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Samizdat

Confusions et nuances :
le rapport science / religion.




Paul Gosselin (anthropologie des religions)

Récemment (1/11/06) j'ai assisté au Bar Sciences, organisé par l'Association des étudiants, au CEGEP de St-Laurent à Montréal. Le thème choisi était Croire en quoi? Sciences ou religions ? Ont participé comme invités aux discussions; Laurence Tisdall (maîtrise en botanique et président de l'Association des sciences créationnistes du Québec), Yves Gingras (sociologue et historien des sciences) Daniel Baril (journaliste) Normand Charlebois (pasteur pentecôtiste).

Pour ceux qui ne connaissent pas ce concept de Bar Science, il s'agit d'une formule de conférences informelles où le public peut intervenir et poser des questions. Un des objectif des Bar Science est de permettre aux scientifiques et au public de mieux comprendre leurs préoccupations mutuelles. Inspirés des cafés philosophiques, les bars des sciences ont été développés d'abord en France, à Paris en 1997. Puis, le concept s'est propagé en Angleterre ainsi que dans différents pays européens. Intéressé par ces événements, des étudiants de l'UQAM ont organisé le premier bar des sciences en Amérique en 1999 à Montréal au bar St-Sulpice. Par la suite, Québec Science s'est fortement impliqué et en organise de façon régulière au Barouf qui sont animés par Yannick Villedieu pour l'émission Les années lumières de la radio de Radio-Canada. Depuis, différents bars des sciences sont aussi organisés dans différents endroits au Québec dont au cégep de Saint-Laurent.

Cet événement a comporté quatre sous-thèmes qui ont été discutés dans le cours de la soirée.

Le sujet semble bien avoir attiré du public, car la salle m'a semblé pleine. Toutes les tables et chaises étaient occupées et l'on voyait, ici et là, des étudiants assis par terre et d'autres debout, aux extrémités de la salle. Chaque invité a eu droit à une brève intervention de 5 minutes et dès lors, les discussions et les questions de l'auditoire ont démarré. Au cours des discussions des positions agnostiques, créationnistes et laïques [matérialistes] ont pu se faire valoir.

Dans le cours des discussions, on a abordé la question des diverses conceptions des origines dans le contexte des cours de science du système scolaire québécois et m. Gingras a affirmé à l'effet que dans bien des échanges sur la place publique, on pouvait faire place à toutes les opinions et avis, mais en ce qui a trait à la science, il fallait faire preuve d'intransigeance, car la science s'intéresse aux faits. Et pour prouver son assertion, avec un geste théâtral il a laissé tomber par terre un verre de plastique. Il avait alors toute l'attention de la salle.

Évidemment son affirmation visait des discussions sur la possibilité de remettre en question le rôle central de la théorie de l'évolution dans le système d'éducation québécois. On peut supposer qu'à son avis, la théorie de l'évolution constitue un fait indéniable tout aussi bien que la loi de la gravité (représenté par la chute du verre). Inutile de discuter des faits, faut s'y soumettre. Un point c'est tout...

Mais il y a là une confusion surprenante de la part d'un professeur de l'histoire des sciences. Bien que cette confusion ne soit justifié ni par la philosophie des sciences ni par l'histoire des sciences, il faut voir qu'elle est très utile sur le plan idéologique. Précisons... La science s'intéresse à l'observable. L'exemple donné de la chute du verre de plastique par m. Gingras est fort intéressant. La chute d'un verre est d'abord et avant tout un phénomène OBSERVABLE. Tous peuvent faire l'expérience chez eux, pas besoin de se fier au discours d'un savant ou d'une autorité. On peut même, comme l'a fait m. Gingras, le répéter devant un grand nombre de témoins. On peut facilement s'entendre sur ce qu'on a vu. Au sujet des comparaisons un peu trop faciles entre la gravitation et l'évolution Karl Popper fit des commentaire cinglants (1973/1998: 399) :

Dans le cas de la théorie de l'évolution, cela est impossible. On ne peut pas observer le miracle de l'apparition de la première cellule capable de se reproduire[1]. On ne peut pas observer ou répéter la séparation des invertébrés et des invertébrés ou encore le vol du premier oiseau. Évidemment les évolutionnistes nous proposent des histoires fort convaincantes pour expliquer ces événements, mais à vrai dire ces histoires ne prouvent rien, sinon la fertilité de l'imagination des évolutionnistes. Ernst Mayr, biologiste prolifique et autorité mondiale sur les questions touchant l'évolutionnisme, admet d'emblé que la théorie de l'évolution n'est pas de l'ordre de l'observable (1982: 310):

