ce siècle comporte un certain mystère. Cette désintégration n'est pas le résultat d'invasions barbares ou d'une menace extérieure. Le nazisme, le fascisme et le stalinisme ONT TOUS ÉMERGÉ DU CONTEXTE SOCIAL ET ADMINISTRATIF DES HAUTS LIEUX INTELLECTUELS OCCIDENTAUX.

Steiner ajoute que dans le cas de la Solution finale des nazis, il y a là une singularité, non pas en termes d'échelle, car le stalinisme a tué plus encore, mais sur le plan de la motivation. Le nazisme a décrété qu'il y avait une catégorie de personnes, jusqu'aux femmes et enfants, dont le crime était simplement d'exister. Il y a là un côté obscur de l'Occident sur lequel il est difficile de lever le voile.

Bon, ici Steiner est pudique et ne pointe pas directement du doigt les "coupables", mais si considère que les hauts lieux administratif et intellectuels occidentaux ont été envahis par les héritiers des Lumières dès le milieu du 19e siècle, alors l'observation de Steiner gagne en importance. Qui au juste est visé par son commentaire? Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende!

Mais comme je l'ai mentionné ci-dessus, chez les héritiers des Lumières l'habitude de pointer du doigt leurs ancêtres (chrétiens) détestés est devenu un réflexe automatique qui dispense de tout examen de conscience sur la terreur et les génocides déclenchés au 20e s. par les enfants légitimes des Lumières. Quel héritier des Lumières aura le courage de faire ce bilan (sans complaisance) et d'en tirer les leçons? Au 19e et au début 20e siècle, ces héritiers des Lumières se sont gavés comme des oies du darwinisme qui a été la source du darwinisme sociale (Francis Galton, le fondateur de l’eugénisme était le cousin de Charles Darwin) de courants racistes qui ont fleuri partout en Occident et donné lieu à divers programme eugéniques et qui ont inspiré et nourri le nazisme allemand.

vous avez dit:

> Certes, " la biologie est l’étude d’objets complexes qui donnent l’apparence
> d’avoir été conçus dans un but précis ". Mais c’est à cause de notre vision
> anthropomorphique, et parce que ne parvenons pas imaginer la durée colossale
> pendant laquelle s’est déroulée l’Evolution depuis l’apparition du vivant.

Cela semble laisser entendre que la logique impose le concept du Design/Dessein, mais du point de vue évolutionniste, il faut rejeter cette logique et affirmer sa foi dans un processus obscure, miraculeux, non-observable où des mécanismes biologiques apparaissent sans l'intervention d'un "Agent intelligent" (comme disait Isaac Newton). Une telle attitude ne me semble pas très rationnelle, mais s'il faut éviter à tout prix voir se pointer un Créateur devant qui tous auraient des comptes à rendre, cela se comprend. Les Américains ont la bonne/mauvaise habitude de dire tout fort ce que d'autres n'osent pas penser tout bas et le professeur de génétique américain, Richard Lewontin, a dit un jour à ce sujet (attention à la dernière phrase où il met les cartes sur table):

LEWONTIN, Richard
A review of Carl Sagan's book Billions and Billions of Demons. pp. 28-32
in New York Review of Books, Jan. 9 1997, vol. 44 no.1


tu dis:
> Je n’ai pas " foi en l’évolution ". Pour le dire simplement, je pense (et non
> je " crois ") que la matière vivante tend spontanément, comme par " dilution
> ", par " expansion ", à rechercher un milieu ambiant aussi favorable que
> possible pour se développer, se diviser, se reproduire, se diffuser et donc
> survivre aux dépens des autres espèces (sauf l’animal humain qui est le seul à
> s’attaquer à ses semblables !).