La science, lorsqu'elle traite de l'observable, est légitime et utile, mais ce sont les disciples du Siècle des Lumières qui ont exploité le prestige de la science pour vendre leur salade idéologique. Ils ont fait de la science une religion ou, pour parler avec plus de précision sur le plan anthropologique, une cosmologie (élément fondateur d'une religion). Touchant le rôle idéologique du scientisme, Lévy-Leblond et Jaubert remarquent (1975: 41):

La théorie de l'évolution nous est proposée comme une explication rendant compte des structures complexes que nous appelons les êtres vivants. De l'unicellulaire le plus bête (ex. la bactérie, voir à ce sujet le vidéo The Inner Life of a Cell), aux multicellulaires les plus massifs avec leurs milliards de cellules coordonnées, comme la baleine bleue ou le séquoia, jusqu'à la masse la plus complexe rencontrée jusqu'ici, c'est-à-dire le cortex du cerveau humain moyen, avec ses dix milliards de neurones inter-reliés par 1016 interconnexions[2], la théorie de l'évolution se veut une explication de toute cette réalité et de tous les processus disparates qui la composent (des réactions biochimiques les plus élémentaires jusqu'aux multiples variantes des relations inter-espèces prédateur - proie ou hôte - parasite).

À la question de fond, posée plus haut: "La théorie de l'évolution est-elle scientifique ?" on peut répondre, comme les Normands, p't-être bien qu'oui et p't-être bien que non. Tout dépend de la définition de la science à laquelle on donnera notre adhésion. Avant de prendre parti sur ce point, il faut bien peser les conséquences. Si notre définition de la science remet au second plan la méthode expérimentale et l'observation de processus répétés et aux relations de cause à effet observables, alors on peut très bien admettre que l'évolutionnisme puisse être considéré scientifique. Ce détail n'est pas négligeable, car il est plutôt difficile d'imaginer comment un processus commençant par l'apparition de la première cellule et œuvrant au cours de milliards d'années, aboutissant à la réalité biologique qui nous entoure[3], puisse être soumis à expériences. On ne peut accepter que le statut scientifique soit acquis de manière parcellaire en démontrant par exemple un ensemble d'éléments composites (ex. l'abiogenèse[4] ou l'apparition d'une nouvelle espèce), car l'évolution est une théorie tentant d'expliquer la vie qui nous entoure en nous proposant une causalité, une chaîne d'événements intimement liés, interdépendants et n'existant que dans le passé. Si la chaîne explicative ne tient pas dans l'ensemble, alors tout s'effondre. Il est donc impossible qu'un seul élément puisse supporter, de manière logique, ou rendre compte de l'ensemble de la chaîne. La théorie de l'évolution nous est proposée comme l'explication d'un processus long et d'une complexité fantastique. Il est, dès lors tout à fait normal d'exiger une démonstration empirique de l'ensemble du processus[5]. Si, par contre, nous tenons à maintenir la méthode scientifique et les expériences en laboratoire[6] au cœur de notre définition de la science alors il est alors non seulement permis de rejeter le statut scientifique de l'évolutionnisme, mais la logique l'exige.

Certains évolutionnistes sont tout de mêmes conscients de la faiblesse du statu scientifique de la théorie de l'évolution. Colin Patterson, paléontologue en chef du British Natural History Museum à Londres, remarqua (1978: 145-146):

Michael Ruse, qui est un philosophe de la science évolutionniste canadien relativement renommé, va plus loin et rapproche cette théorie de la religion. L'article (How evolution became a religion) a été publié dans le quotidien de Toronto, le National Post. Ruse note par exemple (2000)

Il faut bien voir la théorie de l'évolution dans son contexte de naissance, c'est-à-dire dans un Occident dont une bonne part des élites, dès le Siècle des Lumières, s'est éloignée du système de pensée judéo-chrétien. Et pour compléter le processus, il fallait un nouveau mythe d'origines et c'est le rôle qu'a joué, dès sa parution en 1859, l'Origine des espèces de Charles Darwin. Mais c'est une question qui est abordé de manière poussée dans mon essai multi-volume Fuite de l'Absolu (plus précisément au volume 2).