C'est rigolo. Mais si les évolutionnistes ne peuvent démontrer empiriquement (et non pas "rhétoriquement") que la matière inorganique tend spontanément à se développer, se diviser, se reproduire, se diffuser alors la nuance entre "croire" et "penser" me semble plutôt illusoire, mais si vous y tenez... Et si l'abiogenèse pose déjà un problème énorme pour l'évolution, le code génétique, les mécanismes de correction d'erreurs génétiques, l'origine des tas de structures complexes que l'on rencontre dans le monde biologique posent bien plus de défis à l'évolution que ceux que le petit nombre de "problèmes" connus de l'époque de Darwin. Et les progrès de la génétique et de la microbiologie nous apportent de plus en plus de cas à chaque année. Ce n'est pas rose.

tu dis:

> La liberté de la recherche scientifique n’est limitée que par le respect de
> l’observation des faits, dans l’esprit de Claude BERNARD et de Karl POPPER,
> donc sans préjuger de l’issue des hypothèses de travail de départ,
> susceptibles d’être confirmées ou infirmées par l’expérimentation. Je vous
> rappelle ce que disait Henri POINCARE :
>
> " La pensée ne doit jamais se soumettre, ni à un dogme, ni à un parti, ni à
> une passion, ni à un intérêt, ni à une idée préconçue, ni à quoi que ce soit,
> si ce n’est aux faits eux-mêmes, parce que, pour elle, se soumettre, ce serait
> cesser d’être ".

Désolé pour m. Poincaré, mais c'est une conception très dépassée de la science. Au 16e siècle, Francis Bacon pouvuait croire possible d’aborder les faits sans aucun biais, mais la philosophie de la science a depuis longtemps abandonné de telles conceptions. Le philosophe de la science Karl Popper, examinant le concept d'une science pure, coupé de tout lien avec la métaphysique (ou "des idées préconçues" comme le dit Poincaré) fit les commentaires suivants:

Popper, Karl R.
Conjectures and Refutations
Routledge and Kegan Paul London 1965 417 p.

La science sans préjugé, ni "idée préconçue" est donc impossible. C’est une fiction néopositiviste. Ailleurs, dans un essai sur sa vision de la philosophie, Popper émet des commentaires d’ordre généraux qui s’appliquent évidemment au commun des mortels, mais ÉGALEMENT au scientifique (1977 : 137-138) :

POPPER, Karl R. (1977)
How I see Philosophy. pp. 125-173
in Philosophers on Their Own Work.
Féd. Internationale des Sociétés de philosophie Peter Lang Berne 251 p.

Mais sur le plan de la philosophie de la science, le milieu intellectuel francophone tend à éviter de telles observations, car se cramponner à des conceptions positivistes (dépassées) du 19e siècle reste toujours rentable sur le plan idéologique. Ça évite les remises en question sérieuses.

Tu dis:

> Si je m’intéresse au phénomène religieux, plutôt que de l’ " éviter ", c’est
> parce que j’ai été croyant (protestant) jusqu’à 21 ans, puis déiste,
> agnostique, incroyant et enfin athée à 24 (j’en ai 70). Jamais sans doute je
> n’aurais réussi , au-delà de 25 ou 30 ans, à remettre en question mes options
> fondamentales …)

Je ne sais pas si cela correspond à votre cheminement, mais chez plusieurs matérialistes, la question de la souffrance et l'injustice a beaucoup contribué à l'adoption d'une vision du monde matérialiste. L’historien John Durant note à son égard que les données de la science, comme telles, figurent peu dans l'évolution de sa vision du monde personnelle (1987: 20-21):

DURANT, John (1987) A Critical-Historical Perspective on the Argument about Evolution and Creation. pp. 12-26 In Evolution and Creation: A European Perspective. S. Anderson & A. Peacocke (éds.) Aarhus Univ. Press Aarhus DK 215 p.

tu dis:

> J’ai lu notamment votre texte relatif à la créativité et à la perception de la
> beauté, qu’elle soit musicale, poétique, picturale, etc …

je suis curieux, quel article?

> A mes yeux, ces activités mentales ne portent pas l’ " image de Dieu ", elles
> n’en sont pas un " indice ", mais plutôt des " émanations " évolutives du
> cerveau humain, au même titre que la croyance religieuse.

Vu votre vision du monde, une telle conclusion est plutôt inévitable non? Mais en rapport avec la question esthétique, il est curieux de noter l'effet qu'a eu la vision du monde darwinienne sur Darwin lui-même. Dans son autobiographie, au milieu de commentaires sur les ventes remarquables de ses livres, Darwin fait les aveux suivants (1888: 103-104):

DARWIN, Charles (1888) La vie et la correspondance de Charles Darwin, avec un chapitre autobiographique. (vols. I & II) publié par son fils Francis Darwin ; traduit de l'anglais par Henry C. de Varigny C. Reinwald Paris

Évidemment, tous les évolutionnistes ne sont pas affligés de la sorte, au point de perdre une grande partie de leurs capacités esthétiques. On peut penser, par exemple, à la culture esthétique élargie d'un S. J. Gould (participant à des chorales exécutant le Messie de Haendel) par exemple. Mais il y a lieu de se demander si Darwin n'a pas simplement goûté, avec une plus grande force et cohérence, les conséquences logiques de sa vision du monde?

Sur un autre plan, si on reste dans la cohérence de votre vision du monde, l'amour entre un homme et une femme se verrait réduit à une réaction hormonale et rien d'autre... Chuchoter "Je t'aime" dans le creux de l'oreille de votre épouse signifie quoi alors? Le concept de ce "Je" se réduis alors à une illusion que s'amuse à nous jouer nos neurones un peu déglingués...




et pour ce qui est de votre mot du 15/12/09, vous avez dit:

>> " De mon coté je n'oppose pas que l'évolution soit enseigné, mais je m'oppose
>> qu'il puisse se réclamer du titre de "théorie scientifique". Sa place n'est
>> donc pas dans les cours de science... Ouais, je le sais ça choque les
>> oreilles, mais ça ne tient pas dans le vide. Pour se faire une idée à quoi
>> peut tenir une telle affirmation, il faudra au moins se taper la lecture de
>> Mythes d'origines et la théorie de l'évolution.
>> http://www.samizdat.qc.ca/cosmos/origines/M_Efr.html "
>
> ===> Tu estimes donc que l"évolutionnisme, parce qu'on peut y voir une
> connotation ou une implication religieuse ou philosophique, comme dans le cas
> du créationnisme, ne peut pas être enseigné lors d'un cours de sciences, mais
> de philosophie ou de religion.
>
> Mais dans cette logique, l'astronomie, la paléontologie,..., et même la
> chimie, par exemple, ne peuvent plus faire partie d'un enseignement
> scientifique, puisque Lavoisier a dit, avec raison et dans tous les domaines :
> "Rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme" ... !

Votre réaction laisse entendre que vous n'avez pas pris la peine de lire mon article... Il faut bien dépasser la vision folklorique de la science que l'on véhicule dans les médias et dans une bonne part du système d'éducation. Il faut bien se fixer sur le fait que la science véritable exige dans un premier temps l'élaboration de THÉORIES SUR LE MONDE PHYSIQUE ensuite la confrontation de ces théories au monde réel grâce à L'OBSERVATION DE PROCESSUS EMPIRIQUES pertinents (et répétables) qui confirment ou infirment ces théories.

Au 18e on a pu réfuter la théorie de la combustion due à Aristote (invoquant la présence de la substance du phlogistique) après la découverte de la molécule de l'oxygène. Le hic c'est que dans le cas de la théorie de l'évolution, l'échelle grandiose/cosmique des prétentions explicatives de la théorie interdit de telles expériences. Et même si on s'en tient à l'origine de la vie (l'abiogenèse), toutes les expériences en labo aboutissent dans un cul-de-sac. Le mieux qu'on a pu trouver a été de se vanter des expériences (truqués, il faut le dire) de Fox et Miller qui ont pu aboutir à la production de quelques molécules organiques. Les chercheurs honnêtes savent que l'on est encore TRES loin de produire un organisme vivant capable de se reproduire de manière fiable, et ce, sans l'intervention d'un agent intelligent...