Il ne faut pas s'étonner non plus que si peu d'interventions critiques à l'égard de la théorie de l'évolution proviennent de francophones. Étant donné que les sociétés francophones (la France et le Québec, du moins) se sont engagés massivement sur le plan institutionnel vis-à-vis d'idéologies matérialistes (fondées sur la théorie de l'évolution), il ne peut y être question de remise en question sérieuse sur le fonds de la théorie de l'évolution, car cela produirait une crise sociale et idéologique d'envergure, une véritable Révolution. C'est pourquoi en milieu francophone ce débat restera longtemps, hormis quelques discussions insignifiantes sur les difficultés ou paradoxes de l'évolution, marginal, inaudible.

Si, comme m. Gingras on nous affirme qu'une position dogmatique à l'égard de la théorie de l'évolution est nécessaire, une telle position est contredite par l'épistémologue Paul K. Feyerabend qui affirme plutôt que (1975/79 : 32) “ La prolifération des théories est bénéfique à la science, tandis que l'uniformité affaiblit son pouvoir critique. L'uniformité met aussi en danger le libre développement de l'individu. ” Feyerabend ajoute avec dérision (1975/79: 46) :

Dans l’esprit moderne l’identiifcation évolution = science est à un point absolue que pour plusieurs il est inconcevable qu’un scientifique puisse la remettre en question. Et si cela devait survenir, la réponse est toute trouvée, il n’est pas un vrai scientifique… Un point oublié de notre génération est qu’au XVIIIe et XIXe siècles presque tous les fondateurs des divers champs d'études scientifiques appuyaient, sans hésitation, une cosmologie où le monde aurait été créé par un Agent intelligent en six jours. Bertrand Russell, athée notoire, décrivant les attitudes cosmologiques de Newton, admet (1971: 40-41):



Autre point abordé dans la soirée. On a fait part d'un certain nombre de sondages sur les croyances du citoyen moyen sur les origines. Une enquête sur le territoire américain notait qu'un pourcentage important de la population rejetait complètement la théorie de l'évolution et affirmait que l'apparition de la vie était due l'intervention récente d'un Créateur (voici un exemple par la firme Gallup 2001). M. Tisdall a fourni des statistiques de sondages avec des chiffres comparables pour le Canada. Un des invités, m. Gingras je crois, a répliqué qu'on ne détermine pas la vérité en science au moyen de sondages. C'est pourquoi on ne peut considérer ces résultats comme significatifs.

Ceci est vrai jusqu'à un certain point, mais il faut noter que sur le plan pédagogique cela démontre un problème de marketing énorme. Depuis plusieurs générations maintenant les élites matérialistes jouissent d'un monopole idéologique dans les milieux d'éducation en Occident (et c'est d'autant plus vrai dans nos milieux francophones). Normalement nous aurions dû atteindre le stade où toutes ces vieilles croyances religieuses devraient être éliminées. Mais au contraire, on constate un regain d'intérêt pour la religion dans le sens large. C'est ce que nos érudits appellent le retour du religieux. Cela provoque sans doute des grincements de dents de la part de nos vieilles élites matérialistes, car c'est une gifle au visage et un indice de la faiblesse et de la crédibilité de leur système de pensée ainsi que celle de leurs efforts de propagande. Ça ne prends pas...



Autre point noté en soirée. Un des intervenants (m. Baril je crois) a noté avec satisfaction que divers procès aux États-Unis où il avait été question du monopole idéologique de la théorie de l'évolution en milieu scolaire ont et que tous ces procès ont été tranchés en faveur de cette théorie. C'est un fait. Mais ces causes juridiques sont révélatrices. Depuis quand faut-il des avocats et des juges pour régler ce qui est peut être considéré admissible comme théorie scientifique ? Comment se fait-il qu'une théorie dite scientifique doit être protégé par les interventions d'avocats, de juges et des décisions des tribunaux? Comment se fait-il que la théorie de l'évolution soit soustraite à la sélection naturelle des idées sur la place public et dans les insitutions scolaires ? Au début du XXe siècle, est-ce que les tenants de la physique classique ont eu recours à des avocats pour contrer l'influence grandissante de la relativité proposée par Einstein ? Est-ce considéré une hérésie que de proposer examiner les difficultés de la relativité générale ou la théorie des quanta ? Mais, une fois après l'autre les juges américains qui entendent ces causes remettent les choses en ordre. Le résultat est tout a fait prévisible. On ne peut PAS critiquer la théorie de l'évolution dans une institution scolaire américaine. ELLE EST INTOUCHABLE ! En tant que penseur postmoderne, le sympathique et tapageur philosophe de la science P.K. Feyerabend n'hésite pas à remettre en question les fondements du système idéologico-religieux moderne (1979: 348):

Dans une étude fort intéressante par Thomas M. Lessl on examine, dans le contexte du débat évolution - création aux EU, justement les réflexes religieux de l'establishment évolutionniste. Lessl note (1988: 24):



Références



FEYERABEND, Paul K. (1975\79) Contre la Méthode. Seuil Paris 350 p.