Admettre une définition de la science aussi restrictive aura, bien sûr, l'effet de briser le prestige de tas de domaines de recherche (particulièrement en "sciences" sociales) au caractère idéologique qui rehaussent leur prestige (et cherchent des subventions) grâce à leur statut "scientifique".

Cela dit, ça m'échappe pourquoi vous incluez la chimie dans les champs de recherche sujets à une telle remise en question. La chimie me semble tout ce qu'il y a d'empirique, car on peut y observer les processus chimiques du début d'une réaction jusqu'à la fin et fixer sans problème les conditions de départ (ce qui est impossible dans le cas de l'évolution).

>
> Une telle conception me paraît dépendante d'un présupposé religieux
> incompatible avec une démarche scientifique, et d'une préséance de la religion
> par rapport à la science. Je ne puis d’ailleurs pas accepter l'argument
> jésuitique selon lequel la science s'occupe du comment et la religion du
> pourquoi, ce qui les rendrait conciliables, puisque relevant de niveaux, de
> sphères, de registres différents.

Il est plutôt curieux que vous rejetez l'affirmation des domaines de compétences relatives de la science et de la religion (laquelle au juste?) car ce n'est pas essentiellement une perspective "jésuitique". La preuve, c'est que le paléontologue renommé S. J. Gould a proposé le concept du NOMA (ou "Nonoverlapping Magisteria"), c'est-à-dire un système éthique ne s'appuyant pas sur la "science" (cad, la cosmologie évolutionniste). Le concept de NOMA réclame donc une cohabitation de la cosmologie matérialiste (dite "scientifique"] et la moralité [religieuse], cette dernière pouvant suppléer aux défauts manifestes du premier dans le domaine éthique… Gould résume ce "partage des pouvoirs" de la façon suivante (Gould 2000):

GOULD, Stephen Jay (1997) This view of life: Nonoverlapping Magisteria.
in Natual History vol. 106, no. 2, pp. 16, 18-22, 60-62

GOULD, Stephen Jay (2000) The First Day of the Rest of Our Life. (the arrival of the new millenium). in Natual History April,

Mais une question se pose tout de même, pourquoi aurions-nous besoin de la "direction morale et des capacités nobles" de la religion ? Qu’est-ce qui motive ce recours ? Est-ce inévitable ? Si oui, il faut constater qu’un tel recours expose une déficience sérieuse dans la cosmologie matérialiste, à moins d’admettre l’alternative, c’est-à-dire appliquer la logique de la lutte pour la survie aux sociétés humaines… Au 20e siècle, on a été témoin du résultat de telles expériences... Il est curieux de constater qu’implicitement Gould affirme ici que sa cosmologie darwinienne ne fournit pas un fondement logique pour un système éthique crédible ou cohérent et qu'il faut chercher ailleurs.

Ceci dit, la perspective de Gould ne me plait pas plus que toi. Évidemment j'aborde les choses par l'autre bout. Pour vous faire une idée, voir:

La cosmologie judéo-chrétienne et l'origine de la science.


> ===> Certes, les sciences exactes s'appuient sur l'observation de faits
> reproductibles et vérifiables, ou réfutables, par l'expérimentation. Les
> sciences humaines ne seraient dès lors pas des sciences ?

Ha! bonne question (pour l'anthropologue que je suis). Mais c'est une question très vaste et que j'ai déjà abordé au 4e chapitre de ma thèse de maîtrise, mais pour ne pas vous laisser entièrement sur votre faim, je vous propose le commentaire suivant: À mon avis, la valeur des "sciences" sociales ne tient pas uniquement à leur statut scientifique plus ou moins douteux, mais à leurs sujets d'études. Mais puisque plusieurs champs d'études en sciences sociales ont été fondé par des enfants des Lumières, ils ont "naturellement" tenté de s'accaparer du statut de "science" afin de rehausser le prestige de leurs projets. C'est une préoccupation que je ne partage pas.

La méthode scientifique ne s'applique pas toujours bien à l'être humain (du moins si on a encore quelques scrupules éthiques) et d'autre part, il faut tenir compte du fait que, dans ce contexte, on est à la fois observateur et sujet d'étude! Toutes les confusions sont possibles... Et ça c'est loin de vider la question, mais bon.

>
> Argument un peu facile, tu en conviendras, puisqu'il est évidemment impossible
> de reproduire les conditions d'observation des origines de la vie et de son
> évolution, vu les bouleversements climatiques et géologiques survenus depuis
> des millions d’années.

Eh non, je ne suis pas du tout d'avis que c'est "un argument un peu facile" que d'exiger "de reproduire les conditions d'observation des origines de la vie et de son évolution, vu les bouleversements climatiques et géologiques survenus depuis des millions d’années", car justement la théorie de l'évolution a des prétentions explicatives énormes, cosmiques, et il en découle naturellement que les exigences à son égard soient de même échelle.

Si cette théorie ne prétendait expliquer que quelques variations des becs des pinsons du Galápagos ou encore la capacité de certaines bactéries de résister aux antibiotiques, la question serait tout autre, mais ce n'est pas le cas.

Et si on affirmera qu'il soit nécessaire de relâcher les exigences normales de la science dans le cas de la théorie darwinienne (et l’on trouve des darwinistes pour le faire), il me semble alors manifeste qu'une telle requête est liée à des motivations idéologico-religieuses et non scientifiques...

> Il est même étonnant qu'on ait retrouvé autant de
> fossiles ... ! Peu importe d’ailleurs à mes yeux le nombre de données
> observables, et la question de savoir s'il s'agit de " micros ou de macro
> évolutions ": ce qui est flagrant, c'est que les espèces évoluent lorsque leur
> milieu change, ou alors elles disparaissent, et même que de nouvelles espèces
> apparaissent.

que les "espèces évoluent lorsque leur milieu change" est une affirmation à peu près vide, insignifiante. D'un côté, personne ne conteste le fait de l'adaptation des organismes (pinsons ou bactéries mentionnées ci-dessus) à leur environnement, mais rien ne justifie l'extrapolation de ce fait pour aboutir au processus macro (descendance de tous les organismes vivants d'un ancêtre commun) que propose l'évolution. Cela exige un acte de foi religieux que tous ne sont pas prêts à prendre. Dès que l'on dépasse le stade des variations observables, vérifiable et empiriques des adaptations des organismes vivants, on est dans le domaine du mythique, du cosmologique et de la religion.

Mais, évidemment pour ceux qui exigent que la science doivent fournir une explication TOTALE, ce sera inacceptable...

>> " Peut être je me suis mal exprimé. Tu est convaincu du déterminisme
>> idéologique qui fonde la "croyance à la création", mais du point de vue
>> anthropologique, le discours évolutionniste, répond également à un
>> déterminisme idéologico-religieux. C'est-à-dire qu'il est nécessaire sur le
>> plan idéologique pour bien des systèmes de croyances issues du Siècle des
>> Lumières (nazisme, communisme, humanisme, existentialisme, etc...). Que ces
>> systèmes de croyances rejettent la religion (chrétienne) n'y change rien.
>> Là encore, pour aller au fond des choses, faudra se taper Fuite de l'Absolu,
>> volume 2.".
>
> ===> Il faudrait d'abord s'entendre sur ce qu'est un "déterminisme
> idéologique". Je ne suis pas du tout convaincu que la "croyance à la
> création", ou la croyance en un dieu, résultent d'un déterminisme idéologique,
> dans le sens où il y aurait une évolution des idées. Par contre, il y a selon
> moi une évolution des mécanismes de défense contre la peur de l'inconnu, les
> dangers ou les phénomènes inexpliqués. L'animal humain étant le seul capable
> d’ imaginer un dieu, père protecteur substitutif, du fait de son néocortex
> préfrontal devenu plus développé .Il s'agit là d'une évolution anatomique et
> fonctionnelle, indépendante de toute "idéologie". Le "discours évolutionniste"
> n'implique aucun déterminisme idéologique : il est dans la logique des
> découvertes scientifiques, déjà prévisibles avant Darwin, indépendamment donc
> de tout "plan idéologique", philosophique ou religieux.