GOSSELIN, Paul (2006) Fuite de l'Absolu: Observations cyniques sur l'Occident postmoderne Volume I. Samizdat Québec 492 p.

GOSSELIN, Paul (2006) Acquérir la pertinence: Cosmologie et anthropologie. Présentation faite à l'Assemblée général de l' Association des anthropologues du Québec, le 28 mai 2006 à Sainte-Foy, Québec.

GOSSELIN, Paul (1998) Le créationnisme à l'aube du 21e siècle. Samizdat

GOSSELIN, Paul (1987) La cosmologie judéo-chrétienne et l'origine de la science. Samizdat

GOSSELIN, Paul (1986) Des catégories de religion et de science: essai d'épistémologie anthropologique. (thèse U. Laval)

GOSSELIN, Paul (1980) Mythes d'origines et la théorie de l'évolution. Samizdat

GOSSELIN, Paul (2009) Une dichotomie étrange: Le débat sur les origines en milieux anglophone et francophone. Samizdat

PATTERSON, Colin (1978) Evolution. British Museum of Natural History London 197 p.

LESSL, Thomas M. (1988) Heresy, Orthodoxy, and the Politics of Science. Quarterly Journal of Speech;, v. 74, n. 1, Feb, pp. 18 34.

LÉVY-LEBLOND, Jean-Marc & JAUBERT, Alain (Auto)critique de la science. Paris, Seuil (coll.Points. Sciences; S53) 1972/75 310 p.

MAYR, Ernst (1982) The Growth of Biological Thought: Diversity, Evolution and Inheritance. Cambridge Mass, Harvard U.Press xiv-974 p.

MIDGELY, Mary (1987) Evolution as religion: A comparison of prophecies. pp. 179-194. Zygon vol. 22, no. 2

POPPER, Karl R. (1973/1998) La connaissance objective. (traduction intégrale de l'anglais et préfacé par Jean-Jacque Rosat, coll. Champs 405) Flammarion Paris 578 p.

PETROSKI, Henry (2003) Framing Hypotheses: A Cautionary Tale, American Scientist, 2003 vol. 91 no. 1; pp. 18-22

RUSE, Micheal (1983) The Ideology of Darwinism. pp. 233-256 in E. Geissler & W. Scheler (éds.) Darwin today. (8th Kühlunsborn Colloquium on Philosophical and Ethical Problems of Biosciences) Academie-Verlag Berlin 215 p.

RUSE, Michael (1993) Transcription d'une présentation fait à un séminaire de la American Association for the Advancement of Science, The New Antievolutionism, Boston, February 13, 8 p..(transcription préparée par Paul A. Nelson)

RUSE, Michael (2000) How evolution became a religion: Darwinians wrongly mix science with morality, politics. National Post (Saturday, May 13)

RUSSELL, Bertrand (1971) Science et religion. Gallimard [Paris] (Collection Idées; 248) 187 p.


Notes

[1] - Ce que nos super-computers les plus avancées restent incapables de faire...

[2]- Voir Jaki (1969/89: 77-78).

[3]- Et nous nous ne sommes apparemment que le stade final, ce qui précède n'est pas directement accessible et observable, sauf par l'intermédiaire de reconstructions hypothétiques.

[4]- C'est le terme le plus courant pour parler du passage du non-vivant (minéral) au vivant, c'est-à-dire aboutissant à un organisme capable de se nourrir et de se reproduire. On exclut donc ici les virus et autres trucs semblables, car ceux-ci dépendent de l'existence d'autres organismes pour leur reproduction. On peut, à la limite affirmer qu'ils font partie du vivant (puisqu'ils comportent de l'ADN), mais ce sont, à toutes fins utiles, des parasites.

[5] - Ceci dit, il reste un problème très sérieux. Peut-on établir un lien logique convaincant et absolument sûr entre l'événement que nous voulons expliquer et nos modèles ou théories? Voyons, par exemple, les commentaires de l'ingénieur Henry Petroski traitant de l'effondrement du World Trade Center lors des attentats terroristes du 11 sept 2001. Examinant un événement historique pour lequel on a des données matériels et vidéos ainsi que des témoins oculaires, Petroski , en tant qu'ingénieur, explique les limites de la reconstruction d'événements passés (2003: 18):

[6]- En somme, le point de contact théorie <-> réalité.