Mais je pose la question autrement. Etes-vous susceptible d'admettre qu'en Occident la théorie darwinienne puisse être un mythe d'origines et que c'est là son rôle principal? Et si vous rejetez cette affirmation, svp m'indiquer sur quelle base le faites-vous? Sur quelle définition de la religion ou du mythe appuyez-vous?

Jusqu'ici tous ceux que j'ai rencontré qui rejettent le statut et le rôle mythique du discours darwinien, le font en s'appuyant sur des définitions dépassées de la religion ou du mythe, définitions qui ne sont plus acceptées en sciences sociales.

Chose certaine, les acquis des sciences sociales démontrent que la question du sens se pose pour tous et c'est en ce sens que j'affirme que le discours évolutionniste est lié à un "déterminisme idéologique" (commun à TOUS les humains). La question des origines est fondamentale et le mythe (sous une forme ou une autre) est donc inévitable. La prétention des Lumières à parvenir à un "dépassement" de la religion est une illusion dérisoire. On a pu bien sûr repousser le christianisme, qui a dominé la pensée occidentale d'autrefois, mais la question de donner sens à l'existence reste entier pour tous et l'appel au mythe ne tarde pas.


> A propos de l’origine de la violence, qui les distingue, voici mon
> interprétation :
>
> Le bien et le mal n'existent pas dans la nature. Ce sont, selon moi, des
> constructions de l'esprit. Le " bien ", à mes yeux d’athée, c’est ce qui est
> favorable à l’épanouissement de l’individu et de l’espèce, et inversement pour
> le " mal ".

Si vous lisez l'anglais, j'ai un article en ligne à ce sujet Problems with Ethics in an Evolutionary / Materialistic World-View.

Le problème fondamental à mon avis de l'éthique dans le contexte d'une cosmologie matérialiste est que TOUT système éthique peut être admissible, aussi bien celle de Mère Térésa que celle de Staline. Puisque aucun repère moral absolu (au-dessus de l'individu ou de l'État) n'existe dans la nature comme vous le dites, alors l'État a TOUTE liberté d'imposer une moralité arbitraire. RIEN n'est exclu.

> La violence actuelle est de moins en moins contenue par les interdictions
> religieuses d'antan ("Tu ne tueras point !"). L’histoire confirme abondamment
> la piètre aptitude des religions à développer une conscience morale autonome.

La juxtaposition de ces deux phrases est assez curieuse. La première contredit étrangement la deuxième.

> Je ne partage pas l’opinion fréquente selon laquelle la violence du nazisme et
> du stalinisme, notamment, serait due à l’ " athéisme " de ces idéologies. Au
> contraire, il me semble que l’absence totale de respect de la dignité humaine
> d’un Hitler et d’un Staline, d’un Mussolini, d’un Pétain, …, de même que la
> soumission et la violence de ceux qu’ils ont endoctrinés, sont explicables par
> leur commune éducation religieuse initiale, qui a constitué un terreau
> favorable à la volonté de puissance des premiers et à la soumission des
> seconds.

Oui, oui, on le sait, les disciples des Lumières sont toujours chastes et purs et n'ont jamais à se remettre en question ou faire leur examen de conscience. Il est entendu que Hitler, Staline, Mussolini ou Pétain sont tous les enfants illégitimes des Lumières, des bâtards et non pas des enfants légitimes...

C'est entendu.

> Les religions, malgré le message d’amour du christianisme, et à cause de leur
> prétention à détenir chacune LA Vérité et LE Vrai dieu, m’apparaissent comme à
> l’origine de toutes les intolérances et de la plupart des violences. Hier
> comme aujourd’hui.

Mais le dogmatisme et l'intolérance peuvent prendre toutes sortes de visages... Examinant la pensée de Rousseau et des partisans de la Révolution française, Albert Camus, dans L'Homme révolté, observe (1951: 153):

Mais les disciples des Lumières n'aiment pas se regarder dans CE miroir pas très flatteur pour voir leur propre dogmatisme et intolérance... Les commentaires de Steiner ci-dessus lèvent le voile sur la chose, mais, à mon sens, c'est loin de vider la question.

Après avoir énuméré les contributions de scientifiques chrétiens (passés et présent) à la science, tu réagis :

> ===> Certes, il est difficile pour un scientifique croyant de s’affranchir se
> sa croyance religieuse. Mais je pense que lorsque l’origine et la persistance
> des influences religieuses sur les neurones et l’esprit critique auront été
> diffusées dans la communauté scientifique, cela deviendra plus facile. En
> outre, dans les siècles passés, les plus " éclairés ", comme Einstein, par
> exemple, rejetaient le cléricalisme, mais étaient soit théistes, soit
> déistes. Sans doute n’avaient-ils pas découvert les philosophes grecs athées …

Mais à mes yeux un scientifique athée/matérialiste est malgré tout un scientifique croyant, car il a aussi des croyances sur le monde. C'est inévitable d'ailleurs. Mais lorsque vous dites un "scientifique croyant" j'imagine que vous entendez par là, un scientifique qui adhérent au système judéo-chrétien. Bien que ce soit une expression répandue, c'est un glissement de sens qui me semble illégitime, car cela laisse entendre que le scientifique athée/matérialiste est "neutre" et n'a pas de "croyances". C'est une illusion, car tous ont des croyances. Il ne reste qu'à déterminer lesquelles... et les assumer sans hypocrisie. Mais pour les héritiers des Lumières cette illusion a des fonctions marketing très importantes et inévitablement on s'y cramponne mordicus.

Discutant du besoin universel de sens, le philosophe Régis Debray offre l'avis suivant:

DEBRAY, Régis & BRICMONT, Jean (2003) À l’ombre des Lumières : Débat entre un philosophe et un scientifique. Odile Jacob Paris 198 p.

Debray ne discute pas d'évolution ici, mais le lien se dessine tout seul si on tient compte du rôle social et culturel central que joue le discours évolutionniste en Occident.

>
>> "Du point de vue anthropologique, le Siècle des Lumières doit aussi être
>> considéré comme un système idéologico-religieux. Fondé sur une cosmologie
>> matérialiste aseptisée, sans divinités, mais une religion malgré tout... ".
>
> ===> A cette époque, oui.

Bon je devine que vous entendez par là que des gens comme Auguste Comte. Un copain (à moi) a dit à son sujet:

Rodrigue Allard (2006) Sécularisation de l'Occident.

Mais proposer une religion explicite comme a pu le faire Comte pose maintenant un problème marketing. Cela permet aux gens de comparer facilement. Les héritiers des Lumières ont vite compris que rejeter le statut religieux de leur système de croyances offrait une protection blindée contre, à la fois les comparaisons et les critiques, car le marché des religions est impitoyable et la compétition féroce ("survival of the fittest"). Les expériences telles que ceux des artisans de la Révolution française ou celles de Comte (proposant des religions explicites) ont été vite mis au placard et oubliés. Et pour les héritiers actuels des Lumières c'est probablement beaucoup mieux ainsi.

Mais l'indice le plus probant du déclin de la pensée des Lumières, c'est le progrès continu de l'islam en France, place forte des Lumières autrefois.


portez-vous bien (et bonne année!)

Paul Gosselin
Québec, Canada
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"For the scientist who has lived by his faith in the power of reason, the
story ends like a bad dream. He has scaled the mountains of ignorance;
he is able to conquer the highest peak; as he pulls himself over the final
rock, he is greeted by a band of theologians who have been sitting there for
centuries.
Robert Jastrow; God and the Astronomer.
New York: W.W. Norton and Company; 1978; p.113
=====================================================================
check le site:
http://www.samizdat.qc.ca

la réaction

Sources

STEINER, George (2001) Grammaires de la création. Gallimard [Paris] (collection NRF-essais) 430 p.

WEIKART, Richard (2004) From Darwin to Hitler: Evolutionary Ethics, Eugenics, and Racism in Germany. Palgrave Macmillan New York